N° 238
Mai

https://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Mai 2023
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
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LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
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EDITO
Le mois de mai

        Mai est le mois des jours fériés et, quand la conjonction est favorable, le mois des ponts. Aujourd'hui 1er mai, c'est la fête du travail ! Alors pour ne rien changer, je bosse ! Un peu chez moi et beaucoup pour la Seybouse. J'espère que vous aimerez ce Numéro.

        On ne sait plus si le 1er mai est encore la fête des travailleurs ainsi qu'une journée de démonstration de la force des centrales syndicales et de l'ampleur de leurs bases populaires. Ce 1er mai sera une journée de protestation sur la réforme des retraites et le ras le bol de la majorité des citoyens.
        Trois ans plus tard, où en est " la pandémie " ? Le cynisme capitaliste n'a jamais été aussi odieux avec surtout le comportement des firmes pharmaceutiques qui après avoir organisé la rareté des masques, vaccins, organisent maintenant la pénurie des médicaments comme ce même cynisme le fait avec des produits alimentaires qui subissent une inflation injustifiée.

        En Mai 1968, c'était, il y a 55 ans, on en parle encore, car cela n'a rien d'étonnant tellement cette période a été le ras le bol des français (comme à l'heure actuelle) et la demande d'exigences et de libertés sociétales nouvelles. Sur le long terme, cela n'a pas été une réussite totale mais, en tout cas le pouvoir fort de la dictature gaullienne avait cédé.
        Sans en faire tout l'historique, pourquoi vous rappeler cette date en ce 1er mai 2023 ? Parce que le 1er mai de cette année se passe dans le cadre d'un mouvement social, avec une nouvelle dictature dirigée par la finance et l'incompétence, sans qu'une perspective politique de changement positif pour le peuple, ne soit dans le viseur " d'el Présidente " car nous sommes dans le flou complet après son premier mandat catastrophique.

        Le peuple pense qu'il devra encore subir son chef suprême pendant un temps certain et c'est peut-être du côté du syndicalisme qu'ils pourront trouver de l'écoute.
        La volonté, du gouvernement, de ringardiser les syndicats comme s'ils étaient des organisations d'un autre temps, cache mal sa volonté de museler toutes les contestations et revendications afin de passer coûte que coûte des réformes, avec le " 49,3 " qui ne profitent qu'aux plus aisés.

        Les arbres bourgeonnent, le soleil revient et avec lui, l'envie d'ouvrir grandes nos fenêtres et de faire le grand ménage de printemps.
        Les fêtes printanières qui ont déjà commencé avec les Rameaux, se poursuivent en Mai et marquent l'arrivée des beaux jours. Les " ponts " déjà cités sont l'occasion de réunions de famille (avec la fête des mères, le dernier dimanche de mai) ou de réunions d'amis au cours de minuscules vacances. La saison des mariages commence aussi, et des communions. Et, dans chaque ville de France, les fêtes et événements vont se multiplier. Le pays sort de sa torpeur hivernale et se prépare à profiter de l'été, faites-en autant ! Carpe diem !
        La fête du Travail, c'est aussi celle du muguet, donc des fleuristes, et des " bénévoles " qui le vendent au coin d'une rue, après l'avoir ramassé.
        Le 1er Mai, est célébrée la fête du travail. Un nom de baptême bizarre car, la très grande majorité des travailleurs du pays, va faire autre chose que travailler. Il va fainéantiser dans la joie. D'après un certain président, habituellement, Il serait même un peu " fainéant " sur les bords.

        En 2021/2022, la France a grondé mais s'est laisse endormir quand est venue la période des élections. Mais depuis, avec l'obligation vaccinale pour certains ; la privation des libertés ; la mort de malades qui auraient pu être soignés sans les ordres criminels qui ont plombé la grande majorité des médecins ; la gabegie des finances publiques ; le grand remplacement voulu par les chefs d'état pour justifier leur incurie ; l'inflation dont on met la cause sur une guerre voulue par des fous, etc...
        Tout cela finira très mal. Et gageons que nous allons en subir les conséquences. La France a fait un choix, elle sera responsable aux yeux de ses enfants et petits-enfants.
        A ce moment là, nul ne se doute encore de l'ampleur que prendront les événements futurs car nous sommes dans une situation pire que 1968 et les insouciants ne veulent pas s'en rendre compte.
        Quoi qu'il en soit, ce 1er mai 2023 pourrait être une fin de cycle, celui d'un tournant qui s'annonce, pour le meilleur ou pour le pire. Bonne fête aux travailleurs, aux retraités et aux jeunes qui ont leur avenir entre leurs mains !

        Souhaitons que Saint Augustin veille sur nous encore quelques années.
        Bon mois de mai à tous et toutes
        Bonne lecture
Jean Pierre Bartolini          
        Diobône,         
         A tchao.


Mémoires de Sacristie
Envoyé par Jean-Claude PUGLISI.
( 1945 - 1950 )
 
M. le Curé avait fait un crepitus ventris
et portait des pantalons longs
M. le Curé semblait préférer le vin blanc
à l'eau des burettes durant la messe

M. le Curé avait du faire honneur à la dive bouteille
ce dimanche-là, pour arriver l'après-midi
un peu gris aux vêpres

Comment et pourquoi ?
Marc Patalano alias le Marquis
- Jean-Pierre Fiorillo - Carmello Casa,
ne furent pas retenus comme enfants de chœur.

" Le Christ aussi marchait les pieds-nus !"
avait dit M. le Curé au Marquis,
qui s'excusait d'être rentré dans l'église sans chaussures

En plein office religieux,
M. le Curé descendit dans l'église
pour expulser deux jeunes-filles qui papotaient.

Les 50 francs du généreux petit enfant de chœur
à son Curé.

Un soir en pleine célébration d'un office,
l'église fut plongée dans le noir absolu,
par la faute d'un enfant de chœur.

Peur panique dans l'église
d'un enfant de choeur
gardant le Saint-Sacrement.

"Tout travail mérite salaire"
avait dit M. le Curé
à Pétronille ma grand-mère sicilienne.
Le PREDICATEUR = l'abbé Noël BARBARA
M. le Curé
était très respectueux du droit canon
qu'il appliquait strictement,
même, si cela pouvait douloureusement le tourmenter

            - Drame de la famille STORA
            - Refus de faire passer les suicidés par l'église
            - Refus des obsèques religieuses à M. Trébuchet le gendarme, un chrétien, père de famille marié à une juive, Décédé accidentellement au cours d'une mission
            - Refus de marier religieusement des couples ayant vécu en concubinage.
Avant - Propos

            Peut-on avoir été durant de longues années, un enfant de chœur à la paroisse Saint-Cyprien de La Calle, sans avoir gardé en mémoire quelques souvenirs de cette époque déjà bien ancienne ?
            Peut-être ? est-ce, les laborieuses et longues recherches effectuées récemment, que j'avais entrepris sur la biographie du père Urbain - Auguste Decroze, qui devaient me conduire à revivre tout droit et en même temps, certaines histoires de jadis vécues clairement et en direct, au sein du silence religieux des murs de notre chère église, mais, également, dans le mystérieux secret de sa sacristie.

            Certains faits vus par nos yeux d'enfants, seront sans conteste amusants, voire, puérils... d'autres, par contre, beaucoup graves, plus sérieux, voire, dramatiques... lesquels, ne devront en aucune façon, être considérés comme une tentative de jeter l'opprobre sur notre cher et brave Curé, qui, tout compte fait, était aussi resté tout simplement un homme, avec toutes ses qualités mais aussi ses défauts.
            Dans ce dernier cas, il faut bien comprendre et savoir, qu'à cette époque les prêtres étaient tenus au strict respect du droit canon et que par conséquent, ils ne pouvaient laisser parler librement leur conscience et agir en prenant des décisions personnelles, qui auraient été contraires aux préceptes de l'église... Sacrilèges s'ils en étaient ! Etaient-ils alors à cette époque, "endoctrinés" dés le séminaire comme on aurait pu le croire, fermement convaincus et persuadés qu'ils détenaient toutes les clefs de la vérité et mis sur le bon chemin par leurs pairs ?

            Les temps ont heureusement bien changé de nos jours où, le plus souvent, le prêtre écoute sa conscience d'abord et agit ensuite dans le sens qu'il croit juste et bon sans ne jamais trahir son église.

            Les Enfants de chœur et le Catéchisme

            Avant de me lancer dans l'évocation de ces souvenirs, il est, me semble-t-il indispensable, de décrire l'enfant de chœur de Saint-Cyprien dans l'environnement de son église : ses habits, de fêtes, de deuil, de messes ordinaires - son cheminement personnel, pour être admis dans la sacro-sainte sacristie tout près de M. le Curé - son rôle et ses fonctions, dans les différentes missions de la paroisse - son avancement progressif et continu, dans la hiérarchie du corps des enfants de choeur... etc.

            Les enfants de choeur de Saint-Cyprien ? Qui étaient-ils - d'où venaient-ils - quel rôle jouaient-ils... au sein de la paroisse ; notre cher et estimé ami Alexandre Bertot, un ancien enfant de chœur, avait, en son temps, décrit admirablement et évoqué cette belle époque dans les pages d'un Petit Callois relativement récent. Pour ma part et à mon tour, je vais essayer de poursuivre ses intéressants propos, en puisant également et à ma façon dans les méandres de mes souvenirs, pour tenter de les compléter et apporter ma touche personnelle, en évoquant quelques-unes de mes mémoires de sacristie.

            C'est seulement au terme de cette présentation, qu'il sera possible de mettre sur cette vaste scène, les jeunes garçons que nous étions en compagnie de leur cher curé, pour raconter ce faisant quelques-uns des souvenirs particuliers de cette époque lointaine.
            Parlons d'abord des enfants de chœur pour dire très modestement, que M. le Curé aurait été bien embarrassé, s'il s'était retrouvé isolé dans son ministère, sans leur présence constante et active au sein de l'église.
            En effet, comment peut-on concevoir, une messe, un baptême, un mariage, un enterrement, un office, une procession ...etc. sans la présence effective, fidèle et vigilante de ces petits garçons toujours si sagement rangés à ses côtés ?

            Les enfants de chœur constituaient dans la paroisse, une véritable petite armée de volontaires toujours prête à intervenir, pour servir fidèlement et aider efficacement le prêtre dans sa mission de tous les jours et dont on peut dire que la sacristie était en quelque sorte leur "caserne" habituelle.
            Dés qu'on pénétrait dans la sacristie de Saint-Cyprien, on pouvait remarquer sur la gauche et faisant un même corps, une rangée de hauts placards de 50 cm de large, qui tapissait la surface du mur dans toute sa longueur et se prolongeait à droite sur le mur du fond, par une longue penderie masquée par une série de rideaux sombres. Cet espace supplémentaire était destiné, à accueillir les divers effets des enfants de chœur nouvellement recrutés.

            Tous ces espaces de rangements étaient prévus pour recevoir, outre, les effets personnels de l'enfant de chœur, mais, surtout, les différentes tenues qu'ils revêtaient lors des différents offices : Camail, à fond rouge et bandes blanches - surplis, d'un blanc immaculée - soutane rouge ; mais aussi, des habits identiques faits de noir, pour accompagner les rites réservés aux défunts...

            Cependant, lors des grandes fêtes religieuses traditionnelles, ou, lors de la venue tous les deux ans de Monseigneur l'Evêque de Constantine, Mademoiselle Jeanne Borg, nous mettait tous en tenue d'apparat pour la circonstance et à notre grande satisfaction, avec une calotte rouge de cardinal sur la tête et courant sur le thorax et l'abdomen, une longue et large ceinture de tissu rouge écarlate, laquelle, s'en allait faire le tour de la taille, pour remonter en diagonale et franchir l'épaule droite, cheminer vers l'arrière et finir enfin sa course à la taille.

            Mon Dieu ! Que nous étions beaux et fringants et combien fiers étions-nous alors et je ne parle pas de nos parents qui en vérité l'étaient bien plus que nous !
            Il faut dire que, faire partie du corps des enfants de choeur, était d'une grande fierté pour les gamins que nous étions alors, mais, aussi et surtout pour nos parents, qui, peut-être ? Considéraient secrètement dans leur fort intérieur, que, leur enfant, venait de gravir quelques précieux échelons dans la hiérarchie de la Paroisse et se trouvait ainsi tout près d'un ministre de Dieu, donc, pas trop éloignés du Seigneur.

            Mais, que l'on ne se leurre pas, en croyant naïvement que tout un chacun pouvait être admis aussi facilement, dans le corps des enfants de choeur de la paroisse... Loin de là, je vous l'assure !

            Comment se passait leur recrutement ?

            Bien-entendu, c'était toujours M. le Curé et lui seul, qui avait toute latitude et l'autorité nécessaire pour donner son accord, à un candidat qui avait manifesté son désir de devenir enfant de chœur.
            En général, cette demande était respectueusement faite par les parents de l'enfant, lequel, devait d'abord être inscrit au catéchisme depuis quelques temps déjà où, il devait avoir fait preuve d'assiduité et marquer de sa présence régulière les divers offices de la paroisse, sans compter, qu'il devait jouir d'une bonne et excellente moralité.

            A ce propos il faut savoir, que M. le Curé était toujours parfaitement renseigné : d'une part, parce qu'il était particulièrement bon observateur et fin psychologue, mais aussi, par les moyens dits "du bouche à oreille", mais, d'autre part et surtout, par la très grande efficacité des agents très spéciaux de son service de renseignements particulier, j'ai nommé : les "Bedsogues" ( de Bizzoccho, terme napolitain = "grenouilles de bénitiers." ) !

            Lorsque, pour une raison ou pour une autre, Monsieur le Curé se faisait "tirer l'oreille" pour accepter une candidature, il était parfois fait appel à la bonne et excellente Mademoiselle Jeanne Borg +, qui, très proche du prêtre, par le fait de son activité essentielle et son dévouement au sein de la paroisse, pouvait, ce faisant, se permettre de lui glisser un petit mot discret de recommandation, qui le plus souvent emportait la bonne décision.

            Mais à quel âge un enfant pouvait-il prétendre à être enfant de chœur ? Vers 8 ou 9 ans lorsqu'il avait atteint le cours moyen du catéchisme.
            Puisque l'on évoque les temps du catéchisme, je pense qu'une digression est indispensable en la matière.
            Je me souviens qu'à cette époque, l'instruction religieuse des garçons et des filles durait trois ans :

            - La première année, sous la conduite de l'excellente Mlle Lucie Curcio, nous étions installés pendant les heures de catéchisme, à gauche, et au fond de l'église, juste devant les fonds baptismaux.
            - Au cours des deux années suivantes, nous étions admis successivement au cours moyen, qui débouchait sur la Confirmation et la Communion dite privée, puis, en troisième année, qui marquait la fin de l'instruction religieuse et se clôturait par la Communion solennelle. Au cours de ces deux années, nous étions alors installés sur les bancs situés en face de la table sainte qui séparait le choeur de la nef et de part et d'autre de l'allée centrale de l'église : les 2° année à droite - les 3° année à gauche. Le prêtre qui nous enseignait le catéchisme nous faisait face, se tenant au milieu juste devant la table sainte et au sommet des marches menant au choeur.

            L'enseignement du catéchisme était bien particulier et avait toujours lieu au sortir le l'école :
            Pour les garçons de 11 heures à midi, les lundis - mercredis - vendredis.
            Pour les filles Même horaires, mais, les mardis - jeudis - samedis.

            Autant dire qu'il y avait séparation des sexes, sauf, pour les messes du jeudi matin, celles du dimanche et les vêpres : garçons à gauche et filles à droite de l'allée centrale devant la table sainte, sous la surveillance attentive de très gentille Mlle Lucie Curcio à gauche et de sa sœur, l'autoritaire Canetta Honorato à droite.
            Ce long parcourt d'instruction religieuse aboutissait en fin de 2° année, d'une part, et tous les deux ans, à la Confirmation des enfants du catéchisme par Mg l'Evêque, laquelle, confirmait notre place au sein de l'église catholique et dans le même temps, nous recevions, ce qui était à l'époque - la première Communion, dite privée.

            A l'issue de la 3° année c'était enfin le grand jour, que nous attendions avec bonheur et joie depuis si longtemps et qui devait marquer la Communion, dite solennelle. Dés cet instant nous étions libérés de toutes les contraintes du catéchisme et des offices religieux obligatoires. Cependant, rappelons-nous, que la quasi-totalité des communiants, poursuivaient volontairement la fréquentation de l'église et à l'issue de l'année suivante, renouvelaient leur Communion solennelle : c'étaient ce que l'on appelait - des renouvelants. Ils devenaient par la suite des paroissiens à part entière, totalement libres de poursuivre ou non la fréquentation régulière de l'église.

            Cette longue parenthèse pour bien préciser, que l'enfant de chœur n'avait en la matière aucun passe-droit particulier, puisqu'il était également soumis, aux mêmes obligations que les autres enfants inscrits au catéchisme, et cela, en plus de la tâche qu'il accomplissait auprès du prêtre.

            Evoquons maintenant par une autre digression, le cheminement d'un enfant de choeur au sein de la paroisse de Saint-Cyprien :

            Comment prenaient fin cette fonction auprès du prêtre ?

            Certains se libéraient dés qu'ils avaient fait leur Communion Solennelle, d'autres, poursuivaient un an de plus jusqu'au renouvellement, pour laisser sans regret la place à d'autres postulants.
            C'est durant toute cette période où, j'ai pu m'imprégner autant que faire ce peut, de l'enseignement religieux par le catéchisme, mais aussi, de vivre pleinement une activité d'enfant de chœur, tout près du bon Dieu, de ses saints et de notre bon curé Decroze et bien-sûr, jouer très sérieusement mon rôle sous le regard des fidèles. C'est là où j'ai pu voir et observer certaines choses insolites et assister à des situations particulières, parfois, tragiques, souvent, des plus comiques, enfin.
C'est aujourd'hui ce qui me décide à vous raconter :
Mes "Mémoires de Sacristie.

            " Comment un enfant de chœur, apprenait-il la façon de servir les offices religieux,
            Mais aussi, Faire toutes les réponses en latin au cours d'une messe."

            Jamais où presque, Monsieur le Curé ou quelqu'un d'autre, n'a pris la moindre petite peine, de nous enseigner quoi que ce soit en la matière.
            Mais alors, me dira-t-on avec juste raison d'ailleurs : "qui vous l'a enseigné ?"

            Je répondrais tout simplement, que cet apprentissage se faisait par les enfants de chœur eux-mêmes : les plus jeunes au cours du temps, regardaient attentivement faire les plus anciens, pour s'imprégner de leur savoir-faire et ainsi être enfin apte à servir le prêtre : par exemple, au cours d'une messe, l'ancien avait le rôle principal en servant à droite du maître-autel et le novice le secondait en servant à gauche.

            En quelque sorte, on peut dire, que les enfants de chœur, étaient tous parfaitement de sacrés autodidactes, puisqu'ils avaient "appris par eux-mêmes et sur le tas", ce qui m'autorise à dire aujourd'hui, que cette méthode d'auto-enseignement était tout de même très efficace.

            Comment ces gamins, avançaient-ils cans la hiérarchie du corps des enfants de chœur ?

            Il n'y avait pas du tout de tableau d'avancement et le prêtre était toujours naturellement en dehors de cet avancement. C'était curieusement le coin de la sacristie réservé aux rangements des effets de l'enfant de choeur, qui faisait régulièrement office de tableau d'avancement : le nouvel arrivant occupait toujours la dernière place de la penderie, puis, lorsque l'un des enfants de choeur s'en allait, pour une raison ou pour une autre, la file des autres enfants qui le suivait avançait d'une place, pour occuper celle laissée libre. Ainsi progressivement et au cours du temps, le gamin qui atteignait le premier placard de rangement obtenait la récompense suprême, puisque, cette place tant désirée, faisait de lui de par son ancienneté - le chef des enfants de choeur et c'est ce qui m'arriva un jour avec bonheur !

            Comment assumaient-ils leurs fonctions, oour servir la messe ?

            Il y avait dans la sacristie un petit tableau noir fixé au mur, qui était destiné à être mis à jour tous les dimanches par le chef des enfants de choeur, lequel, établissait à tour de rôle le service dit "de semaine" où, deux enfants de choeur, étaient désignés pour servir toutes les messes de la semaine et les autres offices religieux :
            Pour les messes de : 7 heures tous les matins - de 9 heures le jeudi - de 7 heures le dimanche, suivie de la grand-messe de 10 heures - les vêpres dans l'après midi.

            Les messes dites basses de la semaine ne nécessitaient pas, que les enfants de choeur de service se revêtissent de leurs tenues habituelles ; ils restaient donc dirons-nous, "en civils", mais, cependant, pour les messes des jeudis et dimanches, la totalité des enfants de choeur étaient présente et en tenues réglementaires.

            Les Baptêmes :

            Les baptêmes se faisaient le dimanche après la grand-messe, lorsque tous les fidèles avaient quitté l'église. C'est les deux enfants de choeur de semaine, qui accompagnaient alors le prêtre et le servait au cours des rites sur les fonds baptismaux... Ce qui n'était pas pour déplaire aux deux gamins assurant le service dit, de semaine, qui, en cette occasion récoltaient avec bonheur au passage, quelques belles petites étrennes sonnantes et trébuchantes.

            Les Mariages :

            Lors des mariages, qui le plus souvent se déroulaient le samedi après-midi, tous les enfants de choeur étaient présents, mais, c'étaient encore et toujours ceux de semaine qui officiaient avec le prêtre. Après la cérémonie, nous étions tous très heureux et satisfaits, de nous voir parfois gratifiés de quelques petites pièces de monnaie par les parents des mariés.

            Les Enterrements :

            Pour les enterrements, une autorisation écrite du prêtre nous permettait de sortir de l'école durant les cours, afin de nous rendre à l'église pour revêtir nos habits noirs de circonstance et attendre notre curé dans la sacristie, pour ensuite nous rendre au domicile du défunt et le retour en cortège à l'église pour l'absoute, puis, après l'office religieux, nous partions en longue procession croix en tête, jusqu'au cimetière pour assister à l'inhumation devant une famille éplorée et une assistance bien triste...
            C'est en compagnie de M. le Curé, que nous faisions toujours un morceau de chemin du retour, avant de nous séparer : lui, vers son domicile de la route de Tunis, nous, vers l'église, afin de nous dévêtir et rentrer à la maison.

            Je dois avouer très franchement, que jamais les enterrements ne nous ont particulièrement impressionnés. Etait-ce, notre jeune âge et l'insouciance qui nous habitaient alors à cette époque et qui ne nous avaient encore pas tout à fait comprendre, ce qu'était la mort d'un être cher et le chagrin des familles ? Je ne puis le dire aujourd'hui ! Mais ce que je sais maintenant, c'est, que bien heureusement, le fait d'avoir un temps côtoyé de très près les défunts, ne nous ait pas laissé par la suite quelques cicatrices psychologiques indélébiles, ce qui aurait été bien regrettable pour nous et c'est tant mieux comme cela !

            La semaine Sainte :

            Tous les ans lorsque de la semaine de Pâques était proche, le prêtre s'en allait avec un enfant de choeur dans le village ou aux alentours, pour bénir les maisons quartier par quartier et les fermes environnantes. Il était toujours accompagné, d'un enfant de choeur vêtu pour la circonstance de son habit rouge et blanc habituel, et portant fièrement à bout de bras un bénitier à la main. Aucun d'entre-nous, ne se faisait jamais prier pour cette besogne particulière, car, là aussi, les fidèles honoraient le prêtre par de l'argent, mais, aussi, son petit assistant à un degré bien moindre je m'entends. Curieusement, il arrivait parfois, que l'enfant de choeur se voyait récompenser de quelques petites pièces, jetées par les fidèles dans l'eau du bénitier, une tradition ancienne dont je ne connais encore pas l'origine, mais sûrement latine ?

            Pour ma part, je crois avoir été l'un des rares enfants de choeur, ayant eu le grand privilège d'être en cette occasion, emmené en sa compagnie dans son antique véhicule : nous allions ce jour-là bénir les petites fermes et jardins de la route du Boulif , lesquelles, relativement éloignés de la cité, pour que M. le Curé utilise sa voiture...
            Le soir à notre retour au presbytère, le siège arrière était garni abondamment de fruits, légumes et autres présents, offerts généreusement par les "jardiniers" visités et je dois dire qu'arrivé à la cure, la gouvernante de M. le Curé, l'excellente Mlle Marie, m'avait alors donné très discrètement avant que je ne parte, quelques-uns de ces produits de la terre à emporter chez-moi.

            Peu avant Pâques, les enfants de choeur par groupe de deux et portant à bout de bras une grande corbeille d'osier, sillonnaient gaiement les quatre coins des alentours du village, pour se rendre dans les fermes et jardins chercher des fleurs qui orneraient l'église durant les fêtes Pascales. C'était un rôle que nous acceptions volontiers et qui n'était pas sans nous déplaire, car, nous étions jeune, il faisait très beau et la nature embaumait délicieusement le printemps. Fiers et satisfaits de notre quête de fleurs, c'est en chantant avec une corbeille odorante et bien remplie, que l'on regagnait enfin l'église où, mademoiselle Jeanne nous attendait impatiemment pour juger de notre récolte.

            Pour le vendredi Saint, il faut savoir que le Saint-Sacrement ne devait pas demeurer seul et par conséquent, il appartenait à un enfant de choeur de prendre "la garde" en restant présent dans l'église durant la journée. Assis très sagement dans le choeur il se devait d'attendre patiemment, avant d'être relevé de sa tâche quelques deux heures plus tard par un autre enfant. Cette évocation me rappelle un souvenir de ce temps de Pâques : comme tous les collègues, j'ai gardé le Saint-Sacrement, mais, si pendant les heures dites ouvrables, l'église se voyait toujours fréquentée par quelques fidèles, cependant, au cours des heures où, l'église se vidait "la musique" n'était plus la même : l'enfant de choeur restait alors tout seul à affronter le silence très inquiétant des lieux où, l'imagination galopante d'un gamin, peut lui inspirer une peur difficilement contrôlable. C'est ce qui m'arriva un jour ! Ce devait être, entre 11 et 13 heures un vendredi Saint de je ne sais plus quelle année : l'église était déserte et M. le Curé qui venait de partir en me recommandant de faire bonne garde, ferma la grande porte derrière lui ce qui ne fut pas pour me rassurer et calmer mes angoisses... Soudain, je me rendis compte que j'avais peur - très peur... mais de quoi ? Jamais, je ne le sus ! Pourtant ce jour-là, l'enfant de choeur que j'étais, le soldat du Christ comme on se plaisait à nous appeler, faillit prendre la poudre d'escampette et fuir vivement le silence inquiétant de l'église, sans même prendre le temps d'ôter ma tenue de fonction ! Cette frayeur avait, peut-être ? pour origine, toutes les superstitions dans lesquels nous étions continuellement confrontés de part nos origines latines, mais aussi, par notre jeune âge, qui nous faisait croire "aux esprits" et autres êtres malfaisants, sans oublier la punition que le père éternel pouvait à tout moment lancer sur nos têtes.

            Au terme de cette causerie, je pense avoir largement commenté les principaux acteurs en la personne des enfants de choeur, mais, au passage je n'omets pas de saluer et de rendre hommage bien mérité, à toutes les personnes qui se sont toujours dévouées pour l'église Saint Cyprien et ses fidèles : les sœurs BORG ++, Jeannette et Lucie - Mlle Mayotte DI SICA + - les enfants de Marie et tous ceux de la chorale - Paul VELLA alias + et Jean AJELLO + alias Maboeuf, sacristains de leur état... et tous ceux que j'ai pu oublier.
Monsieur le Curé
Urbain - Auguste DECROZE ( 1875 - 1961 )

            Comment ne pas dire un mot sur le personnage qu'il incarnait et du rôle qu'il a tenu si longtemps au sein de notre paroisse dont il avait la lourde charge ?

            Qu'il devait plaire où non, à certains de ses ouailles au cours de son ministère Callois, je dois dire que néanmoins, il n'a jamais été pris à parti par quiconque de la cité, ni, reçu les moindres marques d'irrespect par les fidèles. Il faut dire que le père Decroze était aussi un homme, qui, comme tous les hommes de ce monde, avait ses qualités et ses défauts comme nous allons le voir. Mais, à contrario et au-delà de tout ce que je pourrais révéler, je dois avouer que notre cher curé était un homme honnête et vertueux, doué d'une grande et réelle foi chrétienne qu'il essayait à sa façon de nous communiquer.

            Ce fut l'acteur principal de l'évocation qui va suivre, mais, qui était-il ? D'où, venait-il ? Comment était-il, dans son comportement au sein de la paroisse ?
            On pourra trouver sa biographie dans le dossier :"Personnalités Calloises".

            M. le Curé avait fait un "Crepitus ventris" dans la sacristie et portait des pantalons longs

            C'était un matin d'hiver triste et orageux où, le jour commençait à peine de poindre.

            Avec notre regretté ami Roger CHAGNON, étions ce jour-là de semaine et par conséquent, prêts dés les 7 heures sonnantes à servir la petite messe de M. le Curé.
            Comme je l'ai déjà indiqué, la messe dite basse du matin n'attirait que très peu de monde et nous les enfants de choeur de service, n'étions pas contraints de revêtir nos habits habituels, si bien que l'on officiait en tenue "civile" si je puis m'exprimer ainsi. Quant à M. le Curé, lui, était tenu de revêtir son habit de messe pour célébrer l'Eucharistie.

            Pendant qu'il s'habillait dans la pièce du fond de la sacristie prévue à cet effet, laquelle, communiquait largement avec celle des enfants de choeur, nous attendions discrètement qu'il ne termine de se vêtir, pour le suivre dans le choeur et commencer l'office religieux.
            Soudain ! Dans le silence des lieux, un bruit sec et sonore retentit : inattendu - étonnant - incompréhensible - irréel... qui devait nous laisser quelque peu abasourdis.

            Un moment, nous nous sommes tous les deux regardés, interloqués au plus haut point sans savoir à quoi penser.
            Mais d'où venait donc ce curieux bruit, dont nous connaissions par expérience la tonalité si particulière ?
            M. le Curé avait fait le plus naturellement du monde, un "Crépitus ventris" en très bonne et due forme, autrement dit, un "vent", et disons-le tout simplement, un "Pét" - appellation d'origine contrôlée, dans le beau langage populaire callois communément admis.
            Un pét, un pét ! ? Et alors, me direz-vous... Oui, mais.

            Que je vous explique le contexte de cette époque où, nous les gamins, considérions naïvement le prêtre comme une personne particulière et bien à part, laquelle, n'était pas du tout faite comme tous ses semblables, dans la mesure où il était tout près de Dieu et de plus son représentant en qualité de ministre. C'est à dire que l'on pensait ferme, qu'un prêtre ne pouvait pas - entre-autre - Péter et que sais-je encore ? Pour exemple, je cite ma tante Philomène de Bône, qui croyait ferme dans sa jeunesse, que tous les curés "ne faisaient jamais caca" ! ?

            Autre évocation sur le même thème : un matin d'hiver où il pleuvait et ventait fort, M. le Curé arriva pour célébrer ma petite messe du matin et nous étions là sagement à l'attendre dans la sacristie avec Antoine Verdicchio. Soudain, en observant le père Decroze qui se préparait pour l'office, nous aperçûmes vers le bas un pantalon qui dépassait de sa soutane ! ? Nous nous sommes regardés avec stupeur devant cet inhabituel spectacle, en nous interrogeant mutuellement pour savoir, si les curés portaient aussi des pantalons ?

            C'est dire, si besoin est, la grande naïveté que nous avions à cette époque, laquelle, nous enseignait le caractère mystérieux et sâcré des prêtres et au-delà de toutes ces considérations, nos esprits d'enfant se construisaient des vérités qui paraissaient évidentes et par voie de conséquence, des fantasmes que nous admettions sans ne jamais discuter, comme ne le feraient en aucun cas les gamins d'aujourd'hui.

            C'était peut-être ridicule et enfantin de notre part, mais, je dois dire, que cette naïveté n'était pas en soi une mauvaise chose, car, elle devait plus tard faire de nous des êtres réfléchis et nous enseigner le respect de certaines valeurs, mais également, nous donner cet état d'esprit mieux éclairé, qui a souvent évité de nous faire "prendre des vessies pour des lanternes !"

            Monsieur le Curé semblait avoir une préférence pour le vin blanc des burettes.

            Au cours des nombreuses messes, que nous étions amenés très sérieusement à servir, il nous est un jour arrivé de faire un constat singulier : M. le Curé semblait préférer à l'eau, le vin des burettes que nous lui présentions ! ?

            En effet, il arrive à un moment donné de l'office où, M. le Curé présente le calice à chacun des deux enfants de choeur servants, pour recevoir le vin puis l'eau contenus dans leurs burettes. Or, au cours du temps, il nous a semblé que lorsque que le vin était versé dans le ciboire par l'enfant de choeur, M. le Curé acceptait silencieusement une bonne rasade du sang de la vigne, mais, dés qu'il était question d'ajouter de l'eau, M. le Curé n'en acceptait qu'une goutte et pas deux ! Ce qui ne manquait pas de nous rendre perplexes et de nous faire poser des questions sur cet étrange comportement. En définitive et après nous être entretenus sur la question avec nos collègues de sacristie, nous avions tout bonnement conclu que M. le Curé avait manifestement une préférence pour le vin et de plus, ce qui devait nous conforter dans cette idée, c'est que notre brave prêtre portait une barbe grisonnante, mais, curieusement, des moustaches foncées aux reflets roux. A partir de cette bien naïve observation, nous nous sommes dits que le vin qu'il devait boire à la cure, avait probablement fini par tinter sa moustache.

            Pour mettre fin à cet état de chose, qui à la limite nous scandalisait quelque peu, nous avions adopté une conduite à tenir commune : l'enfant de choeur chargé du vin, le versait dans le ciboire à discrétion de M. le Curé, mais, lorsque le moment était arrivé d'ajouter de l'eau au vin, l'enfant de choeur se faisait un devoir d'administrer une bonne rasade d'eau dans le calice, que M. le Curé s'empressait désespérément de relever vers les nues, pour tarir le flot de l'eau venant de la burette.

            Pourtant, en faisant sur moi-même un retour en arrière, je reconnais volontiers que si nous étions des enfants naïfs, ne nous empêchait pas il faut bien l'avouer d'être également un peu polisson. Cependant, comment M. le Curé ne s'est-il pas aperçu de notre méprise ? Jamais il nous a expliqué dans le secret de la sacristie, que, symboliquement, le vin étant le sang du Christ au cours de l'Eucharistie, la goutte d'eau versée dans le vin, ne représentait que la petitesse de l'humanité devant le Seigneur...

            Nous aurions alors tout compris et mis de côté nos soupçons à l'endroit de notre bon Curé Decroze.

            Monsieur le Curé avait fait ce jour là honneur à la dive bouteille.

            C'était à l'époque où, tous les dimanches de l'année vers les 15 heures, étaient régulièrement célébrés les Vêpres que les paroissiens ne manquaient pas d'honorer et à fortiori nous les enfants de choeur, qui, par notre présence, étions incontestablement les premiers acteurs de cette cérémonie.

            Nous étions en février des années 1947 ou 1948, par un jour de dimanche après-midi ensoleillé. Comme de coutume dés les dernières bouchées du repas dominical terminées, chacun se hâtait vers le stade du moulin pour assister avec passion, aux inénarrables matchs de football de la saison sportive profitant ainsi du beau temps, mais, également, de tout le folklore qui accompagnait régulièrement ces rencontres avec des clubs étrangers. Ainsi nous avions le grand privilège d'une appréciable liberté, puisque, les vêpres ne commençaient que sur les coups de 15 heures et que Popole Vella le fidèle sacristain nous manquait pas de nous rappeler avec ses cloches.

            C'est avec regret que nous quittions alors le stade, à un moment où la rencontre n'était souvent pas encore terminée. Mais nous avions tout de même pu assister à la première mi-temps et c'était toujours cela de pris, ce qui ne nous empêchait nullement alors de rejoindre consciencieusement notre église où, chemin faisant, chacun de nous échangeait des pronostics prudents sur l'issue de la rencontre.

            Voilà comment était occupé ce temps de liberté des après-midi dominicales ; un espace très appréciable qui précédait surtout en hiver, les traditionnelles vêpres du dimanche. Cette célébration était fidèlement suivie par la présence d'un assez grand nombre de paroissiens. Elle n'était pas aussi longue et bien plus simple que le déroulement de la grande messe du matin. C'est ainsi que dés les 17 heures qui voyaient la fin des vêpres, s'ouvraient toutes grandes pour nous les voies de la liberté, lesquelles, nous conduisaient allègrement et en droite ligne vers le Cinéma de chez Noto.

            Il faut dire que pour nous les enfants de choeur, c'était aussi le jour béni de la "paye hebdomadaire", que notre mademoiselle Jeanne BORG + ne manquait jamais de faire après les vêpres, lorsque M. le Curé avait quitté la sacristie pour rejoindre béatement sa cure, après avoir fait très consciencieusement son divin devoir du dimanche.

            Pour les non initiés, il est absolument indispensable d'apporter quelques éclaircissements, sur ce que l'on entend par "paye hebdomadaire" des enfants de choeur. Cette modeste rétribution, était toujours financée par le produit de la quête des Vêpres où, puisait Mlle Jeanne, pour allouer généreusement à chacun de nous, la somme correspondante au "travail" que nous avions pu faire au cours de la semaine : messes basses du matin pour ceux dits "de semaine" - mariages - enterrements. Chacune de ces prestations, était honorée par un tarif de misère mais officiellement admis de tous : messes pour ceux de semaine = 10 F - enterrements et mariages = 5 F... Mais ne cachons surtout pas, qu'au delà de ces tarifs imposés mais à la discrétion de Mlle Jeanne, il est vrai que nous touchions parfois avec bonheur, quelques petits "pourboires" bien appréciables et complémentaires, par les familles, surtout, à l'occasion d'un baptême ou d'un heureux mariage. Ainsi "riches" de cet argent honnêtement gagné, il nous arrivait de nous offrir au sortir de Vêpres un bon morceau de pizza et quelques poignées de cacahuètes, avant de rentrer au cinéma qui lui était financé en principe par nos chers parents. Puisque depuis, le temps est passé, je ne puis m'interdire sans rougir un seul instant, de faire aujourd'hui quelques petites et secrètes confidences de sacristie. Certains d'entre-nous trouvant très honnêtement, que la rétribution de leurs fonctions au sein de la paroisse était manifestement "de misère", avaient trouvé la solution de rétablir la justice de leur "salaire", en puisant sur le produit de la quête avec tac et mesure, quelques modestes et petites pièces supplémentaires pour venir arrondir les fins de semaine... Mais, il faut tout de même dire, que "taper dans la quête" et "boire le vin de messe", qui sont traditionnellement les accusations portées à l'endroit de tous les enfants de choeur, n'étaient pas des faits courants mais souvent "accidentels" à Saint-Cyprien.

            Mais revenons à M. le Curé et aux vêpres qui devaient se dérouler ce beau jour de février. Alors que l'église était pleine de fidèles et que depuis un bon moment déjà, Popole VELLA le sacristain avait fait parler ses cloches, point de M. le Curé à l'horizon ce qui ne manqua pas de nous inquiéter. A deux reprises Popole se rendit prestement à la cure, pour se rendre compte de ce que devenait notre abbé et lui rappeler bien respectueusement que c'était l'heure des vêpres. Enfin après un moment qui nous sembla bien long, il devait arriver clopin-clopant à l'église pour rentrer dans la sacristie d'un pas qui nous sembla bien mal assuré, sans même nous dire un seul petit mot et se vêtir tant bien que mal pour assurer l'office. Bizarre, bizarre ! ? Manifestement, M. le curé n'était pas bien du tout ce jour-là et nous en avions eu la parfaite et juste démonstration de cet état de chose, tout au cours des vêpres qui devaient suivre, lesquels, comme de bien entendu, ne ressemblaient ce jour-là presque en rien, des cérémonies que nous avions depuis toujours l'habitude de servir : M. le Curé était dirons-nous un peu "gris", autrement dit et pour plus de clarté : M. l'abbé était "de gaze !".

            Comment se déroula la cérémonie des vêpres ? Pas très mal au demeurant, puisque, en très fidèles serviteurs, nous, les enfants de choeur de Saint-Cyprien, avions ce jour-là accompagné dignement notre prêtre, pour l'installer durant tout le temps que duraient les vêpres, dans le grand fauteuil situé à droite du choeur bien encadré de part et d'autre, par un siège réservé à chacun des deux enfants de choeur servants. Il devait alors bafouiller d'une voix pâteuse durant la cérémonie, quelques prières de circonstance alors que là-haut ceux de la chorale, s'étaient tout de même rendus bien compte de la situation, entonnaient allègrement cantiques sur cantiques - pour tenter "brouiller les pistes" et "noyer le poisson" !

            Lorsque enfin tout fut terminé et que nous avions pu retrouver le calme et la sérénité de notre chère sacristie, chacun retourna pensif dans ses pénates. Comment, M. le curé, rejoignit-t-il donc la cure ? Nous nous sommes même pas posés une seule fois la question et à aucun moment cet incident n'a défrayé la chronique de la cité Callois, même, si comme on peut le penser à tors ou à raison, des choses se sont sûrement dites dans le secret des chaumières. Pourquoi ce jour-là M. le curé avait-il fait honneur à la dive bouteille ? Etait-ce un jour de fête ? il est difficile de le dire après un si long moment, mais, on peut très bien le supposer, car, les jours de fêtes, étaient aussi l'occasion d'offrir traditionnellement au prêtre, de très nombreux présents alimentaires : fruits - légumes - poissons - gibiers - pâtisseries... mais aussi bons vins cachetés, offerts par les commerçants aisés de La Calle.

            Ceci pouvant expliquer cela, alors, il est fort possible que ce jour-là notre cher Curé, ait voulu faire un honneur particulier, à tous les gouleyants présents de ses chers ouailles ! ?
Le Christ marchait aussi les pieds-nus,
avait dit M. le Curé au Marquis
qui s'excusait d'être rentré dans l'église sans chaussures.

            Notre cher Curé, s'il était au fond un très brave homme, n'était pas moins un homme comme tout le monde. Il avait ses qualités mais aussi ses défauts, avec en particulier un solide caractère qui parfois, le faisait "sortir de ses gonds" selon les circonstances... Ma mère parlant de lui, disait parfois mais avec respect :" il est "tordu !", ce qui signifie en quelque sorte qu'il avait un mauvais caractère. Mais peut-on dire que pour cela, il était un affreux méchant homme ! ? Ce qui n'était au demeurant pas le cas de notre Curé ! C'était un personnage doux, paisible et souriant, rempli de cette foi chrétienne qu'il nous communiquait, mais, lorsque quelque chose venait le contrarier, il haussait parfois le ton sans se gêner, alors même qu'il était en chaire ou en train de célébrer la messe. De même au cours du catéchisme, il n'hésitait pas afin de nous punir, de nous mettre "au piquet" à genoux devant la table Sainte et à distribuer quelques bonnes taloches si besoin était.

            Nous retrouvons à présent Marc Patalano alias le Marquis, qui, ce jour-là, était rentré nus-pieds à l'église sans même le vouloir, ni s'apercevoir qu'il n'avait pas de chaussures. Ce devait être à la saison de l'été où, la majorité d'entre-nous, abandonnait un temps leurs chaussures par commodité et confort. Le gamin était rentré dans la maison du bon Dieu, sans aucune idée préconçue de faire par exemple, quelques bonnes espiègleries dont il avait le secret. Cependant, il faut savoir que les exploits du Marquis, ne se passaient jamais dans les lieux saints, endroit qu'il respectait au plus haut point. C'est dire qu'en rentrant nus-pieds à l'église, n'était en rien pour lui un acte impie, qu'il ne trouvait pas du tout sacrilège et / ou répréhensible.

            Au moment où il atteignit le choeur, voilà qu'il croise M. le Curé qui sortait de la sacristie. Sa première idée fut de prendre la fuite pour éviter tout réprimande ou autre du prêtre, dont il connaissait par expérience le caractère particulier. Bien évidemment, le regard de M. le Curé devait se porter sur les pieds-nus du Marquis, qui rempli de confusion tentait de s'expliquer à sa façon : sa famille n'était pas riche et pour économiser la seule paire de chaussures qu'il possédait, il se trouve que leur port était souvent négligé durant la saison de l'été, ce en quoi, lui, le Marquis s'excusait et demandait le pardon au représentant du Seigneur.

            Alors, il devait se passer quelque chose d'inattendu, car, M. le Curé, loin de se mettre en colère et de sévir, prit le Marquis très gentiment par la main et en silence le mena dans un coin de l'église, juste sous un grand tableau où le Christ figurait en vedette. Il lui dit alors : "regarde ce tableau et remarque bien que notre Seigneur Jésus-Christ, lui aussi marchait les pieds-nus !"
            Ce jour-là le Marquis eu envie d'embrasser notre brave Curé, lequel, lui avait généreusement ouvert son cœur pour lui donner en exemple le Christ aux pieds-nus du tableau, afin de lui faire comprendre qu'il n'était pas du tout impie, de fouler nus-pieds le sol de la maison de Dieu.

            Le Marquis aura-t-il récidivé au moins une fois ? je ne saurais le dire ! Mais, connaissant bien le personnage, pour ma part je répondrai par la négative, même, si M. le Curé lui a donné par son exemple, toutes les raisons de croire que l'on pouvait rentrer dans l'église comme dans un moulin.
En plein office religieux,
M. le Curé descendit dans l'église
pour expulser deux jeunes-filles qui papotaient.

            Ce devait être un dimanche après-midi au moment des Vêpres et dans l'église ce jour-là les fidèles ne manquaient pas. L'office se déroulait normalement et sans aucun problème comme de coutume et durant les Vêpres il arrive à un moment de l'Office où, M. le Curé accompagné de deux enfants de choeur, aille royalement s'assoire un long moment sur un grand fauteuil, installé pour la circonstance vers la droite et à l'arrière du choeur avec à ces côtés, les deux enfants de choeur servants chacun installés sagement sur une chaise. Pendant ce temps la chorale entonnait des cantiques, alors que dans l'église les fidèles étaient tous à leurs prières et les enfants de choeur bien sages et dignes dans leur coin respectif.

            Les choses se passaient ainsi tous les dimanches pendant les vêpres et jusque là rien ne laissait présager ce qui allait suivre. Mais loin de moi de penser et de dire qu'un drame affreux devait se dérouler en public, dans la quiétude de la sainte maison du bon Dieu. Ce fut plutôt un fait regrettable, mais, qui à mon avis, n'était pas du tout digne de notre curé.

            Mais que c'est-il passé durant les Vêpres de ce fameux dimanche ?

            Alors que nous étions confortablement installés tout près du prêtre et que là-haut les Enfants de Marie chantaient à cœur, nous pûmes faire la remarque que M. le curé depuis un moment déjà, manifestait quelques nervosité sur son siège de velours, alors que son regard restait fixé sur un coin de l'allée latérale gauche de la nef. Soudain, il se leva brusquement et sans crier garde, laissant pantois les fidèles enfants de choeur pour bondir et se précipiter furieusement, vers le lieu qui depuis un bon moment était l'objet de son courroux. Là, se tenait deux mignonnes adolescentes, qui assistaient à l'office vêtues de leurs beaux habits du dimanche et qui, depuis un moment, papotaient et riaient discrètement sous cape ce qui finit par agacer notre Curé, qui depuis un bon moment avait repéré ce manège. C'est alors que devait pleuvoir sur ces frêles gamines et à haute voix, toutes sortes d'ammonisations qui devaient enfin se terminer, par leur expulsion publique et sans appel de l'église à la grande honte des jeunes-filles, mais, aussi il faut le dire, devant un auditoire de fidèles silencieux qui pour la plupart n'ont certainement pas dû admettre ni comprendre le procédé. Mais à cette époque, personne chez-nous n'aurait osé même un seul instant, contre-dire ou même critiquer à haute voix, la parole, les faits et actes d'un ministre de Dieu, si ce n'est parfois que dans le secret des chaumières où, je pense que les langues ont dû se délier ! ?

            Que penser aujourd'hui d'un tel comportement de la part de notre Abbé ?

            C'est vrai que le papotage et les petits rires discrets des deux adolescentes, n'étaient pas tellement de mise dans un lieu où, se déroulait la célébration des Vêpres dominicaux. Cependant, M. le Curé aurait pu faire preuve, d'un peu plus de dignité dans l'exercice de son ministère et surtout au sein de l'église en présence des fidèles. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? puisque, à notre connaissance, ce fut la seule et unique fois qu'il fit preuve d'un tel comportement. S'était-il rendu compte de sa conduite pour le moins regrettable et de l'image pas bien reluisante que ce jour-là il a présentée à ses paroissiens ? Il lui aurait été bien plus digne de repérer les jeunes-filles et de charger Popole le Sacristain d'aller en fin d'office, leur dire que M. le Curé désirait les voir dans la sacristie. En ces lieux, tout aurait alors été possible à notre Curé : admonestations - reproches et autres... par exemple, une belle leçon de morale, qui à mon avis aurait été bien plus efficace que la façon dont s'était comportée notre Abbé.

            Mais, me direz-vous, Jésus, "chassa bien les marchants du temple" et il le fit avec une certaine violence sans que personne aujourd'hui ne trouve rien à redire à cela ! D'accord, mais, tout d'abord, il faut tout de même dire que M. le Curé, bien que représentant de Dieu sur terre, n'est pas Jésus-Christ loin s'en faut et que nos deux petites calloises n'étaient en rien "les marchands du temple" : elles papotaient et riaient gentiment, comme savaient si bien le faire d'innocentes jeunes-filles de jadis... Mais, c'était au sein de l'église durant un office et à cette époque M. le Curé qui était maître du navire après Dieu dans son église, pouvait se permettre tout ce qu'il voulait devant des paroissiens toujours dociles, au point d'admettre sans critiques et de considérer comme paroles d'évangile tout ce qu'il disait.

            Les temps ont heureusement bien changé et c'est tant mieux ! Ce qui me permets maintenant de pouvoir donner mon sentiments sur cette affaire regrettable qui ne peut honorer un homme d'église. Cependant, il faut savoir que notre brave curé était aussi un homme et qu'il lui est arrivé comme tout le monde de "sortir de ses gonds" dans certaines occasions, ce qui faisait dire à ma mère, toujours, sur un ton bien respectueux, en parlant de l'Abbé Auguste DECROZE :"il est tordu !" - entendons par "tordu" mauvais caractère !

            NB = je ne me souviens que de l'une des jeunes-filles = Georgette BRAS +.

            Les 50 francs du généreux petit enfant de choeur à M. le Curé

            Cette année-là, au cours de la grand-messe du dimanche qui précédait les fêtes des Rameaux et de Pâques, M. le Curé annonça du haut de sa chaire, qu'il passerait dans chaque quartier pour bénir les maisons et donner la communion à tous ceux qui n'avaient pu faire leurs Pâques. C'était ainsi tous les ans à la même époque, mais, le village étant relativement important, chaque année voyait M. le Curé assisté d'un enfant de Chœur en tenue réglementaire et bénitier suspendu à la main, visiter tel ou tel quartier durant les quelques jours qui suivaient Pâques, pour satisfaire les familles de paroissiens qui le souhaitaient.

            Il devait ce trouver une année où, je fus de service pour suivre M. le Curé dans ces déplacements. J'étais bien-sûr ravi et fier d'assurer ces fonctions, d'autant que ce jour-là, il s'agissait de partir bénir les fermes et jardins des alentours du village, ce qui devait me donner le très rare privilège, de monter fier comme Artaban à la droite de M. le Curé, dans l'antique voiture de style 1900 qu'il possédait.

            Je dois dire que l'accueil des paroissiens de notre cité du corail étaient toujours très chaleureux et rempli du respect que l'on doit à un prêtre. Le rituel qui suivait était toujours le même : prières - bénédiction de la demeure - aspersion à l'eau bénite... et cela dans un clair-obscur voulu par les fidèles, qui avaient pris la précaution de tirer les volets, afin que les lieux soient propices à la bénédiction de la maison. Certains avaient même allumé devant les statues et images Saintes, de petites veilleuses à huile et parfois même des bougies qui tremblotaient à notre passage. Les femmes se couvraient parfois la tête d'une mantille et tenaient dans leur main un chapelet qu'elles égrenaient en priant avec le Prêtre.

            Lorsque M. le Curé avait fini la bénédiction et aspergé les lieux, les volets étaient ouverts en grand et il semblait qu'un air plus sains flottait dans la demeure. Les paroissiens nous offraient alors, du café, des sirops rafraîchissants, de la couronne de Pâques couverte de petits anis multicolores. Puis, M. le Curé prenait congé après avoir reçu quelques récompenses : argent - fruits et légumes - fleurs - oeufs frais... Mais, je dois avouer, que le petit enfant de choeur n'était jamais oublié et qu'on le gratifiait aussi de quelques petites pièces de monnaie, que très souvent les fidèles jetaient dans le bénitier : une tradition latine vraisemblablement très ancienne, dont je n'ai jamais pu connaître l'origine ?

            En fin d'après-midi après avoir fait toute la tournée des jardins, les fauteuils arrière de la voiture étaient remplis de victuailles divers et dans le gousset de M. le Curé il devait se trouver, quelques espèces sonnantes et trébuchantes non négligeables. Je n'avais pour ma part pas à me plaindre, car, en plus de mes quelques précieuses petites piécettes, quelqu'un m'avait généreusement donné un billet de 50 francs, qui à l'époque représentait pour moi une coquette petite somme, laquelle, aurait pu me permettre, d'aller au cinéma, d'acheter bonbons et sucreries diverses comme les copains de sacristie... ce que je ne faisais jamais, puisque, j'avais coutume de donner toujours et fièrement à ma chère grand-mère sicilienne, les très modestes sommes dont me gratifiait la paroisse, dans mes fonctions d'enfant de choeur.

            Alors que nous étions sur le retour, je ne sais pas pourquoi ? j'ai eu envie de faire généreusement un don à M. le Curé. Je lui tendis alors timidement et avec respect, la seule précieuse fortune que j'avais : le billet de 50 francs ! qu'il pris sans façon et sans même dire un seul mot, ni m'adresser quelques discrets remerciements paternels. En rentrant à la cure, j'apportais mon aide au transbordement des victuailles entassées sur les sièges arrière de la voiture et l'excellent Mademoiselle Marie +, qui fidèlement servait depuis des années M. le Curé, devait très discrètement et en catimini, me donner quelques légumes et oeufs à emporter à mon domicile familial, que je regagnais tout fier de mon après-midi, alors que tombait déjà la nuit sur la cité.

            Que penser et que dire aujourd'hui ? de l'attitude de M. le Curé, envers son généreux petit enfant de choeur, dont il savait pertinemment que la famille ne vivait pas dans une totale aisance. Dans le secret des chaumières de notre Paroisse, bien que nous respections fort notre cher Curé, il devait parfois se susurrer qu'il était âpre au gain et qu'il aimait l'argent. Peut-être que l'expérience faite, par le généreux petit enfant de choeur de j'étais alors, lui fait-elle penser et comprendre aujourd'hui, que les dires de ses aînés avaient quelques raison d'être.

            Lorsque M. le Curé DECROZE prit sa retraite pour ce retirer à Nice, certains, ont même osé dire, que notre Curé n'était pas si désargenté que cela et qu'il partait avec une bourse bien garnie dans ces bagages, alors que la quasi-totalité des paroissiens de notre petite cité, continuaient de vivre et survivre difficilement souvent dans le besoin et parfois même la pauvreté.

            Mais. M. le Curé était aussi un homme, avec ses qualités mais aussi ses défauts.
            Peut-on lui en tenir rigueur aujourd'hui et le couvrir d'opprobres et de tout autres mauvais sentiments ?
            Alors dormez en paix père et sachez que l'on vous aimait bien, même si comme tout le monde vous aviez des défauts : certes, vous ne détestiez pas l'argent - ce qui est humain, mais, à l'opposé, vous aviez fait preuve d'une si grande foi au cour de votre Ministère - ce qui nous paraît bien plus difficile.
Un soir en pleine célébration d'un office,
l'église fut plongée dans le noir absolu,
par la faute d'un enfant de choeur.

            Cet enfant de choeur, hélas ! c'était moi.

            C'était un soir où dans notre chère Eglise où, je ne me souviens plus, quel office célébrait M. le Curé. Il faisait très sombre et les paroissiens nombreux dans la nef de Saint-Cyprien. Tout le corps des enfants de choeur étaient fidèlement présent pour assister notre cher Curé.

            A un moment alors que le père DECROZE se tenait face au tabernacle en tournant le dos aux fidèles, il lança comme nous en avions l'habitude de l'entendre : "les Anges." Qu'est-ce que cela signifiait ? Une explication ne me paraît pas superflue pour ceux qui l'aurait oublié et tous les autres qui n'ont pas connu notre paroisse.

            "Les Anges" étaient deux grandes et belles statues, situées à chacune des extrémités de l'Autel. La particularité est qu'elles portaient chacune, un espèce de long flambeau pointé vers le ciel, des luminaires qui se terminaient par plusieurs puissantes ampoules électriques, lesquelles, illuminaient avec beaucoup d'éclat tout le choeur de l'église. "Les Anges" étaient allumés à certains moments de l'officie sur ordre de M. le Curé, lequel , sans même tourner la tête, nous ordonnait d'une voix ferme :"les Anges !" C'est alors qu'un des enfants de choeur qui servait à gauche, se déplaçait rapidement pour s'en aller derrière l'Autel, afin d'accéder à l'interrupteur qui commandait l'éclairage des "Anges".

            Ce soir là, comme part hasard, c'était moi qui servait à gauche et donc chargé d'éclairer les "Anges", dés que M. le Curé l'ordonnerait. Ce que je fis scrupuleusement bien-sûr, mais, je ne sais pas pourquoi à cet instant les "Anges" décidèrent de rester muets et la lumière ne fut pas au rendez-vous. Un peu gêné de faire le constat de l'attitude des "Anges", qui, en quelque sorte, venaient de me faire un terrible affront, moi le chef des enfants de Choeur ! et cela, devant une Eglise pleine de fidèle et en particulier devant l'Eternel notre Dieu. Je retournais tout penaud et honteux à ma place, dans l'attente d'un secours salutaire de la part du père DECROZE.

            Devant cet incident bien heureusement, la conduite à tenir de notre Curé devait rapidement arriver, car, sans même tourner la tête, il m'ordonna d'aller céans dans la sacristie où, siégeait un tableau électrique d'un autre temps, que nous n'avions pas coutume ni autorité de toucher, mais, où, il nous arrivait parfois et dans certain cas, d'observer le Sacristain manipuler les commandes. M. le Curé m'avait dit :" il faut couper le deuxième l'interrupteur du haut...etc. etc." Du chinois en quelque sorte, que j'avoue n'avoir pas du tout compris ! Je me précipitais alors dans la Sacristie et tombais face à l'antique tableau de commande électrique et sans perdre un instant je ne sais pas pourquoi, j'ai voulu imiter le geste du Sacristain en abaissant vivement et au hasard la commande électrique la plus importante, ce qui eut hélas un effet immédiat et catastrophique en plongeant au plus fort de l'Office, la totalité de l'Eglise dans le noir le plus absolu sans parler de la confusion extrême qui venait de s'abattre sur moi.

            Bien heureusement le Sacristain est venu à mon secours en rétablissant la lumière dans l'Eglise sans pour cela que "les Anges" ne cessent de bouder sur leur perchoir.
            Est-ce que cet incident m'a valu une réprimande ? Et bien non, car, j'ai même eu droit à une petite explication de M. le Curé sur l'interrupteur n°2 en haut et à gauche du tableau au cas où "les Anges" récidiveraient lors d'un autre office.
            Est-ce que les fidèles et autres m'ont-ils lancés quelques gentils et petits quolibets au passage ? Et bien non, car, il se peut que je fus ce soir-là, la vedette du corps des enfants de choeur de Saint-Cyprien.

            Quant aux deux "Anges", je ne leur en ai pas tenu rigueur, puisque, dans ma tête d'enfant je leur ai trouvé les excuses qui convenaient : il se faisait tard et la nuit avait envahi l'Eglise, peut-être ? avaient-ils le désir de retrouver enfin la quiétude et la solitude des lieux pour de retrouver le Seigneur. Alors ce soir-là, ils ont manifesté leur courroux, en faisant une grève qui n'a eu pour effet, que de couvrir de honte le pauvre petit-enfant de choeur que j'étais.
            Est-ce un mauvais souvenir ? Pas du tout mes frères, bien au contraire, car, ce souvenir me ramène dans un passé divin qui m'est cher où, il m'aurait plu de demeurer encore aujourd'hui.
Peur panique dans l'église,
d'un enfant de coeur
laissé seul pour garder le Saint-Sacrement.

            Je n'ai jamais pu oublier et encore moins comprendre, les raisons de cette étrange et soudaine peur panique, venue assaillir mon esprit d'enfant de huit ans d'âge, en ce jour funeste de vendredi Saint où, après la grand-messe j'étais chargé par M. le Curé, de rester dans le choeur de l'église pour veiller sur le Saint-Sacrement, afin qu'il ne reste pas tout seul une fois les fidèles partis.

            De prime abord je fus peu fier de cette fonction, laquelle, faisait de ma petite personne, le gardien du corps du Christ descendu de la croix et dont la statue ensanglantée gisait dans la nef de l'église, dans l'attente de sa résurrection au 3° jour. Ainsi durant tout ce temps et sur une grande partie de la journée, les fidèles allaient et venaient pour se recueillir et prier autour du Christ exposé. Ainsi, l'église était continuellement fréquentée par bon nombre de paroissiens, mais, à l'heure des repas entre midi et 14 heures, elle se vidait de tous ses fidèles et restait déserte de toute présence humaine, sauf, bien assis sagement dans son coin, un petit enfant de choeur gardien du temple et de l'esprit Saint.

            Cette année là, le gardien ce fut moi ! qui fut chargé de cette tâche sacrée, jusqu'au moment où je serai relevé par un autre enfant de choeur.

            Aux alentours de midi alors que M. le Curé s'apprêtait à rentrer à la Cure, il devait alors prendre congé du petit enfant de choeur que j'étais, sans même penser à me demander si à cette heure, je ne souffrais pas de la faim et de la soif. Mais voilà comment devait commencer cette peur panique, qui m'a paralysé un moment qui me paru un siècle : en partant, M. le Curé referma vivement la porte, en me laissant tout seul dans cette grande église vide, mais, qui pour moi, devenait tout à coup un antre remplie de spectres, bienfaisants - peut-être ? -, mais, de spectres quand même ! Je me mis alors à penser avec effroi, à la possibilité que l'un d'eux pouvait avoir l'idée de se matérialiser sous mes yeux, ce qui aurait eu en vérité je vous le dis, de très graves conséquences sur ma modeste hardiesse et m'aurait fait fuir comme un lapin apeuré hors de l'église, sans même penser un seul instant à me débarrasser de mes habits d'enfant de choeur.

            Le temps s'écoulait lentement et je n'arrivais pas contenir l'angoisse qui m'habitais. Siffler, chanter bien fort...etc. pour tromper ma peur était matériellement quelque chose d'impossible à envisager. Je regardais un long moment d'un oeil soupçonneux, le pauvre corps du Christ allongé tout près de moi et il m'a semblé un instant qu'il clignait faiblement des yeux ? Allait-il se relever et ressusciter avant le 3° jour ? Sincèrement je ne le souhaitais pas du tout, ou alors si sa volonté était ainsi, mais, de grâce Seigneur, attendez au moins, que je sois relevé par un autre enfant de choeur ! Au milieu de mes naïves réflexions, j'écoutais en même temps le silence profond et inquiétant de l'église, en observant dans l'ombre des petits autels entourant la nef, les statues des Saints et des Saintes que je connaissais pourtant bien et qui depuis toujours m'étaient familières et souriantes, mais, qui soudain ! me sont apparues particulièrement austères, voire, sévères, d'autant plus qu'elles semblaient toutes me fixer d'un regard réprobateur.

            Mais, pourquoi, pensais-je ?

            Bien-sûr je n'étais pas loin de là un parfait petit saint, mais, s'il m'arrivait parfois d'être un bon petit diable, comme tous les enfants de mon âge et faire quelques petites bêtises ou autres exploits, cela se faisait toujours dans les strictes limites de la raison et de la morale, mais, en tout cas, jamais l'un d'entre-nous ne se serait permis de faire le sacrilège, de troubler la quiétude de la maison du bon Dieu par quoi que ce fut.

            La peur aidant, je me demandais s'il fallait m'enfuir de l'église et laisser ainsi tout seul notre Seigneur qui faisait peine à voir, gisant lamentablement et tout ensanglanté sur sa couche. Avais-je le droit de le faire et que penserait M. le Curé et les autres enfants de choeur. Quelle serait la réaction de ma chère maman, pour qui l'église était un lieu plus que sacré et qu'il fallait respecter au plus haut point, puisque, c'était disait-elle - la maison du Seigneur notre Dieu.

            Le temps aidant me fit reprendre un peu de courage, d'autant, que des bruits venus de la rue, qui doucement s'animait en ce début d'après-midi commençaient à être perçus et semblaient donner aux lieux un caractère moins angoissant, ce qui ne fut pas sans me déplaire et devaient me garder assis sagement sur mon siège. Puis, lentement, mais sûrement, les fidèles arrivèrent d'abord en tout petit nombre, puis, se fut le défilé silencieux et recueilli des paroissiens, venant se prosterner et prier notre Seigneur Dieu, se souvenant qu'il avait souffert et mort sur la croix pour racheter nos péchés.

            Mes joues un moment cramoisies par la peur, reprenaient rapidement leur aspect normal et je redressais alors fier comme Artaban, ma modeste petite personne d'un air sérieux et recueilli, tout en faisant mine de ne pas voir les regards admiratifs et reconnaissants des fidèles qui se posaient sur moi. J'étais en quelque sorte devenu presque la star du jour, mais, après le Christ-Jésus bien-sûr cela va de soi !
            La relève arriva ce qui me permis de rentrer déjeuner chez-nous, très entouré ce jour-là de ma chère maman et de ma grand-mère sicilienne, manifestement flattée et très fières de leur petit garçon, qui avait eu la garde de notre Seigneur Jésus.

            Je m'empressais de finir mon repas pour me rendre à l'église et servir les vêpres qui devaient terminer cette journée de deuil et de prières. Après l'office, les fidèles ayant tous quitté l'église, c'est avant de partir pour la cure que M. le Curé nous donna congé, sans un mot suivant sa bonne vieille habitude. Notre sacristain avait déjà commencé à clore toutes les issues de l'église et éteint les lumières. Seule la petite veilleuse rouge du Saint sacrement restait de garde près du Christ.
            Heureusement que M. le Curé n'a pas eu l'idée géniale de décréter, qu'un tour de garde serait assuré la nuit par les enfants de choeur !

            Mon Dieu j'en tremble rien que d'y penser !

            Lorsqu'il m'arrive parfois de songer à cette histoire, je me demande encore les causes de la peur panique, qui est venue m'agresser ce jour-là ? Peut-être faut-il rechercher dans ce climat particulier, qui régnait depuis toujours dans notre petit peuple d'origine latine où, traditions, croyances et superstitions n'épargnaient personne, même pas les enfants que nous étions alors.
"Tout travail mérite salaire"
avait dit M. le Curé
à Pétronille ma grand-mère sicilienne.

            Voilà une bien curieuse histoire qui aurait pu avoir, de très lourdes conséquences au sein de notre Paroisse.

            Il faut savoir que tout ce que M. le Curé affirmait, était toujours considéré comme une parole d'Evangile, par tous les fidèles de notre petite cité calloise. Ce qui était tout à fait en accord, avec l'idée et les traditions ancestrales que se faisaient les chrétiens de l'époque, dont la plupart étaient d'origine italienne et pour lesquels l'image du Prêtre représentait Dieu sur terre. Il n'est jamais arrivé à quiconque et quelque soit son niveau social, de se permette de contredire la parole de M. le Curé, même, si dans leur for intérieur, ils ne partageaient pas quelque fois les propos de notre cher Abbé. C'était ainsi et cela ne représentait à vrai dire aucun problème et ne déclenchait jamais de contestation de la part des fidèles.

            Bien que les paroles de M. le Curé, étaient considérées en quelque sorte comme sacrées, il n'en demeurait pas moins qu'elles se devaient être suivies de sa part, par des actes personnels sans aucune ambiguïté. En effet, même si à cette époque, les fidèles n'étaient pas très lettrés mais qu'ils faisaient preuve d'une grande piété et d'un respect sans faille à leur cher Curé, il est rarement arrivé qu'en certaines circonstances, des personnes se braquent contre le Ministre de Dieu, lequel, sans aucun doute, aurait froissé sans même s'en douter : par pensée - par parole - par action ou, par intention... un de ses ouailles qui ne l'aurait pas accepté.

            C'est ce qui devait arriver à Pétronille, ma chère et regrettée grand-mère sicilienne.

            Régulièrement tous les deux ans avec l'arrivée du printemps, Monseigneur l'Evêque du diocèse de Constantine, nous faisait l'honneur et le plaisir de nous venir nous rendre visite, afin de célébrer les Confirmations qui étaient très attendues par tous les paroissiens de notre village. Pour nous tous cette visite était un évènement exceptionnel, vécu comme un véritable jour de fête : l'église se voyait abondamment fleurie et parée comme il se devait pour recevoir Monseigneur... De même du côté presbytère, l'heure était vécue avec une grande fébrilité, car, tout ce joli petit monde ecclésiastique, était reçu en grandes pompes pour deux jours à même la Cure et M. le Curé qui avait toujours à coeur de bien recevoir ses hôtes, s'affairait sans compter avec l'aide de sa fidèle gouvernante, l'excellente Mademoiselle Marie, à laquelle, venaient s'associer en renforts quelques paroissiens dévoués, en particulier, ma chère et regrettée Maman, Mme Louise PUGLISI, dont le rôle principal était de faire la cuisine et d'assurer le service de table : des fonctions bénévoles qu'elle faisait régulièrement et volontiers à chaque visite de Monseigneur l'Evêque.

            Comment me direz-vous avec raison d'ailleurs ? qu'une paroisse peuplée de fidèles, dont il faut dire qu'ils n'étaient pas du tout financièrement très aisés, pouvait matériellement recevoir si généreusement son Evêque. Il faut dire que M. le Curé n'était pas seul pour affronter financièrement la visite de Monseigneur, car, chacun des paroissiens, se faisait un devoir sâcré en envoyant gratuitement à la Cure et suivant ses moyens : viandes - gibier - poissons - volailles - légumes - fruits...etc. sans oublier les commerçant du village, qui, un peu mieux argentés, offraient généreusement en cette occasion : des vins fins - des mousseux et liqueurs... Et tout cela en l'honneur de notre Evêque et pour vivre très heureux l'instant tant attendu et d'avoir le bonheur de voir bientôt leurs enfants confirmés.

            Notre cher Curé s'il avait parmi ses confrères, la réputation de toujours bien recevoir à sa table, il n'en devait pas moins le devoir grâce à l'aide substantielle et désintéressée, ainsi qu'à la générosité de tous ses paroissiens.
            Mais il est maintenant indispensable que je vous parle de Louise ma chère Maman : ce fut une personne très pieuse, dévouée, d'une grande gentillesse, humaine...etc. Dés son jeune âge, elle fréquentait régulièrement l'église de sa paroisse, à un point tel, qu'elle devait un jour manifester le désir de revêtir l'habit de religieuse. Cependant, Pétronille sa mère sicilienne, bien que pieuse et très attachée à la religion chrétienne, refusa que sa fille emprunte cette voie respectable jugeant en toute honnêteté, qu'une jeune-fille était faite pour se marier et fonder une famille.

            A cette époque et dans nos familles d'origine latines, le respect des parents n'autorisait pas la contradiction et encore moins la désobéissance des enfants. La mort dans l'âme Louise devait renoncer à être religieuse et à revêtir l'habit qui lui aurait permis d'être plus proche de Dieu et de se dévouer corps et âme à son prochain. Plus tard à l'âge de 26 ans elle devait rencontrer mon père, Jean-Baptiste-Salvatore PUGLISI, un brave garçon de 33 ans boulanger de profession et d'origine sicilienne. Mais ce bonheur ne devait pas durer, car, 18 mois plus tard, mon père devait décéder alors que j'avais à peine 6 mois. Commença alors pour ma mère un chemin difficile et ardu qu'elle affrontera sans jamais se plaindre jusqu'à sa mort en Août 1990.

            Nous sommes arrivés à La Calle en janvier 1939, pour nous réfugier chez mes grands-parents maternels, qui s'étaient retirés dans ce village afin de vivre une sereine retraite bien méritée. Après avoir travaillé dans quelque temps chez des particuliers à faire des ménages - du repassage - de la cuisine dans un restaurant...etc. Elle fut embauchée à l'hôpital civil de La Calle où, durant quelques mois, elle devait s'occuper à faire des matelas pour les malades, puis, elle rejoignit le service de buanderie... Ma mère qui était surtout une cuisinière autodidacte, avait toujours sollicité sans aucun résultat, une mutation aux cuisines de l'établissement. Les effectifs de ce service étant alors complets, la direction ne pu accéder à ses désirs. Cependant, par miracle un poste devait se libérer par le départ d'un cuisinier et ma mère pu ainsi être admise au sein des cuisines, lesquelles, étaient à vrai dire son véritable domaine et surtout sa passion de toujours.

            Le temps passa et dans notre village ma mère gagna ses galons, auprès de ses supérieurs mais également au sein de la population calloise. Sa réputation d'excellente cuisinière fut alors connue dans toute la région. C'est toujours gracieusement avec toute sa bonne volonté, qu'elle devait assurer pour les uns et les autres, repas de mariages - fiançailles - baptêmes... Lorsqu'une personnalité importante venait à la Calle, une permission spéciale lui était donnée par le directeur de l'hôpital, afin qu'elle puisse se rendre sur place pour se mettre en cuisine et se servir de ses talents culinaires pour régaler tout ce beau monde : le Gouverneur de l'Algérie - le Préfet ... et bien-sûr, Monseigneur l'Evêque du Diocèse de Constantine. Ainsi, au mois de mai et tous les deux ans, ma mère se rendait fidèlement à la Cure durant trois jours, afin d'assurer la confection des repas et le service de table où, tout devait être parfait pour mon Seigneur l'Evêque.

            Une année, je ne sais pas pourquoi ? les Confirmations et Communions solennelles, avaient été programmées au tout début du mois de novembre. Un problème devait alors se poser pour ma mère, qui, comme tous les ans à cette même époque, se rendait à Souk-Ahras - distante de près de 200 km - sur la tombe de son époux. Il fut alors décidé qu'elle irait tout préparer à la Cure avant l'arrivée de Monseigneur et que ma grand-mère Pétronille irait la remplacer sur les lieux durant son absence... Ce qui fut fait consciencieusement, puisque, ma grand-mère et l'excellente Mademoiselle Marie, devaient remplir leurs rôles à merveille et de bon coeur. La fête étant terminée, le cortège de Monseigneur parti alors vers d'autres paroisses et la Cure retrouva sa sérénité habituelle.

            Avant de prendre congé de M. le Curé, Pétronille ne manqua pas d'assurer tous les rangements et la propreté des lieux et lorsque sa tâche fut enfin terminée, elle salua Mlle Marie et M. le Curé l'accueillit aimablement dans son bureau, pour la remercier de son dévouement au cours de ces derniers jours. Ce faisant, il prit une enveloppe qu'il avait cacheté et la tendit à ma grand-mère en lui disant, que c'était des étrennes qu'il lui offrait pour l'assurer de sa reconnaissance et de tous ses remerciements pour les services rendus... Ma grand-mère devait d'emblée sincèrement refuser, de prendre l'enveloppe en arguant que sa fille Louise ne s'était jamais fait honorer financièrement, depuis qu'elle venait à la Cure pour recevoir dignement Monseigneur l'Evêque... M. le Curé devait alors lourdement insister en lui disant :"Mme tout travail mérite salaire !" Il est vrai qu'à cette époque, les gens n'étaient pas particulièrement aisés et ma chère grand-mère sicilienne qui avait connu les temps difficiles, voire, parfois, presque entrevoir la misère à sa porte, accepta l'argent de l'enveloppe que le Prêtre lui tendait en insistant et lui répétant que : "tout travail mérite salaire !". Cette parole presque d'évangile, sortie de la bouche de M. le Curé, finit par la convaincre d'accepter "ce salaire".

            Sitôt dans la rue, ma grand-mère se dépêcha de rejoindre sa demeure, pressant le pas pour enfin connaître le contenu d'une enveloppe, qu'elle n'osait pas ouvrir avant d'arriver dans le secret des murs de sa maison.
            Une fois chez-elle, elle se hâta pour décacheter l'enveloppe d'où, elle tira un bien modeste petit billet de banque, qui manifestement était le seul à occuper les lieux.

            Sur le même palier de notre maison, demeurait une famille musulmane originaire de Batna, dont le chef de famille était officier dans l'armée française, laquelle, avait fait le débarquement en Provence. Nous vivions avec eux en parfaite fraternité affectueuse et partagions tout le temps nos joies et nos peines. Khadoudja la maman, n'ayant pas rencontré ma grand-mère durant trois jours, s'est empressée de lui rendre visite dés son retour... Lorsqu'elle rentra dans notre cuisine, quelle ne fut pas sa surprise et son angoisse, lorsqu'elle trouva Pétronille effondrée sur son fauteuil de rotin, le visage écarlate, les yeux injectés de sang... et jetée sur la table, une enveloppe laissant dépasser un petit billet de banque...

            Notre voisine fut un moment très effrayée, car, elle savait que ma grand-mère n'était pas en excellente santé et qu'elle souffrait d'une grave hypertension artériel qui pouvait à tout moment lui donner "une attaque" cérébrale. Mais elle comprit rapidement, que ma grand-mère venait de prendre "un coup de sang", en prenant connaissance du "salaire" donné généreusement par M. le Curé : une misère ! même pas de quoi acheter un pain pour le repas.

            Il faut dire que Pétronille était de naissance sicilienne et avait gardé intactes toutes les valeurs de son pays en particulier : le respect des autres et l'honneur de sa personne. Ce n'est certes pas la modicité de la somme, qui l'avait mise dans cette état de contrariété extrême, mais, le fait que M. le Curé s'était foutu d'elle en lui octroyant un pourboire ridicule, qu'elle n'avait pas réclamé et qu'elle ne voulait même pas prendre.

            Au bout d'un moment, furieuse et rubiconde de colère, devant un tel affront venu d'un homme de Dieu, elle se leva et se dirigea vers la porte de sortie, avec l'intention d'aller jeter l'enveloppe et son ridicule contenu, à la "figure" du Prêtre en lui lançant quelques bonnes vérités bien en face.

            Bien heureusement, Khadoudja, devait la retenir en lui disant que si elle faisait cela, Louise ma mère, ne serait pas contente du tout et n'oserait même plus se présenter devant le Prêtre.

            L'histoire devrait s'arrêter là, mais, par la suite, jamais plus Louise ma mère n'accepta de se rendre à la Cure, pour cuisiner et servir Monseigneur l'Evêque... Je crois volontiers que ce faisant, elle devait rétablir l'honneur de sa vieille mère, de l'affront de M. le Curé, qui, par son attitude, devait perdre un cordon bleu parfaitement gratuit en la personne de ma mère, laquelle, fut toujours appréciée des Evêques du Diocèse de Constantine, qui venaient tous les deux ans à La Calle et l'appelaient respectueusement :"Mme Louise !".
M. le Curé était respectueux du Droit Canon,
qu'il appliquait strictement,
même si cela pouvait le tourmenter.


            Même si je ne l'ai pas personnellement vécu, puisque, encore tout jeune enfant, mon récit arrive maintenant à raconter une page bien sombre de ces mémoires et dont on parle encore aujourd'hui dans notre communauté. Je vais tenter d'évoquer ce drame avec objectivité et sans jeter aucune opprobres, en me faisant l'écho des bruits qui ont couru dans notre cité Calloise et qui concernaient l'Abbé DECROZE Curé de notre Paroisse.
            Nous étions à l'époque de la guerre 1940/45 et tout notre petit peuple, avait donné généreusement ses enfants, de toutes races et religions confondues pour défendre la mère patrie, dont, hélas ! un bon nombre d'entre-eux n'est jamais plus revenu sur leur terre natale, laissant familles - femmes et enfants, dans le deuil et bien souvent, dans des situations sociales presque de misère.

            Je m'explique sur les termes "toutes races et religions confondues", pour indiquer que notre petite cité comptait près de 5000 âmes, constituées en majorité et à part égale de chrétiens et de musulmans, mais, où, quelques familles juives peu nombreuses, entraient légitimement et de droit dans notre communauté. Ces dernières au nombre de 4 où cinq, étaient constituées de personnes tranquilles et affables ne faisant jamais parler d'elles et vivaient en parfaite osmose avec le reste de la population. Pour la plus part de ces familles, ils vivaient de leur commerce et n'adoptaient jamais de signes ostentatoires quels qu'ils soient. Nous n'avons jamais entendu chez-nous, prononcer le mot affreux de "sales Juifs" et encore moins fait preuve d'antisémitisme - un terme que nous ne connaissions même pas !

            Avec le temps et un retour en arrière sur le passé, nous nous sommes rendus compte, que, certains de ces Israélites, étaient alors très généreux pour notre paroisse et versaient régulièrement leurs oboles aux deniers du culte. Mieux encore. En compagnie de leurs amis chrétiens, il arrivait parfois qu'ils se rendent aux offices religieux de notre paroisse, alors que l'on sait aujourd'hui qu'un Juif ne rentre jamais dans une église. Depuis ce fait s'est confirmé, il y a quelques années où, au cours de la célébration des fêtes de la Toussaint Calloise au PRADET, deux familles juives de chez-nous présentes ce jour-là, sont venus assister à la Messe du regretté Père Louis GERAUD notre aumônier.

            A La Calle demeuraient depuis toujours 4 familles juives bien connues et appréciées de tous, les familles STORA - LEVY - SEYMAN des Séfarades d'origine et la famille LOUFRANI d'origine livournaise.

            Pendant la guerre 40/45 au plus fort des évènements, la famille STORA avait 2 fils étudiants en médecine à Paris. La capitale était alors occupée par les Allemands où, les rafles anti-juives avaient déjà commencées depuis un moments. C'est ainsi que lors d'une de ces rafles, les deux frères STORA furent arrêtés avec d'autres de leurs coreligionnaires. Mais si l'un des frères, eu la chance de pouvoir s'échapper des griffes des allemands, hélas ! l'autre frère n'eut pas le même destin. Se trouvant alors dans une grave situation, désespéré, le pauvre garçon devait alléguer qu'il n'était pas juif mais chrétien... Lui aurait-t-on donné une chance de salut, en sa qualité d'étudiant en médecine ? Toujours est-il qu'il contacta rapidement sa famille, afin qu'elle puisse solliciter du Prêtre de notre paroisse, "le certificat de Baptême" qui lui était réclamé par les allemands pour justifier ses dires.

            En compagnie de sa fille, Mme STORA qui était veuve se précipita éplorée à la Cure, pour demander dans son malheur l'assistance du père DECROZE, lequel, en acceptant de rédiger ce certificat de baptême, pouvait donner une chance de survie. Après l'avoir écoutée attentivement et assisté au chagrin et à la douleur d'une mère, il devait refuser tout net d'établir un tel document, qui pour lui constituait un parjure à ses fonctions sacerdotales. Une scène déchirante devait alors suivre où, l'on vit Mme Stora et sa fille, se jeter à genoux aux pieds du Prêtre pour le supplier de sauver la vie de leur fils. Mais rien ne fit, M. le Curé devait hélas ! rester inflexible devant cette douleur maternelle sous le couvert du parjure.

            Nous avions appris un peu plus tard, que le pauvre garçon avait fait parti d'un convoi et pris le chemin d'un camp de concentration où les juifs étaient impitoyablement exterminés. On ne le revit jamais plus et la famille STORA resta en deuil de longues années. Ont-ils tenu rigueur à notre Curé ? Je ne le pense pas. La preuve est que Léonie STORA en compagnie de ses amies chrétiens proches, continua à fréquenter l'église durant les années qui suivirent. Quant à l'autre frère STORA, on ne le vit plus à La Calle, il exerçait la médecine à TUNIS, puis, à NICE où il devait finir ses jours.
Jean-Claude PUGLISI
- de La Calle bastion de France.


LA CRAVATE
Envoyé par M. Georges Barbara

            - " O Man ! Te 'ois pas ça que t'yes entrain d'me faire ce matin, moi que je suis déjà en retard pour l'école. C'est quoi ce genre de ruban que tu me mets t'sur mon cou, ça t'a pris comme ça ? T'yen a vu beaucoup 'des oualios de mon école 'ac cette chose que ça me sert là ? Aïe Man laisse moi me rogarder un peu dans la glace du corridor…. Putain on te dirait le collier qui met à son chien Jean La Fi quand y sort dans la rue pour aller porter ses chapeaux !
            - " N'as pas peur Lulu laisse faire Manman. Te sais quand je suis sortie avec tata Ninette hier soir pour faire un peu les Magasins, et ben en passant devant la vitrine du Réveil du Lion, en face la Mairie, te sais ce magasin que le directeur c'est Monsieur Delmedico que je connais bien sa femme ? Et ben dans la grande vitrine, y avait ça qu'y z'appellent un petit mannequin, grand comme toi j'te jure. Il avait une cravate et un patalon golfe que c'est la grande mode à Paris en ce moment. Alors j'ai parlé à Monsieur Delmedico que je me suis fait connaître pour essayer qu'y m'enleve quelque chose. Et comme il est gentil et qu'y m'a enlevé 75 centimes t'sur la cravate et ben j't'en ai pris une 'oila !,,,, Alors ça que tu vas 'oir, et ça qu'cest sur on va s'la faire fermer cette bouche de toutes ces poutanelles qu'y z'habitent dans la maison ! Comme ça elles ne nous traiteront plus de Matsame d'la colonne ! Elles vont à debon par jalouserie jeter tout leur venin quand à vont te voir et elles vont à tous les coups te dire :
            " Tiens agas le fils de Ninette, il est tombé dans la valise !

            Et ça que tu sais pas c'est que ton père cette allatche de promière lui, il a eu le courage, que quand y s'habille pour sortir qu'on dirait un marchand de chiffon, de me dire que j'avais la main trouée et que j'étais une dépenseuse !
            - " Et toi t'ya rien dit O Man ?
            - " J'ai rien dit ? Figure toi que je l'ai vite fait fermer son clapet. J'lui ai dit que sur tout y rogardait à l'argent, alors que l'argent elle est ronde, elle va ..; elle vient, elle roule. Et que si il aurait une bonne place on en aurait un peu de plus que ! Que moi je suis obligé pour arriver d'acheter de l'huile d'olive à la place de l'huile sans goût !
            - " Dis o Man te sais ça qui me chagrine, c'est pourquoi les femmes à vont me dire que je suis tombé dans la valise, alors que c'est pas vrai. On a même pas des valises nous à la maison. Te sais bien que quand je prends le Tram de Nuncie le jeudi pour aller dormir à l'Orangerie chez mémé Costanzo, te me mets mon pyjama dans une serviette attachée ! Alors ?…… -
            " Laisse tomber Lulu vas à l'école mon fils, que main'nan t'yes déjà en rotard. Mais Diocane, plus je te rogarde plus je crois 'oir les petits Maltais du Pont blanc quand y vont à la messe le dimanche ! O que t'yes beau ce matin mon fils ! Aller va va t'en et fait entention de bien travailler à l'école que comme ça l'année prochaine je te mets au Lycée d'Alzon, rien que pour faire les cornes à toutes ces belles en cuisses de la maison ! Aller va mon fils va !

Aôut 2022 Georges BARBARA


LA SAINT COUFFIN
Par Louis ARNAUD
ACEP-ENSEMBLE N° 301, septembre 2016
                                  Pâques, c'est le retour du Printemps, c'est la nature en fête qui éclate de vie et de couleurs.
               C'est l'avril qui chante et la fleur qui s'ouvre, les près reverdissent et les arbres aux feuillages nouveaux resplendissent sous les rayons dorés du soleil qui va reprendre sa royauté que I'hiver avait affaiblie. Le vent aigre et glacé a cédé la place à une atmosphère tiède et fluide, toute embaumée par les mille senteurs des fleurs et des bois.


                Et c'est la St Couffin comme on nomme le lundi pascal, à cause des repas sur I'herbe que l'on va faire dans la campagne sur le bord des chemins ou sur le rivage et de la "mouna" que l'on mange en famille. Le peuple de Bône a toujours préféré le lundi de Pentecôte au lundi de Pâques et les joies du bord de la mer aux plaisirs champêtres. Est-ce la manifestation d'un sentiment filial qui ramène ce peuple au plus près de sa mère spirituelle, la Méditerranée.
               Le lundi de Pentecôte, c'était aussi la journée du Grand Prix des courses de Bône, qui rassemblait sur l'hippodrome de l'Allelick presque toute la population, turfistes, élégants et flâneurs, vidant ainsi, de leur substance habituelle, la promenade de la Corniche et les plages.
               Lors, les charretiers et les dockers et tout le peuple de la Marine et de la Colonne étaient les seigneurs de tous les coins et recoins ensoleillés de la côte. Il fallait voir leur exode grégaire vers les plages. Ils allaient à la mer disaient-ils.
               Dès avant Ie lever du soleil, la route de Fort Gênois était sillonnée de charrettes, de chariots et de véhicules plus ou moins hétéroclites, délabrés, branlants, criards ou plaintifs pour la plupart.

               Les charrettes, seules, étaient solides et normales, car c'était son propre instrument de travail que chaque charretier utilisant ce jour-là. Il l'avait emprunté à son patron qui n'avait pas pu la lui refuser, car c'était devenu une coutume, cela faisait partie de ses obligations vis à vis de ses employés. Lui-même, au temps ou il n'était pas encore patron, en avait usé ainsi, après qu'il eut accédé à cette situation aisée et enviée, il lui plaisait de se joindre à quelque joyeux cortège de charrettes et de participer avec sa famille à ces folles équipées d'un jour.
               Les charrettes et les carrioles allaient, dans le clair-obscur du jour naissant, cahotant, sur la vieille route poussiéreuse du Fort Génois, toute coupée de trous et d'ornières.


               Malgré les saccades et les brusques ressauts, tout était léger dans cet aller, I'air frais du matin, Ie trot allègre des mulets et des chevaux, le cœur des hommes, des femmes et des enfants entassés sur les véhicules, leurs chansons et leurs rires. Jamais, une charrette quelconque de ces campeurs éphémères n'a songé à l'installer sur l'une des plages de la Corniche, proprement dite, où les "gens biens" et le "grand monde" aurait pu venir troubler la fête, rien qu'en passant en calèche ou en voiture (il n'y avait pas encore les autos) sur la route trop proche.
               La première halte qui s'offrait à leur camping d'un jour, était ce petit bois d'eucalyptus touffus, blotti dans le creux du tournant qui monte de la "Mer Chapuis" pour aller à la "Caroube".
               Les arbres qui se pressaient tant les uns contre les autres ont disparu. Ils ont été coupés, rasés et le sol tourmenté, escarpé, fait aujourd'hui la grimace aux promeneurs qui cherchent du regard le riant et vert bosquet d'autrefois.

               Entre les troncs, de vielles couvertures délavées ou des lambeaux de drap étaient, vite, tendus pour sentir de rideau contre quelque rayon d'un soleil trop gêneur, ou pour masquer les limites des logements improvisés. Des foyers étaient rapidement organisés avec des pierres, les couffins avec des victuailles et les bonbonnes de vin rouge étaient amenés à proximité, les enfants s'en allaient à la recherche de brindilles de bois mort pour alimenter les feux qu'on allait allumer.

               L'essentiel était accompli. Il ne restait plus qu'à attendre l'heure du repas, car c'était la ripaille ou mieux, la macaronade classique, autant que populaire, qui formait le clou et, peut-être, la raison de cette journée de liesse.
               Tandis que les vieilles s'affairaient autour des brasiers ajustant l'équilibre d'une marmite destinée aux macaronis, que des enfants allaient faire des provisions d'eau à la borne-fontaine placée, presque à leur intention, sur l'autre bord de la route, les jeunes lutinaient les filles qui poussaient en se sauvant de petits cris faussement effarés.

               Les cordes des charrettes avaient servi à faire des "balances" où les jeunes femmes se faisaient "balancer" par des cavaliers qui les poussaient, par derrière.
               Ces parties de balances n'avaient, certes, ni la grâce, ni la poésie que Lancret et Fragonard ont su mettre dans leurs scènes d'escarpolette, mais elles ne manquaient pas d'originalité, ni de rusticité primitive. Elles étaient, en tout cas, pour les spectateurs, un réel divertissement.
               Ailleurs, un peu à l'écart, un accordéoniste faisait valser des couples, qui s'accordaient bien pour la danse en attendant de s'accorder mieux et autrement, peut-être ailleurs. Un chanteur s'accompagnant de la guitare débitait en "dolce amoroso" :
               "Si tu vole venir avec moi à la marine,
               Je te ferais voir comment on pêche à la sardine."

               Tandis que le chœur, qui s'était formé autour de lui, au hasard des passants, reprenait en "Forte" et même "fortissimo" le refrain : " O marianina - Con ta sœur le montera - Con ta sœur la montera " en modifiant involontairement peut-être l'euphonie et le rythme des mots.
               Et l'on entendait fuser les lazzis en vogue dans nos rues et sur le port : "O zyeux - ma qu'est-ce quy a ,
               - " Entention tu glisses et tu casse la pièce de dix. "


               Puis, en fin de matinée, avant de se rassembler, à même le sol rocailleux autour des marmites bouillantes et des plats fumants, tous allaient prendre un bain général pour stimuler l'appétit et chasser la poussière et la sueur. Il n'était question alors ni de Bikini, ni de maillots à la mode. Les femmes se baignaient avec un jupon léger et un caraco ou une camisole qui se plaquait vite sur leur corps faisant apparaître, dans leur transparence mouillée ; les formes des corps et la teinte rosée de la chair.
               Les hommes ôtaient leur pantalon et leur chemise et gardaient leur caleçon de toile grossière.
               Le flot n'en était pas moins accueillant, caressant et voluptueusement presque. Il n'était troublé que par les ébats tapageurs et joyeux des baigneuses qui criaient lorsqu'un homme, en plongeant pour faire un "nefs" arrivait jusqu'à elles pour leur faire "des chatouilles" dans les jambes ou une "mayonnade" traîtresse.


               Enfin venait l'heure de la macaronade. Tout le monde alors se groupait sous les arbres. C'était un grouillement pittoresque d'hommes et de femmes assis ou accroupis sur le sol, sans soin et buvant d'une bestialité même par moments, outrée, mais dont personne ne s'offusquait. L'après-midi se traînait presque languissante. Tout avait été dit et chacun avait dépensé sa verve dans l'enthousiasme du matin et de la fraîcheur des sensations nouvelles.

               Puis, le repas avait alourdi les estomacs et les corps, et les rasades innombrables n'avaient pas manqué de troubler les esprits qui s'appesantissaient au fur et à mesure que le soleil déclinait et que le soir tombait.
               Il fallait songer au retour et surtout au lendemain où il faudrait reprendre le travail dès la pointe du jour. Et le retour s'accomplissait lamentablement et silencieusement presque funèbrement.
               Ce n'était plus le trot léger et allègre du matin, mais le pas lent et lourd des chevaux et des mulets qu'aucune main ferme ne tenait plus et qu'aucune voix n'avait la force de stimuler.

               Les enfants dormaient. Les chanteurs s'étaient tus et l'accordéon, la guitare et la mandoline gisaient abandonnés, au milieu des marmites et des bonbonnes vides, toutes choses inertes, devenues inutiles. La fête était finie et toutes les charrettes se suivaient et se ressemblaient, elles avaient l'air, toutes, celles de Chapuis et celles de la Caroube, de porter un lourd chargement de lassitude et de désenchantement. La fête était finie.
    


PHOTOS de EL GOLEA
VOYAGE 2019 du groupe Bartolini
LES ALENTOURS

















MUTILE N° 170 du 5 décembre 1920

Le Noël des Orphelins de Guerre

               Noël 1914 - Noël 1920
               Six ans nous séparent de la terrible année ! Six ans sont passés sur le jour où pour la première fois le tocsin sonnait aux clochers de nos villages, où les tambours roulaient lugubrement pour appeler le peuple aux armes ! Pendant quatre années, trois mois et quelques jours nos glorieux soldats et nos fidèles alliés ont combattu sans relâche, et ont fini par terrasser l'hydre germanique, assurant ainsi aux générations futures la sécurité dans la paix universelle !
               Nous revivons par la pensée ce rêve tragique et sanglant qui jamais ne s'effacera de notre mémoire et lé revoyons surtout, dans la tristesse causée par l'absence de tous les hommes valides, en ce jour de fête traditionnelle de l'enfance, en ce Jour de Noël.
               Ah ! Comme il était triste ce Noël de 1914, comme il était triste ce réveillon sous la pluie des balles, des obus, dans les tranchées boueuses ou le froid gelait les pieds de nos poilus.
               Quelle tristesse au foyer déserté par le père, l'époux, le fils. Quelle tristesse au cœur serré de la mère qui songeait que Noël ne porterait rien à ses pauvres petits.

               Ils étaient pitoyables ces pauvres innocents dont les papas étaient à la frontière et dont les yeux tristement interrogateurs semblaient demander la raison de l'absence de l'être chéri !
               Les quelques joujoux qu'avaient pu leur procurer leurs mamans les rendaient gauches, timides. Ils ne savaient plus jouer, l'air d'angoisse les étreignait eux aussi, ils pressentaient un malheur ! Ces cœurs innocents ne se trompaient pas hélas et les Noëls qui suivirent apportèrent des deuils !
               En ces jours de sacrifice les mères au cœur brisé cachaient leurs larmes à leurs petits et si malgré tout ces larmes coulaient, en un sublime dévouement, elles essayaient de sourire pour éviter la peine à leurs pauvres enfants.
               1920 a ramené la paix, mais n'a point effacé tous ces deuils. 1920 n'a pas apporté la joie ou le bonheur dans les foyers. La misère est plus grande que jamais :
               " LA NATION INGRATE DONNE, DES PENSIONS DE MISERE ET CHOSE HORRIBLE LE LÉGISLATEUR A LAISSÉ DE COTÉ LA CAUSE DES MÈRES D'ORIGINE ÉTRANGERES QUI DONNÈRENT LEURS FILS A LA FRANCE. LES MÈRES INDIGENES SE .VOIENT' RÉSERVER LE MEME SORTT LA FAÇON DONT ON PROCÈDE A LEUR ÉGARD EST REGRETTABLE POUR L'HONNEUR DU PAYS !.. " VOTRE FILS EST MORT VOUS, VOULEZ UNE PENSION
               FAITES-VOUS DONC NATURALISER, C'EST BIEN SIMPLE ET VOUS AUREZ SATISFACTION".
               Et pourtant, aux grands jours de combats, aux jours tragiques a-t-on demandé leur qualité de français à ces fils étrangers, à ces fils indigènes pour en faire des remparts vivants !
               Non ! Formons donc l'espoir de voir bientôt accorder à ces malheureuses le droit à pension !
               Mais en attendant ces jours de juste réparation, ces mères étrangères et indigènes, ces orphelins leurs fils souffrent de la faim, souffrent du froid, souffrent de la misère. Nous avons pu constater hélas trop souvent que ces malheureux enfants dont le papa n'est plus, sont hâves, déguenillés, d'aspect maladif. Ah ! Non ils n'en auront pas de joujoux ceux-là !
               Aussi c'est pour ces déshérités pour ces malheureux petits orphelins que, comme les années précédentes, nous organisons un Arbre de Noël et faisons un appel pressant aux cœurs généreux de la population si humanitaire et patriotique de notre grande cité et de l'Algérie.

               A tous, Artisans, Colons, Fonctionnaires, Industriels, Commerçants, à tous nous vous disons: Donnez-nous ce que votre bourse peut donner, et vous commerçants donnez-nous quelques coupons d'étoffe, quelques paires de chaussures qui protégeront du froid ces pauvres orphelins, du froid terrible, du froid qui raidit les membres, qui blêmit les chairs et qui tue sans pitié ! Joignez-y quelques jouets, quelques-uns de ces bibelots qui font tendre les petites mains, briller les yeux et qui procurent un peu de joie à ces cœurs meurtris dès l'enfance ! Et si votre coeur est touché ajoutez, un viatique qui permettra de secourir quelque misère cachée !
               C'est dans cet ordre d'idées que notre projet est élaboré aussi insistons-nous de manière pressante pour qu'en cette année de misère chacun dans sa sphère et suivant ses moyens nous aide puissamment soit par l'envoi de fonds en argent, soit par l'envoi d'objets utiles et de jouets.
               Que chacun songe que ces orphelins sont un peu les siens, car leurs pères ne furent-ils pas nos frères d'armes et de combats ! Ils out droit à de la tendresse et à ta sollicitude de nous lotis.
               Enfin c'est là un devoir d'humanité que chacun aura à coeur d'accomplir, car qu'y a-t-il de plus beau, de plus doux que le bien que l'on fait ? Et, n'est-ce pas une sensation de bien être moral que l'on ressent quand, d'une manière intime votre conscience vous dit : " Tu as fait une bonne action."
ASCIONE
Président de l'Association
Des Veuves et Orphelins de l'Afrique du Nord.

N. D. L. R. - Les personnes charitables qui voudront, par leurs dons, nous aider à la confection de notre Arbre de Noël, sont priées de nous les faire parvenir, qu'ils soient en nature ou en argent, au bureau du journal "Le Mutilé de l'Algérie", 8, rue Arago, Alger, ou au siège social de l'Association des Veuves et Orphelins de Guerre de l'Afrique du Nord à la Préfecture d'Alger.



CHORBA d'El Kala à ma façon.
(Revu et corrigé par Jean-Claude PUGLISI
- de La Calle de France )
par Jean Claude PUGLISI, année 2000

        Ingrédients : pour 6 personnes.
        · 1,200 à 1,800 kg de viande d'agneau : poitrine, collier, épaule ou gigot.
        · 6 tomates mûres.
        · 1 boite de concentré de tomate de 140 g à 28 %.
        · 1 carotte moyenne.
        · 1 petit navet.
        · 1 petite courgette.
        · 1 branches de céleri.
        · 1 poivron doux vert moyen.
        · 1 oignon moyen.
        · 2 gousses d'ail.
        · 100 g de pois-chiches au naturel.
        · 1 boite de 50 à 80 g de : petits-pois - lentilles - haricots blancs ( facultatif mais très conseillé )
        · Au choix : ½ à 1 verre de Riz, de cheveux d'Anges, de langues d'Oiseaux ou de Blé concassé ( Frik ).
        · 1 à 2 pommes de terre moyenne ( facultatif mais conseillé )
        · 1 bouquets de coriandre frais.
        · 1 bouquet de menthe fraîche.
        · 1 bouquet de Persil.
        · Sel, poivre gris.
        · 1 feuille de laurier + 1 branche de thym.
        · 1 cuillère à soupe rase de poivre rouge
        · Quelques citrons.

        Préparation de la Chorba d'El Kala :
        · Faire revenir dans de l'huile d'olive : la viande coupée en dés + les rondelles d'oignon + l'ail écrasé.
        · Coupez en petits dés tous les légumes : carotte, navet, courgette, céleri.
        · Pelez, épépinez et coupez les tomates en morceaux.
        · Équeutez, épépinez et découpez le poivron vert en fines lanières, que vous ferez doucement frire.
        · Mettre tous ces ingrédients avec : la viande, l'oignon et l'ail écrasé + les pois-chiches.
        · Couvrir avec 1 à 2 litres d'eau tiède.
        · Ajoutez le concentré de tomate et bien délayer dans le bouillon.
        · Salez et poivrez + 1 feuille de laurier + 1 branche de thym + 1 c. à s. de poivre rouge.
        · Cuire à feu doux 45mn à 1 heure environ.
        · Ajoutez au choix : le riz, les petites pâtes fines ou le Frik. ( blé vert concassé )
        · Mettre au dernier moment : le bouquet de coriandre ciselé + la menthe fraîche.
        · Finir très rapidement la Cuisson.

        Conseils culinaires :
        - En plus des pois-chiches, vous pourrez rajouter dans la Chorba : 1 boite de 50 à 80 g de petits-pois + de lentilles + de haricots blancs cuits au naturel + 1 à 2 pommes de terre débitée en petits dés.

        - La préparation sera alors des plus savoureuse !

        - Astuce Arabo-Calloise : frire un piment vert piquant frais, puis, au dernier moment de la cuisson, l'intégrer dans la Chorba...

        - Quel parfum mes frères ! Essayez un peu - SVP !

        - Servir avec un hachis : de Coriandre + Persil + Menthe + jus de citron.

        · Accompagnez avec une Galette arabe encore chaude - de l'harissa faite maison - du kamoun - du jus de citron… et vous m'en direz des nouvelles !
       
Docteur Jean-Claude PUGLISI, Octobre 2022
de La Calle de France
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage.


BOUGUIRAT
ECHO D'ORANIE - N° 226
La Place De l'Eglise

        Nous devons à Madame Marcelle Orcel cette étude très fouillée de l'origine et du développement du village ainsi que les documents photographiques à l'exception du Monument aux Morts envoyé par M. André Spiteri. Nous les remercions vivement et espérons que d'autres lecteurs nous enverront eux aussi l'histoire de leur village afin que tous les anciens habitants de ces lieux revivent leur jeunesse.

        1862-1877
        Par un décret fait à Paris le 16 avril 1862, "Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français" décide :
        "Il est crée dans la plaine de Bouguirat, province d'Oran, sur la route de Mostaganem à Relizane, un centre de population de 48 feux qui prendra le nom de Bouguirat.
        Un territoire agricole de deux mille quatre cent dix-huit hectares, soixante dix-huit ares, est affecté à ce centre, conformément au plan ci-annexé".
        C'est là, l'acte de naissance du village de Bouguirat.
        A partir de cette date, le nouveau village va prendre place, corps et vie au fil des années.
        Suivons les débuts de sa jeune existence à travers les événements, petits ou grands, qui jalonnent ses quinze premières années.
        Que lui apporte chacune d'elles ?

        1862
        Le village est implanté sur le territoire qui lui est attribué par le décret cité précédemment. Mais où exactement ?
        On envisage tout d'abord de le créer près d'un caravansérail construit au bord de la voie Mostaganem-Relizane existant alors. Mais, celle-ci longeant un marais insalubre, le nouveau centre est finalement édifié 2km plus au nord, sur une nouvelle route reliant les deux villes, à 28 km de la première et à 31 km de la seconde.
        Comme I'indique le plan ci-après, il comprend :

        - 2 places centrales de 90 ares chacune séparées par la route nationale. Sur I'une d'elles, un puits et un abreuvoir publics.

        - 4 lots à bâtir, situés à I'arrière des places, prévus pour l'édification de bâtiments publics.

        - 48 lots à bâtir de 15 ares chacun, répartis par moitié sur une longueur de 825m, de part et d'autre de la route Mostaganem-Relizane sur laquelle ils ouvrent.

        - 8 lots de 90 ares chacun adossés aux précédents et bordés par des boulevards arrière parallèles à la rue principale ; ils sont destinés aussi bien à des artisans éventuels qu'à des fermiers installés dans la plaine désireux d'avoir un "pied-à-terre" dans le bourg.
        Le territoire agricole qui entoure l'agglomération est divisée en 126 "lots ruraux". 115 d'entre eux sont attribués aux propriétaires des lots à bâtir afin d'être exploités comme terres agricoles. 9 sont réservés à différentes fins : bivouac, cimetière, instituteur, curé, réserve communale, communal du marais.

        places publiques, mosquée de Sidi Charef, mosquée d'abdallâh". Au total : 409 ha 31a. Le lot N° 116 est "donné en concession à une compagnie, la compagnie Malavoix, afin de faciliter les essais de cultures cotonnières étendues".


        Le lot no 119 devient, lui, "réserve domaniale". Dépend aussi de BOUGUIRAT, un hameau, le hameau d'Aïn-Madar, situé environ à 6km au nord-est du bourg.

        C'est un coin vert et fertile grâce à un ravin qui lui apporte à longueur d'année l'eau de nombreuses sources situées dans des montagnes sablonneuses et boisées qui le surplombent. Y est installée une ferme de 128ha en amont de laquelle un moulin à eau construit par M. Winkel avant même la création de Bouguirat, moud le grain "des villages environnants et même des villes plus lointaines comme : Oran, Relizane, Orléansville, etc...".
        Aïn-Madar est relié à Bouguirat par un chemin vicinal qui se prolonge jusqu'à Aïn-Tédélès et Souk-el-Mitou (Bellevue).
        Vers le sud, existe un deuxième chemin vicinal, celui de Bouguirat à Perrégaux qui passe par Romry (Nouvion) et la gare de I'Oued Malah.
        Administrativement, la nouvelle commune est rattachée à Relizane.

        Dès I'annonce de la création du village, de nombreux candidats à la propriété se présentent. Pourtant les concessions proposées ne sont pas gratuites. Chaque colon doit s'engager à bâtir à ses frais une construction en rapport avec la valeur des terres qui lui sont concédées, et ce, dans un temps donné sous peine d'être évincé'
        Il est en outre imposé de "1 F par ha de lots ruraux et de 0,50c par are de lots à bâtir".
        Ce qui n'empêche pas la demande d'être grande. Devant son importance, l'administration fait un choix. Elle établit trois listes : celle des inadmissibles, celle des douteux, celle enfin des admissibles.
        Finalement, 48 noms sont retenus.
        Parmi eux : Heintzmann Michel, Blesson Jules, Tortet Jean, Marcel Pierre, Duffaux Hippolyte, Smidt Alexandre, Grignon Zéphir, Chabrat Jacques dont des descendants habitent encore Bouguirat un siècle après, en 1962.

        Tous les concessionnaires choisis alors ne s'installent pas forcément dans le nouveau village. Certains revendent presque immédiatement leur concession. Ainsi, les lots 25 et 28 sont vendus "aux Demy"; le 16, à Joseph Estève. D'autres ne se présentent pas du tout par exemple, Olivier-Pierre Marutin concessionnaire du lot 22.
        Enfin, quelques-uns, dans un délai plus ou moins long, se fixent ailleurs ; le propriétaire du lot N' 12 part à Blad-Touaria, celui du N" 25 bis à Aboukir.
        Quels qu'ils soient, tous ces nouveaux agriculteurs auront fort à faire et pour mettre en valeur des champs en friche "envahis par une forêt de jujubiers et de palmiers nains" qui servent de "refuge" à un grand nombre de chacals, gazelles et surtout à une infinité de moineaux" et pour payer à I'Etat "la rente des terres dont chaque concession est imposée".

        1863
        L'année commence, le 1er janvier exactement, par l'inauguration du nouveau centre "sous les auspices de M. le Général Lapasset alors colonel d'état-major commandant la subdivision de Mostaganem".
        Alors, peu à peu, la vie démarre et s'organise dans cet embryon de village où n'existent ni mairie, ni école, ni église.
        "Le village de Bouguirat n'étant créé qu'avec ses seules ressources, l'Etat ne l'avait doté d'aucun bâtiment civil public".
        Chaque colon s'active à s'installer, à construire son toit, à I'entourer d'un jardin où il plante des arbres "de toutes espèces", à défricher les terres de sa concession.
        Comme il faut assurer la nourriture de chaque famille, une décision commune est prise : la création d'un troupeau de porcs, bêtes qui ne demandent que peu de soins.
        Au début de l'été, un événement important par ses conséquences : la compagnie Malavoix est déclarée déchue de ses droits de propriété par le conseil des Affaires civiles de la division ; décision que le Gouvernement Général approuvera le 1er août. À la suite de quoi, les 400ha du N° 116 et, dans la même foulée, les 644ha 98a 80C du N° 119 réservés, les premiers à la compagnie Malavoix, les seconds comme "réserve domaniale" sont "proposés pour être affectés à la colonisation".

        On divise alors la première parcelle en 15 "lots de ferme" de 22 à 30ha chacun et la deuxième en 24, d'une étendue analogue. Soit au total, 39 lots de ferme situés derrière le marais au sud du village qui viennent s'ajouter aux quelques domaines ruraux créés initialement.
        Et pourtant, peu de fermes se créeront, aussi bien immédiatement que plus tard. En 1877, quinze ans après la création du centre, 4 seulement "seront bâties" et 2 "seulement habitées".
        A cela, deux raisons majeures : d'abord, l'insuffisance des terres concédées à une ferme, ensuite, la difficulté de s'y ravitailler en eau.
        Dans les lots de ferme, "il faut aller à 15 ou 20m pour trouver I'eau ; encore est-elle saumâtre et en petite quantité.
        Un problème que ne connaît pas le village lui-même car, autour de I'agglomération, existe, sous une couche de tuf blanc située à 50cm de profondeur, une nappe d'eau "ne renfermant aucun sel pouvant lui donner un goût désagréable", "une vraie rivière souterraine". Si bien que "chaque maison a son puits dont la profondeur est en moyenne 4m", un puits dont "l'eau bonne et limpide cuit parfaitement les légumes", qui est "fraîche sans être froide et l'hiver paraît tiède à l'air extérieur".

        L'opération "fermes" échouant, les lots leur revenant sont concédés "à des employés militaires et civils en activité ou en retraite", habitant les villes ou même la France et qui ne viendront jamais visiter leur concession mais se contenteront de louer ou de faire louer leurs terres à des Arabes".
        Ce qui influe sur la physionomie de I'agglomération elle-même. La population étant moins forte qu'on ne I'avait espéré, beaucoup de lots bis restent vacants.
        Ils seront alors concédés soit à des colons déjà propriétaires du lot mitoyen ouvrant côté route " ce qui leur constitue une propriété de 30 ares au lieu de 15 ares", soit vendus dans le Domaine à de nouveaux demandeurs.

        Le 4 septembre, le village naissant enregistre son premier décès, celui du "sieur Chabrat, colon de 76 ans".
        En creusant sa tombe, on s'aperçoit que la roche de tuf blanc est très dure à moins de 40 à 50cm au-dessous de la surface du sol. Il est décidé alors de déplacer le cimetière. Le premier emplacement choisi est annulé et le cimetière est décalé dans un lot voisin distant d'environ 50m du premier prévu.

        De septembre à novembre, on entreprend une œuvre d'utilité publique : la construction d'un canal de dessèchement et d'assainissement du marais situé au sud, le long de I'ancienne route de Mostaganem-Relizane à environ 2km du village car ce marais "est un danger pour la santé des habitants". Les moustiques y prolifèrent et propagent le paludisme qui fait des ravages.
        Terminé, le canal mesure environ 3km de long sur une largeur moyenne de 3m. Son efficacité est réelle. "Il coule comme une vraie rivière" mais il demande à être souvent dégagé. Des roseaux et des joncs plats I'obstruent sans cesse.
        En décembre, lorsque I'année tire à sa fin, 140 habitants peuplent le nouveau village.

        1864
        C'est l'année de la première naissance, celle d'une petite fille née le 1er mai, une petite Marie-Julie Jambert, le premier enfant qui voit le jour dans la commune.
        C'est aussi l'année, où en août, Bouguirat devient une commune séparée de Relizane.

        1865
        L'obligation d'élever une construction "en rapport avec la valeur des terres concédées sous peine d'être évincé" est supprimée si bien que, affranchis de cette obligation, plusieurs concessionnaires s'abstiennent de bâtir.
        Résultat : des lots nus qui forment "des vides disgracieux dans le village" et qui resteront ainsi pendant bien des années détruisant I'harmonie de l'ensemble.
        Cependant, deux bâtiments non prévus sur le plan primitif se sont ajoutés au bout de l'agglomération côté Relizane, à la suite du dernier lot tracé : "un établissement créé par le sieur Henri Brassier dont la veuve épousera plus tard un sieur Hermann" et la maison des cantonniers, construits, I'un et l'autre, sur une partie réservée au bivouac".

        1866-1867
        Sur les terres nouvellement défrichées, facilement accessibles puisque "toutes les concessions sont desservies par des chemins ruraux excepté un seul lot de 4ha enclavé que l'on atteint en passant par les lots voisins", les colons font des essais de cultures. On plante "quelques ha de coton arrosés par des norias", du tabac, du lin.

        Les résultats sont bons.
        "Le sol de Bouguirat est propice à presque toutes les cultures" grâce à la nature variée des terres qui le composent.
        Des sols légers "composés de sable gros de nuance rougeâtre et de terre grise" reposant sur une couche de tuf blanc "gras dans certaines parties et dur comme la pierre dans d'autres", alternent avec des terres fortes, grasses, des sols profonds "composés de terres argilo-calcaires mélangées d'alluvions" apportés par les ravins qui "glissent sur les montagnes comme sur des toits" à la suite des grandes pluies.
        Cependant, pour plusieurs raisons, entre autres : rapports peu intéressants, manque de débouchés proches de la commune, installations coûteuses, manipulations et soins nombreux demandés par le tabac en particulier, ces cultures seront plus ou moins abandonnées au fil des années au profit des céréales et de la vigne.

        Quelques colons se lancent dans l'élevage des abeilles.
        Mais comme "il est arrivé que plusieurs fois les ruches ont été volées par les Arabes", ils finissent par délaisser cette ressource.
        Le nombre de têtes de bétails est encore assez modeste.: 32 chevaux, 6 mulets, 90 bovins, 70 chèvres mais déjà 238 moutons et 148 porcs.
        Quant au nombre d'habitants, strictement des Français, il est de 175 fin 1867 : 158 pour le village proprement dit et 17 répartis dans les fermes.
        51 maisons sont construites, 69 puits et norias creusés ; enfin, 1410 arbres ont été plantés dont 40 mûriers.

        1872
        A cette date, les chiffres montrent la progression sensible amorcée dans plusieurs domaines.

        La population a augmenté de plus de 100 unités en cinq ans. Le nombre d'habitants se monte aujourd'hui à 279. Il est vrai que ce chiffre regroupe non seulement des Français, 229 exactement, mais aussi pour la première fois, 40 étrangers et 10 indigènes.
        Le nombre de maisons est passé à 55 ; 4 constructions nouvelles en cinq ans. D'autre part, 8 tentes et gourbis ont été montés.

        La plantation d'arbres de différentes espèces continue et, se diversifie. Sont plantés à ce jour 2625 arbres fruitiers à feuilles caduques, 125 bananiers, orangers et citronniers ; 500 forestiers et d'agrément et 500 mûriers.
        Pourquoi tant de mûriers ? Quelques colons essaient d'élever des vers à soie. Ils y réussissent très bien. "La graine est belle et le ver d'une belle venue".
        Malheureusement, le manque d'acheteurs et l'insuffisance des plantations de mûriers les obligeront à abandonner.
        Enfin 140 oliviers sont greffés.
        Le bétail a augmenté en nombre. 7O chevaux, 25 mulets, 130 bovins, 270 ovins, 81 caprins, 225 porcins sont recensés cette année-ci.
        En septembre, a lieu, pour la première fois depuis sa création, un nettoyage du canal du marais sous la surveillance des Ponts et Chaussées. Cette opération sera renouvelée en mars 1877.

        1875


        Construction de l'école et de la mairie, payée en partie par la commune, en partie grâce à des subventions de l'Etat. Jusque-là, comme aucun bâtiment public n'existait depuis sa création, la commune a dû elle-même suppléer à cette absence. Elle a fait en louant des locaux privés où s'installent les principaux services publics. Ce qui absorbe la plus grande partie de ses revenus.
        Ainsi, la location annuelle pour l'école et la mairie se monte à 700 F; celle de l'église à 45 F et celle du presbytère à 600 F. Soit un total de 1750 F par an.

        LA MAIRIE ET LES ECOLES
        La commune réussit à y faire face grâce surtout aux revenus substantiels que lui fournit le marché ; un marché très important qui se tient chaque mardi et donne lieu à un mouvement commercial d'envergure portant sur les ventes et achats d'animaux et de denrées de toutes sortes.
        Les cinq premières années de son existence, la commune réussit à louer le marché jusqu'à 10000 F par an.
        En 1867, une disette qui a réduit considérablement le nombre d'animaux, fait tomber cette location à 5750 F. Celle-ci remontera peu à peu jusqu'à atteindre 7250 F en 1875.

        L'édification de l'école et de la mairie va donc permettre de réduire ces dépenses de location qui s'allège font aussi bientôt de celle payée pour l'église .

        1876
        Voit en effet s'achever l'église dont les frais totaux de construction sont évalués à 36.000 F. Cette dépense est réglée, elle aussi ; non seulement à l'aide de subventions données par I'Etat mais aussi "à une allocation de 3000 F faite par la commune".
        L'église "a été bâtie d'après les plans de I'administration des bâtiments civils, sous la direction de M. Nicolle architecte. Son style est composé de grec et de gothique. Elle forme la croix latine et a un clocher terminé en flèche".

        "C'est un monument de luxe comparativement à I'importance du centre", au dire des villages voisins, jaloux.
        "Que nous avons payé avec nos propres deniers", rétorquent les Bouguiratois en retour, évoquant "les énormes locations réglées jusqu'à ce jour faute de locaux disponibles qui n'auraient rien coûté" et aussi "la rente des terres payées à l'Etat dont chaque concession est imposée", dépenses que les autres villages n'ont pas connu.

        L'achèvement de l'église est le grand événement de l'année en cours.
        Pour le reste, la vie suit son cours ; pas de grands changements à noter. Signalons cependant que 4 maisons nouvelles étaient édifiées depuis 1872, ce qui porte à 59 le nombre d'habitations du village. Quelques habitants de plus : 297 au total contre 279 quatre ans plus tôt. Français et étrangers n'ont augmenté que de 2 unités : 231 Français au lieu de 229 et 42 étrangers au lieu de 40. Par contre 24 indigènes au-lieu de 10. Il semble qu'une spécialisation des cultures commence à se faire. La culture du tabac est totalement abandonnée ; celle des céréales se maintient alors que la surface plantée en vigne a triplé en 4 ans : 37 ha contre 12. Le nombre d'oliviers greffés a plus que doublé : 290 contre 140.
        Bien que plus modérément, celui des autres espèces d'arbres continue à croître.
        Depuis la création du village, 5205 arbres ont été plantés. Le cheptel grossit dans l'ensemble. Si les chevaux ne sont qu'en légère progression, 19 de plus en 4 ans, les bovins et les ovins sont deux fois plus nombreux. Le nombre de porcs, lui, décroît sensiblement, 62 seulement contre 225 en 1872. Il est vrai qu'on en élève moins "à mesure que le pays se défriche et se cultive à cause des dégâts que ces animaux commettent dans les jardins, les norias et les champs ensemencés".

        Pour nourrir tous ces troupeaux, existent 381ha de terres de parcours sur lesquelles veille le garde-champêtre du moment, M. Provost. Ces pâturages regroupent aussi bien les communaux de la montagne que ceux du marais" qui est vert toute l'année.

        1877
        15 ans ! Bouguirat atteint sa quinzième année.
        Où en est le jeune village ?
        D'après un rapport en date du 18 avril 1877 rédigé par M. Marcel, le Propriétaire de la ferme du hameau d'Aîn-Madar et du "moulin à farine" mais, surtout, le maire du village, le nouveau centre créé le 16 avril 1862 sur la route de Mostaganem à Relizane "a progressé d'une façon assez sensible".
        Sa population "en majeure partie travailleuse et énergique où il n'y a aucun ivrogne" a réussi malgré les grandes difficultés que lui procuraient "la nature du sol, l'insurrection, les épidémies, les sauterelles" à bâtir en peu de temps.
        - un vrai village d'une soixante de maisons, avec une église, une mairie, une école, une école laïque gratuite où "l'instituteur qui est marié, a une subvention de la commune pour que sa femme ait soin des petits enfants et donne des leçons de couture aux jeunes filles", et même, un médecin de colonisation, M. Colozi qui réside à Aboukir mais qui vient chaque semaine, le jour du marché, visiter les malades ;
        - un village vivant où règne "une certaine animation" qu'il doit au marché du mardi très fréquenté et à sa situation à mi-chemin entre deux villes dont il est le point-relais. Chaque jour, dix voitures publiques auxquelles s'ajoutent de nombreux véhicules de transport et aussi des voitures particulières, le traversent ou y font étape ;
        - un village d'avenir puisqu'il "est parvenu à surmonter tous les obstacles par l'énergie de ses habitants que rien n'a pu décourager" et qu'il n'a cessé de progresser de jour en jour.

        1877-1880
        Cependant, les conditions de vie très dures que supportent les colons pour subsister et, pour beaucoup d'entre eux, l'épuisement de leurs ressources, entraînent dans leurs rangs de nombreuses défections.

        En 1880, un tiers des 48 feux existant au départ a disparu. C'est alors que le conseil municipal émet un vœu d'agrandissement de la localité par la création de nouveaux feux ; agrandissement qui est réalisé l'année suivante.

Bouguirat vers 1960

        1881-1962
        En 1881, 28 nouveaux feux et 28 nouvelles concessions agricoles sont crées.
        Le village, alors bien implanté, n'a plus qu'à améliorer ses structures et à embellir son site. Ce qu'il fait.

        En 1886:
        - une subvention est votée pour continuer la construction de l'école ; une autre est prévue pour élever des murs de clôture autour du marché.
        - Les eaux des sources de Kitchoua et de Madar sont captées pour approvisionner le centre en eau potable.
        Le bois d'oliviers est planté le long du boulevard arrière sud et l'on reboise "en massifs" le ravin du cimetière.

        En 1889 :
        On construit les canaux d'irrigation des jardins, les rigoles.

        Avec le début du siècle, le village atteint son âge adulte. Il est alors peuplé, en 1900 exactement de 491 habitants : 373 Français, 5 Israélites, 113 étrangers. La population musulmane comprend 347 membres.
        Il possède "tous les édifices publics" : mairie, écoles, poste, gendarmerie, église et presbytère, une salle des fêtes, un dépôt de remonte et même deux cafés : "Le café de la Place" et "Le café de la Colonie".

        Il mène alors la vie calme et laborieuse d'un village sans histoire qu'animent agréablement fêtes publiques ou religieuses, qu'agitent, juste ce qu'il faut et le plus souvent le temps d'une élection, des querelles sans gravité, que secouent parfois violemment quelque catastrophe naturelle : Invasion de sauterelles, sécheresse ou terrible tempête comme celle du 27 novembre 1927 qui déracine les grands pins des places publiques et fait 11 noyés parmi les indigènes de la commune.

        Un train-train quotidien bien tranquille en somme, mis à profit pour continuer la mise en valeur des terres cultivables et augmenter les richesses agricoles de la région.
        En particulier, la culture de la vigne qui s'étend, s'intensifie. Et bientôt, des caves se construisent, caves individuelles d'abord puis caves de négociants : cave Bourdié, cave Evrard, cave Heintzmann, cave Rayret, sans oublier la cave coopérative qui regroupe la plupart des viticulteurs du bourg. La plantation de nombreux oliviers autour des vignobles entraînera l'ouverture d'une huilerie.
        Un essor économique constant que seules, les deux guerres mondiales, celle de 14-18 où plus de vingt jeunes disparaissent, et celle de 39-45, moins meurtrière un seul mort mais aussi traumatisante et négative, stoppent momentanément.

        La seconde guerre à peine finie, le village repart de l'avant. Il emploiera ses dernières années à parfaire son image et à rendre la vie plus facile et plus agréable à ses habitants.
        Un poste de médecin de colonisation ainsi qu'un dispensaire pour indigents sont créés. Le Docteur Geisen s'occupera des deux jusqu'aux derniers jours.
        Une pharmacie, tenue par M. Petit, ouvre ses portes.
        Une classe de plus est ouverte à l'école de filles.
        Une poste nouvelle et fonctionnelle est construite.

        La mairie voit sa façade restaurée ; les places publiques sont transformées en jardin et les vieux mûriers des boulevards, à cause de leur âge justement sont remplacées par des orangers amers si odorants au moment de leur floraison.
        Un bois de peupliers est planté à la suite du marché et les collines avoisinantes du cimetière sont reboisées.
        Pour permettre à ses occupants de se ravitailler en eau sur place, un puits est creusé à I'intérieur du douar du cimetière tandis qu'à proximité de celui du marais, où I'eau est saumâtre, un puits d'eau douce est foré.
        Quand 1962 vient briser cet élan en avant et met fin brutalement aux efforts continus et collectifs de toute une population pendant cent ans, Bouguirat, avec ses maisons individuelles coquettes et fleuries, ses larges boulevards, ses arbres, ses abords bien entretenus, est un des villages les plus coquets de I'Oranie française'

Monument aux Morts, On peut y lire :
BELDAIED Ladjel 6.06.1915
OLIVER Joseph 12.07.1915
ALIARD Eugène 15.07.1915
LABAT Joseph 3.08.1916
STEFFEN Eloi 7.04.1917
ESTEVE Joseph 3.05.1917
DIEUZE François 7.07.19t7
IARROQUE André 2.02.1918
GUILLO François 27.09.1918
BENJAYOU Xavier Sergent 16.10.1918
BENGUIGUI Frédéric

        Nous avons retrouvé l'histoire que nous offrons en hommage à la famille MARTINEZ, parents de Madame ORCEL, et en remerciement.

        MARTINEZ Emile
        Né le 3 septembre 1892, à Bouguirat, Viticulteur. Ses grands-parents, originaires de la France du Sud-Est et de l'Espagne, viennent en Afrique du Nord en 1848. Dès le début de la création du centre, en 1892, ils se fixent à Bouguirat et, lors du passage de Napoléon III à Mostaganem, le grand-père maternel sera décoré des mains de I'Empereur.

        Les aïeuls des deux branches étaient employés en qualité d'ouvriers agricoles, mais ils surent, par leur travail, se rendre peu à peu propriétaires, créait un domaine qui est, de nos jours, un des plus importants du centre.

        M. Jean Martinez, son frère, membre d'une famille de douze enfants, se verra attribuer en fonction du nombre une petite part d'héritage et se spécialisera dans la branche viticole.
        Conseiller municipal du village, il s'éteindra en 1940, laissant à ses six enfants une belle tâche à poursuivre.
        M. Martinez Emile s'engage en 1913, fait toute la guerre 1914-7918, est deux fois blessé, cité trois fois et sera décoré de la Médaille Militaire. Il rejoint Bouguirat en l9l9 et reprend son activité de colon. Il deviendra le Président du Syndicat agricole local, sera membre du Comité administratif de la Cave Coopérative et Président de la Caisse des Ecoles.

        En 1939, il est libéré de toutes obligations militaires, mais demande son maintien en activité et s'engage, le 21 janvier 1943 pour la durée de laguerre.

        Mme Martinez Adeline, née Estève, est la descendante d'une des plus vieilles familles du centre, dont elle a été la Directrice de I'Ecole de filles pendant trente ans. Retraitée après quarante années de service, elle est titulaire des Palmes académiques.

        Sa fille aînée, Mme Tortet Renée lui a succédé et la cadette, Mme Marcelle Orcel, est institutrice à Mostaganem.

        Cette belle famille a toujours su mettre en application la tradition de : Servir.
        M. Martinez Emile, après avoir été longtemps premier Adjoint est Maire de Bouguirat depuis Mai 1953.



La Maison-mère des sœurs
de Notre-Dame d'Afrique  

Bibliothéque Gallica

(Sœurs Blanches du Cardinal Lavigerie)

       Elle est Algérienne de naissance comme la Congrégation dont elle est le cœur.
      Distante d'Alger d'environ 12 kilomètres, elle s'élève sur la route qui va de Kouba à Birkadem, plus proche de ce dernier village et de celui de Birmandreïs que de Kouba auquel elle appartient. Parce que le bureau de poste de Birmandreïs la dessert, on la considère souvent comme faisant partie de Birmandreïs.

      De quelque côté qu'on vienne, on aperçoit d'assez loin le groupe assez important de ses constructions. Elle domine une campagne silencieuse, un peu nue : succession de côteaux de vignes qui montent jusqu'à ce plateau couronné d'un vaste bâtiment quadrangulaire, au toit rouge surmonté d'un clocheton.
      Ceux qui savent vous la désignent : "Saint-Charles".
      En se rapprochant, on distingue, au-dessous d'elle, les constructions moins élevées d'une exploitation rurale, puis un ensemble de maisons qui se présenteront bientôt comme "Orphelinat Saint-Charles ".

      Un chemin montant entre deux haies de jeunes palmiers passe devant cet orphelinat et tourne à droite devant la grande façade qui émerge d'un rideau d'acacias.
      Et c'est "Saint-Charles ". C'est aussi, pour les Sœurs et les enfants des environs immédiats, voire même pour les ouvriers indigènes de l'exploitation : " le Monastère". Pour toutes les Sœurs Blanches, c'est : "la Maison-Mère".

SON PASSÉ

      Saint-Charles doit sa fondation et son nom au Cardinal Lavigerie.

      En 1868, l'année qui suivit son élévation sur le siège archiépiscopal d'Alger, Mgr Lavigerie dont les projets devenaient rapidement des réalisations, acquérait plusieurs domaines en vue de l'éducation et de l'établissement des orphelins, ses enfants adoptifs.
      

      C'est pourquoi, le 11 octobre de cette année 1868, dix Religieuses de Saint-Charles de Nancy, arrivées de France depuis trois jours, se dirigeaient avec un groupe d'orphelins vers l'ancienne ferme El-Garidi, située entre les communes de Birkadem et de Kouba. Mgr Lavigerie donnait à la propriété le nom de son Patron : Saint-Charles.

      Les Religieuses trouvaient une modeste habitation et les dépendances nécessaires à une exploitation. Une grande partie du domaine était encore inculte.
      La charité chrétienne permit d'ajouter aux constructions un bâtiment plus vaste pour les orphelines. La bienfaitrice inconnue qui en fit les frais voulut placer sur l'entrée principale cette inscription toute d'espérance et de foi : "Christo Resurgenti".
      Cette demeure de bien humble apparence devait être le berceau de la Congrégation des Sœurs Missionnaires de N.-D. d'Afrique. Les premières postulantes qui répondirent à l'appel de l'Archevêque d'Alger, y trouvèrent en effet asile le 9 septembre 1869.

      Cet asile fut provisoire. Un Noviciat était en projet et se trouvait bientôt construit, en dehors mais à faible distance de l'Orphelinat. Il devait, durant près de trente années être pour les Sœurs Blanches "la Maison-Mère ", puis, vieilli prématurément, ne répondant plus au développement pris par la Congrégation, il laissa la place à de nouveaux bâtiments. Reconstruction et agrandissements successifs donnèrent, après de longues années, le Saint-Charles d'aujourd'hui, qui est tout ensemble la Maison-Mère et le Noviciat des Sœurs Blanches.

      Après plusieurs émigrations : à la Bouzaréah, de 1880 à 1886; à Lyon, en 1887 ; à Carthage, de 1887 à 1890, le Noviciat revint toujours à son lieu d'origine.
      Saint-Charles, choisi dès le début par le Fondateur, reste bien la patrie des Sœurs Blanches. Et il est tout entier pour elles. Secourable aux pauvres des environs, il a finalement laissé aux Sœurs des maisons voisines le soin d'exercer la charité. Durant plusieurs années, il abrita un ouvroir, d'ailleurs très fréquenté par les fillettes arabes. Il s'en sépara en 1922 et le transporta à Birkadem qui l'a développé. Le dispensaire de Saint-Charles assurait depuis longtemps le soin des malades. La grande maison "ed-dar-elkbira " demeura toute pour les Sœurs.

SON ASPECT

      Il est un peu grave comme ce nom de "Monastère" qui désigne la Maison-Mère. La haute façade grise, toute droite, sans style, s'égaie à peine d'une ligne de faïences bleues. Elle porte un cachet voulu, et d'ailleurs obligé, de pauvreté et de simplicité, tel qu'il convient à des Sœurs Missionnaires. Puis, ses abords sont silencieux. Elle-même, par sa situation au nord-est se trouve souvent dans l'ombre ; le soleil du matin qui l'illumine, lui retire assez vite ses rayons, sans pourtant la rendre triste..
      Au reste, que la porte s'ouvre et ce sera, dans une atmosphère toute paisible et recueillie, la perspective d'une cour ensoleillée, verte et fleurie, qui s'encadre d'abord dans une arcade blanche. Elle apparaît bientôt tout entière, vaste carré que dominent d'assez haut quelques palmiers ; elle a des parterres, des allées, de la verdure et des fleurs qui débordent et s'entremêlent ; l'ensemble est vivant, un peu fouillis.


      Une Vierge noire arrête le regard ; elle se dresse au centre d'un parterre, à l'ombre de deux gros palmiers touffus. Une date sur le piédestal : 1885, rappelle une époque particulièrement critique pour la Congrégation des Sœurs Blanches. La Maison-Mère et le Noviciat étaient alors fixés à la Bouzaréah ; quelques Sœurs seulement résidaient à Saint-Charles, en dehors de celles qui veillaient à l'éducation des orphelines. Le recrutement était difficile ; il répondait assez peu aux vues du Fondateur, qui avait décidé la suppression de l'Institut. Mais les Religieuses d'alors se sentaient Sœurs Blanches pour l'éternité ; leur désir de voir maintenir la Congrégation et leur confiance en Notre-Dame d'Afrique leur suggérèrent un vœu qui se réalisa en 1885, après le retour à Saint-Charles, par l'érection de cette statue. La plus confiante, la plus "Sœur Blanche " était la Révérende Mère Marie-Salomé, déjà Supérieure Générale et qui devait, durant 43 ans, maintenir parmi ses filles l'esprit même du Fondateur. Sa mémoire demeure en vénération.

      Autour de cette cour intérieure se profilent, régulièrement, les arcades. Elle est algérienne cette grande maison. C'est le patio avec ses galeries blanches, ici d'allure monacale et d'autant plus que le silence y règne. Faut-il les appeler cloîtres ? Non, peut-être, puisqu'à certaines heures elles s'animent et perdent toute la gravité qui convient aux cloîtres. Disons donc : galeries, en exceptant toutefois le côté nord qui longe la chapelle et doit à cette situation d'être toujours silencieuse.
      Les portes grandes ouvertes, la chapelle apparaît, simple, blanche, sobre d'ornements, peuplée de bancs pressés.
      Des vitraux éclairent la nef ; de jeunes vierges africaines s'y détachent lumineuses : Maxima et Restitute, Gondanès et Martina, toutes quatre candides de visage et charmantes de modestie, présentent leur palme verte cueillie dans le martyre. Dans le chœur, les grands Apôtres Pierre et Paul encadrent l'autel.
      Dominant toute la chapelle, très haut dans une niche éclairée d'une verrière, une Vierge bleue se drape chastement dans son manteau ; svelte, les mains croisées sur la poitrine, elle semble enfermer un ravissant secret que ses regards abaissés paraissent se réserver. Et l'on pense à " ces choses " dont parle Saint Luc, touchant son Fils bien-aimé et qu'" elle conservait dans son cœur " ; ou bien à l'écho sans fin de son Magnificat... Ici, ne redit-elle pas le bonheur, profond de toute vie pleinement donnée à Dieu ?
      Au-dessous d'elle, l'autel de marbre blanc à rinceaux d'or. Là, chaque jour, le Christ s'immole, unissant à son immolation celle des âmes religieuses vivant ici. Là, demeure, pour la joie de leur vie, le Christ encore qui se donne à elles, pour qu'elles Le donnent aux âmes africaines. Hors de Lui, il n'est pas de Vie pour les âmes.
      Un Tabernacle : centre d'une maison religieuse. Jésus-Hostie, hôte aimé de cette maison ; c'est Lui toujours qui choisit ses Apôtres et se les attache. En retour, elles n'aiment que Lui, ici d'abord, puis dans les âmes ; c'est tout un.
      Aux heures des exercices, elles se groupent près de Lui ; aux heures du travail - son divin service - on les voit passer, rapides, donnant un regard à son Tabernacle en un geste instinctif qui Lui redit : " Nous sommes à Toi ; nous revenons vers Toi."

SON ROLE

      Ce terme de " Maison-Mère " peut s'entendre de diverses façons. Mais il éveille d'abord l'idée d'unité, de centre. Et cela est vrai pour Saint-Charles, lieu d'origine des Sœurs Blanches, où la Congrégation naissante a souffert et lutté, où demeurent attachés les plus anciens et les plus intimes souvenirs de cette famille religieuse.
      C'est vers Saint-Charles que sont venues les 1.200 Sœurs Blanches actuelles - et celles, nombreuses déjà, qui au ciel reforment dans la gloire la Congrégation. C'est aussi de Saint-Charles que toutes sont parties, après s'être imprégnées de l'esprit du Fondateur, vers les Missions d'Afrique du Nord, de l'Afrique occidentale, de l'Afrique équatoriale.

      Saint-Charles est la résidence de celles qui gouvernent la Congrégation, et ont la lourde charge de lui maintenir son esprit propre, de l'aiguiller vers son but.
      C'est de là que partent les directives de la Supérieure Générale et de Son Conseil, en rapport direct avec Rome. Le Secrétariat Général et l'Economat Général y sont fixés, avec les divers services qu'ils nécessitent.
      Saint-Charles commande les 133 Communautés de Sœurs Blanches dont 107 en Afrique poursuivent la tâche apostolique assignée par le Fondateur aux toutes premières Sœurs, tandis que 26 en Europe et en Amérique travaillent au recrutement, à la propagande et à la préparation des futures Missionnaires.

      Pour les Sœurs Blanches, tout vient de Saint-Charles, tout y converge aussi. C'est la maison de famille : abri de passage - maison de récollection, chaque année, pour les Sœurs les plus rapprochées - de repos aussi, puisque, tout près de la Maison-Mère, une vaste construction s'est élevée, spécialement aménagée pour les Sœurs âgées ou malades.
      A l'ombre de Saint-Charles, bien des Sœurs Missionnaires sont revenues mourir ; elles reposent dans le petit cimetière entouré de cyprès qui se détache en sombre sur la terre rougeâtre des vignes. Autour de lui, le sol s'abaisse, laissant en solitude la forêt des croix noires. Mais si l'on se retourne vers la grande maison grise, on aperçoit çà et là, les courts voiles flottants des Novices.
      C'est que Saint-Charles est toujours berceau. Près de la génération qui travaille ici pour le bien commun de la Congrégation, face à celle dont la tâche est achevée pour toujours, monte une autre génération qui se prépare pour la relève. Et peut-être, plus encore que ses aînées, verra-t-elle se réaliser la parole d'espoir gravée sur le premier "Saint-Charles" : "Christo resurgenti ".
S. B.
ALGERIE CATHOLIQUE N° 5, septembre 1936


LA PIN UP ou LE DEMON
DE MIDI ET DEMI

Envoyé par M. Georges Barbara
CONCHETTE : L'épouse
SAUVEUR: Le Conjoint


            C- " T'sur St Augustin ! Adebon t' le fais ? Rogardez moi ça un peu, m'a c'est pas possible te 'ois pas ça que ce trois fois rien y l'est entrain de faire, y me cloue une merde t'sur mon mur d'la salle à manger, que je viens juste de rofaire ma tapisserie ?
            Mais o Sauveur, où cats t'ya encore été ramasser cette chose qu'on dirait un truc Phonographique 'ac une gonzesse quelle est àdebon à poil ! Ca qu'y faut pas 'oir dans ma vieillesse... Te fais les poubelles métenan. Ou alors t'ya été ramassé cette ordure dans un Boui Boui d'la place d'Armes ? O Sauveur à ton age ça va pas ? Te sais je va commencer à me faire du soucis pour toi ?

            S- " Qué poubelles Conchette ? Te dis n'importe quoi toi et cette chose Phonographique comme tu t'lappelles, et ben c'est Mademoiselle Emig tu sais la pharmacienne d'la rue Garibaldi à la Colonne, celle que Muscat y lui a écrasé le chien hier, et ben c'est elle qu'y me l'a donné. Alors figure toi qu'à dix heures j'ai été pour prendre cette pommade qu'y doit t'enlever les rides, entre nous encore des sous foutus en l'air comme d'habitude, et ben Mademoiselle Emig a m'a dit : " Monsieur Lombardo, je vous ai pas encore donné le calendrier de la nouvelle année, et comme il en restait un, j'ai pensé à vous et j'ai dit à Lucette ma préparatrice de vous le mettre de coté. Je lui ai même dit en rigolant bien sur, " cette image je suis sure ,elle va nous le rajeunir de vingt ans " !

            C- " Rajeunir de vingt ans ? Quelle aille se méler de son darrière cette belle en cuisse. Qu'a soixante ans elle, a l'est toujours Mademoiselle ! Et pis qu'y elle est pour te juger le mari des autres ? Hein ? Adebon si elle savait la casserole que je me trimbale à la maison du promier Janvier au trente et un décembre, et ben elle tournerait cent fois sa langue dans sa bouche avant d'parler !

            S- " Conchette ma fi, tu t'est rogardée un peu dans la glace du corridor avant d'parler dessur moi, que je suis comme ci que je suis comme ça ? Et oui comme y dit Binguèche, quand les raisins y sont trop verts on dit qu'y sont pas murs ! La oila la vraie vérité madame Conchette ! C'est ça que te dis pas . Et pis o vieille Gatarelle, ça te vas le dire aux z'otres mais pas à moi !… A moi on m'la fait pas ! Te sais o belle, qu'y y t'a connue et qu'y y te 'ois Diocane!

            C- " Atso ça qu'y faut qu'j'entends moi pour deux mots que j't'ai dit, et ben j'va te dire une chose que j' t'ai jamais dit avant Monsieur qu'y s'la sent plus quand y rogarde les " Pinupes ". Moi quand je vais à la messe le dimanche et que je mets la Capline blanche qu'elle m'a donnée Rosette ma soeur, et ben quand je passe devant le Café de Gestoni t'sur la place où ya Diane le Sècheresse, tous les mecs qu'y sont attablés dehors, éoute-moi bien ça que j'va te dire, Tous les mecs y se rotournent pour me rogarder ! Tu 'ois o Strounze de mes deux, yen a encore qu'y m'apprécient. Et ça je t'l'ai jamais dit, parcequ'ac le caractère de cochon que t'ya, t'yaurais pu être capable d'aller leur chercher des poux dans les cheveux ! Alors si te veux, métenan t'la rogarder toute la journée cette trainée de rue que t'ya accolée t'sur ce mur et ben rogarde la bien parce que la moi main'nan je vais me changer et je vais aller faire un tour, comme ça je vois plus ce cinema que t'yes entrain de faire dans ma maison !

            S- " Va va, te fais mieux, avant que pour une déco que j'ai fixe au mur y nous vient pas un mauvais temps de l'autre monde !

            C- " Et ben pendant que te fais ton cilema moi je vas profiter pour aller un peu discuter a'c ma pauvre mère, michkine que ça fait trois semaines que tu l'as plus invitée à manger ! Te crois que je 'ois pas que tu lui fais la tête non ? Et de toi à moi, ta pharmacienne et son calendrier que ça devrait être interdit, vous m'avez gonflée et vous pouvez vous le mettre où je pense si ça vous plait !

            S- " O Conchette avant qu'tu pars, un conseil…. Quand te vas sortir surtout ne romets pas cette Capeline qu'y date de Mathieu Salem… Parceque tes voyeurs du Café de Gestoni …

            Y Z'AIMENT PAS LE RECHAUFFE !

Georges Barbara, Août 2022



Le Circuit Automobile
BONJOUR N°33, 21 mai 1933 journal satyrique bônois.

A bord de la 61


               Attention, vous n'avez plus que 30 secondes, plus que 15.
               Attention 5 secondes. 4, 3, 2, UNE ! Partez !
               Brusquement, la voix du chronométreur a disparu derrière nous et vroum ! vroum ! vroum ! le temps d'apercevoir les képis galonnés de MM. Périn et Maraval, tous les visages de la foule qui se penchent… nous sommes en route.
               Installons-nous. La magnifique voiture de M. Henry Sultana a, pour pilote, Georges Borg et comme passagers MM. Rocroi, Rafaélli et votre serviteur.
               Tout est-il en ordre ? Oui ! Les chronomètres ont été réglés avant le départ. Parfait ! Ah ! Où sont les thermogènes avec le café ? Bien.
               Mais, pardon ! celui-ci est avec du rhum, on le met de mon côté. Très bien.

               A11 H 46, un mulet traverse la route, au petit trot, au ras du capot. Georges Borg, adroit et qui le guettait, l'évite en souplesse. A11 H 52, un troupeau, deux troupeaux. Longs avertissements.
               Les bergers se plantent sur les talus et nous regardent, intéressés. Passage en zigzags parmi vaches et bœufs, impavides autant que les bergers. Nous ne parlerons plus des troupeaux, ils sont trop et trop toujours les mêmes.
               Le moteur ronronne. Première pipe. Ca gaze ? Très bien. Non. Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Georges Borg se penche, sourcils froncés.
               Coupure, dit-il.
               Aïe ! La voiture a marqué un léger temps de vitesse retardée. Cinq cents mètres plus loin, autre coupure. Imprécations. L'essence n'arrive plus. Quoi ? Un bouchon dans la tuyauterie ? Le pilote pousse, le bouchon passera. Il ne passe pas. Le moteur tousse, crache, s'amenuise, s'éteint, la voiture ralentit, s'arrête, point mort..
               Tous les saints du paradis ont dû se boucher les oreilles. On saute sur la route. Enfin, voyons, c'est impossible, voiture admirablement au point, tous organes vérifiés. Quoi ? Bône Deus ! quoi donc ? Capot relevé.
               L'heure ? demande brièvement Georges Borg. Et, d'une voix aussi éteinte que le moteur, j'annonce : 11 H 58.
               La panne : La panne stupide, idiote, noire, à 21 minutes du départ. Auscultations empressées, hâtives mais minutieuses.
               Demi-tour sur Bône ! dit une voix mourante.
               Et, aie donc. Voici les adversaires qui passent. Le Président Chaulet qui lève les bras au ciel, le glorieux Basinet qui fera une course splendide et qui mourra au seuil de la victoire comme le soldat de Marathon : l'impeccable Cossé avec le Bayard des chronométreurs, le sien. D'autres, tous, quoi. Impassible, sur le chronomètre, la trotteuse trotte.
               Un cri : "Çà y est " quoi ?
               Dans une tuyauterie déboulonnée, des filaments s'étirent. Des pinces précautionneuses les arrachent et, telle la radieuse Jouvence, l'essence jaillit. Le caravanier, dans le désert, qui a trouvé le puits sauveur, est moins content que nous.
               - En voiture, bon sang ? Quelle heure?
               J'annonce : "12H 8 et davantage." Exactement 10 minutes et ; 4 secondes de panne. Ah messeigneurs, la belle voiture.
               L'aiguille, sur le compteur, oscille, 90, 100,110, et la suite. On remonte tous les adversaires.
               J'annonce, au fur et à mesure, les minutes reconquises et puis.
               Doucement, mon petit gars tout est rattrapé.
               Longs soupirs, les nerfs se détendent. Un bon coup de café à la ronde. J'ai le thermogène qui a du rhum. Fameux.

               Ce sera le seul incident de la route. Oui, enfin, le seul incident de la mécanique car, nous avons eu notre malheur, mais n'anticipons pas.
               Nous devions entrer dans Philippeville à 13h.3. Arrivée chronométrée à 13h. 3 minutes et 11 secondes. Parfait. Aucune pénalisation avec le battement accordé de 30 secondes.
               Route terrible de Philippeville à Constantine. La partie la plus dure du parcours. Tournants en épingles, ravins qui vous attendent, descentes en dégoulinade, côtes et recôtes, virages, et revirages. Pilote magnifique aux réflexes superbes, reprises foudroyantes du moteur. Cramponnez-vous, quelle valse. Et tout cela sur la moyenne de 60, une paille ! Pan ! un grand coup sur le crâne. Route ravinée et Cassis sournois.
               Tant pis. Enfin, une route ombragée, toute feuillue, nous accueille. Le havre de fraîcheur. Quelle heure ? Bravo, tout notre temps pour arriver à Constantine. Quelle traîtrise ! Apprêtez vos larmes. Des gens sur la route, nous disent :"Ne
               Vous fiez pas aux bornes, leurs indications sont fausses ? Le fait est exact après vérification. Que les Ponts et chaussées soient voués aux dieux infernaux.
               Au pont d'Aumale, on devait nous chronométrer pour le temps imposé dans la côte fameuse qui grimpe du pont jusqu'à Constantine. On roule, allure moyenne.
               Hé, mon brave homme, à quelle distance, le pont d'Aumale ?
               - Oh ! Deux kilomètres, mon bon Monsieur.
               Satan s'était déguisé en villageois et nous avait dupé. Détours sur une route ombragée davantage et de visibilité nulle. Tout d'un coup, une exclamation échappe au pilote, intraduisible même en latin, et les freins hurlent, decolère sans doute. Au bout d'un court virage, un homme s'avance, au sourire de sirène, c'est M. Soubies et, derrière lui, le pont d'Aumale. Enfer et damnation ! Quelle aventure ?

               Avancez, avancez, nous dit ce contrôleur d'une voix insinuante.
               Mais, ajoute-t-il, un peu narquois, n'auriez-vous pas deux minutes d'avance ?
               Ah ! Bonsoir de sort. Nos yeux pleins d'une haine farouche, cherchent aux environs, un silo profond dans lequel nous pourrions engloutir le très sympathique Soubies.
               Ce serait dommage de le faucher ainsi dans la fleur de l'âge, mais il y a des moments où le crime est excusable. Des gens s'approchent, les autres contrôleurs, ils sont trop.
               Le reste de la route sera sans histoire. Nous devions monter la côte en 5 minutes, nous la grimpons en 4 minutes 45 secondes. Tout en haut, on nous confirme nos deux minutes de pénalisation. Eh, pardieu, nous les avions bien. Enfin, soyons sportifs et continuons comme si, de toute évidence, nous devions être les premiers.
               Nous traversons Guelma et nous arrivons à Bone à 17h 37 et 49 secondes, nous devions être là à 17h38.
               Sans discussion possible, hormis les deux minutes de surprise au pont d'Aumale, la 61comptait avec les trois premiers ex aequo, sans aucune pénalisation. Ce sera pour la prochaine fois.
               On a tout dit l'organisation de ce Circuit. Elle fut parfaite dans la plénitude totale du mot. Les grands artisans de ce succès furent MM. Chaulet, Bories, Cottenseau et Scharbock. Ajoutons-y tous les gendarmes de la route et leurs officiers qui furent, tous à leurs postes, obligeants, attentifs et vigilants. Aucun accident. Succès total et mérité. Tous nos compliments les plus vifs aux organisateurs et l'on sait que, d'une façon générale, nous n'abusons pas de ces mots.
               Une mention spéciale doit être faite en l'honneur de M. Basinet, lequel, avec une voiture de plus faible puissance, a tenu tête à notre voiture et à celle du président Chaulet qui l'encadraient. M. Basinet, à 400mètres du contrôle d'arrivée, a eu la panne stupide qui ruine en un instant les plus beaux efforts.
               Nous lui adressons, ici, tous nos compliments.

               N.B. Les sympathiques organisateurs nous permettront une observation, il est possible que pour le prochain Concours, ils la prennent en considération. Dans les courses hippiques, on donne le nom du propriétaire et on n'oublie jamais le nom du jockey. Que dans les concours d'automobiles, on publie les noms des propriétaires, des voitures, c'est fort bien, mais pourquoi ne donnerait-on pas les noms des pilotes lorsque les propriétaires ne conduisent pas eux-mêmes ? Il nous semble que la science du pilote, sa technique, sa bravoure, son à propos, sont bien pour quelque chose dans les résultats obtenus.

P. M.
 


Le Petit Vin Blanc
M. JP Bouchet 2019
(Pastiche Bônois)

           

Sur l 'air du Petit vin blanc. Paroles de JP Bouchet
Accompagnement d'Emile Kugler et d'André Verchuren

           Il y a bien longtemps
            Nos vaillants ancêtres
            Ont usé leurs guêtres
            Pour mettre en valeur
            Grâce à leur sueur
            Notre terre pour longtemps

            Mais pour notre malheur
            L Histoire et son glaive
            A brisé ce rêve
            A brisé nos cœurs.
            Mais passé l'orage
            Malgré notre rage
            Il faut se souvenir
            Ah ces souvenirs !

            Refrain
            Ah ! tous ces souvenirs
            On n'en fait pas - le deuil
            On a la larme à l'œil
            Et souvent on soupire
            Et puis de temps en temps
            Un air de vieille romance
            Semble donner la cadence
            Pour parler, pour parler
            Avec l'un avec l'autre
            De chez nous - de chez nous-
            de nous Ôtres.

            C'était au printemps
            Notre belle insouciance
            A un goût de rance
            Fallut fuir à temps
            fallut tout quitter
            Partir et tout laisser

            Ici y a l' soleil
            Mais c'est pas pareil
            Pourtant faut s'y faire
            Même si c'est galère
            Bravons la tempête
            Chantons à tue tête
            Goûtons ces plaisirs
            Oui - nos - souvenirs

            Refrain
            Ah tous ces souvenirs
            On n'en fait pas le deuil
            On a la larme à l'œil
            Et souvent on soupire
            Et puis de temps en temps
            Un air de vieille romance
            Semble donner la cadence
            Pour parler, pour parler
            Avec l'un avec l'autre
            De chez nous - de chez nous-
            De nous Ôtres

            Mais Voici l'Automne,
            Saison monotone
            Et pas mal de soucis
            Allez mes Amis
            Garder haut notre espoir
            Ne jamais renoncer
            Car c'est notre devoir

            Et ne pas avoir honte
            Et prendre notre compte
            Faut pas pleurnicher,
            Faut pas abandonner
            Se forcer à rire avec nos souvenirs

            Refrain
            Ah tous ces souvenirs
            On n'en fait pas le deuil
            On a la larme à l'œil
            Et souvent on soupire
            Et puis de temps en temps
            Un air de vieille romance
            Semble donner la cadence
            Pour parler, pour parler
            Avec l'un avec l'autre
            De chez nous - de chez nous-
            De nous Ôtres

            Car on a l'amitié, le plaisir de chanter
            Ca nous aide à fuir le mauvais temps
            Quelques pleurs, des fous rire,
            Des bonnes bouffes, du bon temps

            Ah nos beaux
            Ah nos beaux
            Souvenirs
           
JP Bouchet


LE PIEGE TENDU AUX BARRICADES
DU 24 JANVIER 1960

ACEP-ENSEMBLE N° 299- 2016



                  
         Bien entendu, le 24 janvier 1960, aucun de nous n'imaginait le piège diabolique qui allait se refermer sur les Algérois et pourtant, nous aurions déjà dû nous méfier. Le vendredi 22, je fus convoqué au Gouvernement Général et je me trouvais en face de Delouvrier et du Général Challe qui me demanda ce qui allait advenir de la manifestation du surlendemain. Il me fut aisé de répondre, car c'était mon sentiment, que si rien ne venait troubler la manifestation, il ne se passerait rien.
         Aussitôt le Général Challe me rétorqua : " Je ne suis pas un Provocateur. "
         Les gendarmes ont reçu ordre de rester dans leurs casernements sauf si des manifestants voulaient s'emparer du Gouvernement Général. "
         Un autre élément, plus sérieux, aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Dans la matinée du dimanche 24 janvier, on m'apporta un exemplaire d'un journal peu connu à Alger, Juvénal.
         Un éditorial exhortait les Algérois au calme et leur affirmait qu'ils couraient, tête baissée, dans un piège. L'article n'était pas signé, il ne donnait aucune précision pour étayer son avertissement. Je négligeai donc cette information. Ce ne sera que beaucoup plus tard que j'apprendrai que le " tuyau " provenait d'une fuite dans l'entourage élyséen.

         Un ami vint me dire que, la veille, des " C.R.S. frais " avaient débarqué à Maison-Blanche et une autre source vint confirmer et préciser que ces C.R.S. avaient été dirigés sur Maison-Carré où ils avaient perçu des munitions, y compris pour les fusils mitrailleurs.
         Mais le 24 janvier, le temps était magnifique, le soleil brillait et la foule s'entassait sur le plateau des Glières, applaudissant les orateurs qui, du haut du balcon de la Fédération des Unités Territoriales, déversaient des propos qui, certes, n'étaient pas destinés à plaire au chef de l'État.
         Appelé par le Général Challe, Ortiz se vit offrir de partager avec lui son sandwich et entendit les mêmes propos qui m'avaient été tenus l'avant-veille.

         A I'heure de l'anisette, la foule se clairsema et le sacro-saint repas dominical acheva de retirer une partie des spectateurs. L'attrait des plages en persuada beaucoup de choisir une autre distraction pour l'après-midi.
         A 17 heures, Debrosse, de plus en plus nerveux, craint que le complot si minutieusement monté, ne vienne à lui échapper. Alors il fait regrouper les gendarmes sur l'esplanade du Gouvernement Général et, par un tirage au sort des plus douteux, décide que les gendarmes d'Alger chargeront en tête. Il lui reste à envoyer à la 10ème D.P un ordre de mouvement précisant l'horaire et les itinéraires d'intervention.

         Tout est prêt pour sa manœuvre, y compris deux fusils mitrailleurs servis par des C.R.S. et installés sur les murettes bordant l'esplanade du Gouvernement Général. Nous en reparlerons. Il reste à Debrosse de convoquer le Commissaire Trouja et de lui ordonner de faire les sommations réglementaires précédant l'ouverture du feu par les forces de l'ordre.
         Trouja est abasourdi. Il sait que la manifestation est en train de se disloquer et qu'il est inopportun de faire des sommations inutiles. Bien sûr, Trouja ne sait pas quelle participation on veut lui faire jouer mais, entrevoyant un mauvais coup, il s'éclipse.
         Debrosse ne s'arrête pas à ces vétilles et, à 18 heures, il donne aux gendarmes l'ordre de débouler sur le plateau des Glières par les escaliers du Gouvernement Général qui encadrent le Monument aux morts.

         Moment de stupeur chez les manifestants. Silence. Puis un coup de feu tiré d'on ne sait où par on ne sait qui et, instantanément, un feu intense se déclenche auquel répond le feu des manifestants, c'est-à-dire des Unités Territoriales (U.T) puisque ces deux mots sont à ce moment synonymes. Les fusils-mitrailleurs des C.R.S. tirent dans le dos des gendarmes et les ventres des manifestants. Les gendarmes refluent en désordre ne comprenant pas ce qui arrive et les paras n'arrivent pas...
         De lui-même, le feu s'arrête. Sur la place, un grand silence. Même les oiseaux se sont tus et, sur les corps allongés passe un nuage bleuté qui s'accroche aux arbres... C'est alors que les paras arrivèrent sans avoir à reprendre à leur compte un combat qui a cessé puisqu'il n'y a plus ni gendarmes, ni manifestants.
         Que s'est-il passé ?

         Je ne tarderai pas à le savoir par le commandant Lafargue faisant fonction de chef d'état-major auprès du général Gracieux, commandant la 10ème D.P. le chef d'état-major en titre est le colonel Meyer. II est resté à la base opérationnelle s'employant à résoudre les menus problèmes laissés par Ies unités dans leur route rapide vers Alger. " C'est donc à moi - me dit Lafargue - qu'on a remis le papier de Debrosse. Il ne me paraissait pas avoir d'urgence et on me rapportait que la manifestation s'étiolait. Par contre, j'avais sur place de nombreuses questions à régler, alors j'ai mis le papier de Debrosse dans ma poche et je n'y ai plus pensé. Quand j'ai eu un instant de répit, j'ai lu l'ordre qui nous était donné mais il était trop tard et ni Dufour, ni Broizat ne pourraient être à 18 heures sur le plateau des Glières. "
         Naturellement, cette affaire provoqua de violentes explications entre Debrosse et Lafargue, soit devant le général Crépin qui a remplacé Massu au Corps d'Armée d'Alger, soit même devant le Tribunal militaire au procès des Barricades. Ce fut même la violence des propos de Debrosse qui nous donna l'idée du complot, le vrai, celui dirigé contre les Algérois. En effet, sans lui, on n'aurait eu qu'à se féliciter de ce retard qui a pu sauver des vies.

         Il serait temps maintenant d'en venir à la question des fusils mitrailleurs des C.R.S. Ce ne sera qu'au cours du vaste procès dit " des Barricades " que nous apprendrons l'existence indiscutable de ces deux armes et leur utilisation pendant la fusillade. C'est vers la moitié de ce si long procès que fut appelé à la barre le capitaine La Bourdonnais qui, après quelques propos sans importance, ajouta : -" Au début de la fusillade, je suis sorti du Gouvernement Général sur le Forum et j'ai vu deux fusils mitrailleurs tirer en direction de la Grande Poste." L'instant fut dramatique. Nos juges, militaires pour les deux tiers d'entre-deux, bondirent de leurs sièges réclamant au témoin d'autres détails. Le bâtonnier Charpentier déclara solennellement : " C'est maintenant que le vrai Procès de l'Algérie Française va s'ouvrir." La Bourdonnais continua : " C'est même moi qui ai fait cesser le feu à l'un d'eux en mettant réglementairement ma main sur la ligne de mire. L'autre fusil-mitrailleur, c'est le colonel Godard qui s'en est occupé. "
         De fait, nous nous sommes aperçus qu'aucun d'entre nous n'était poursuivi pour fusillade, sauf Ortiz, mais il était absent et seulement jugé par contumace.
         Il fallut toute la dialectique habile de I'avocat général Mongin pour convaincre le Président du Tribunal que cette question ne devait pas paraître aux débats puisque aucun des inculpés présents n'étaient en cause. Le commandant Debrosse put cesser d'éponger ses mains moites.


         Le colonel Godard revint confirmer les dires de son adjoint et d'autres témoins parlèrent aussi de ces tirs de mitrailleuse.
         La question n'était plus à I'ordre du jour mais, comme pour la plupart de mes co-inculpés, la cause était entendue et ce d'autant plus que le colonel Godard mais aussi le général Jacquin avaient eu, tous deux, l'idée de recueillir aux pas de tir les étuis des balles tirées, ils provenaient tous des lots de munitions délivrés la veille au C.R.S.
         Pour être complet, je dois ajouter que le 24 janvier dans la soirée, je fus convoqué ainsi que mon adjoint le commandant Grisoni, par le Général Challe, il était dans son bureau et une crise de goutte, qui I'obligeait à rester en pantoufles, ne contribuait pas à calmer sa fureur.

         Dès mon arrivée, il éructa : " On m'a fait un enfant dans le dos ! j'ai relevé le colonel Fonde de son commandement et je l'ai expédié en Métropole. Jusqu'à nouvel ordre, c'est le colonel Meyer qui assurera l'intérim ".
         Ainsi, le Général Challe savait d'où venait ce mauvais coup. Ayant repris son calme, il ajouta : " - Mais que veulent donc les Algérois ? "
         " - Mon Général, ils veulent rester Français. Que le général De Gaulle I'affirme solennellement et tout rentrera dans l'ordre. "
         " - Mais je vous affirme que le général De Gaulle ne veut pas autre chose. Si je ne le croyais pas, je n'aurais qu'à poser ma caquette sur la table et il n'y aurait plus de général De Gaulle. "
         Je ne doutais pas un instant de la sincérité du général Challe. Il était de bonne foi mais un jour il comprendrait et poserait sa casquette. Ce jour-là, l'Algérie Française sera déjà à l'agonie.
         Il me reste à vous dire, pour conclure cet exposé, comment elle mourut.

         Le complot des Barricades déjoué - au prix de 14 morts el 123 blessés chez les gendarmes et 6 morts et 24 blessés chez les manifestants - il n'en demeurait pas moins que les circonstances qui l'avait fait naître persistaient, même après la dissolution des Unités Territoriales. Plus que jamais, le " général De Gaulle " avait besoin de briser la symbiose Armée-population pour que devienne possible un mauvais coup. Ce sera la fusillade de la rue d'Isly, Ce jour-là, des éléments de tirailleurs ouvriront le feu sur une foule pacifique, non armée, et ce sera un carnage.
         Alors, ce jour-là, les Algérois baisseront les bras. Ce jour-là sera tuée I'Algérie Française et elle sera tuée par des balles françaises !
         Amis Pieds Noirs, ne I'oubliez jamais !
Colonel Michel Sapin Lignieres -
Commandant en chef UT d'Alger

    


Alger, Avril 1961
PAR MANUEL GOMEZ
Envoi de Mme Bouhier.
Retour sur le « Putsch » des généraux           

               Il faut que les Français, surtout les plus jeunes, ceux qui n’ont pas vécu cette époque, soient éclairés sur les événements qui se sont déroulés avant, pendant et après cette nuit du 20 au 21 avril 1961, date du « putsch » des généraux, aussi bien à Alger qu’à Paris car ce n’est pas auprès des historiens « officiels » qu’ils approcheront la vérité.

                Le 8 janvier 1961 se déroule le référendum sur l’autodétermination, offerte à l’Algérie par De Gaulle.
                75,25 % des suffrages exprimés en métropole l’approuvent.

                Lors de sa conférence de presse du 11 avril 1961, le chef de l’État justifie la décolonisation de l’Algérie « Parce qu’elle coûte très chère à la France, déjà bien endettée. »

                Dans sa très grande majorité les officiers supérieurs de l’armée française sont hostiles à cette politique d’abandon.

                Les colonels Argoud, Gardes, Godard et Lacheroy demandent au général Challe de s’y opposer par la force, si nécessaire. Le général Challe hésite. Il n’est pas convaincu de l’opportunité de cette « rébellion patriotique », mais fini par accepter d’y participer, (mais surtout encouragé par le colonel de Boissieu, cousin du gendre de De Gaulle, qui aussitôt en réfère au chef de l’État).

                Dans la nuit du 20 au 21 avril, les paras du 1er REP, sous les ordres du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, s’emparent des points stratégiques à Alger, notamment le Gouvernement Général, l’Hôtel de Ville, Radio-Alger et l’aéroport de Maison Blanche et neutralisent les plus hauts responsables civils et militaires sans la moindre effusion de sang.

                Le 21 avril à 19 h. le général Challe s’exprime sur Radio-Alger : « Je suis à Alger, avec les généraux Zeller et Jouhaux et en liaison avec le général Salan, pour tenir notre serment, le serment de l’armée française de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je donnerai n’auront jamais d’autres buts. »

                18 régiments se mettent immédiatement aux ordres de ces quatre généraux : 1er REP – 1er REC – 5e REI – 2e REP – 14e et 18e RCP – 2e et 5e RCI – 13e DBLE – 1er Cuirassiers – 6e RCA – 9e RCP – 13e DBLE – 13e Dragons – 2e et 6e RPIMA – Groupement de commandos parachutistes – Commando de l’Air. 6 régiments rallieront le mouvement dès le lendemain : 27e Dragons – 7e RTA – 1er RIM – 8e RPIMA – 94e RI – 1er RCP.

                Également la Harka du Commandant Guizien, composée de supplétifs musulmans et basée à Edgar-Quinet. (Dès le lendemain du cessez-le-feu, le 20 mars 1962, plus de 1000 supplétifs musulmans, ainsi que leurs femmes et enfants, seront massacrés dans des conditions effroyables par l’ALN, parce qu’ils avaient choisi de rester « avec la France ».)

                Mais ce que les généraux et les officiers ignorent c’est qu’ils sont surveillés et mis sur écoute depuis plusieurs mois par les services du renseignement militaire, le SDECE de Constantin Melnik et la Préfecture de police de Maurice Papon.

                Ce dont ils ne se sont pas méfiés, par manque d’expérience « putschiste », c’est que depuis plus d’un an des transistors sont fournis, pratiquement gratuitement, aux appelés du contingent afin qu’ils reçoivent en priorité RMC (Radio Monte-Carlo) aux ordres du gouvernement gaulliste.

                Tenu donc informé par le Premier ministre, Michel Debré, l’homme de tous les complots, De Gaulle sait qu’il se prépare un complot en Algérie et cela ne l’inquiète pas, bien au contraire. Il suit les événements heure par heure et a déjà envisagé comment en tirer parti, afin de cimenter un pouvoir qu’il ne possède pas encore totalement, à cause de l’opposition systématique de toute la gauche.

                En décembre 1960, il a réclamé les « pleins pouvoirs » qui lui ont été refusés par le Président du Conseil Constitutionnel, Léon Noël, puisque les institutions en France n’étaient pas menacées par les événements d’Algérie.

                Dans la semaine qui précède le 20 avril 1961, la veille du putsch, De Gaulle a en sa possession une liste presque complète des officiers engagés dans cette « mutinerie », aussi bien en Algérie qu’en métropole et nous en aurons très bientôt la preuve.

                Quand il se « fait réveiller » au cours de la nuit, ce n’est pas une surprise, en ce qui le concerne. Dès 6 h du matin, il fait appréhender en métropole, à Paris, le général Faure et 6 officiers.

                Il a toutes les cartes en mains pour chasser de l’armée les officiers qui, dans leur grande majorité, sont hostiles à sa politique d’abandon de l’Algérie.

                Dès lors, c’est à lui de jouer, de déployer sa stratégie, afin d’obtenir les «pleins pouvoirs» de l’article 16, qui lui permettront de réformer la Constitution, notamment sur l’élection du Président de la République au suffrage universel : le but qu’il veut atteindre.

                Lorsqu’il prend la parole, le 23 avril, au journal télévisé de 20 h, revêtu de son uniforme de général, De Gaulle sait déjà que le « complot » a échoué, mais « il faut que la France métropolitaine ait peur ! »
                De Gaulle défère à la justice militaire tous les chefs de cette mutinerie.

                Il n’a jamais été question une seule seconde, à Alger, d’une action militaire des putschistes sur Paris, ou en un autre lieu de la métropole, mais il est indispensable de le faire croire aux Français. La leçon des « barricades » en 1960, a bien été retenue.

                De Gaulle s’adresse aux Français avec son sens inné de la dramatisation et son talent de comédien. C’est un grand numéro d’acteur.

                Maître dans l’art de la rhétorique, il affiche son mépris pour un «Pronuncamiento militaire» organisé par un quarteron de généraux en retraite et un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques. L’État est bafoué, la nation bravée, et par qui ? Par des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être, de servir et d’obéir. Françaises, Français, aidez-moi ! Devant le malheur qui plane sur la patrie et devant la menace qui pèse sur la République, j’ai décidé de mettre en œuvre l’article 16 de notre constitution. »

                Dès qu’il lâche le micro, à 0 h 45, c’est le premier ministre, Michel Debré qui s’en empare. Il complète le scénario catastrophe : « De nombreux renseignements, précis et concordants, nous informent d’une très prochaine action militaire en métropole ». Il dramatise la situation en faisant croire que l’on s’attend à des parachutages, ou des atterrissages, de troupes factieuses pour tenter de s’emparer du pouvoir. “Il supplie tous les « patriotes » français, de quelque bord qu’ils soient, de se rendre « à pied ou en voiture » vers les aéroports, sur la place de la Concorde, dès que les sirènes retentiront, afin de s’opposer aux paras, aux «putchistes», qui menacent de sauter sur Paris ».

                Les radios et la télévision émettent sans interruption durant 3 jours, diffusant alarmes et fausses nouvelles.

                Les partis de gauche, les communistes, les socialistes, les syndicats, la Ligue des droits de l’homme, se mobilisent et appellent à descendre dans les rues. Des dizaines de milliers de personnes, environ un million en métropole, sont volontaires pour soutenir De Gaulle et sauver la Patrie en danger.

                Une douzaine de vieux chars « Sherman » se positionnent autour de l’Assemblée nationale, non armés, uniquement pour de la figuration.
                La capitale est pratiquement en état de siège. C’est la guerre !

                C’est surtout une « intox » distillée avec un machiavélisme hors du commun par un maître en la matière.

                Ce que la France ignorait, ce que toute la gauche ignorait, c’est qu’ils avaient été magistralement manipulés dans l’unique objectif de faire obtenir à De Gaulle les pleins pouvoirs que lui accordait l’article 16, promulgué dans la foulée le 25 avril par l’Assemblée nationale.

                De Gaulle sait pourquoi le putsch a échoué. Le colonel de Boissieu l’a tenu informé directement que le général Challe, refusant d’armer les civils, a quitté « le quarteron de généraux factieux » et qu’à l’exception d’environ deux mille paras, l’armée – les « appelés » surtout – ne s’impliquait pas. (Dans un précédent article j’ai démontré que si les IUT (250 000 hommes armés) n’avaient pas été dissoutes, lors des « barricades », en 1960, ce « putsch » aurait très certainement imposé ses droits.)

                De Gaulle purge aussitôt l’armée :
                *220 officiers sont relevés de leur commandement.
                *114 traduits en justice.
                *3 régiments ayant pris part active au « putsch » sont dissous, (le 1er REP, les 14 et 18e RCP) ainsi que le groupement des commandos de l’air.
                *Plus de 1 000 officiers démissionnent par hostilité à la politique du chef de l’État.

                Les généraux Challe et Zeller sont condamnés à 15 ans de réclusion (ils seront amnistiés et réintégrés).

                Les généraux Salan et Jouhaux disparaissent. Arrêtés plus tard ils seront condamnés : Salan à perpétuité et Jouhaux, sans doute parce qu’il était « Pieds Noirs », à la peine de mort (commuée par la suite).

                Les généraux Salan, Jouhaux, Bigot, Faure, Gouraud, Mentré, Nicot et Petit, ainsi que les officiers, seront réintégrés dans l’armée par la loi d’amnistie de novembre 1982, sous la présidence de François Mitterrand.

                Le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, dont une rue de Béziers porte dorénavant le nom, a écrit dans « L’Aventure et l’espérance » : « L’honneur est-il dans l’obéissance absolue au pouvoir légal, ou dans le refus d’abandonner des populations qui allaient être massacrées à cause de nous ? J’ai choisi selon ma conscience. J’ai accepté de tout perdre, et j’ai tout perdu. Je connais des réussites qui me font vomir. J’ai échoué, mais l’homme au fond de moi a été vivifié. »

                En 1970, lorsque paraîtront ses « Mémoires d’espoir » De Gaulle ne dissimule pas qu’il était certain que les mobiles de ce « quarteron » n’étaient pas la prise du pouvoir en métropole. Mettant en parallèle son action en juin 1940 et celles du « quarteron » en 1962, il constatera : « La rébellion devient héroïque quand elle réussit et trahison quand elle échoue ! ».

                Le général de Pouilly, un fidèle parmi les fidèles à De Gaulle, n’hésitera pas à écrire : « J’ai choisi la discipline mais choisissant la discipline, j’ai également choisi avec mes concitoyens et la Nation Française la honte d’un abandon et, pour ceux qui n’ayant pas supporté cette honte et se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira peut-être que leur crime est moins grand que le nôtre. »



Je chibanise...
Par M. Marc Donato


          Ah ! Celui-là ; vous ne le connaissez pas. Et pour cause, je viens de l'inventer. C'est ce qu'on appelle un néologisme. A partir d'un syncrétisme linguistique qui s'est imposé à moi, j'ai forgé un verbe du 1er groupe de conjugaison (désinence verbale en ER, comme on dit dans les mots croisés), groupe le plus important de notre langue nationale battue en brèche. II suffisait ensuite d'emprunter un mot d'une autre langue en passe de la supplanter pour arriver à chibaniser. Les chibanis, vous savez ? Tous ces vieux Maghrébins arrivés au terme d'une vie de travail qui passent leurs longues journées de retraite au soleil. Chibani, vieux, avec tout je respect qui leur est dû. D'où mon néologisme chibaniser. Réalisme et surtout pas pessimisme de quelqu'un qui voit s'aligner les dizaines d'années dans le rétroviseur. Je chibanise... tu chibanises... il chibanise... nous chibanisons... Vous chibaniserez à votre tour, c'est du moins ce que je vous souhaite. Combien d'entre nous n'ont pas pu chibaniser !

          Peut-être qu'un jour ma création linguistique fera son entrée dans le Petit Robert pour y retrouver blob, cet organisme unicellulaire pouvant atteindre une taille démesurée, mémoriser et traiter certaines informations, côtoyer bao, la petite brioche asiatique, se frotter à longe-côte, la marche en mer et croiser au passage beaucoup d'autres comme wokisme, grossophobie et même pinzutu, bien connu des Corses qui désigne le Français venu du continent pour passer ses vacances sur l'île de beauté...
          Chibani, vieux, retraités, has been, quatrième âge, séniors, voilà qui est du même acabit; on peut multiplier les synonymes, les paraphrases, les euphémismes, ils totalisent tous beaucoup de kilomètres au compteur et le monde du commerce l'a bien vite compris en s'emparant goulûment de cette partie de la société qui voit les côtes se rapprocher dans la brume de mer, selon un langage de marin, et le port apparaître au bout de sa lorgnette.

          Poussées par un instinct philanthropique dont je ne peux douter un seul instant, les sociétés bien pensantes gravitant autour de la vieillesse se penchent aujourd'hui sur les déambulateurs comme on se penchait sur le berceau il y a quatre-vingts ans et plus. Fais risette... Grise mine, oui !
          C'est sans doute pour cela que dernièrement, un numéro spécial consacré aux personnes âgées avait été glissé intentionnellement dans le magazine télé que j'achète toutes les semaines. Et oui, je vous le confesse, je ne suis pas abonné à Pif Gadget, n'en déplaise à notre grand chef national, ni à Têtu puisque je n'ai pas à faire de coming-out, ni à Lui, moi qui n'ai pas la plastique pour faire la couverture du dernier numéro (1), même si, dois-je l'avouer, foin d'hypocrisie !, quelques-unes des pin-up de ce journal alors en pleine santé ont décoré les murs de nos chambres d'étudiants. II faut dire qu'à l'époque je ne chibanisais pas.

          Ce numéro spécial Séniors présentait toute la panoplie des possibilités offertes aux chibanis. La gamme se déclinait de la cure thermale aux obsèques en passant par le viager, les maisons de retraite, les résidences pour retraités, les résidences-services que d'aucuns ont appelé irrévérencieusement résidences sévices; les gens ont l'esprit mal tourné, vous savez !... Tout cela ponctué par des titres euphoriques ! " Profitez de la vie ! ", " L'amour n'a pas d'âge "...
          Cependant le fin du fin nous était offert par une mise en page qu'un rédacteur distrait a laissé passer mais qui ne manquait pas de piquant. Sous le titre " Séniors ", le sous-titre, " Le magazine de toutes vos envies ". Avide de savoir, j'ouvre le magazine et je tombe sur la page suivante affichant en grosses lettres une publicité pour la maison des obsèques. TGV direct, sans arrêt, gare de départ " profitez de la vie " gare d'arrivée " obsèques ". Ils sont finauds quand même !
          Et bien je vais vous faire un aveu : après tout ce que je vous ai raconté, je préfère encore chibaniser encore un peu et je n'ai pas envie d'autre chose pour le moment. 1)Voir les interventions de nos politiques dans ces revues.
Avril 2023 - Marc DONATO


La rixe du lundi soir
Envoyé par M. Christian Graille

                 Lundi, à 6 heures du soir, la rue de Mascara et la place des Quinconces étaient mises en émoi par des groupes parlementant gesticulant et escortant des individus conduits par des agents de police.
                 Cette affaire, variant suivant les versions des uns ou des autres, ayant fait quelque bruit, nous nous sommes entourés de tous les renseignements sûrs et nous pouvons, aujourd'hui, narrer exactement les faits à nos lecteurs : Emilio Pérez, 57 ans, cultivateur à Sidi-Lhassen, était venu à Bel-Abbès pour ses affaires, en compagnie de son beau-frère, José Serdan, et il attendait tranquillement, sur sa carriole, ce dernier qui avait été faire l'acquisition d'un sac de pommes de terre, lorsque Faustino Ségura, qui se promenait près de la voiture, profita d'un moment où Emilio Pérez tournait la tête du côté du marché, pour le saisir par derrière le provoquant à descendre tout en lui adressant des paroles ironiques.

                 Ces faits se passaient devant le Café de Paris. Emilio Pérez opposa une vive résistance, et, bientôt sa blouse, sa chemise et son tricot restaient entre les mains de son agresseur ; comprenant sa situation, il sauta immédiatement de sa voiture, du côté opposé, pour faire face à son adversaire, bien décidé à lui rendre la monnaie de sa pièce.
                 C'est à ce moment qu'arrivaient sur le lieu de la lutte Vicente Ségura, frère du précédant et un autre individu, et que tous se ruèrent sur Emilio Pérez auquel ils administrèrent une volée en règle, le malheureux succombant sous le nombre des assaillants.
                 Serdan, le beau-frère de Pérez, revenant du marché, put cependant lui porter secours en cherchant à le dégager.

                 Le grand rassemblement s'était formé devant le café et, bientôt, les deux agents Russias et Vannier, de service dans la rue Montagnac, ayant aperçu la foule, arrivaient au pas de course.
                 Russias, dont la conduite en cette circonstance est digne de tout éloge, s'empressa aussitôt de séparer les combattants et de venir en aide à Emilio Pérez ; mais à peine mêlés à la rixe, les deux frères Ségura fondaient sur lui, tête baissée.
                 Russias, qui est un ancien militaire, et qui ne se laisse pas émouvoir pour si peu, tint bon malgré les coups qu'il recevait et maintint ces forcenés avec l'aide de son compagnon, l'agent Vannier, qui a fait également son devoir.

                 Les deux Ségura et Pérez étaient conduits au commissariat de police, escortés des agents et des soldats de la Légion auxquels on avait dû faire appel, lorsque chemin faisant, dans la rue de Mascara, Vincente Ségura se dégageant brusquement, saisit Russias par le corps et lui donna trois coups de tête sous le menton, lui déchirant sa vareuse et brisant sa montre.
                 A ce moment, un des soldats requis pour prêter main forte, le nommé Brandtaitt enlevait des mains de Faustino Ségura un couteau espagnol, dit faca, encore dans sa gaine.

                 Pendant ce temps l'autre légionnaire venu à l'aide des agents, le nommé Haag, était rudoyé par un boucher espagnol de la ville, Blas Névado ; il fut bientôt dégagé par deux légionnaires.
                 Les Ségura furent enfin, malgré leur résistance conduits en lieu sûr ; Quant à Emilio Pérez, il vint tranquillement exposer les faits ; il avait le visage recouvert de marques où se voyait du sang.
                 Vicente, comme son frère a été trouvé également porteur d'un couteau ; il cherchait à le faire disparaître dans son talon, mais l'inspecteur Bresson, vieux malin finit par le dénicher.

                 D'après Emilio Pérez il ne comprenait pas pourquoi il avait été ainsi assailli par les frères Ségura et dit que ces derniers sont des débiteurs mais il ne leur avait rien réclamé.
                 Faustino Ségura, lui " prétend au contraire qu'il est créancier de Pérez pour 14 francs et que ce dernier niant cette dette c'est ce qui l'a exaspéré ; il a frappé parce que Pérez le menaçait. Son frère ne s'est mêlé à la rixe que pour les séparer.
                 S'ils ont battu les agents c'est qu'ils étaient indignés de se voir arrêter ainsi. Quant au couteau dont il était porteur il dit qu'il l'avait acheté pour voyager dans la montagne mais pas pour un mauvais usage.
                 Vicente Ségura déclare qu'il ignore avoir frappé les agents : il se débattait pour marcher et ne se souvient pas d'avoir pris Russias par la ceinture.
                 Il reconnaît qu'il avait un couteau dans sa poche ; mais, dit-il, il l'a retiré pour le remettre à un espagnol ; le soldat s'en est aperçu et l'a saisi immédiatement.

                 Nevado Blas, le boucher qui s'était interposé dans une affaire où il n'avait pas à fourrer le nez, déclare qu'il a saisi par la poitrine un des légionnaires requis par les agents en lui disant de laisser les prisonniers tranquilles et de ne pas envenimer l'affaire. C'est ainsi qu'il explique sa conduite.
                 La justice nous éclairera bientôt sur cette affaire que nous nous sommes bornés à raconter impartialement et nous ne manquerons de faire connaître son verdict.
                 On sait que tout Espagnol condamné pour port d'arme prohibée est expulsé du territoire français.

L'avenir de Bel-Abbès (22-08-1883)


Inspection primaire
Envoyé par M. Christian Graille

                 Trois catégories de personnes concourent principalement à la colonisation d'un pays : le soldat, le laboureur, l'instituteur. Leur marche doit être tout d'abord simultanée combinée, leur concours mutuel et leur action tendant vers le même but. Il arrive pourtant un moment où le rôle de l'un diminue en sens inverse de celui des deux autres. C'est lorsque la prise de possession d'un pays est faite, que l'indigène est réduit à l'état de sujet. Alors commence l'œuvre de la colonisation proprement dite.

                 Pendant que le laboureur améliore le pays au point de vue physique en y créant de grandes fermes en y établissant une grande variété de cultures en augmentant son bien-être matériel, l'instituteur l'améliore au point de vue moral : en y cultivant les intelligences en étendant le champ des connaissances en polissant les mœurs et les sentiments en préparant la fusion.
                 Son action est puissante, ineffaçable, immense en résultats. Il tient entre ses mains le célèbre levier d'Archimède et peut soulever le monde. L'avenir de l'Algérie est donc dans le développement simultané de l'agriculture et de l'enseignement. Ce sont les deux mamelles de l'Algérie ses vraies mines du Pérou. Nos conseils élus, nos communes l'ont si bien compris que leurs préoccupations, leurs budgets se partagent presque également entre ces deux branches de colonisation.

                 Les nombreuses mesures qu'ils ont prises en faveur de l'une et de l'autre les honorent et attestent qu'ils ont conscience de leur mandat de leurs besoins et de l'avenir de l'Algérie. Notre conseiller général particulièrement, n'a jamais marchandé ni son temps ni son argent quand il s'est agi de cette grande question de l'enseignement.
                 Aussi, encouragé par ces bonnes propositions, certain à l'avance d'être bien accueilli, nous prenons la liberté d'attirer son attention sur la situation des inspecteurs primaires de notre département et sur la nécessité qu'il y aurait à l'améliorer si nous ne voulions déchoir de nation de second rang au point de vue de l'instruction primaire.

                 L'inspecteur chargé de cette branche de l'enseignement est l'homme le plus intéressant et le plus utile de l'Université. Ses fonctions exigent d'élite dévouée à une mission haute à la fois passionnée pour le but et calmes dans l'emploi des moyens capables en même temps et de s'abaisser au niveau des plus humbles maîtres d'école et de s'élever à la hauteur de toutes les autorités qui protègent l'instruction primaire.
                 Des hommes, à qui, de fortes études, éclairés par la connaissance du monde, avaient donné l'art de manier les esprits ; des hommes dont l'influence ne s'exerce pas uniquement sur les instituteurs, mais qui sont capables de remuer en faveur de l'enseignement populaire ; tout ce que le département renferme de forces intellectuelles. On voit déjà l'immensité et la délicatesse de la tâche de l'inspecteur l'étendue de ses relations les obligations qu'elles imposent les sacrifices qu'elles exigent et les nombreux travaux qu'elles mettent en perspective.

                 L'inspecteur sous ce rapport comme sous bien d'autres, et bien plus à plaindre que le plus accablé des instituteurs le plus malheureux des expéditionnaires. Il doit :
                 1° Concourir à la préparation des tableaux relatifs aux dépenses ordinaires des écoles communales
                 2° Tenir un registre du personnel, institutions, leurs nominations, les révocations, le dossier de chacun d'eux, leur traitement, les frais de location des maisons d'école ou les indemnités de logement accordées aux instituteurs enfin le montant des fonds communaux départementaux et de l'Etat affecté au payement de ces dépenses.
                 3° Faire partie des différentes sortes de commissions d'examen au niveau primaire, examen d'entrée à l'Ecole normale, au lycée, aux Arts et Métiers, brevet de capacité élémentaire et supérieur pour les jeunes gens et les jeunes filles, primes d'arabe, concours certificats d'études etc.
                 Il en est toujours le rapporteur ;
                 4° Indépendamment de ce rapport, fait à la commission, l'inspecteur est obligé d'en faire simultanément un autre avec observations à ses chefs hiérarchiques ;
                 5° il doit assister à toutes les conférences pédagogiques les diriger, les surveiller, corriger les travaux des maîtres les accompagner de conseils ;
                 6° Il doit, dans un rapport général, rendre compte de ces travaux en faire une analyse ;
                 7° Il doit donner son avis motivé sur toutes les propositions de secours et d'encouragements de tout genre en faveur de l'instruction primaire et constater le résultats des allocations accordées ;
                 8° Il est toujours consulté pour la création des écoles pour leurs différentes transformations ; il est obligé de faire chaque fois un long rapport motivé ce qui toujours crée une longue et délicate correspondance avec les communes et les chefs ; Il doit encore :
                 9° Visiter en détail toutes les écoles de sa circonscription deux fois par an et chaque fois l'éternel rapport ;
                 10° S'occuper de ce que j'appellerai le contentieux ou les plaintes du maire du curé ou des pères de famille à l'encontre de l'instituteur et réciproquement.
                 Dieu ! Qu'elle correspondance ! Quelle diplomatie .... Quels dérangements quels tracas quelles préoccupations. .... Quelle dose de patience et de finesse il faudrait quelquefois pour déjouer certaines intrigues.
                 Quelle force de caractère et quelle bonté de cœur et droiture de sentiment pour résister aux influences de toutes sortes qui se meuvent autour de lui et tâchent de l'écarter du devoir.
                 11° Et avec toutes ces préoccupations et tenant justement compte de tout cela l'inspecteur primaire est encore obligé de faire un rapport à son chef immédiat sur tout ce qui concerne l'instruction primaire dans le département. Ajoutez à cela les voyages les transports inattendus et qui se renouvellent très souvent et vous vous ferez une mince idée de l'immense tâche de l'inspecteur primaire.
Le Progrès (24-09-1881)


Fera-t-on quelque chose en Algérie
Envoyé par M. Christian Graille

                 Oui, nous le croyons fermement. Un jour viendra où la France comprendra l'influence à la fois initiatrice et protectrice qu'elle est appelée à exercer en Orient et où elle verra dans l'Algérie la source de cette double influence.
                 Alors aussi elle ne demandera plus ses instruments au hasard ; elle éprouvera le besoin de les choisir.
                 Il ne suffit plus d'être intendant militaire pour diriger les affaires de l'Algérie ; il faudra les avoir étudiées et les connaître.
                 Il ne suffira plus d'être colonel ou général pour gouverner les Français-musulmans ; il faudra les avoir pratiqués et les comprendre.
                 Il ne suffira plus pour procéder sur les intérêts purement civils de la propriété européenne, de justifier d'une capacité purement militaire.

                 L'autorité Politique administrative et municipale sera remise dans les mains les plus capables de l'exercer.
                 Oui, nous le croyons fermement, et voici pourquoi ! A côté des militaires exterminateurs qui ressusciteraient un mort pour le tuer de nouveau il s'est formé des militaires organisateurs qui éprouvent le besoin de gouverner de protéger les vivants.
                 A côté des hommes qui ont bu la moitié de leur vie à la coupe sanglante de l'empire, il s'en forme d'autres qui, ont sucé le lait régénérateur de notre époque.
                 A côté des représentants de la nation qui prétendent gouverner l'Algérie avec un sabre et des forteresses, il en est d'autres qui comprennent autrement les grands intérêts de la vie sociale ;

                 A côté des représentants qui voient dans l'Algérie que l'arrière-faix d'une révolution violente, il en est d'autres qui saluent en elle le fœtus vivace d'une révolution civilisatrice. A côté des colons qui font suer la terre sans la faire travailler, il en est d'autres qui la font produire avec gloire et profit pour tous ; à côté des colons qui exploitent l'enseigne de Bacchus, il en est d'autres qui, même dans les jours de tempête, ont cloué le pavillon de Cérès à leur grand mât.
                 Courage donc ! Car ces éléments épars jusqu'ici, commencent à se rapprocher ; ils se cherchent, ils se divisent, ils se comprennent. Quel que soit leur bannière politique ils se rallient à la même devise : France, Algérie, Orient.

                 Que toutes ces volontés que tous ces efforts persistent donc dans cette voie d'association, et l'Algérie sortira bientôt de l'ornière administrative où l'ignorance la maintient, et la France deviendra un jour, par la pente naturelle des choses, la reine pacifique de l'Orient.

L'Algérie courrier de l'Orient et de la Méditerranée (22-04-1844)


TEXTE DE JACQUES PRÉVERT
Envoyé par Eliane
A peine la journée paraît ... et il est déjà six heures du soir

A peine arrivé le lundi et c'est déjà vendredi. ... et le mois est déjà fini... et l'année est presque écoulée
... et déjà 40, 50 ou 60 ans de nos vies sont passés.
... et on se rend compte qu'on a perdu nos parents, des amis.
et on se rend compte qu'il est trop tard pour revenir en arrière ...
Alors... Essayons malgré tout, de profiter à fond du temps qu'il nous reste...
N'arrêtons pas de chercher à avoir des activités qui nous plaisent...
Mettons de la couleur dans notre grisaille...
Sourions aux petites choses de la vie qui mettent du baume dans nos cœurs.
Et malgré tout, il nous faut continuer de profiter avec sérénité de ce temps qui nous reste.
Essayons d'éliminer les "après" ...
Je le fais après ... Je dirai après ... J'y penserai après ...
On laisse tout pour plus tard comme si "après" était à nous.
Car ce qu'on ne comprend pas, c'est que :
après, le café se refroidit ...
après, les priorités changent ...
après, le charme est rompu ...
après, la santé passe ...
après, les enfants grandissent ...
après, les parents vieillissent ...
après, les promesses sont oubliées ...
après, le jour devient la nuit ...
après, la vie se termine ...
Et après c'est souvent trop tard.... Alors... Ne laissons rien pour plus tard...
Car en attendant toujours à plus tard, nous pouvons perdre les meilleurs moments, ...
les meilleures expériences,
les meilleurs amis,
la meilleure famille...
Le jour est aujourd'hui...L'instant est maintenant...

Nous ne sommes plus à l'âge où nous pouvons nous permettre de reporter à demain ce qui doit être fait tout de suite.





Etat d'esprit fâcheux
Envoyé par M. Christian Graille

                 Les colons algériens n'étaient depuis longtemps habitués à supporter les vexations et les injustices les plus criardes, ils seraient en droit de se demander si la sollicitude de nos gouvernants n'est pas acquise à leurs assassins.
                 En effet, il y a quelques jours nous apprenions que la Cour de Cassation, faisant droit à la requête présentée par un avocat du barreau d'Alger, avait décidé que les bandits de Marguerite seraient jugés pour cause de suspicion légitime devant la Cour d'Assises de l'Hérault.

                 Si stupéfiante que paraisse dès l'abord cette mesure, nous avouons qu'elle nous a surprise qu'à demi, pour un peu nous dirions ... que nous y attendions.
                 Car les illusions dont on se berce de l'autre côté de la grande bleue, les sentiments d'arabophilie extrêmement développés dont nos métropolitains font parade en toute occasion, les légendes absurdes dont on a coutume d'entourer l'Algérie et ses habitants, nous ont depuis longtemps fait connaître en quelle considération et en quelle estime la métropole nous tenait.
                 Voilà pourquoi cette sentence ne nous a pas semblé étrange voilà pourquoi nous nous y attendions.
                 Désormais aux légendes du colon buveur d'absinthe, du colon acculant le malheureux indigène qu'il a spolié à la misère, s'ajoute celle de l'Algérien à l'esprit étroit, celle du sectaire farouche qui ne pardonne pas à un descendant du prophète.

                 En vérité, on se demande si c'est en commettant de telles fautes que la France espère coloniser. N'y a-t-il pas là de quoi décourager cette race de colons valeureux qui chaque jour bravent la mort, les fièvres, les privations et même le poignard du pillard indigène ?
                 Non seulement le gouvernement ne les protège pas suffisamment contre ces détrousseurs qui ont trouvé le moyen de récolter sans semer, mais encore il semble par des décisions dont l'effet est vraiment désastreux, encourager ces " chers indigènes ".
                 Ah ! pour cela il n'y a pas de mesures assez clémentes, et on ne craint pas d'épargner les largesses.
                 Et lorsqu'ils commettent quelque lâche attentat, comme celui de Marguerite, la justice si expéditive pour le colon français ne vient même pas pede poena claudo. (le châtiment suit le crime en boitant).

                 C'est pour que les indigènes qui ont commis les exploits de Marguerite, c'est pour que les fanatiques qui suivirent dans la haine du blanc le sinistre Ben Yacoub, soient mieux jugés qu'ils comparaîtront devant la Cour d'Assises de l'Hérault.
                 C'eût été trop vite fait en Alger, où des Algériens qui connaissent ce qu'est l'indigène n'eussent pas manqué de réprimer cers tentatives avec toute la sévérité que leur lâcheté impliquait. Aussi on a trouvé que ces quatre cents bandits étaient dignes d'un peu de pitié.
                 Il faut qu'ils comparaissent devant un jury auquel on les présentera comme de malheureuses victimes de la domination française.
                 Ecrasés par les impôts volés par l'administration brutalisés par les représentants de l'autorité, vivant d'herbe après les spoliations dont ils ont été l'objet ... C'est sous ces couleurs que l'on peindra ces " chers indigènes ".

                 Et il ne se trouvera pas, pense-t-on un homme de cœur qui dans son ignorance des choses algériennes, ne se laissera pas apitoyer sur le sort de ces infortunés .... Voilà on a pensé aussi, qu'ils n'avaient pas assez coûté d'argent aux contribuables, e c'est sans doute dans le but de leur faire connaître la mère-Patrie, de leur montrer tous ses charmes qu'on a cru bon d'offrir aux révoltés de Marguerite que la princesse, toujours large, puisqu'elle n'a qu'à fouiller dans nos poches, paiera.
                 Mais, sans trop insister là-dessus, nous nous contenterons de nous placer à un autre point de vue et de montrer que ces atermoiements ces faux-fuyants détruisent notre prestige et celui plus sacré.

                 Déjà l'indigène savait qu'en France il jouissait d'une considération meilleure que nous, désormais il sait que là-bas l'on pense que la justice n'est pas égale pour tous et que lorsqu'il s'agit d'un indigène, elle a deux poids et deus mesures.
                 C'est pourquoi nous ne pouvons dire que cet arrêté de la Cour de Cassation qu'il est vraiment funeste pour l'Algérie.
                 Si l'on croit avec de tels systèmes, avec de telles vexations amener la sécurité et la tranquillité dans notre pays, on se trompe, mais il est vrai que nos colonisateurs ne sont autre chose que des coloniaux.... En chambre et qu'ils ignorent le premier mot des questions algériennes.
                 Voilà pourquoi nous nous attendions à la décision de la Cour de Cassation, motivée pour le moins par un état d'esprit fâcheux.
Le petit Bob. Les clochettes algériennes et tunisiennes. (27-04-1902)



Traditions hygiéniques : le bain maure
Envoyé par M. Christian Graille

                 Il n'existe pas autour des villes : de l'Algérie, de la Tunisie ou du Maroc une seule habitation mauresque où l'on ne trouve des appartements consacrés à l'usage des bains. Les Européens ont méconnu l'intention de ces constructions, en les faisant servir à d'autres usages, ou en les abandonnant.
                 La forme générale adoptée par les architectes maures était celle d'une coupole à six pans, soutenue par des murailles très épaisses surplombant un dallage en marbre ou en ardoise, placé sur un four, que l'on chauffait à l'aide du bois et de la broussaille.
                 C'est, en petit, le même aspect et la même forme que les grands bains maures fréquentés dans les villes. Formes, aspect et coutumes sont les mêmes : depuis l'Euphrate jusqu'à Tanger depuis Alger jusqu'à Tombouctou c'est-à-dire dans tout le monde connu placé sous la domination de l'Islamisme.

                 Si l'on ouvre Vitruve (architecte romain) au chapitre X : De quelle manière les bains doivent être disposés et de quelles parties ils se composent, nous voyons que le laconicum ou étuve à faire suer, a été parfaitement conservé, à travers les siècles, et avec toutes les parties constituantes indiquées par la tradition romaine.
                 Le fourneau, hypocausis ou vaporarium est également partout construit d'après les données antiques ; quant aux pièces placées autour du laconicum telles que les piscines (baptisterium et frigidarium tepidarium et apodypterium), elles n'existent pas.
                 Il fallait une pièce d'entrée pour déposer les vêtements, on a conservé une galerie assez étroite qui sert aux baigneurs pour se déshabiller et pour se coucher après le bain.

                 Les Arabes avaient trouvé sur la côte d'Afrique les établissements romains et ils avaient conservé une partie des manœuvres auxquelles se livraient les baigneurs. Il n'est pas inutile de rappeler en peu de mots quelle était la disposition des Thermes romains et en quoi consistaient les exercices auxquels on s'y livrait afin de rapprocher ce que nous avons sous les yeux de ce qui existait dans l'antiquité.
                 La description de Vitruve. L'ouvrage si intéressant de Bernard de Montfaucon, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, publié en 1719, ouvrage dans lequel se trouvent des dessins copiés d'après nature ; la brochure de notre ami M. Commailles, pharmacien aide major de l'armée publiée en 1853 (des aqueducs, des bains et des thermes dans l'antiquité romaine) permettent de livrer au lecteur une analyse comparative fort instructive.

                 Dans l'ouvrage de Rich (dictionnaire des antiquités romaines et grecques) on retrouve le dessin publié par Bernard de Montfaucon, reproduit d'après une peinture trouvée aux thermes de Titus. Les parties principales du bain peuvent être classées dans l'ordre ci-dessous :
                 1° une galerie médiane.
                 2° sur le premier plan, la concamerata sudatio, (pièce destinée à la sudation) chauffée par des clypeus, (boucliers) intermédiaire au laconicum et garni de gradins sur lesquels les baigneurs pouvaient se coucher ou s'asseoir
                 3° derrière le tepidarium, chambre tiède
                 4° à la suite, le frigidarium, appelé par Cicéron apodypterium, chambre fraîche
                 5° tout à fait au fond l'eleothesium ou chambre aux parfums
                 6° au-dessous de la concamerata sudatio (chambre de sudation) et immédiatement sous le clypeus, on voit le laconicum, fourneau qui donne la chaleur pour suer
                 7° au-dessous l'hypocautum (système de chauffage par le sol) où l'on entretenait toujours la flamme
                 8° de l'autre côté de la galerie médiane on trouvait le balneum, au milieu duquel était un bassin soit de marbre soit de bronze c'était le labrum. Assez grand parfois pour contenir plusieurs personnes, le labrum contenait de l'eau très chaude que les esclaves projetaient sur le corps des baigneurs pendant que d'autres esclaves enlevaient à l'aide de la strigille (racloir recourbé) l'huile et le sable qui s'étaient attachés à la peau pendant les luttes et les exercices gymnastiques.

                 Les thermes avaient, en outre, des parties destinées aux différents jeux en usages, tant chez les Grecs que chez les Romains.
                 M. Commailles a résumé, dans le passage suivant, les opérations que subissaient le baigneur : Certains esclaves, sous les noms de fornacarii et de fornacatores, veillaient aux fourneaux d'autres les aliptes ou unctores frottaient les baigneurs d'huile et de sable, qu'ils enlevaient ensuite avec la stringille, puis ils oignaient le corps d'oenanthinum (essence faite avec les raisins de la vigne sauvage).
                 Les myropoloe ou parfumeurs (muropoles) succédaient aux unctores et nettoyaient la chevelure qu'ils enduisaient de sapo ou de spuma (pommade pour teindre les cheveux de brun clair).

                 Dans les thermes réservés aux femmes, des pyropoloe du même sexe appliquaient le lamentum (Pâte de farines diverses pour combler les rides du visage et donner de la souplesse à la peau) et le fucus (Fard rouge analogue à l'oseille.)
                 Ceux dont la chevelure commençait à blanchir ou qui voulaient se faire épiler les aisselles, se mettaient entre les mains de l'alipilus (esclave attaché aux bains) qui maniait la volsella (pince à épiler) ainsi que diverses pâtes épilatoires telles que le psilothrum, formé d'œt (pigments) et de chaux et le dropax (emplâtre dépilatoire).
                 Pendant le bain ceux qui étaient renommés pour leurs habitudes licencieuses procédaient au massage et nettoyaient le corps qu'ils séchaient avec des linges chauds.

                 C'est surtout après avoir étudié les bains maures des villes d'Orient, que l'on apprécie la valeur du travail publié par M. Commailles.
                 Nous avons devant nous une partie de la tradition ; examinons ce qu'elle renferme ; comparons-là surtout aux pratiques balnéothérapiques usitées dans les établissements thermaux de l'Europe et nous verrons qu'il ne faut pas mépriser le passé car il offre parfois des enseignements supérieurs à ceux qui fournit la science moderne.

                 Nous avons pénétré dans les bains maures, non pas comme un voyageur qui recherche une distraction ou un aliment pour son imagination, mais en néophyte qui cherche à dérober quelques étincelles du feu sacré.
                 On y entre comme un curieux on y sort fasciné et l'esprit frappé par une pensée scientifique :
                 Où sont donc ces hommes, sans connaissances médicales qui viennent de presser de tordre la machine humaine, ont-ils appris les secrets physiologiques du massage ? D'où leur vient une méthode aussi complète et aussi exquise ?
                 Evidemment de la tradition.
                 Il y a bien certainement là un chapitre inédit de la science médicale arabe ... nous l'avons pensé, et, chaque fois que nous nous sommes soumis aux pratiques du massage dans le bain maure, cette pensée est revenue plus vive.

                 Nous livrons au lecteur l'analyse des études que nous avons faites, et les appréciations physiologiques qu'elles nous ont suggérées. Le caractère dominant des institutions musulmanes c'est l'immobilité.
                 Il faut donc les étudier : là où le mélange ne s'est point encore effectué, là où les aspirations de la civilisation ne sont point encore inoculées dans les veines du peuple arabe, là où il n'a point encore puisé le goût des raffinements dans l'existence il se livre à ses instincts propres et obéit à son éducation.
                 Etudié à ce point de vue, le peuple arabe représente la période de transition entre l'époque balnéothérapique romaine et l'époque de la renaissance qui a préparé l'époque scientifique moderne.

                 Ainsi que nous l'avons démontré par la courte exposition que nous avons tentée de l'histoire de la médecine, ce peuple a joué un très grand rôle, puisqu'il a été le gardien fidèle des connaissances médicales professées dans l'antiquité.
                 Dégagé du prestige de la fable, et surtout des libidineuses appréciations dont on s'est plu à l'entourer, le bain maure doit prendre sa place parmi les méthodes hygiéniques et curatives qui servent à l'amélioration comme au développement des races humaines.
                 Il a sa raison d'être physiologique, une grande valeur au point de vue prophylactique et surtout une grande action physiologique dont les résultats méritent une attention toute particulière, et dont l'exposé ne peut être au moment où les établissements thermaux en Europe cherchent à utiliser l'élément calorifique présenté par les sources thermo-minérales.

                 La pratique du massage, telle qu'elle est pratiquée, n'ait emprunté à la conquête. Les masseurs aujourd'hui procèdent de la même façon qu'avant l'arrivée des Français en Algérie.
                 La profession de dellak (masseur) est aussi ancienne que l'institution ; elle remonte au temps des Grecs ; seulement, à cette époque de perfection artistique et scientifique, les divers emplois étaient distribués avec soin dans les thermes, qui avaient la désignation de Gymnases et qui renfermaient tout ce qui était propre à développer les forces et à perpétuer la beauté physique.
                 Rome avait déjà amoindri l'importance de ces établissements et en avait réduit les proportions.

                 Pendant la longue période de la République, les jeux avaient une physionomie âpre et rude ; les lettres grecques n'avaient point encore été introduites dans la cité de Romulus le culte de la beauté ne primait point encore le culte de la force.
                 Les Romains ne pouvaient toucher aux peuples asiatiques ou à la Grèce, sans subir le charme et la fascination que ces contrées civilisées exerçaient sur le monde entier.
                 En devenant les maîtres de l'Orient, ils se préparaient pour l'avenir une servitude fatale. C'était Hercule tombant aux pieds d'Omphale (reine) et expirant revêtu de la funeste robe de Déjanire (dernière épouse d'Héraclès).
                 A peine maîtresse du monde, Rome devint la très humble esclave : des philosophes des littérateurs et du luxe oriental, elle s'affaiblit dans l'enivrement des parfums.

                 A partir du jour où le peuple qui avait détruit la ligue italienne et repoussé l'invasion gauloise, put saluer César de l'épithète de Reine de Bithynie (province romaine de l'Asie Mineure), ce peuple appartenait à la civilisation asiatique.
                 Aussi, voyons-nous, après la République, les grands n'avoir d'autre préoccupation que de conquérir la popularité, en introduisant à Rome des mœurs nouvelles et en construisant des établissements copiés sur les établissements grecs, où la foule venait, pour une modique somme, se livrer à des exercices pleins d'attraits et d'énervement.
                 Les premiers thermes (thermoe) datent du règne d'Auguste ; ils furent construits par son gendre Agrippa, qu'il s'était associé au consulat.

                 Plus tard Titus Caracalla (empereur) et Dioclétien (empereur) en firent construire sur le modèle des gymnases d'Ephèse (cité grecque ).
                 Il est bon de remarquer toutefois, que Rome resta toujours de beaucoup au-dessous de l'Asie Mineure et de la Grèce.

                 Nous ne parlerons des jeux qui étaient installés dans les thermes, nous rappellerons seulement que la lutte et la gymnastique précédaient l'entrée dans les étuves et que c'était après tous ces exercices fatigants que le bain était pris et qu'avait lieu l'action de l'unctor (employé ou esclave frictionnant et parfumant les baigneurs avec des essences) ou de l'aliptes (c'était dans les thermes grecs ou romains celui chargé de surveiller les exercices dans les bains ; il donnait aux baigneurs des avis sur leur régime et leur façon de vivre.
                 Il devait pour remplir ces fonctions connaître leur organisation musculaire et l'état général de leur santé) qui maniaient la strigile pour débarrasser le corps du sable collé sur les membres par les huiles odorantes dont ils avaient été oints.

                 Il est bien question du massage dans les ouvrages anciens, mais nulle part n'existe une description qui présente une base physiologique, en sorte que nous ne pouvons dire si les masseurs des bains maures algériens sont de véritables interprètes de la pensée scientifique des anciens.
                 Nous avons observé que cette profession était l'apanage des Mozabites, secte musulmane bien autrement industrieuse et civilisée que les Arabes.
                 Un mozabite naît masseur comme l'était son père ; tout enfant il prépare les haïks et sert le baigneurs dans les galeries où il se déshabille, pendant que ses frères plus âgés, ou son père lui-même, massent dans l'intérieur de l'étuve.
                 A quelle époque faut-il remonter pour trouver l'établissement des règles physiologiques qui président au massage ?
                 Quel savant, quel médecin les a posés et régularisés ?

                 Ce sont là des points très délicats, qu'il nous est impossible de résoudre, parce que les éléments d'investigations mis à notre portée sont très incomplets.
                 " Qui donc t'a appris le massage ? " Demandais-je à un vieux mozabite qui avait vu passer des générations dans l'étuve. " Mon père faisait comme ça, je fais comme mon père ! "

                 Voilà la tradition, elle est naïve, mais elle est vraie. Il a fallu bien certainement une direction scientifique pour arriver au degré de perfection qu'à acquis le massage entre les mains des Mozabites. Un établissement de bains maures est composé de deux parties essentielles : une étuve, sudatorium vapoparium laconicum des anciens ; en second lieu, des galeries chambres publiques ou réservées où le baigneur repose après avoir subi le massage et les divers temps de séjour dans l'étuve.
                 Dans une partie souterraine, sous le pavé brûlant de l'étuve, règne le four (hypaucausis des anciens). Sans cesse alimenté par du bois, il ne repose ni nuit ni jour ; la flamme succède à la flamme, et on serait vraiment surpris de la quantité de combustible employée dans ce four, si, à Alger même, on ne voyait employer pour cet usage, le fumier des étables !

                 Des galeries parfaitement combinées répandent la chaleur sous le pavé de l'étuve, de manière à le rendre partout également chaud. La température en est très élevée, mais jamais assez pour dépasser celle que les pieds peuvent supporter.
                 Nous verrons d'ailleurs que l'eau répandue en abondance pendant les ablutions suffit pour modérer la température intérieure, quel que soit la poussée opérée par le feu souterrain. La flamme circule autour d'un réservoir placé juste au milieu de l'étuve. L'eau de ce réservoir, sans cesse en ébullition, est séparée de l'étuve par une table de marbre blanc, soutenue dans sa circonférence par une maçonnerie pleine parfaitement cimentée, de façon à ne permettre aucune fissure aucune infiltration pour le passage de la vapeur.

                 Cet aperçu jeté sur la source de chaleur, occupons-nous de l'intérieur. Le dallage ressemble beaucoup aux pavés losangiques des temples grecs.
                 Le micaschiste (roche constituée de minéraux en feuillets) noir s'y marie fort bien avec les diverses sortes de marbre ; le seul inconvénient que nous lui ayons reconnu, c'est d'être très glissant, surtout lorsqu'il y a de l'eau répandue sur le sol, et il y en a toujours.
                 La salle d'étuve mesure vingt pas dans tous les sens. Elle offre la forme d'une croix latine dont le point d'entrecroisement serait à la table de marbre, l'extrémité inférieure à la porte d'entrée et qui aboutirait par ses trois autres branches aux chambres voûtées entourant la salle et réservées aux baigneurs qui ont assez longtemps transpiré sur la table de marbre.

                 Sur cette table, la température est très élevée. Le thermomètre que nous avons maintenu pendant quelques minutes isolé de l'air humide répandu dans l'étuve, s'est élevé à 62°. Lorsqu'il subit l'influence des vapeurs, il s'abaisse jusqu'à 55 et même 50°. A mesure qu'on le déplaçait et qu'on le portait vers les extrémités de la salle, il descendait progressivement jusqu'à 45° centigrades.

                 La coupole, en tout semblable à celles qui dominent les mosquées et les tombeaux des marabouts, soutenue aux angles par des piliers à chapiteaux ornés d'arabesques et bien souvent incrustés de versets du Coran, est élevée à sept ou huit mètres au-dessus du sol.
                 Elle est très épaisse et ne présente que deux ou trois pertuis (trous) assez étroits, garnis d'épaisses lames de verre qui ne laissent pénétrer qu'une clarté douteuse sans laisser à l'étuve les moyens de se refroidir par un échange trop rapide de calorique avec l'air extérieur.
                 Les pièces voûtées situées aux angles offrent une élévation moindre que la coupole centrale et sont éclairées par des lampes suspendues au plafond.

                 Au fond de cette pièce et au milieu de la muraille sont placées des vasques en marbre et en onyx, d'un travail quelquefois exquis et surmontés de deux robinets donnant à volonté de l'eau chaude ou de l'eau froide, qui sert aux ablutionnaires et qui est puisée avec des tasses en cuivre, pour être projetée sur les membres massés ou frictionnés.
                 C'est cette eau, qui en se vaporisant, remplit l'étuve d'un épais nuage, au milieu duquel s'agitent les baigneurs.
                 Il n'existe point de clipeus, immense obturateur en bronze, placé au centre de la coupole des Thermes romains, qui servait par son abaissement ou son adaptation à la voûte, à régler la température.

                 L'eau répandue dans les diverses parties de l'étuve modifie considérablement les conditions de tolérance du milieu. Cette humidité chaude permet de supporter, pendant tout le temps que durent les opérations du massage, une température qui, sans cela, ne pourrait être tolérée que pendant quelques instants.
                 La transpiration s'y fait de manière plus insensible la respiration n'y est point pénible comme elle le devient dans les étuves sèches.
                 On peut aller et venir dans ce milieu spacieux, se promener dans tous les sens ou se coucher sur la table de marbre sans être incommodé par la chaleur et il n'est pas rare de trouver là des indigènes qui y dorment des heures entières sans en être incommodés.

                 La nuit et le jour le feu est en activité. De midi à six heures du soir, heures consacrées aux femmes, les masseurs sont remplacés par des négresses. Depuis six heures jusqu'au lendemain les hommes seuls ont accès dans les bains maures. Chaque sexe y va à ses heures et toute promiscuité en est parfaitement bannie.
                 Les autres parties de l'établissement se composent d'une longue galerie où les baigneurs musulmans déposent : leurs babouches, le haïk et le burnous ; à droite et à gauche sont étendus de longs et moelleux tapis de Kalaa ou du Djebel-Amour, sur lesquels dorment ou reposent les baigneurs sortis de l'étuve.
                 Près de la porte d'entrée se tient accroupi un brave musulman près d'un coffre confié à sa garde.
                 Tout individu qui va au bain maure doit lui remettre : son argent, son portefeuille, ses bijoux qu'il place religieusement dans un coffre et qu'il rend au moment de la sortie sans prononcer une parole et sans qu'il soit besoin de compter. Il n'existe pas d'exemple du moindre détournement.

                 Entre deux bouffées de son tchibouk (pipe turque à long tuyau) ce grave personnage fait signe à deux masseurs de s'emparer du nouveau venu.
                 Les deux hommes auxquels vous êtes livré : vous déshabillent et rangent soigneusement tous vos vêtements, puis ils vous entourent le torse d'un pagne, jettent sur votre tête une sorte de voile qui retombe sur les épaules et, vous soutenant chacun par un bras pour vous éviter les glissements sur le pavé humide, ils vous introduisent dans le vaporarium.
                 On y entre par une double porte, le haïk seul couvre le corps ; les masseurs vous accompagnent jusqu'à la table de marbre située au milieu et sur laquelle sont assis ou couchés des baigneurs qui attendent que la transpiration soit assez prononcée pour se livrer à leurs masseurs.

                 Dès que les yeux accoutumés à ce milieu sombre peuvent percer l'épais nuage formé par les vapeurs, ils peuvent se rassasier à l'aise du spectacle des opérations que l'on va subir soit même.
                 Les chants monotones, les psalmodies répercutées par les voûtes et tous ces groupes se tordant les uns à côté des autres, les coups secs et répétés tombant sur des membres nus et fléchis dans tous les sens, tout cela imprime à l'imagination quelque chose de pénible qui se dissipe rapidement et fait place à la préoccupation personnelle dès que les masseurs approchent et vous invitent à subir le même traitement.
                 Cette opération offre plusieurs temps qu'il est bon d'analyser et qui sont :
                 1° le massage des parties antérieures et postérieures du corps
                 2° la friction énergique à l'aide d'un gant en poil de chameau
                 3° les ablutions d'eau chaude et d'eau savonneuse, les parfums
                 4° la toilette puis le repos et le thé.

                 La condition première pour subir l'action du massage consiste à s'abandonner entièrement aux hommes qui sont chargés de l'administrer.
                 Assis à terre et les jambes croisées sur la tête du patient pour lui constituer un oreiller, les masseurs s'emparent chacun d'un bras.
                 Ils commencent avec la pomme de la main à opérer des pressions lentes et graduées sur les muscles de l'avant-bras, et, après chaque pression ils frappent un coup sec avec la main.
                 Ils fléchissent les mains du patient dans tous les sens en commençant par les doigts et les phalanges, qu'ils font craquer, sans éveiller aucune sensation de douleur.
                 Ils fléchissent rapidement et à plusieurs reprises l'avant-bras sur le bras. La région du biceps et celle des muscles de l'épaule subissent les mêmes pressions qui sont continuées sur les muscles de la région pectorale ; les bras sont fortement ramenés et croisés sur la poitrine puis au-dessus de la tête.

                 Enfin chacun des masseurs, appuyant la plante de son pied sous l'aisselle du patient, tire doucement et fait tourner le bras autour de la région axillaire.
                 Des membres supérieurs ils passent aux membres inférieurs, et, saisissant chacun un pied, ils lui impriment à droite et à gauche des mouvements de rotations lents et gradués ; puis remontant vers la région inguinale, ils augmentent la pression de la pomme des mains en raison de la résistance offerte par l'épaisseur des plans musculaires.
                 Vers la partie supérieure, leurs efforts sont vraiment considérables, et on peut en juger aux cris sourds qu'ils font entendre et aussi à la vigueur progressive avec laquelle ils appliquent le coup du plat de la main.

                 Les membres supérieurs et inférieurs ainsi massés, l'un des opérateurs monte avec ses pieds sur la région pectorale en appuyant ses mains à droite et à gauche sur le sol ou sur les épaules du patient, suivant sa force de résistance.
                 Ce n'est pas avec les main qu'il masse, c'est avec la plante des pieds ; il se laisse glisser très lentement du sternum jusqu'à terre où ses pieds tombent avec un bruit léger de clapotement, puis il remonte ou saute avec une légèreté extraordinaire sur la même place, et le même jeu recommence trois ou quatre fois, avec cette nuance que, chaque fois, il descend un peu plus vers la région abdominale.
                 La dernière fois, ses pieds sont placés sur la région diaphragmatique ; il est là penché comme un gnome, sa pression produit l'effet d'un cauchemar.
                 Chaque fois, la poitrine, d'abord pressée, se dilate avec force et la respiration subit des modifications notables qui sont accusées par un remarquable bien-être.

                 La partie antérieure ainsi massée, sans que rien ait été oublié : ni les muscles abdominaux, ni ceux de la région du cou, ni ceux de la face toute entière, parcourue par la main du masseur d'avant en arrière et latéralement inclinée avec force sur la poitrine ou projetée en arrière avec des degrés de vigueur qui ne vont jamais jusqu'à la violence, le patient se couche à plat ventre, et l'opération commence sur la région postérieure.
                 Les muscles du cou sont pressés fortement et de haut en bas la tête est fortement inclinée soit en arrière soit en avant des mouvements rapides de rotations lui sont imprimés de droite à gauche et de gauche à droite autour de la colonne vertébrale ; enfin elle est fortement inclinée sur chaque épaule et à plusieurs reprises jusqu'à ce qui l'oreille s'accole à l'extrémité supérieur du deltoïde.

                 De la tête les masseurs passent aux extrémités inférieures, toujours pressant sur les masses musculaires avec force, et : laissant fléchir d'abord le pied d'avant en arrière, ensuite la jambe sur la cuisse et en dernier lieu à tout le membres des mouvements de flexion propres à tendre fortement les ligaments et le système musculaire.
                 La région dorsale est massée, ainsi que l'a été la région pectorale, avec les pieds, d'abord longitudinalement et de haut en bas de façon à presser fortement sur toute la masse dorsolombaire et sacro-spinale.
                 Le masseur saute plusieurs fois sur le dos du patient, et se laisse ensuite glisser à terre, en observant, chaque fois la direction et l'inclinaison des plans musculaires.

                 Enfin comme s'ils avaient la connaissance anatomique exacte de l'épaisseur des couches musculaires de la région lombo-sacrée et de la région fessière, ce n'est plus avec les mains ou avec les pieds qu'à lieu le massage mais avec les genoux.
                 Placés comme des gnomes sur la région lombaire, les masseurs appuient les mains sur le dos et pressent des genoux sur ces deux régions, puis, pour achever l'opération : ils croisent vivement les bras du patient derrière le dos la poitrine sur les bras en croix passent les leurs autour du corps du baigneur et l'enlacent avec force, en faisant décrire à la colonne vertébrale une courbe d'avant en arrière qui a pour but de transmettre l'influence du massage aux muscles et aux ligaments situés profondément autour des partie articulaires.

                 Cette première partie de l'opération achevée, ils se détachent du patient et le laissent reposer quelques instants. La seconde partie de la gymnastique balnéaire c'est la friction. Les masseurs, armés d'un gant en poil de chameau, se posent à terre dans la première position, et absolument comme s'ils allaient recommencer le massage ...
                 Les mains les bras la poitrine le cou la figure le ventre sont frictionnés avec soin, et avec une modération calculée. Les membres inférieurs sont aussi frictionnés, lentement d'abord et avec un certain degré de pression sur les parties très charnues, puis plus vivement des extrémités du tronc dans le sens de la circulation veineuse.
                 Ce dernier point nous a frappé. Cette pratique est essentiellement physiologique car c'est un mode d'appel de la circulation profonde à la circulation sous-cutanée.
                 Ces différentes nuances dans la rapidité des mouvements de friction, suivant l'épaisseur de la peau ou son degré de sensibilité et suivant le cours de l'onde circulatoire m'ont autant frappé que les mouvements de flexion imprimés aux articulations, et que les divers degrés de pression ou de percussion appliqués aux régions musculaires.

                 Après que la friction est faite, une deuxième a lieu que l'on pourrait appeler la décortication ou l'exfoliation ; il semble que le masseur détache l'épiderme de la peau, mais ce n'est qu'une illusion, et ce que l'on prend pour de l'épiderme n'est qu'une couche plus ou moins épaisse de crasse.
                 Armée d'une sébile de bois ou de cuivre, les masseurs puisent de l'eau chaude dans les vasques placées contre les murailles, et ils aspergent toutes les parties du corps qui ont été frictionnées, puis ils roulent sous le gant cette sorte de vernis qui recouvre l'épiderme, et qui n'est que la sueur concrétée, et l'étalent aux yeux éblouis du patient.
                 La première friction était énergique et avait pour but d'exciter la circulation, celle-ci n'est qu'un jeu ; inutile d'ajouter qu'en aucun temps de ces opérations le patient n'éprouve aucune douleur.
                 Immédiatement après les frictions viennent l'ablation savonneuse et la toilette. Armé d'une masse chanvreuse formée de filaments très déliés d'aloès, le dellak asperge le patient de mousse de savon.
                 Elle est produite à l'aide du savon noir ordinaire ou à l'aide de savons parfumés suivant la volonté du baigneur.

                 Il vaut mieux, au point de vue de la santé, se contenter du savon noir qu'emploient les indigènes ; on en est littéralement couvert de la tête aux pieds et la main du masseur la répand en l'introduisant dans les oreilles et dans les anfractuosités que la masse chanvreuse n'aurait pu atteindre.
                 Après qu'elle a, pendant quelque temps, exercé son action sur la peau préalablement frictionnée, cette mousse savonneuse est enlevée à l'aide de nouvelles aspersions d'eau chaude ou tiède ; une autre masse chanvreuse sert à essuyer toutes les parties du corps.
                 Une promenade de quelques secondes autour de la table de marbre, sur laquelle quelques baigneurs aguerris se couchent encore pour y produire une diaphorèse plus abondante, termine la scène dire l'alanguissement la légèreté la souplesse de l'organisme après ces diverses manœuvres, n'est pas possible.

                 Après quelques instants passés autour de la table, le baigneur est enveloppé de haïks. Ce sont de grandes bandes d'étoffes souple et fine qui couvrent successivement : la tête, le cou, les épaules et le torse du patient en le drapant à la façon des Orientaux ; puis ils le soutiennent par les bras et le reconduisent dans les salles de repos, où des tapis moelleux, et souvent un mince matelas l'attendent.
                 Il est enveloppé de légères couvertures de laine, semblables aux haïks fabriqués par les femmes indigènes. Sur son lit de repos, il reçoit des soins complémentaires très importants.
                 Le café (kahoua), le chorbet, limonade ou thé aromatisés de verveine des Indes lui sont offerts selon sa convenance.
                 Il n'est rien de plus délicieusement diaphorétique que le thé à la verveine des Arabes. Aux propriétés toniques, il joint la fraîcheur la plus agréable et produit sur la muqueuse buccale, l'effet modéré de la menthe.

                 Les dellaks étendent leur patient sur le matelas mettent sous la tête des coussins épais et moelleux, puis, par-dessus, les couvertures fines et multiples dont ils couvrent le corps.
                 Ils pressent doucement sur les articulations et sur tous les membres et ne cessent que lorsqu'un sommeil irrésistible s'empare du baigneur.
                 Alors ils le quittent et vont sur de nouveaux venus recommencer leur dur et fatigant métier ; il est rare, pourtant, que l'un d'eux ne se couche pas à ses pieds, et ne s'endorme comme lui.
                 Toutes ces opérations, le séjour dans l'étuve compris, n'exigent point de grands sacrifices, les indigènes donnent à peine un franc les étrangers donnent un franc cinquante centimes ou deux francs.

                 Les femmes indigènes mauresques ou juives passent de longues heures au bain.
                 On ne leur fait pas subir le massage avec la même énergie et la même vigueur que les hommes parce que les négresses sont beaucoup moins habiles que les Mozabites.
                 En compensation, les soins de toilette prennent beaucoup de temps ; elles s'épilent à l'aide d'une pâte composée de différentes résines et appliquée chaude sur les parties que l'on veut dégarnir de poils ; après l'avoir étendue, on l'enlève rapidement avec un couteau en bois, la peau reste, après cette opération souple et nette.

                 Les négresses emploient des procédés assez primitifs pour teindre les cheveux ; il en est pourtant qui obtiennent un beau noir persistant, à l'aide de la noix de Galle et du henné, et qui, reproduisent sur la chevelure des enfants ce magnifique roux florentin qui semble perdu depuis le moyen-âge et qu'on ne retrouve plus que dans les tableaux de cette époque.
                 On retombe en plein dans la tradition grecque et dans les coutumes des unctores des alipiles et on se croirait dans l'oeleothesium antique (chambre destinée à oindre les visiteurs des bains).
                 Prodicus le Célymbrien est composé à leur art, toutes celles que Celse (philosophe romain) énumère dans son livre sur les avantages du bain.

                 Alger possède sept ou huit bains maures moins bien entretenus que ceux que l'on trouve dans les villes de l'intérieur et moins vastes.
                 On peut les utiliser pour la guérison des affections rhumatismales et pour combattre un grand nombre de névralgies.
                 Les établissements thermaux de l'Europe, dont aucun ne possède des masseurs comparables aux dellaks algériens, sont fermés l'hiver.
                 Combien de malheureux attendent dans leur lit que la saison soit prospère pour aller trouver aux eaux un soulagement que les officines des pharmaciens ne renferment point !

                 Le courant d'immigration hivernale est tout indiqué et nous ne saurions trop insister sur l'importance des bains maures comme moyen d'attraction pour les malades qui ne savent où diriger leurs pas.
                 A côté de la douceur du climat qui permet de subir le traitement balnéothérapique sans transition brusque, on trouve des sources minérales admirablement placées et tout à fait similaires à celles qu'on rencontre en Europe. Elles n'attendent, pour être utiles, que des capitalistes intelligents pour les exploiter.

                 Voici ce qu'écrivait Millon à ce sujet : " Ce qui manque aux eaux minérales de France, pourtant si riches et si variées, ce que rien au monde ne saurait leur donner, c'est un climat tempéré durant les mois de l'hiver. "
                 Dès que l'été finit, on les déserte ; la fraîcheur des nuits l'abondance des pluies en troublent les effets ; septembre arrive et la saison est close.
                 Le médecin lui-même prescrit aux malades de partir ; c'est en vain que la cure est heureusement entamée ; le baigneur sent que le mal s'affaiblit graduellement que les forces et la santé lui reviennent ; il est à mi-chemin de la guérison ; deux ou trois mois encore d'usage couronneraient l'œre des eaux mais comment faire jusqu'à l'été prochain ?
                 Il faut partir, la décision est inexorable. Il faut reprendre l'air l'habitation et plus ou moins les habitudes : le régime les relations, les affaires, le travail, le plaisir et toute l'existence qui est, en quelque sorte, le foyer même où le mal a pris naissance. En un mot on abandonne le remède et l'on retourne à la maladie.

                 Une lacune aussi considérable dans la thérapeutique n'a pas échappé à quelques observateurs : Lallemand, un des médecins les plus sagaces de notre époque a contribué de tout son pouvoir à fonder au Vernet un établissement thermal dans lequel les malades continuaient l'usage des eaux durant l'hiver.
                 On a fait un essai pareil aux eaux d'Amélie-les-Bains. Les résultats qu'on y obtient sont généralement favorables mais ils ne sont pas décisifs. La faute est au climat du Vernet et d'Amélie-les-Bains, établissements situés, tous deux, dans le Roussillon à quelques lieues de Perpignan.

                 C'est toujours un grand avantage, pour un valétudinaire de remplacer un hiver du Nord par un hiver du midi de la France ; mais qu'il y a loin de là à certaines contrées méridionales, voisines de la mer et dans lesquelles règne, durant toute la période hivernale, une inaltérable douceur de température et d'atmosphère !
                 Là l'hiver n'existe pas ; c'est évidemment là qu'on doit réaliser l'idée bienfaisante et logique de continuer la cure des eaux minérales, sous un climat tempéré entièrement exempt de neiges de gelées et de frimas.
                 Signaler ces contrées, c'est désigner l'Algérie, et plus particulièrement tout le littoral délicieux où elle développe plaines et plateaux entre l'Atlas et la Méditerranée.

                 Dans aucune direction, on ne saurait se transporter plus rapidement au Sud pour échapper au régime de la saison. On laisse bien loin Nice, Hyères et jusqu'aux dernières côtes de l'Espagne et de l'Italie.
                 La transformation du climat est complète, et, grâce à l'achèvement de nos grandes lignes ferrées grâce à la vapeur, en trois jours, on se rend à Alger des points les plus extrêmes de la France.
                 Sans doute, dès qu'on connaîtra mieux les avantages de cette situation dès que la médecine et l'hygiène les auront proclamés, on aura l'ambition de n'en rien perdre, on demandera à l'Algérie de fournir des eaux thermales similaires aux principales de France, on y poursuivra sans interruption la guérison qu'un ciel humide et glacial venait paralyser.

                 Les Romains ont entretenu cette idée : ils avaient des piscines couvertes et remplies d'eau tiède pour l'hiver et l'on fréquentait les thermes à Rome en toute saison.
                 Mais chez eux l'hydrologie balnéaire était poussée à un degré de perfectionnement dont nous sommes encore bien éloignés. Il serait curieux de rechercher si leurs établissements d'Afrique n'avaient aussi une affectation spéciale et à quelle époque ils en faisaient plus particulièrement usage.
                 L'Algérie, nous, nous croyons fondé de le prédire sera en mesure de satisfaire aux vœux des malades les plus exigeants que l'Europe lui aura légués la richesse et la variété de ses eaux minérales ne laissent rien à désirer.
                 Ici des eaux alcalines, là des eaux salines froides ou thermales ailleurs des eaux gazeuses, ferrugineuses, sulfureuses.

                 Cherchez un peu dans ces gorges délicieuses de l'Atlas, vous y trouverez les succursales : de Barèges, de Bagnières, de Vichy, de Plombières, de Spa, de Sedlitz, de Pullna : débarquez à Alger, passez la Mitidja, vous y êtes.
                 Il ne faudrait pas beaucoup d'imagination à Amélie-les-Bains pour trouver autour de ces sources, sur des ruines romaines à côté de la tente de l'Arabe et de l'Israélite aux costumes bibliques un joli groupe de maisons parisiennes dans le style d'Auteuil et de Neuilly.
                 On encadrerait le tout de la végétation des Hespérides et de roches dignes du vieil Atlas.

                 Millon avait l'intuition de l'Avenir de l'Algérie, il avait l'habitudes des conversations scientifiques, et souvent, en plongeant son regard profond dans l'horizon méditerranéen, il laissait échapper des pensées larges et prophétiques.
                 " Le monde d'où nous venons, disait-il en parlant de l'Europe a besoin de la terre d'Afrique, c'est à la fois un exutoire et un complément ; les races du Nord s'éteindront et s'amoindriront si elles ne régénèrent les éléments constitutifs de leur sang sous l'influence du soleil d'Afrique.
                 Si les savants et les médecins instruisaient les populations des bienfaits que le changement de résidence procure à la constitution des hommes, ce n'est pas en simples curieux que les voyageurs franchiraient la Méditerranée, mais en personnes intéressées ! "

                 Ce qu'il me disait là est profondément vrai et de semblables vues économiques et sociales ne pouvaient naître que dans une de ces belles intelligences que rien ne peut obscurcir.
                 Pendant vingt ans Millon a cherché à vivre en France ; il n'a pas pu en supporter les hivers. " Je suis une plante de serre chaude, répétait-il en souriant, et un adorateur du soleil ! " Que dire après Millon sur une aussi délicate question ?
                 Il ne nous restait d'autre tâche que de résumer les avantages de la méthode.

                 Nous en avons recueilli tous les éléments et nous espérons que ce chapitre consacré à une analyse que personne n'a tenté au point de vue médical ne sera point inutile aux malades et servira aux médecins comme guide dans le choix qu'ils ordonnent d'une station hivernale.
                 Le froid agit sur l'homme comme sur les plantes, il arrête le développement et produits des déviations dans la nutrition.
                 Or, de l'arrêt du développement ou d'une tendance à des engorgements glandulaires, à la maladie, il n'y a qu'un pas.
                 C'est surtout lorsqu'on a vécu alternativement sous les diverses latitudes du globe qu'on voit combien, pour un grand nombre de constitutions, est avantageux le déplacement.

                 Les Arabes ont conservé intactes les coutumes qui avaient acquis la consécration des médecins de l'Antiquité.
                 Au point de vue des principes, ils sont supérieurs aux Européens, dans l'application ils sont descendus à un degré de simplification qui fait peine à constater.
                 Nous espérons bien que l'époque de la renaissance va reparaître pour les côtes d'Afrique et que les idées contenues dans les manœuvres balnéothéraphiques seront comme le feu qui couve sous la cendre et serviront à rallumer l'esprit de recherche et de découvertes scientifiques qui placèrent si haut les écoles d'Alexandrie et de Rhodes.
La saison d'hiver en Algérie par le Docteur Amédée Maurin (1873)


De la colonisation
Envoyé par M. Christian Graille

                 L'assimilation du peuple arabe demeurera un rêve irréaliste, tant que les efforts dirigés vers ce but ne s'adresseront pas à la fois, au sol et aux hommes c'est-à-dire tant que l'œuvre de civilisation n'aura pas pour base la colonisation.
                  Le moyen consiste à profiter du régime actuel de la propriété dans les tribus arabes, pour appliquer à chacune d'elles, avec : les ménagements, la discrétion et surtout le discernement que cette opération commande, le principe d'expropriation pour cause d'utilité publique, principe qui, sous sa forme européenne, serait souverainement impraticable, mais qui, sous une forme différente peut recevoir une application utile.

                  Et de même que le droit d'expropriation pour cause d'utilité publique contient pour l'Europe le germe d'une transformation radicale, dont les deux peuples ne tarderaient pas à recueillir les fruits.
                  Introduire successivement dans chacune des grandes tribus soumises le capital européen, associer dans un travail commun l'ouvrier chrétien et l'ouvrier musulman, n'est-ce pas le moyen d'imprimer à la soumission le sceau indélébile de l'intérêt ? N'est-ce pas le moyen d'utiliser le sol et les hommes et par la suite de les civiliser ?

                  Mais c'est mieux que cela encore ; car si on réfléchit à la portée de cette mesure, on reconnaîtra qu'elle fournit le moyen le plus efficace de domination. Quel est en effet le seul instrument dont nous ayons fait usage jusqu'ici pour dominer le pays conquis, Les camps.

                  Qu'est-ce qu'un camp ? Un espace assez restreint fermé par une enceinte et occupé par une garnison, c'est-à-dire par une population inerte qui, retranchée derrière ses remparts, se borne à crier qui vive et à faire feu, si on ne lui répond pas : par une population qui ne peut que menacer et qui ne peut rien promettre, par une population qui ne laisse sur le sol que la trace de ses pas, qui vit pour elle-même et par elle-même, qui ne s'inquiète pas de chercher le parti qu'elle pourra tirer du paysan arabe parce que pour cette population armée et irascible, le paysan arabe est un ennemi, contre lequel il faut toujours être prêt à sévir.

                  Dans l'établissement des camps on a toujours recherché plutôt des positions militaires, que des positions dominantes. Or, les positions dominantes en Algérie doivent être choisies non pas tant en vue du sol qu'en vue des hommes qui l'habitent.
                  En établissant le camp, on ne s'est pas généralement demandé dans quelle tribu on le plaçait. Il en résulte que le camp français n'a avec la population indigène qui l'entoure, que des rapports accidentels et ne prête pas à la domination du pays tout le secours qu'il pourrait lui prêter.

                  Pour que ces établissements militaires fussent des instruments efficaces de domination, il faudrait considérer chaque grande tribu comme une cité influente et asseoir le camp au milieu de son territoire comme une citadelle. Malheureusement des camps coûtent au trésor des sommes immenses, autant par les travaux qu'il exige que par les hommes qu'il absorbe.

                  C'est pour cela qu'ils sont clairsemés et que, tout en dévorant chaque année 100 millions, leur action est bien loin encore d'atteindre tout l'espace qu'ils comprennent entre eux. Aussi ce qui nous préoccupe, c'est la nécessité de fonder en Algérie quelque chose de vivant à côté de ces forces mortes ; quelque chose qui, comme le camp, présente une agglomération d'individus associés par un lien puissant mais qui ait sur la population des camps l'avantage de tenir au sol.

                  Au lien de la discipline nous voulons ajouter celui de l'intérêt. Or, la réserve faite par l'Etat sur les territoires des grandes tribus et concédée par lui à des compagnies financières, peut être assez considérable pour offrir les mêmes avantages qu'un camp, sans en avoir les inconvénients.
                  Car le nombre des familles attachées à la mise en valeur d'une concession et par suite l'action défensive du groupe dépend de l'étendue de la concession ; elle dépend aussi de sa situation.
                  Il arrivera même qu'une concession vaste, placée dans des conditions favorables, refermera le germe d'une grande ville.

                  Plusieurs esprits ont été frappés de ce qui avait de vicieux dans l'usage adopté en Afrique de s'établir dans les villes mauresques, détruisant leurs maisons pour les reconstruire et chassant la population sédentaire et paisible pour la voir ensuite revenir contre nous nomade et armée.
                  Il serait plus sage, en effet, et moins coûteux aussi de construire des villes neuves comme celles de Philippeville et de Guelma que d'appliquer aux cités musulmanes l'opération du couteau de Jeannot. Mais est-il juste que ce soit toujours au trésor public à faire les frais de ces créations ? N'est-ce pas à la terre elle-même, concédée par lots considérables, à en acquitter les dépenses et à garantir les bénéfices de cette prise de possession ?

                  En un mot, une partie de l'Algérie soumise, appelle comme complément et comme gage de stabilité de notre domination la création de camps:
                  Civils, industriels ou agricoles ; ces camps ne peuvent s'établir sous le régime d'isolement ou de morcellement qui a présidé jusqu'ici à tous les efforts de colonisation.
                  Le germe de ces camps n'est : ni dans la ferme de la Mitidja ni dans le village du Sahel. Non la première forme est trop isolée et la seconde trop décousue.

                  Le germe de ces camps est dans l'application à quelques grandes tribus du principe d'échange territorial et dans la concession à des compagnies financières des terres résultant de cette application. Les compagnies financières ne sont-elles pas aujourd'hui, elles aussi, les grandes tribus les tribus influentes de notre vieille Europe ?
                  Donnons un exemple : Pour assurer la domination dans la province de Constantine, il y avait deux villes à créer sur la ligne moyenne du Tell, savoir, l'une à Tifech ou Khemiça, et l'autre dans le Sera.

                  Il serait évident pour tout le monde que ces deux positions sont bien indiquées, puisque : Tifech occupe l'origine de la vallée de la Seybouse et Khemiça, qui en est tout voisin, celle de la vallée de la Medjerda.
                  Or, Tifech se trouve compris dans le territoire de la plus forte tribu de la province de Constantine celle des Hanencha, et cette portion de leur territoire est précisément celle qui conviendrait sous tous les rapports à la fondation d'un grand établissement ; car cet établissement joindrait aux éléments de prospérité qu'il pourrait trouver dans l'agriculture, ceux que l'excellente position commerciale de Tifech lui garantirait.

                  Il en est de même pour la ville du Sera où la position la plus convenable pour un établissement devenu aujourd'hui si utile entre Constantine et Sétif, serait comprise dans le territoire des Ouled-Abd-En-Nour, l'une des tribus les plus considérables de la province.

                  L'échange territorial conduirait donc à la fondation successive dans plusieurs tribus de la province de Constantine d'établissements qui pourraient devenir très considérables si les concessions étaient faites sur des bases assez larges pour donner lieu à un grand développement d'efforts.
                  Ces établissements sans avoir coûté à l'Etat autre chose que des terres, contribueraient puissamment à la stabilité de notre domination ; puisque leur action s'étendrait au moins aussi loin que celle des camps et que leur nombre pourrait se multiplier davantage.

                  Dans les efforts auxquels ces diverses exploitations donneraient lieu, les indigènes seraient les premiers à demander une participation et à s'associer aux familles européennes. L'action de ces camps civils serait donc plus efficace et plus énergique que l'action compressive des camps militaires ; les premiers auraient pour effet de créer des intérêts communs, les autres n'engendrent qu'une défiance réciproque.
                  Au reste, cette association d'efforts entre les Européens et les indigènes serait assurée principalement par le choix des personnes chargées de la direction de ces grandes entreprises.

                  En effet, si elles ont les proportions que nous concevons qu'elles les peuvent et qu'elles doivent avoir, le soin de les diriger ne peut plus être l'affaire d'un simple fermier.
                  Elles acquièrent par leur étendue, une importance à la fois financière et politique qui impose l'obligation de ne les confier qu'à des hommes : d'une capacité, d'une intelligence et d'un caractère éprouvé.

                  Le principe de l'échange territorial avec les tribus étant une fois admis et consacré par de larges concessions dans les principales tribus les intermédiaires entre les travailleurs européens ou indigènes et les compagnies financières deviennent aussitôt, à raison des grands intérêts dont la gestion leur est confiée, les agents les plus influents, non seulement de la colonisation européenne et de la civilisation arabe, mais encore de la domination française.
                  Il en serait de ces entreprises comme il en est des chemins de fer. Les directeurs des chemins de fer forment, eux aussi, le lien entre les banquiers et les travailleurs, et l'on sait l'énorme influence que ces positions assurent à ceux qui les occupent.
                  De même la direction des grandes entreprises agricoles ou industrielles auxquelles l'Algérie peut donner naissance, ne saurait être remise qu'à des mains d'élite.

                  Or, si on réfléchit à la triste situation dans laquelle se trouve aujourd'hui un certain nombre d'officiers du plus grand mérite : qui végètent dans les bureaux arabes sans aucun espoir de fortune et souvent sans espoir d'avancement, on comprendra que plusieurs d'entre eux n'hésitent pas à prendre dans l'exploitation du sol algérien, sous cette forme nouvelle, une place qui leur assurerait en même temps dans le gouvernement du pays conquis une influence bien supérieure à celle qu'ils y exercent en ce moment.
                  Parmi ces officiers, qui placés aujourd'hui en sous ordre, forcés de composer sans cesse avec : l'ignorance, les vues étroites et les tracasseries de leurs chefs, n'exercent sur la marche des affaires qu'une action subalterne, n'en est-il pas qui préféreraient cette belle et grande liberté d'action que les compagnies financières laissent presque toujours aux hommes investis de leur confiance ?

                  N'en est-il pas qui préféreraient appliquer : avec l'indépendance qu'assure la haute gestion des grands intérêts, les vues que leur ont inspiré l'étude et la pratique du peuple arabe plutôt que de demeurer, sans profit pour eux, les instruments trop souvent passifs d'un pouvoir inintelligent.
                  Nous connaissons assez plusieurs de ces officiers pour être assurés qu'ils n'hésiteraient pas à saisir une occasion qui leur restituerait la part d'autorité dont leur mérite les rend dignes et dont les prive trop souvent une organisation vicieuse et bâtarde.

                  Mais indépendamment du bien qu'ils peuvent faire aux populations soit indigène soit européenne, indépendamment de cette association d'intérêts entre les deux peuples, dont la réalisation deviendrait leur ouvrage, quand, pour prix de leurs efforts, ils trouveraient, au bout de cette carrière, non seulement la gloire et l'autorité mais encore la fortune, quand les vivificateurs du sol en deviendraient les premiers fondateurs, en vérité, ne serait-ce pas de toute justice ?
                  En résumé l'application du principe d'échange territorial entraîne l'admission d'un autre principe, celui des grandes concessions.

                  L'adoption de cette double mesure donne naissance à des centres civils de domination, qui complètent l'action des établissements militaires.
                  Elle utilise des forces que le régime actuel néglige ou dissipe ; elle utilise le sol, que le capital européen peut seul vivifier ; elle utilise les bras du paysan arabe, que l'état misérable de l'agriculture et de l'industrie indigène énerve et alanguit ; elle utilise les bras du colon européen que, dans l'état actuel, l'isolement brise et décourage ; elle utilise de belles et énergiques natures que l'Algérie a fait éclore et que la hiérarchie militaire sous son joug de plomb ; elle utilise enfin le premier et le plus puissant des instruments de travail, le capital, qui commence à trouver l'Europe trop étroite et cherche au-delà des mers un aliment nouveau à sa dévorante activité..

L'Algérie courrier d'Afrique, d'Orient et de la Méditerranée. (22-02-1848)


Voyons Martine !
De Hugues Jolivet


         Un Ministre accompagné de sa secrétaire, effectue une tournée de son arrondissement.
         Il visite en premier un complexe scolaire et écoute les doléances des élèves et des professeurs.­­­­­­

         " Monsieur le Ministre, le chauffage est vieillot et on s'attend à un hiver rigoureux, nos salles de cours sont exiguës et nécessiteraient une réfection, beaucoup de bancs et chaises sont plus que vétustes, toutes les fenêtres laissent passer l'air etc..., etc..., etc..."
         Après avoir entendu toutes leurs doléances, le Ministre répond :
         "Ne vous en faites pas, je m'en occupe, tout sera corrigé le plus tôt possible."

         Il monte alors dans sa flamboyante Citroën et continue sa tournée en s'arrêtant à une prison.
         Là aussi les doléances sont nombreuses notamment celles des détenus :
         "Monsieur le Ministre, on aimerait avoir une meilleure qualité de vie, une amélioration des repas serait la bienvenue, on souhaiterait avoir des nouveaux draps toutes les semaines, des TV grand écran, home cinéma, piscine, court de tennis, petites masseuses privées une fois par semaine, etc..., etc..., etc..."

         Après avoir une fois encore entendu toutes les doléances, le Ministre répond :
         "J'en prends bonne note, vous aurez satisfaction dans le plus bref délai."

         Il retrouve sa Citroën et, pendant le voyage de retour, donne des instructions à sa secrétaire :
         "Bon, Martine, faites envoyer au complexe scolaire une équipe de réparateurs pour remplacer quelques fenêtres et boucher quelques trous, mais rien d'autre. ­­­­­
         Ensuite, faites envoyer une entreprise à la prison pour installer une piscine, des bains jacuzzi, des bains turcs, un sauna, des courts de tennis, une salle de loisirs avec des téléviseurs 140 cm, etc..., etc... "

         La secrétaire, toute surprise, lui répond :
         "Mais, ce que vous me demandez, monsieur le Ministre, n'a pas de sens."
         Et celui-ci de lui répondre :
         " Voyons Martine, on est déjà allé à l'école, on n'y retournera plus. ­­­­­­
         Mais pour ce qui est de la prison... On ne sait jamais !"
         Gouverner, c'est prévoir !




Cause et but de la marche lente et rétrograde de M. le maréchal Bugeaud
Envoyé par M. Christian Graille

                 Plusieurs personnes, étonnées, avec juste raison, de la conduite : Bizarre, irrationnelle, anti militaire, anti politique que tient M. le maréchal Bugeaud depuis son retour en Algérie, semblent douter de la vérité même, parce qu'elles ne se rendent pas compte de la cause et du but d'une semblable conduite.
                 Nous considérons comme un devoir d'éclairer le public, et sur les motifs qui dirigent M. le maréchal Bugeaud, et sur le but qu'il veut atteindre.

                 Monsieur le gouverneur général, si pressé de quitter Excideuil (village de Dordogne) et de prendre la route la plus courte pour aller vaincre Abd-el-Kader suit aujourd'hui la plus longue, parce qu'entre son départ de la Dordogne et son arrivée à Alger, il est survenu telle complication qui donne beaucoup à réfléchir à M. le maréchal Bugeaud.
                 Maintenant il est tellement préoccupé d'assurer son maintien sur le trône d'Alger qu'il n'a même plus le temps de diriger lui-même les opérations militaires de la division dont il a pris le commandement ; ainsi il confie au général Loussof le soin : de poursuivre, d'atteindre et de décimer les Beni-Meïda, les Ouled-Bessam et les Ouled-Kheliff.
                 Il charge M. le général Reveu de l'attaque des populations réfugiées sur l'Oued-el-Ardjem.

                 Pendant ce temps M. le maréchal Bugeaud : écrit des mémoires, rédige des traités, fait des rapports au ministre de la guerre sur la colonisation militaire sur les postes détachés.
                 De chacun des plus petits ruisseaux de l'Oued-Senis, il date des dépêches, entièrement étrangères à la politique et aux opérations militaires qu'il semble diriger. Il ne prend même pas le temps de donner de ses nouvelles.
                 Singulier homme, qui pendant la paix : ne rêve que de bataille dresse des plans de campagne, tourmente le ministère pour lui fournir les moyens de toujours se battre, et qui, pendant la guerre, alors qu'il est aux prises avec un ennemi qui le ruine et l'accable, ne songe qu'aux travaux de la paix, ne pense qu'à la colonisation et, ne fait que dicter à ses commis des plans de colonies agricoles.

                 Tant d'idées fécondes traversent en route, la nuit, le jour, la tête du gouverneur qu'il appelle à son secours, pour mettre ses projets sur le papier et les rédiger en bonne forme son premier aide de camp et un de ses officiers d'ordonnance ses secrétaires habituels.
                 Qu'on ne pense pas que la préoccupation actuelle de M. le maréchal Bugeaud soit bizarrerie ou effet du hasard. Non. Une telle conduite est parfaitement réfléchie et calculée, et le but que poursuit le futur gouverneur à vie de l'Algérie est nettement indiqué.
                 M. le maréchal Bugeaud veut rester le plus longtemps qu'il pourra à la tête du gouvernement algérien.
                 La place est bonne et à tout prix il veut la conserver.

                 Cependant en France l'opinion publique s'est hautement prononcée contre les tendances de M. le duc d'Isly : A la cour on commence à se lasser de l'insubordination du gouverneur ; dans le conseil des ministres une opposition puissante s'est déclarée contre lui ; au département de la guerre, le maréchal-ministre, son successeur, M. Vauchelle, l'ancien et le nouveau directeur des affaires de l'Algérie et tous les chefs des principaux services sont en lutte continuelle contre les opinions les projets et les exigences de M. le maréchal Bugeaud.

                 Parmi les journaux quelques-uns à peine ont osé prendre sa défense sur des questions secondaires ; tous, y compris le journal des Débats l'ont blâmé sur des questions de principes. La Presse, organe du parti conservateur, a traité M. le maréchal Bugeaud de pacha révolté, et n'a pas craint de dire que si, en France, la presse gouvernait autant que semble le croire M. le maréchal Bugeaud, déjà il aurait été rappelé de son gouvernement.
                 En Algérie parmi ses subordonnés même, M. le maréchal Bugeaud n'est plus en odeur de sainteté. Dieu sait ce que MM. les généraux : de Lamoricière, Bourjolly et Cavaignac pensent de la responsabilité qu'on a voulu faire peser sur eux.

                 Dans la province de Constantine, tous les chefs de corps aimeraient autant un autre gouverneur qui tiendrait compte de leurs services et ne les laisserait pas dans un complet oubli quand il s'agit d'avancement et autres récompenses.
                 Dans les services civils il n'y a que les fonctionnaires périgourdins qui chantent les vertus de M. de la Piconnerie (Bugeaud) M. le directeur général des affaires civiles est en guerre ouverte avec le chef militaire de la colonie, et tous ses subordonnées gémissent sous le poids du despotisme qui s'est appesanti sur eux. Dans la population européenne, si l'opinion semble partagée, c'est que les uns, ceux qui ont besoin pour leur intérêt personnels de l'appui tout puissant du chef suprême, ne craignent pas de crier par-dessus pour célébrer la gloire de leur protecteur, et que les autres, toujours dans l'intérêt de leur fortune de leur commerce n'osent pas dire ce qu'ils pensent.

                 Le maréchal Bugeaud sait tout cela et comprend la gravité de la situation ; il comprend que, malgré certains petits services rendus, le dispensateur suprême des grands bénéfices pourrait bien avoir la main forcée par l'opinion publique ; alors, M. le maréchal a songé à enchaîner la volonté royale et ministérielle et même la volonté des chambres, en leur tendant un petit piège.
                 Il s'est dit : " La colonisation de l'Algérie sourit à la chambre alors devenons colonisateur. Mes idées sur les colonies militaires ne sont pas accueillies favorablement, modifions-les ; et au lieu de demander 350 millions, comme dans mon premier projet, bornons-nous à solliciter quelques fonds pour un essai seulement.
                 La chambre est trop raisonnable pour me refuser l'argent nécessaire à cet essai, ne serait-ce que dans l'espoir de trouver des armes pour combattre mon grand projet. Ces fonds accordés, l'essai ordonné, il faudra bien qu'on me laisse à la tête des affaires pour diriger moi-même l'installation de ma colonie modèle, alors ma couronne est sauvée, Dieu aidant, je resterai encore longtemps gouverneur général de l'Algérie aux appointements de 100.000 francs, et accessoires idem. "
                 Voilà pourquoi M. le maréchal Bugeaud laisse l'épée pour prendre la plume.

                 On prépare en ce moment le budget de 1847, et bon gré, malgré, il veut obtenir un tout petit crédit pour commencer un essai de colonisation militaire.
                 Du reste les vœux de M. le maréchal Bugeaud seront exaucés. Une demande de crédits pour essai de colonisation militaire sera faîte cette année à la chambre ; nous ne savons si elle sera accordée ; nous pensons même que le ministre verrait avec plaisir que sa proposition fut rejetée.
                 Voici donc le but de M. le maréchal bien indiqué bien tracé en ce qui concerne la colonisation militaire.

                 Maintenant une autre préoccupation empêche M. le maréchal Bugeaud de dormir et de faire la guerre, c'est la concurrence que peut lui faire M. le général de Lamoricière, qui, pour exercer un intérim, a voulu une commission royale qui, dit-on, pendant le peu de temps de son gouvernement s'y est montré bon administrateur qui a aussi son parti dans l'armée d'Afrique qui enfin n'est pas resté pendant quinze ans dans le pays, sans avoir l'intention d'en devenir gouverneur et qui ne se souciera pas d'attendre la mort de M. le maréchal Bugeaud pour recueillir son héritage.

                 Tous ces motifs font que M. le maréchal Bugeaud est plus soucieux de renverser M. le général la Moricière que d'en finir avec Abd-el-Kader.
                 Combattre directement et ouvertement un homme aussi populaire que le commandant supérieur de la province d'Oran serait dangereux ; il faut prendre un biais, et ce biais, c'est un petit traité sur les postes détachés déjà annoncé dans une circulaire et dans lequel M. le maréchal Bugeaud avec l'autorité que lui donnent cent batailles gagnées, prouvera que les petits postes de la province d'Oran sont la cause des derniers désastres et que M. le général de Lamoricière est l'auteur et le fondateur de ces petits postes.

                 Tous les gens d'esprit en concluront que si M. le général de Lamoricière devenait gouverneur général, l'Algérie serait perdue.
                 Ce que nous répétons ici a été dit cent fois dans les salons et à la table du gouverneur général et a été redit au dehors par cent bouches intéressées à propager ces idées.
                 Ces révélations n'étonneront pas M. le général de Lamoricière ; du reste, pour l'en consoler, nous pouvons lui affirmer qu'à l'époque où M. le duc d'Aumale était gouverneur de Constantine à l'époque où les amis de M. le maréchal Bugeaud craignaient la rivalité du prince, ils faisaient également flèche de tout bois contre lui. Nous le répétons encore, en Algérie, M. le maréchal Bugeaud n'a jamais été et ne sera jamais préoccupé que de ses intérêts personnels.

                 Alors qu'il n'entrevoyait pas pour lui, la brillante carrière qu'il a parcourue depuis, il n'était pas partisan de la conquête de l'Algérie ; depuis, ses idées ont changé parce que ses intérêts y ont trouvé leur compte. Le but de tous les actes de M. le maréchal Bugeaud est de conserver la haute position qu'il a su acquérir.

L'Algérie, courrier de l'Afrique, d'Orient et de la Méditerranée (26-11-1845)


Bône
Envoyé par M. Christian Graille
Bône tout le monde descend !

          Enfin nous voilà arrivés ! La mer n'a pas été mauvaise, mais comme elle ne saurait être bonne à cette époque de l'année, la plupart des passagers ont dû payer leur tribut aux poissons de la Méditerranée. Pendant que le Moïse ralentit sa marche pour attendre le pilote du port, un officier très obligeamment me donne des renseignements sur la ville que je dois habiter.

          Je ne connais Bône, en effet, que de réputation et j'ai lu dans le bottin qu'elle était " l'une des plus jolies villes d'Algérie. " Bâtie sur une colline, au bord de la mer, elle est, dit l'annuaire, appelée à un avenir important.
          Son port et le meilleur et le plus sûr de toute la côte algérienne. Son climat sain et tempéré, la beauté de ses plages et de ses environs font les délices de nombreux étrangers.

          Théâtre de premier ordre : cafés-concerts, squares et promenades publiques, etc, etc ". L'annonce est alléchante et je suis sûr que si elle était connue, de nombreux rentiers viendraient finir leurs jours dans cet éden algérien !
          Mon compagnon de voyage qui connaît l'Algérie comme sa poche, complète pour moi les renseignements que le rédacteur du bottin énumère par "et cetera", ce qui veut dire si j'en crois cet officier : plaisirs nombreux, femmes jolies.

          Le bateau repart. Nous passons entre les deux jetées. Une masse noire que je ne puis distinguer s'élève à droite : " C'est, me dit mon guide, une drague du pays que les gens ont baptisé Marie salope. "
          Au loin une longue rangée de lumière illumine une avenue plantée d'arbres ; c'est le cours National, la Cannebière algérienne ! Les Champs Elysées de Bône !
          " Voyez--vous, ajoute-t-il, un monument au milieu de ce bouquet de palmiers ; c'est la statue du père Thiers. Elle possède une particularité qui fait rire tous les voyageurs. Vous en ferez le tour demain et vous remarquerez facilement ce que j'appellerai ... l'infirmité dont elle est atteinte.

          La grande maison qui se trouve à droite du cours, est la plus jolie de Bône et porte le nom de Palais Calvin.
          Tout le long de la rive, à droite, les bains de mer et la promenade très fréquentée de la Corniche ... Ah ! Vous avez de la veine d'aller à Bône c'est la ville d'Algérie la plus agréable à habiter."
          Le bateau accoste le long du quai très étroit encombré de caisses et de futailles et la première impression que vous ressentez est que le port est trop petit pour les marchandises qu'il reçoit.

          Une nuée d'arabes : envahissent le pont, vous bousculent, vous offrent leurs services et vous prennent de force les bagages que vous avez à la main.
          Vous avez beau crier tempêter, vous débattre, il faut que vous en passiez par où ils veulent et le plus simple moyen de se débarrasser de ces gêneurs est encore de confier vos bagages à l'un d'eux.
          Il est vraiment regrettable que la Compagnie Transatlantique pour je ne sais quelles raisons que je veux croire plausibles, fassent débarquer de nuit les voyageurs qui descendent à Bône.
          Le touriste qui ne connaît pas la ville est gêné pour se reconnaître au milieu des embarras du quai. Pas de voiture, pas un garçon d'hôtel au débarcadère.

          Le lendemain matin je fais une première sortie, mais comme je n'ai pas de cicérone j'attends l'après-midi pour visiter la ville.
          Il a plu toute la nuit et les rues sont couvertes d'une boue épaisse et gluante sur laquelle il est difficile de marcher. Les flaques d'eau font autant de petites mares au milieu de la chaussée. Ces marécages sont d'autant plus regrettables qu'il serait facile de les faire disparaître si le service de la voirie s'en donnait la peine.
          A ce propos la municipalité bônoise, ne pourrait-elle pas organiser, les jours de pluie, un service de bateaux-mouches pour permettre aux piétons d'aller d'un trottoir à l'autre sans barboter dans la boue et dans l'eau ?
          Je signale aimablement ce moyen à M. l'agent communal et l'autorise à prendre un brevet, à ma place.

          Enfin le soleil se lève et bien qu'on continue à naviguer dans les flaques d'eau, le spectacle change. Bône la coquette dans alors toute sa splendeur.
          Par une belle journée avec l'atmosphère claire, les rayons d'un chaud soleil, la douce brise de mer, le ciel bleu au-dessus et la mer au-dessous la ville élégante et sa baie en face, il est difficile d'imaginer un plus charmant panorama.
          La ville nouvelle avec : ses larges rues, son cours National, unique au monde disent les Bônois, ses maisons hautes et carrées, façades blanchies, forment une masse compacte que l'on dirait taillée d'un seul bloc dans le flanc de la montagne qui l'entoure.

          La vieille ville dont je ne connais pas encore l'origine, ressemble aux anciennes cités de France. Ses rues étroites, leurs détours nombreux forment un véritable labyrinthe à l'instar des quartiers arabes des villes mauresques.
          Bône possède une population cosmopolite composée de gens venus de toutes les parties d'Europe et d'orientaux de toutes nuances. Cela ajouté aux nombreux caractères de la ville, lui donne une animation et un charme particulier.
          La longue et belle promenade au bord de la mer, appelée le chemin de la Corniche est un beau spécimen de travail humain. Elle est construite, le long du rivage et au pied de la montagne, sur une distance d'une dizaine de kilomètres.
          On me dit que c'est la promenade favorite des Bônois qui y viennent en foule, le dimanche, les femmes pour montrer leurs toilettes et dire du mal de leurs amies ; les hommes pour lorgner leurs jolies compatriotes.
          Des bains de mer, des restaurants et, des cafés enfouis dans la verdure, ses jardins sont installés le long de la route.
          De coquettes villas étagées au pied de la montagne augmente le charme de cette promenade.
Albert Noyer. L'Algérien, organe républicain indépendant (11-03-1900)


Le Simoun
Envoyé par M. Christian Graille

                 Le Sahara est, à proprement parler, la véritable patrie des Touaregs. Cependant, depuis son l'entrée dans le désert, l'akkabah (caravane) avait modifié son ordre de marche. Elle s'était divisée en cinq groupes qui s'avançaient à cent pas d'intervalles l'un de l'autre, mais prêts à se rejoindre en cas de danger.
                 Cette disposition avait pour but : d'éviter le choc des chameaux entre eux, l'encombrement aux puits et, comme conséquence forcée, le gaspillage de l'eau si précieuse aux caravanes.
                 Derrière chacun des groupes, quelques esclaves à pied veillaient au bon ordre et piquaient les chameaux retardataires.

                 Les premiers jours de marche n'offrirent aucun incident remarquable. Le désert, plateau immense, dont l'horizon s'arrondit comme celui de la mer, présentait de tous côtés une ligne monotone.
                 Le voyage s'annonçait donc sous de favorables auspices, et n'eussent été les ossements blanchis d'hommes et d'animaux que l'on rencontrait comme des jalons indiquant le chemin, on eût pu croire à la sécurité absolue de la grande route du désert.

                 Rien n'était venu confirmer les appréhensions de Ben-Samuel. Le Juif s'était-il trompé ? En tout cas Bou-Békeur était vraiment un homme habile et de grande expérience : le jour, la déclinaison du soleil, la nuit la position des étoiles suffisaient à le guider, aussi bien que le compas et la boussole.
                 Le khébir connaissait tous les puits du désert, même ceux que les Touaregs cachent sous des branchages et des peaux de chameaux qu'ils recouvrent ensuite de sable.

                 Le 7 mai, après trois jours d'une marche fatigante, au sortir d'une vallée étroite, encaissée entre deux dunes de sable, la caravane aperçut avec joie, à une lieue devant elle, le marabout d'Abd-en-Nebi. La vue de ces frais ombrages rendit le courage à tous.
                 Depuis le matin le vent soufflait du Nord-Est par bouffées brûlantes. L'air semblait embrasé. Le ciel toujours si pur et si transparent, avait pris une teinte violacée. A plusieurs reprise Ben-Samuel avait branlé la tête d'un air inquiet.

                 Quand M. Hunt lui demanda la cause de cette inquiétude, le Juif se contenta de lui désigner un point noir à peine perceptible à l'horizon sur l'axe du ciel.
                 " Le simoun ! " ajouta-t-il. Le simoun, c'est-à-dire le vent du désert, le krazmsim des Egyptiens qui anéantit jadis l'armée de Cambyse (roi de Perse) et qui, en 1805, ensevelit sous le sable une caravane composée de dix-huit cents chameaux et de deux mille personnes. (Plusieurs auteurs nient ces faits terribles du simoun, et le représente comme plus incommode que réellement dangereux. D'après eux, l'armée de Cambyse aurait été engloutie dans les sables mouvants de la Lybie. Ils conviennent cependant que le concours de certaines circonstances peut rendre le simoun mortel).
                 Les phénomènes observés par Ben-Samuel n'avaient sans doute pas échappé au khébir, car il donna l'ordre de presser la marche.
                 Mais, comme les voyageurs allaient atteindre le marabout d'Abd-en-Nebi, soudain cent cinquante Touaregs, montés sur des méharas, parurent à la lisière du petit bois de dattiers.
                 Un deux se détacha de la troupe, et s'approchant de la caravane qui s'était arrêtée court à cette vue : " Que le chef de l'akkabah vienne au-devant de moi ! " dit-il. Personne ne répondit.

                 " Vos oreilles sont-elles fermées ? Que le chef de l'akkabah vienne au-devant de moi ! " répéta le Targui. Aucun des marchands ne comprenait le langage des Touaregs.
                 Enfin, le khébir fit quelques pas et dit : " Que demande mon frère ? Ah ! c'est toi Bou-Békeur. Qu'Allah soit avec toi ! Sais-tu que toute akkabah qui traverse le territoire des Touaregs doit payer le tribut ? je le sais.
                 Et cette akkabah a-elle payé le tribut ? Non.
                 Pourquoi ? Parce qu'elle se croît assez forte pour n'avoir rien à craindre.
                 Ah ! fit le Targui eh ! bien répète mes paroles à tes compagnons.
                 Je veux pour droit de passage, la moitié des richesses de l'akkabah. "

                 Le khébir retourna vers les marchands et leur fit part des exigences des Touaregs. Les marchands sont gens pacifiques par nature, mais pourvu qu'on ne touche pas à leur bourse. Les Marocains ne font pas exception à la règle commune.
                 Ils se consultèrent, et comptant du regard le petit nombre de leurs adversaires : " Réponds que nous ne donnerons rien, " dirent-ils à Bou-Békeur.
                 Et en même temps ils se préparèrent à soutenir la lutte qui allait s'engager.

                 Tout à coup une seconde troupe de Touaregs sortit d'un ravin sur le flanc droit de la caravane. La situation de l'Akkabah était critique.
                 La tête seule avait dépassé le ravin qu'elle venait de traverser ; le centre et la queue restaient encore engagés entre les deux dunes de sable, et dans l'impossibilité absolue de se déployer.

                 A n'en pas douter, le lieu avait été choisi et bien choisi pour une embuscade.
                 Au moment où les premiers Touaregs paraissaient à la lisière du bois de dattiers, Ben-Samuel et les Européens se trouvaient à l'extrémité de la caravane, c'est-à-dire, d'après l'ordre de marche que nous avons décrit, à une assez grande distance.
                 Ils ne s'aperçurent de l'évènement qu'au reflux de l'Akkabah, qui recula en se tassant sur elle-même, non sans quelque désordre parmi les chameaux.
                 Mais alors que M. Lafourche et quelques-uns de ses compagnons voulurent s'élancer aux premiers rangs Ben-Samuel les arrêta du geste : " Le sage ne se mêle jamais de ce qui ne le regarde pas, dit-il. Ce sont leurs affaires et non les nôtres. Il sera temps de prendre un parti plus tard. Les fous, ajouta-t-il en désignant l'horizon, ils vont s'égorger à l'instant où la colère de Dieu est sur leurs têtes. "

                 En effet, depuis quelques moments, l'azur du ciel pâlissait de plus en plus ; à travers les épaisses vapeurs de l'atmosphère, le soleil ne projetait plus qu'une lumière pâle et indécise ; le point noir, à peine perceptible une heure auparavant, grandissait à vue d'œil s'allongeant et formant de l'Est au Nord un cercle immense qui étreignait l'horizon.
                 Cependant, le vent ne se faisait encore sentir qu'à la surface du sol, ne dépassant pas quelques pieds de hauteur ; le sable soulevé fouettait les jambes des voyageurs, mais sans atteindre leur poitrine.

                 Les Arabes disent que le vent de la mer marche horizontalement tandis que celui du désert sautille et galope en creusant le sable (M. le comte d'Escayrac de Lauture, le désert et le Soudan).
                 En ce moment quelques coups de fusil et des hurlements sauvages indiquèrent que la lutte était engagée à l'avant-garde et sur le flanc droit de la caravane.
                 Venez," dit Ben-Samuel, et, prenant la main de M. Hunt, il escalada rapidement avec lui la dune qui s'élevait à sa gauche. M. Lafourche et ses compagnons suivirent cet exemple.

                 Arrivés au sommet de la dune, ils se retournèrent. Mieux armés que leurs adversaires qui, pour la plupart, n'avaient pas de fusils, mais seulement des lances d'un bois solide et léger, les marchands marocains se défendaient avec courage ; de leurs chameaux agenouillés ils avaient fait, à la hâte, sur le front et sur le côté menacé une espèce de barricade derrière laquelle ils dirigeaient contre les Touaregs un feu vif et meurtrier.

                 Mais les méharas, animaux spécialement dressés pour la guerre, donnaient aux assaillants un immense avantage.
                 Leur haute taille dominait la barricade, et les Touaregs, plongeant leurs longues lances dans les rangs pressés des Marocains y faisaient des vides sanglants.
                 Cependant la victoire restait incertaine, quand tout à coup le khébir et les chaouchs firent volte-face, et passant à l'ennemi, lui ouvrirent une large brèche dans la muraille vivante qui protégeait l'akkabah.
                 Les Touaregs se précipitèrent tête baissée dans la trouée.

                 Alors commença une lutte corps à corps une lutte où les armes à feu devenaient inutiles.
                 Se sentant perdus, les Marocains vendirent courageusement leur vie. Bientôt ce ne fut qu'un affreux massacre les hurlements des vainqueurs étouffant jusqu'aux gémissements des vaincus.
                 Du haut de la position qu'ils occupaient, les fugitifs avaient assisté silencieux aux combats.

                 Quand Ben-Samuel vit son fatal dénouement : " Nous n'avons qu'une chance de salut " dit-il, c'est la fuite. Pendant une heure encore le pillage absorbera toute leur attention ; il faut, que dans une heure, nous ayons mis une lieue entre eux et nous. "
                 Et redescendant la rampe opposée de la dune, il entraîna derrière lui ses compagnons épouvantés.
                 Il était temps ; Les Touaregs qui ne rencontraient plus d'obstacle devant eux, se répandaient de tous côtés dans le ravin.
                 Heureusement pour les fugitifs, l'élévation de la dune les dérobait à la vue de leurs ennemis, mais le khébir, qui connaissait leur exigence, ne s'apercevrait-il pas bientôt de leur disparition, et, s'en apercevant, ne se mettrait-il pas à leur poursuite ?

                 Dans ce cas, pour eux, désarmés, c'était la mort, une mort horrible, avec tous les raffinements de la plus barbare cruauté. Cette pensée leur rendit la force qui commençait à leur manquer, et ils hâtèrent le pas. Ils se trouvaient dans une vallée étroite que fermait, à trois cents pas devant eux, une colline de sable qui courait parallèlement à celle qu'ils venaient de descendre.

                 L'important était d'atteindre cette colline et de la dépasser, afin que les Touaregs, s'ils poursuivaient Ben-Samuel et ses compagnons, ne les aperçussent pas du haut de la première dune.
                 Mais, à peine avaient-ils fait quelques pas, le sol mouvant céda sous leurs pieds ; ils enfoncèrent jusqu'aux genoux. Impossible d'aller plus loin.
                 En même temps, une bouffée d'un air épais mélangé de sable vint fouetter leur visage.
                 " C'est le simoun, s'écria Ben-Samuel, couchez-vous en cercle, le dos du côté du vent. Enveloppez-vous la tête dans vos vêtements pour que le sable embrasé ne vous étouffe pas ; si le sable s'amoncelle à vos côtés, faîtes le glisser sous vous, mais sans découvrir votre tête. Et que la volonté de Dieu s'accomplisse ! "

                 C'était bien le simoun qui arrivait : Terrible, impétueux, irrésistible.
                 En un instant le ciel se voila le ciel s'obscurcit des tourbillons d'une poussière rougeâtre, soulevée par le vent envahirent l'atmosphère. On ne voyait pas à deux pas devant soi.
                 Les fugitifs s'étaient empressés d'obéir, et, groupés en une masse compacte, ils essayaient de se prêter l'un à l'autre un mutuel appui.
                 La poussière impalpable pénétrait dans : leurs yeux, leurs narines, leur bouche séchant la peau allumant dans la poitrine une soif ardente inextinguible.
                 Cela dura une demi-heure environ, une demi-heure de souffrances inouïes de désespoir mortel.

                 Puis, la tourmente parut se calmer un peu, et Ben-Samuel, se dégageant du sable qui le couvrait, se releva et d'un œil inquiet consulta l'horizon.
                 Le centre de l'ouragan s'était déplacé : à l'Est l'azur du ciel reparaissait à travers une lumineuse éclaircie mais au Nord, des nuances sombres, chassés par un vent contraire, s'amoncelaient, roulant avec un bruit sinistre.
                 " Ce n'est plus le simoun, c'est la trombe, dit le Juif épouvanté ; si elle passe sur nous, cette fois nous sommes perdus. (la rencontre des deux courants atmosphériques opposés et un peu obliques l'un à l'autre donne, comme on le sait, naissance à des tourbillons capables souvent de déraciner les arbres de retourner des masses pesantes et de les transporter assez loin. M. le compte d'Escayrac le désert et le Soudan.)

                 En effet, une immense colonne noirâtre, de quarante pieds de diamètre, et dont la tête se perdait dans les nuages, se précipitait du côté des fugitifs, avec la vitesse d'un cheval lancé au galop. Animée d'un mouvement giratoire continu elle ramassait sur son passage sable et cailloux qui, disparaissant dans son orbite développaient sa force de projection.
                 On eut dit un colosse antédiluvien un spectre gigantesque évoluant sur lui-même exécutant une danse vertigineuse. Muets d'horreur, sans même songer à fuir, les fugitifs voyaient le monstre glisser sur le sol en tourbillonnant avec les sifflements et les contorsions d'un serpent irrité. Il allait en ligne droite.

                 Soudain la colonne sembla s'arrêter un instant puis, reprenant son mouvement, elle tourna sur elle-même obliqua vers la droite franchit la colline de sable et continua sa course affolée vers le marabout d'Abd-en-Nebi.
                 Presque aussitôt, comme si la nature eut épuisé ses forces dans ce suprême effort le vent tomba, l'atmosphère reprit sa limpidité, le soleil se ralluma dans un ciel éclairci.

                 Les fugitifs se regardèrent étonnés, stupéfaits d'avoir échappé à un si terrible danger. " Dieu est grand ! dit Ben-Samuel, son souffle a effacé la trace de nos pas." Chacun se releva se secoua fit tomber le sable dont ses vêtements étaient couverts. M. Hunt ne fut pas le dernier sur pied.
                 " Splendide ! merveilleux ! " s'écrie-t-il avec un éternuement sonore, je ne donnerais pas les émotions d'aujourd'hui pour une année de ma vie.
                 Jamais, même en Angleterre, je n'avais vu chose pareille. " A cet aveu, qui sans nul doute, dût coûter beaucoup à l'orgueil national de son ami, M. Lafourche, malgré la gravité de la situation, ne put réprimer un sourire.

                 " La trombe s'est dirigée vers le marabout d'Abd-en-Nebi, reprit Ben-Samuel ; c'est là que se trouvaient l'akkabah et les Touaregs. Je veux voir ce qui est arrivé. Attendez-moi ici. " Et le Juif escaladant la colline, disparut aux regards de ses compagnons. Dix minutes à peine s'étaient écoulées, ceux-ci entendirent de grands cris, et bientôt ils aperçurent Ben-Samuel qui leur faisait signe de le rejoindre.
                 Ils reprirent le chemin qu'ils avaient parcouru une heure auparavant et, arrivés au sommet de la colline un spectacle s'offrit à eux qui glaça le sang dans leurs veines.
                 En s'engageant dans l'étroite vallée, la trombe avait rencontré d'abord : le marabout qu'elle avait renversé, les arbres qu'elle avait déraciné tordus comme des fétus de paille puis ... sans doute les Touaregs ne l'avaient pas vu venir, sans doute elle les avait surpris dans leur œuvre de pillage et de mort : car ils étaient tous là étendus sur le sable : meurtris, broyés, défigurés.

                 Leurs corps masses inertes qui avaient perdu jusqu'à l'apparence humaine, gisaient pêle-mêle auprès des cadavres des Marocains égorgés.
                 Cent pas plus loin, la trombe, en s'affaissant, avait formé sur le sol trois ou quatre cônes de plusieurs mètres d'élévation.
                 Le tableau était si affreux si épouvantable que le premier mot de M. Hunt fut : " fuyons ! "
                 Mais Ben-Samuel, avec un accent prophétique : " Le doigt de Dieu est là, dit-il. Ce que Dieu fait est bien fait. Celui qui frappera de l'épée, périra par l'épée, a dit Aïssa ; et Aïssa était un grand prophète. Puisque Dieu a détourné la trombe de nos têtes, c'est qu'il ne voulait pas notre mort, et, ne voulant pas notre mort, il nous donne les moyens de vivre et de traverser le désert. "

                 Les fugitifs comprirent la sagesse de ces paroles ; perdus au milieu des sables d'un Sahara sans armes sans provisions l'akkabah n'était-elle pas pour eux le navire échoué sur la côte, auquel le naufragé demande tout d'abord ses premières ressources ?
                 Aussi, malgré l'horreur qui les dominait, ils se laissèrent glisser dans le ravin. Là une première déception les attendait.
                 Le simoun avait desséché les outres qui contenaient la provision d'eau, et ils ne purent trouver une goutte pour étancher la soif qui les dévorait.

                 La source d'Abd-en-Nebi du moins leur restait. Nouvelle déception ! Le sable avait comblé le bassin, et si bien nivelé le sol qu'il leur fut impossible d'en découvrir même l'emplacement. Alors, un sombre découragement s'empara de ces malheureux, en proie à toutes les tortures de la soif.
                 Ils allaient : couraient à droite, à gauche, cherchant et ne découvrant rien, mornes désespérés.
                 Mais cette fois encore, l'expérience de Ben-Samuel vint à leur secours.
                 S'il n'apaisa pas leur soif, il trouva le moyen de la tromper en leur faisant avaler quelques gouttes de beurre fondu, qui se trouvait en abondance dans les bagages de l'akkabah.
                 Les fugitifs s'occupèrent alors de réunir tous les objets qui pouvaient leur être de quelque utilité : les armes d'abord puis les provisions, le couscoussou, la viande sèche, les dattes, le maïs enfin les ballots et les tentes que le vent avait dispersé de tous côtés.

                 Comme ils entassaient ces dernières épaves de naufrage, se demandant de quelle façon ils les emporteraient, ils furent très agréablement surpris en voyant venir à eux sept chameaux et quatre méharas qui, plus heureux que leurs maîtres, avaient su fuir devant la trompe et éviter sa mortelle atteinte.
                 Précisément, dans le nombre, il y avait cinq femelles dont le lait rafraîchissant acheva la cure que le beurre fondu avait déjà commencée.
                 Alors qu'ils comptaient les richesses qui les entouraient, les fugitifs sentirent l'espoir renaître en eux.
                 En effet, l'akkabah, exclusivement composée de marchands, emportait avec elle tous les objets qui servent aux échanges entre le Maroc et le Soudan, depuis : les étoffes de laine et les tissus de coton jusqu'aux aiguilles et aux verroteries si fort appréciée de la race nègre.
                 Les ballots regorgeaient de pièces de drap de fer forgé et non forgé de produits chimiques de grains de toute espèce. (M. le comte d'Escayrac, le désert et le Soudan, voir le chapitre intitulé : Articles offerts et demandés par le Soudan) Il fallut faire un choix, les chameaux et les méhara dont on disposait ne pouvant suffire à emporter tout ce bagage.
                 Pour un long voyage la charge d'un chameau ne dépasse guère deux cents kilogrammes (Ibid.)

                 On dut donc renoncer à tous les objets qui ne furent pas jugés d'une absolue nécessité. Du reste il ne pouvait être question de demeurer dans un lieu aussi stérile aussi désolé que le marabout Abd-el-Nebi.
                 D'un commun accord il fut décidé qu'on se remettrait en route le soir même, et le commandant de la nouvelle caravane fut, à l'unanimité, confié au Juif Ben-Samuel.
                 Après une délibération où chacun fut appelé à donner son avis, la marche vers l'Ouest réunit tous les suffrages. Cependant, avant de quitter le marabout, M. Hunt voulut s'assurer qu'ils n'abandonnaient derrière eux aucun être vivant ; et accompagné de M. Lafourche, il alla successivement relever tous les cadavres étendus sur le sol. Les recherches de M. Hunt étaient restées sans résultat, quand il entendit l'ex capitaine de la Jeune Adèle s'écrier : "Mille bombes ! En voilà un, ce me semble qui n'est pas mort ! "
                 M Hunt se retourna et vit son compagnon agenouillé auprès d'un nègre aux formes athlétiques au visage caractéristique de la race soudanienne. En sentant la main de M. Hunt qui se posait doucement sur la poitrine, le nègre poussa un lourd gémissement ses yeux s'entre ouvrirent pour se refermer tout aussitôt.
                 " Ce malheureux n'est pas mort " dit M. Hunt, peut-être le sauverons-nous, et cela nous portera bonheur.
                 Le nègre fut hissé sur l'un des chameaux, parmi les bagages, et, une heure après, la petite caravane s'ébranlait, se dirigeant vers l'Ouest.
L'oasis : scènes du désert par Ch. Wallut (1885)


ALGER ETUDIANT N° 17, 9 mars 1934
N°174, 9 mars 1934
Source Gallica
Avec M. Ferdinand Duchêne
sous le signe du Docteur Mysti

      Le docteur Mysti, après avoir intrigué, puis amusé les populations algériennes, il y a quelque quarante années, par ses trouvailles fumisto-biologiques, vient de ressusciter depuis peu.
      D'où la curiosité, née chez moi, de rencontrer cet être étrange et célèbre. Ce qui m'amena, récemment, à demander à M. Ferdinand Duchêne, qui est, si l'on veut, le plus proche parent de Mysti, quelques détails sur le héros de son nouveau roman.
      Au cours d'une longue et divertissante causerie, le brillant écrivain algérien a bien voulu ouvrir toute grande sa très riche armoire aux souvenirs.
      " Je suis avant tout romancier et non rapporteur de faits divers, nous déclare M. Ferdinand Duchêne, et le docteur Mysti est un personnage de roman. "

      Certes, on peut très vite distinguer, dans l'œuvre, un certain aspect autobiographique, mais son auteur se défend, avec juste raison, d'avoir voulu simplement dérouler, selon une mode nouvelle, le film d'événements successifs ou de mésaventures personnelles, souvent sans lien apparent.
      Pour le plus grand plaisir du lecteur, il a donc tenu, abordant un genre bien différent de celui qu'il avait jusqu'alors fait sien, à conserver les enseignements d'une longue expérience romanesque.
      Et M. Duchêne m'explique comment son effort a tendu sans cesse à ne pas disperser l'action et, pour ce faire, à mêler dans le personnage-pivot qu'est Mysti des éléments de réalité et de fiction.
      " De même, poursuit-il, que j'ai jugé utile de supprimer certains faits, certaines réactions cependant vécus, mais par trop invraisemblables et qui m'eussent fait passer pour plus fumiste que Mysti lui-même, il m'a fallu, encore, typifier les personnages observés, dont plusieurs vivent encore. A ce propos, des gens perspicaces ont voulu voir, dans " les Fantaisies du docteur Mysti ", un roman à clef. Or, c'est là une erreur, du moins si l'on prend cette terminologie sous son aspect habituel : recherche du succès facile par l'insinuation malveillante ou la révélation scandaleuse. Mais c'est exact si l'on, entend par-là que j'ai voulu m'arrêter un instant à l'observation de la vie algérienne, depuis 1895 jusqu'à ce jour, non pas sous l'angle officiel de la grande histoire, mais sous celui pittoresque, amusant souvent, émouvant parfois, de la petite histoire. "

      Bien installé entre les bras du fauteuil confortable, les yeux comblés par les tableaux magnifiques qui couvrent les panneaux, j'écoute, sans qu'il soit besoin de recourir â l'habituel et fastidieux questionnaire, la parole pleine de charme, les évocations si vivantes. Combien tant d'amitié et de bonne grâce facilitent la tâche de l'intervieweur !...
      Et M. Duchêne, aujourd'hui conseiller à la Cour d'Alger, me décrit un garçon de vingt ans, chansonnier improvisé des cabarets du Quartier latin et aussi étudiant en droit à ses moments perdus.
      Le fantaisiste prend naissance, qui demeurera plus tard, sous les dehors les plus sévères, comme une seconde personnalité intérieure, lorsque l'étudiant sera devenu, après un court passage à Dellys, juge de paix à El-Arrouch.
      Nous sommes en 1898, l'époque où les luttes antijuives nées de l'affaire Dreyfus sont au paroxysme. Il faut, au jeune magistrat, une rare force d'âme pour louvoyer entre ces récifs que constituent les coteries politiques. Il doit mener plusieurs enquêtes à propos d'assassinats politiques.

      " Bientôt, un peu de calme revenu, précise M Duchêne, j'éprouvais la nécessité d'orienter mon esprit, trop tendu, vers des préoccupations plus attrayantes. "
      C'est alors que naît l'idée de mystifier autrui.
      Un beau jour paraît, dans le " Zéramna ", organe de M. Thomson, publié à Philippeville, un articulet sous la rubrique : " Curiosités scientifiques ", et d'après lequel on aurait découvert, près d'El-Arrouch, un caillou dont l'une des faces, de composition quasi épidermique, était capable d'attirer et de digérer des vers de terre. L'auteur anonyme la qualifiait : " pierre Carnivore ". C'était la première blague commise par le juge, dont Pierre Demay, futur Mysti, est dans le roman le reflet quelque peu caricaturé et modifié. L'effet dépassa les espoirs de son auteur.

      La preuve : une lettre d'un ingénieur des mines du département, demandant au directeur du " Zéramna " un morceau de l'étonnant minéral-animal. J'ai vu de mes propres yeux cette lettre, conservée à l'égal d'une relique par mon interlocuteur. Nombreuses sont les gazettes qui reproduisirent l'entrefilet. Pierre Mille, dans le " Temps ", devenu, - une fois n'est pas coutume, - feuille humoristique, dissertait malicieusement du phénomène.
      Puis, les " fantaisies " suivirent à un rythme régulier. Parmi les plus typiques, citons : le canard torpilleur, le chien inverti, le champignon avarié, le Kodak humoriste, l'huître à lunettes, le nombril révélateur, le chat lumineux, le téléphone interprète, etc..

      Entre temps, M. Duchêne avait vu le chemin de son avancement passer par Guelma, (surnommée alors : la vertueuse ", Tlemcen ; puis, à Tizi-Ouzou, la guerre le - trouva président du tribunal. Et enfin, le voici fixé à Alger, comme conseiller à la Cour. Pierre Demay suit, bien entendu, dans le roman, les mêmes étapes.
      Mais, lieu à peu, l'Algérie s'est transformée et assagie. Le fantaisiste, émule jadis au Chat Noir de Maurice Donnay (rangé, lui aussi, aujourd'hui), subit la même évolution. Mysti donne quelques chroniques " Fantaisies de notre temps " à la Dépêche Algérienne. Le conseiller à la Cour note quelques "Gaités du prétoire ". Mais la belle période des mystifications épiques avait vécu. Et je vois que si M. Duchêne sourit à ses souvenirs, on devine en lui une émotion contenue : celle que l'on ressent à la pensée des heures mortes.

      On comprend aussi que le plus grand charme de ce nouveau roman vient de la réunion de ces deux sentiments contrastés. Par ailleurs, il a toute la force d'une concussion attendue à ce beau cycle : " Les Barbaresques ", dans quoi se situent ces étapes : " Au pas lent des caravanes ", " Thamil'la ", " Au pied des monts éternels ", " La Rek'ba ", " Le berger d'Akfadou ", " L'aventure de Sidi Flouss " et encore " Mouna, Cachir et Couscous ", " Ceux d'Algérie ", " Tali-Thô la décolorée ".
      M. Ferdinand Duchêne a, comme on le voit, contribué magnifiquement à créer, puis à enrichir le patrimoine littéraire de l'Algérie.

      Mais il n'a pas encore proscrit toute activité puisqu'un roman nouveau (dont nous donnerons un chapitre inédit dans notre prochain numéro) paraîtra, bientôt sans doute, chez Albin Michel, et qu'il met au point le livret d'un opéra dont M. Fourestier, qui dirigea, plusieurs représentations, cet hiver, à l'Opéra d'Alger, écrit la musique. Et je suis bien persuadé que M. Duchêne possède, dans ses volumineux dossiers (ceux d'un sage qui observe et qui retient) la matière de quelque oeuvre de classe.
      M. Ferdinand Duchêne m'a dit aussi son désir de regagner bientôt, au soir de sa vie, la métropole. Mais avant qu'il nous quitte, je veux lui dire, ainsi qu'à Madame Duchêne, admirable compagne du magistrat et de l'écrivain, le respect et la reconnaissance sincères des jeunes de ce pays.

Pierre CHAROUSSET.


PHOTOS de EL GOLEA
VOYAGE 2019 du groupe Bartolini
EGLISE SAINT JOSEPH et CIMETIERE





TOMBEAU DU PERE FOUCAULD














Eglise Saint Joseph
Tombe du père de Foucauld
Source : Alger Roi

EL-GOLEA, pays des Chaamba Mouadhi
entre le grand erg oriental et le grand erg occidental.

Tombe du père de Foucauld, église Saint Joseph


L'ÉGLISE D'EL-GOLEA EST INAUGURÉE
L'inauguration à EI-Goléa
de la première église du Sahara

               El-Goléa, 21 mars (de notre correspondant particulier). — Plus de trois cents personnes venant de tous les coins de France et d'Algérie ont rallié El-Goléa afin d'assister à la cérémonie officielle de l'inauguration de la première église du Sahara.

               Dimanche matin, à 9 heures, S. E. Mgr Noue, préfet apostolique du Sahara, en présence des autorités civiles et militaires, a consacré l'église.

               Cette église, édifiée dans la palmeraie, sur les plans d'un architecte père blanc d'El-Goléa, mesure 27 mètres de long, 14 mètres de large au transept. Ses deux tours symétriques ont 15 métres de hauteur. Elle a été bâtie uniquement avec les matériaux trouvés sur place — pierre, chaux, plâtre arabe, sable du Grand Erg — par les orphelins élevés par la mission et dont l'ainé n'a que vingt-cinq ans.

               Les chapiteaux, sculptés en plâtre; les vitraux, l'ameublement, l'autel, sont également l'oeuvre de ces jeunes artisans locaux.

el-golea,tombe de foucauld,eglise saint joseph;

               L'après-midi a eu lieu l'inauguration du buste du père de Foucauld et le dépôt d'une urne contenant de la terre sacrée de Verdun. Cérémonie émouvante au cours de laquelle ont pris la parole MM. Raoul Follereau. président de la Ligue d'« Union latine».; Faul Bellat, délégué financier de Bel-Abes Baleen, de la Ligue maritime et coloniale ; Mouguin, du comité « France-Orient » ; l'abbé Deschamps, de «Union missionnaire ».

               Le soir, à l'issue du banquet de plus de quatre-vingts couverts, M. Rozis, maire d'Alger, a clos ces cérémonies oificielles par une conférence très fréquemment applaudie.

               L'orateur évoqua la vie de deux hommes, opposés en apparence et qui se sont rejoints pour l'accomplissement d'une tâche grandiose : Lavigerie, « penseur puissant, autocrate et volontaire, que ni la malice des hommes ni celle de la matière et de la nature n'arrêtaient avant que son activité dévorante n'eût achevé l'entreprise qu'il s'était assignée », et Charles de Foucault, « l'humble ascète du Sahara ».

Hier a été inaugurée, à El-Goléa, la première église du Sud (notre photo),
élevée à la mémoire du R. P. de Foucauld.

M. Rozis, maire d'Alger, assistait à la cérémonie


Hier a été inaugurée, à El-Goléa, la première église du Sud (notre photo),


 
FIGURATION
De Jacques Grieu

                Se casser la figure est chose fort… blessante,
          Que l'on peut obtenir selon ce qui nous tente .
          " Figuratif, abstrait ", chaque peintre a son style,
          Sans que l'un ou bien l'autre ait un trait plus facile...

          Tant de tristes figures s'allongent dans les villes,
          Que bus ou bien métro, nous paraissent hostiles :
          La ville nous angoisse et a triste figure ;
          La campagne a une âme : elle émeut et rassure.

          Sous notre vraie figure on craint de se montrer ;
          Dès qu'elle prend des rides, on veut l' " améliorer " ;
          Et quand la peau des fesses on vous greffe au visage :
          Embrasser sur les joues demande du courage !

          Avoir " figure humaine " est fort belle expression,
          Mais on en compte trois, si l'on fait attention :
          La figure du peintre ou celle du miroir ?
          Ou bien du photographe ? On ne sait où se voir…

          La " figure de style " est une autre notion
          Dont usent nos élites avec délectation.
          Oxymore et litote, épiphore, anaphore,
          Jouent avec l'antithèse ou bien la métaphore.

          On a l'anacoluthe et puis l'antonomase
          Et les prosopopée, zeugme et paronomase,
          Parabole, hyperbole et autres digressions,
          Synecdoque, hypallage ou allitération…

          Parfois, on se figure avoir des ambitions…
          Alors qu'il ne s'agit que de figuration.
          Les figures de proue, jadis, ouvraient des voies :
          Les étraves, aujourd'hui, ont bien perdu la foi…
Jacques Grieu                  



Tirailleur Algérien,
N°7, 4 octobre 1899

Source Gallica
L'Ould-Plaça
            Avez-vous remarqué, amis lecteurs, et vous charmantes lectrices, aux environs des marchés, ces petits arabes, porteurs de couffins de dimensions aussi diverses que variées. Ce sont les Ouleds-Plaça.
            Ould-Plaça, veut dire : enfant de la place ; de là, le surnom donné à ces biskris. Nos ménagères, les connaissent bien pour avoir entendu leurs cris aigus et perçants : "Portez-madame, madame-portes. "
            L'Ould-Plaça, est l'espiègle par excellence. Turbulent, gourmand, chapardeur, voilà ses principaux défauts.
            Il faut le voir, tournoyer autour du fruitier. Celui-ci s'en méfie bien, mais s'il a le malheur de tourner la tête, s'en est fait, car avec une habileté rare, le petit biskri lui aura chapardé soit une datte, soit une cerise, soit tout autre friandise.

            Cependant, il est aimé ; car pour se faire pardonner son acte de grivèlerie il aidera sa victime à décharger ses paniers ou à installer sa boutique.
            Lorsque vous acceptez ses offres, l'Ould-Plaça devient sérieux. Il faut le voir suivre nos ménagères ; ses couffins chargés, il marche d'un pas rythmé, et prend un air majestueux et digne.
            Il y a loin alors du mauvais garnement de tout à l'heure ; il a conscience de sa profession, aussi les marchands ne s'en méfient plus.

            Nos petites bobonnes raffolent de se voir suivies par l'Ould Plaça. Celui-ci le sait bien, aussi il a toujours un mot aimable pour exciter encore leur orgueil : "Alli, mademoisille, toi fire kif-kif la grande madame. " Souvent il accentue cette déclaration d'une oeillade enflammée et quelquefois môme, il s'hasarde à pincer la taille de nos bobonnes.

            Ces dernières ne peuvent résister à la tentation de faire comme les grandes dames, aussi elle sacrifient d'un cœur léger les 3 ou 4 sous qu'elles se procurent généralement en faisant danser l'anse du panier.
            Oh ! Alors, comme elles brûlent d'envie d'être vues par le novio ; comme elles voudraient rencontrer l'amant de leur cœur, comme il les trouverait belles ainsi.

            L'Ould-Plaça gagne assez facilement sa petite journée. Les marchands pourvoient à sa nourriture. Celui-ci lui donne un morceau de pain, celui-là une figue, tel autre un peu de fromage etc...
            Leur journée terminée, est la place libre, les petits biskris s'y réunissent pour jouer à l'argent.
            N'allez pas croire qu'ils taquinent la dame de pique ou l'as de carreau ! Leurs jeux sont des plus primitifs, on les appelle, la rate, la fatche ou le bouchon.
            Tout à coup du coin de la rue, retentit un cri sec : " mata, mata ". C'est le signal annonçant l'arrivée de la police. Alors dans un tohu-bohu pittoresque, tous ramassent leurs sous et s'enfuient à toutes jambes pour….. recommencer un peu plus loin.
            Quand l'Ould Plaça commence à grandir, il vend ses couffins à un coreligionnaire plus jeune que lui, et alors il devient portefaix ou porteur d'eau, Nous le montrerons sous ce nouveau jour, dans un prochain numéro.
Arthur Dhioy.


Texte de Philippe de Villiers
Envoyé par M. P. Barisain
           
Je publie ce magnifique texte paru dans le Figaro de ce jour. N'hésitez pas à le partager largement si vous appréciez, comme moi, ses idées pour la France.
            P.B. le 15/04/2023
DEBUT DE CITATION
Le gouvernement des juges contre l'âme de la France

            La statue de saint Michel des Sables-d'Olonne, installée en 2018 sur une place publique, devra être démontée au nom de la laïcité, a confirmé le Conseil d'État vendredi dernier. Cette décision a inspiré à l'ancien ministre, écrivain et fondateur du Puy du Fou, une tribune enflammée contre la mauvaise compréhension de la laïcité et pour la préservation de notre histoire et de notre culture.

            Le Conseil d'État aura pris son temps. Et choisi son moment. Pour rendre son arrêt. Pour terrasser le dragon. Le vendredi saint. C'est une coïncidence mais elle est symbolique. La statue de saint Michel doit être déboulonnée. Personne n'oserait déboulonner le Conseil d'État. Pour la statue, les choses sont plus simples. Le prévôt du Paradis n'avait rien à faire là. Il faut rendre la place aux trottinettes. Le saint patron des parachutistes a perdu la bataille contre le sacro-saint « état de droit » , qui pèse des oeufs de mouche dans des balances de toiles d'araignées, pendant que la cité s'effondre.

            La portée métaphorique de cet apologue donne un signal faible – un de plus, sur le naufrage de nos affections. C'est la défaite des âmes simples, la défaite du petit peuple, attaché à sa statue, la défaite d'un imaginaire hors d'âge contre l'arsenal glaçant des principes qui appellent à broyer le dépôt millénaire. C'est le suicide assisté d'une nation aux murs porteurs chancelants, descellés, où la loi devient un instrument qui sert à tuer les âmes, les corps, les images et piétés populaires. Nous sommes là face à un nouveau dragon : l'état de droit. C'est lui qui désengendre et qui désaffilie. C'est le même état de droit dont a profité un migrant illégal pour brûler une cathédrale, à Nantes, puis pour assassiner un prêtre à Saint-Laurent-sur-Sèvre. C'est le même état de droit qui désarme nos pouvoirs publics lorsque la police arrête les black blocs et que la justice les relâche. C'est la même balance, mue par les mêmes ardeurs normatives de nos cinq cours suprêmes qui impose cet état de non-droit, et remplace nos statues par des idoles. Où était l'état de droit à Stains, lorsque le conseil municipal a donné à une rue de la ville le nom de Fatima, la femme du prophète Mahomet ? Et quand un criminel récidiviste, Jean-Marc Rouillan, a été invité à pérorer à l'université de Bordeaux, là où Mme Agacinski a été interdite de chaire ?

            La célèbre formule de François Mitterrand résume tout : « Les juges ont eu la peau de l'Ancien Régime. Ils auront la peau du nouveau. » Dans sa prophétie, Mitterrand avait juste oublié les cours européennes. Mais, pour le reste, c'était bien vu. Je repense souvent à un épisode marquant de la vie du jeune Louis XIV. Il vient tout juste d'être sacré. Il apprend que le Parlement est en train de siéger, toutes Chambres réunies, aux fins d'enregistrer quelque édit séditieux. Son esprit vif lui donne à capter le ressort symbolique de cette impertinence : la robe rêve de déposer son roi à l'anglaise. C'est un coup de force. Il interrompt sa partie de chasse à Fontainebleau, galope à francs étriers et fait irruption dans l'assemblée des chaperons d'hermine. Il a gardé ses bottes et son justaucorps inapproprié. Il fait claquer son fouet de veneur et s'exclame : « Messieurs, je ne veux plus que vous persistiez à exciter les troubles dans mon État. »

            Le Roi-Soleil avait anticipé le glissement futur, quand les parlements feraient basculer l'état de droit des légistes. La justice doit demeurer dans son lit de justice, elle doit rester à sa place. Elle est une autorité, pas un pouvoir. La seule cour suprême, c'est le peuple. Or, il s'est exprimé aux Sables-d'Olonne et il a plébiscité saint Michel. Dont acte.

            Un jour où le garde des Sceaux Jean Foyer cherchait à convaincre le Général de ratifier la Convention européenne des droits de l'homme, il s'entendit répondre vertement : « Cher ministre, apprenez qu'il y a d'abord la France... ensuite l'État... enfin le droit. » Cette hiérarchie a été, hélas, subvertie. Il faut se méfier des juges quand ils prennent le pouvoir. Leur tropisme à refaire une humanité au nom de la loi de leur for intime, faisait dire à Royer-Collard : « Les Révolutions commencent toujours avec les juristes, elles se terminent toujours sans eux. »

            J'entends l'anathème murmuré du grand choeur laïc : l'état de droit n'est que l'expression protectrice de la laïcité. Comme si ladite laïcité, du reste inventée par le christianisme, pouvait s'accommoder du vide culturel et spirituel. Sauf à remplacer le chêne de Saint Louis par un figuier sec, sans racines ni ramages ! La laïcité, multidéculturée, est devenue sélective. Pourquoi n'est-elle pas invoquée par le ministre de l'Éducation pour sanctuariser l'école face à la présence intempestive et au discours du transgenrisme et du transhumanisme, quand on apprend aux enfants à entrer dans un monde de l'illimitation, où il n'y aura plus de distinction entre l'homme et la femme, entre la mort et la vie, entre l'animal et l'homme ?

            Voici venir la nouvelle religion : elle remplace la finitude par l'hubris sans fin.

            Il suffirait pourtant de se retourner pour trouver la réponse. Nous avons derrière nous de grandes figures d'historien qui nous ont laissé une belle parabole française, nous invitant à pratiquer la fréquentation de nos aide-mémoire de pierre ou de chair. C'étaient des républicains. Au lendemain de la défaite de Sedan, en 1870, tous les Jules – Quicherat, Michelet, Ferry – ont constaté avec effroi que la France avait perdu son ciment et n'avait plus de fédérateur. Depuis la Révolution, on avait évacué le sacré. Ils s'avisèrent de la nécessité de créer un saint-chrême de substitution, pour fédérer, unir les petits Français et faire naître à nouveau des têtes épiques. À la recherche d'une sacralité d'incarnation, ils convoquèrent la bergère de Domrémy, après celle de Nanterre, ils allèrent chercher Saint Louis à la Sorbonne ; ils appelèrent à eux la colombe et son rameau d'olivier au baptistère de Reims. Ce sont les historiens républicains, voyant l'unité française suspendue au-dessus du vide, qui exhumèrent Jeanne d'Arc, le plus pur chef-d'oeuvre que le génie allégorique ait jamais déposé dans notre littérature. L'Église catholique suivra le mouvement, avec trente ans de retard pour béatifier puis canoniser l'héroïne. Ce sont les grands laïcs du récit national qui allèrent rechercher les voix de Jeanne, de sainte Marguerite, de sainte Catherine et puis de ce fameux saint Michel, aujourd'hui euthanasié. Au nom d'une laïcité amoureuse et non pas militante et mortifère. Leur sagesse leur donnait à penser que la France n'est rien sans l'esprit d'enfance.

            Il n'y a pas d'unité de destin sans l'unité des coeurs. Il n'y a pas d'unité des coeurs sans lien amoureux, sans un peuple amoureux. Amoureux de quoi ? De nos héritages, sublimes, puissants et féconds. Si on ne donne pas à aimer nos figures, nos oeuvres, nos saints, les jeunes âmes regarderont ailleurs, là où il y a foison d'autres modèles ou contre-modèles.
            Malraux a tout dit en une phrase : « Toute civilisation s'adosse à une religion. » Si nous récusons le lien de chrétienté intime entre la France et nos civilités ancestrales, nous allons mourir. La laïcité ne peut pas s'entendre de la même manière en 1905 et en 2023. L'antichristianisme était un luxe en terre d'abondance. Détruire la chrétienté face à l'islam conquérant, c'est une folie.

            Les musulmans nous regardent avec sidération : eux aussi, ils ont saint Michel dans leur patrimoine, bien vivant à la sourate II du Coran, où il participe à la pesée des actions. Bientôt, faudra-t-il attendre que saint Michel nous revienne par la porte des mosquées, par les prières des quartiers, par les nouveaux Français qui, eux, respectent leur religion, le sacré de leur civilisation et nous voient choir ?

            Le principe de l'équivalence des religions conduit à une impasse. L'antériorité de la conversion de la France au christianisme lui donne ce que René Rémond a appelé « un droit d'aînesse sur les autres nations chrétiennes », et a fortiori une primogéniture sur la terre même du baptême de Clovis par rapport à toute autre religion. Il ne peut pas y avoir d'équidistance juridique ou morale. Question de survie...

            Il ne s'agit pas seulement d'un enjeu patrimonial, mais d'un enjeu vital. Notre culture tient à toute une France des hautes nefs immémoriales qui porte chaque Français vers le sacré. Il y a, dans nos patries charnelles, un souffle, un mystère français.

            Nous entendons souvent Jean-Luc Mélenchon se féliciter de ce que le peuple français est un peuple politique. Cela est vrai. Mais c'est pour une raison majeure qui court dans la trame de nos songes et irrigue nos enchantements et nos révoltes. Le peuple français est plus encore que cela, un peuple métapolitique et même un peuple métaphysique. Il est l'héritier des héritiers de toutes les questions de la vie et de la transcendance, depuis Hippocrate, Platon, David, Tacite, saint Augustin d'Hippone et Blaise Pascal. Il veut comprendre, il veut tout comprendre. Il vit au coeur de cette Europe qui fut et demeure le continent de la vie interrogée. C'est là qu'est son génie, selon la prosopopée de Péguy : « « C'est embêtant, dit Dieu, quand il n'y aura plus de ces Français, il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les comprendre. » »

            La preuve ? Elle est sous nos yeux distraits. Le secret d'un peuple se résume à ce qu'il a laissé, ce qu'il a dessiné, ce qu'il a érigé. Rome fut dans le Forum. La Grèce fut contenue dans le Parthénon. S'il est vrai que, dans l'histoire des hommes, celle d'un peuple peut tenir tout entière dans une oeuvre particulière, alors la cathédrale résume la France. En elle, c'est la lumière qui tient la pierre.

            Saint Michel domine, surplombe le haut lieu le plus populaire de la France, le mont Saint-Michel. En 1429, il y eut deux îlots de résistance à l'occupation étrangère : Domrémy et Saint-Michel-au-Mont – c'était son nom. L'île, entourée d'eau, n'a jamais cédé au ressac. Le glaive de saint Michel reste brandi au-dessus des mers et des tempêtes, symbole entre tous. Il s'agit tout autant de notre temporel que de notre spirituel. Si on veut vivre en France, il faut accepter nos civilités : elles viennent toutes des charités évangéliques. Désolée pour la libre-pensée et la Ligue des droits de l'homme. Je les invite à remonter le courant jusqu'à la source d'eau vive.

            Aujourd'hui, notre pays est pris en tenaille entre deux forces, le wokisme et l'islamisme. Elles se détestent mais elles s'entendent. La division du travail est impressionnante : le wokisme emploie son industrie à déciviliser et l'islamisme se donne pour mission de reciviliser. Les idiots utiles accompagnent le mouvement, ils sont les fils spirituels de Robespierre qui prétendait, à partir de la table rase, éradiquer l'ancienne religion pour en imposer une nouvelle, et fabriquer un homme nouveau.

            Craignons que le jeune Français, dépouillé de sa mémoire affective, n'ait à vivre l'incantation démiurgique du socialiste Jaurès : « Nous avons interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine et la misère humaine s'est réveillée avec des cris. »

            Au milieu des cris – cris de détresse et de désarroi -, il faut tendre l'oreille, pour percevoir l'étrange mélopée du cri qui vient : c'est un cri d'appel, celui d'une jeune espérance française. -
            « Ce sont les grands laïcs du récit national qui allèrent rechercher les voix de Jeanne, de sainte Marguerite, de sainte Catherine et puis de ce fameux saint Michel, aujourd'hui euthanasié. Au nom d'une laïcité amoureuse et non pas militante et mortifère. Leur sagesse leur donnait à penser que la France n'est rien sans l'esprit d'enfance
Philippe de Villiers
FIN DE CITATION

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Pour mémoire, qui est Michel dans le Coran ?
            Il est après Djibril l’un des Anges les plus rapprochés de Dieu. Son statut d’archange lui confère également de nombreux pouvoirs, et le fait qu’il soit cité dans le Coran montre à quel point Dieu le place en avant par rapport aux autres anges.
            Le contexte de la révélation de ce verset est particulièrement intéressant. En effet, un jour alors qu’il se trouvait à Médine, Umar alla rendre visite à une école juive et demanda des informations concernant Gabriel. Il leur demanda les positions de Gabriel et Michael vis-à-vis de Dieu tel que le rapporte leur propre tradition. Ils lui répondirent que Gabriel se tient dans Sa main droite, et Michael dans Sa main gauche. Les juifs révélèrent aussi à Umar que Gabriel été leur ennemi, contrairement à Michael, qu’ils considèrent comme étant un Ange bon, apportant paix et prospérité. Umar, choqué par leur hostilité vis-à-vis de l’Ange de la révélation, les menaça en leur disant que quiconque est un ennemi d’un Ange de Dieu, Dieu lui été ennemi. Or lorsqu’ Umar vint rapporter cet événement à Muhammad (PBSL), le verset écrit plus haut venait déjà d’être révélé et transcrit .
            Le rôle de Michael à travers la Tradition musulmane n’a quasiment aucun rapport avec les écrits bibliques. Ainsi, ce n’est pas lui, mais bien Djibril que les musulmans connaissent comme étant l’Ange ayant arrêté la main d’Abraham (PBSL), alors que ce dernier allait immoler son fils Ismaïl.
            En revanche, comme pour les juifs, les musulmans reconnaissent Michael comme un Ange ayant pour mission de distribuer les bénédictions à destination des croyants.
            Sur son lit de mort, le messager de Dieu (PBSL) apprit à ses compagnons que le premier Ange à prier sur lui serait Gabriel, et le second Michael .
            Islam de France – Les principaux Anges en Islam

            Rappelons que le 20 janvier 1771, Louis XV et Maupeou exilent le Parlement en province ( Rennes)
            Le roi de France Louis XV voit à la fin de son règne son autorité contestée par les juges. Ceux-ci, qui ont la charge d’enregistrer les lois, en profitent pour bloquer celles qui heurtent leurs privilèges.
            Le roi saute l’obstacle en faisant arrêter et exiler les cent trente magistrats du Parlement de Paris le 20 janvier 1771. Le répit sera pour la monarchie de courte durée...
            Car une des premières décisions de Louis XVI est de ramener le Parlement à Paris !

Merci pour ce très beau texte.
            Rappelons que le 20 janvier 1771, Louis XV et Maupeou exilent le Parlement en province ( Rennes)
            Le roi de France Louis XV voit à la fin de son règne son autorité contestée par les juges. Ceux-ci, qui ont la charge d’enregistrer les lois, en profitent pour bloquer celles qui heurtent leurs privilèges.
            Le roi saute l’obstacle en faisant arrêter et exiler les cent trente magistrats du Parlement de Paris le 20 janvier 1771. Le répit sera pour la monarchie de courte durée...
            Car un des premières décisions de Louis XVI est de ramener le Parlement à Paris !


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VOYAGE 2019 du groupe Bartolini
KSAR aux mille marches


















LE SANG DES RACES
Par LOUIS BERTRAND
Source Gallica
RÉBECCA
IX

pages de 8 à 93

         Le frère portier de la Trappe de Staouëli ne savait où donner de la tête, ce matin-là... Une file de six chariots venait de franchir la grande porte du monastère. Dans la première cour, tout le long des chais, c'était un vacarme de grelots, de traits froissés, de piaffements d'impatience, qui montait comme un scandale dans la paix du couvent
        On ne voyait que la cuculle brune du frère se multipliant de tous les côtés, tremblant quand le faux mouvement d'une roue menaçait d'accrocher un trottoir, guidant les hommes et les admonestant, lorsqu'il leur échappait un juron.
        Au réfectoire, il y avait déjà toute une bande de charretiers attablés. Rafael, embauché par Cecco dans les transports de vin, déjeunait avec les autres, la tête basse, à cause de ses moustaches rasées qui lui attiraient de continuelles plaisanteries.

        Mais Cecco, avec son entrain ordinaire, ne lui laissait pas un moment de répit. Sous prétexte de lui faire prendre goût au métier, il l'excitait à boire. Lui-même, vidant les fonds des bouteilles, remplissait une calebasse qu'il avait apportée.
        - Allez, bois, Rafaelète, ne te gêne pas, tu n'es pas ici sur la route de Laghouat !... il y a du vin dans la cave, mon ami, il y en a de reste !
        Cecco faisant claquer sa langue, but un large coup à sa calebasse.
        - Il est bon, le vin d'ici !... Le vin d'Afrique, vois-tu, il n'y a rien de pareil : ça vous souffle du feu dans les veines!... La large face de Cecco flamboyait, et comme disait Rafael, " le vin lui sortait des yeux "
        Quand ils se mirent en route, vers midi, il était ivre, mais toujours très ferme sur ses jambes, seulement un peu plus loquace qu'à l'arrivée. Rafael se moqua de lui.
        - Ah ! Tu me fais rire, toi ! Dit Cecco.

        Avec le métier que nous faisons, il faut prendre la tasse tous les jours. On passe des nuits sans dormir, toujours sur les chemins !... Si tu crois que ça leur fait quelque chose, aux patrons, de nous esquinter !...
        Des espèces de Calabrais, plus Juifs que les Juifs ! Ils savent qu'ils auront toujours des hommes, qu'il n'y en a que trop par ici ! Ils tapent dans le tas ça leur est égal !...
        - Et il ajouta en riant :
        - Tu feras comme les autres, mon ami !
        Attends, attends un peu !... Moi d'abord, si je ne suis pas saoul, je ne peux plus marcher, je tombe... Il fit semblant de se coucher par terre.
        Rafael, revenu auprès de son attelage, songeait encore aux paroles de Cecco : " Avec le métier que nous faisons ! "
        Ah ! Oui, un triste métier, un métier de galérien, comme lui avait dit sa mère autrefois. Il maudissait son coup de tête de Bougzoul, sa rupture avec Bacanète, car, depuis ce jour-là, il avait été de mal en pis.

        Il s'était brouillé avec Espartéro, dont les tracasseries l'avaient exaspéré, et celui-ci, malgré ses menaces, avait refusé de lui payer ses gages. A Laghouat, il s'était repris de passion pour la fameuse Rébecca, cette Juive du quartier des Mauresques, chez qui il avait passé la nuit à son dernier voyage. Elle avait tout fait pour le retenir, lui offrant de l'argent, lui promettant de l'établir à Laghouat. Et voici que, depuis trois jours, elle était venue le relancer à Alger. Maintenant il ne savait à quoi se résoudre. Bercé au balancement monotone de la marche, il sentait sa volonté fléchir, et le soleil de midi achevait d'accabler son corps épuisé de fatigue et d'insomnies.
        Les premières pluies de l'automne avaient reverdi les campagnes du Sahel. Une végétation exubérante, presque aussi vivace que les pousses du printemps, luisait sous le vernis des couleurs plus tendres.

        Vers l'Est, le bleu de la mer semblait monter à l'horizon par-dessus les ondulations infinies des collines. Et vers le Sud, à la limite de Mitidja, la chaîne des montagnes se déployait - ainsi qu'une muraille violette. Une lumière d'argent blanchissait le ciel, apaisait l'éclat des verdures, le scintillement des pins, la lueur diffuse des oliviers. De petites brises passaient par moments, un frisson courait dans les herbes, et la terre paraissait toute bleue, comme si elle reflétait le ciel et la mer.
        Dans le miroitement continuel des reflets, la pensée s'éteignait, la mollesse des lignes conseillait la paresse. Les yeux de Rafael se fermaient invinciblement. Il monta sur son chariot, s'étendit sur les transports et ne bougea plus.
        Cecco le réveilla avant d'entrer à El-Biar, par crainte des gendarmes. Ce court repos lui avait rafraîchi les membres. Mais, lorsqu'il arriva aux Portes du Sahel, un air humide le suffoqua, cet air d'alcôve, qui alanguit tout le golfe d'Alger et qui vous met en sueur comme sur les dalles d'un bain maure. Accoutumé à la sécheresse brûlante du Sud, Rafael se sentait dissoudre dans cette vapeur.

        Alger était à ses pieds. Des femmes, sur les terrasses, étendaient des linges éclatants. Des chants arabes s'élevaient de la haute ville, et, par delà les navires du port, la courbe merveilleuse des rivages pressait les eaux frissonnantes. Rébecca était là, dans une de ces maisons blanches, que, de ces hauteurs, où la distance s'abrège, il touchait presque de la main. Elle l'attendait ce soir. Alors, songeant qu'il faudrait se remettre en route avant minuit, il fit claquer son fouet avec colère. Il s'indigna contre l'esclavage de son nouveau métier, et, un instant, il pensa à reprendre encore une fois sa route de Laghouat. Mais les offres de Rébecca lui revinrent, la tentation était trop forte. Il dit à haute voix, avec le geste de tout jeter par-dessus bord.
        - Ah ! j'en ai assez, moi, de rouler dans le sable...
        A peine rentré, il demanda son compte à son patron malgré les conseils de Cecco, et il courut retrouver la Juive, avec laquelle il passa la nuit et la matinée du lendemain. Elle était descendue dans le quartier arabe, chez une vieille femme qu'elle donnait pour sa tante.

        L'après-midi, Rafael, errant le long des rampes du Boulevard, rencontra Pépico, qui, lui aussi, s'était séparé de Bacanète. Il s'était fait camionneur et vivait maritalement avec cette femme de Malaga, qui avait été jadis la maîtresse de son ami. Les deux hommes entrèrent dans un bar sous les voûtes du port. Ils saluèrent respectueusement la patronne, une grande femme parée comme une idole et soutenant, sur sa tête, tout un échafaudage de faux cheveux. Un garçon napolitain, en chemise rose, leur apporta des verres. Rafaël se taisait : il était fort perplexe, et même un peu honteux. Il fallut que Pépico le décidât à parler.
        - Eh bien ! et Rébecca ?... Ça va toujours ?...
        - Ça ne va que trop bien, répondit Rafaël.

        Alors il confia à Pépico que la Juive était éprise de lui, ne voulait plus le quitter. Elle lui promettait de le défrayer de tout. Il ne tenait qu'à lui de ne plus travailler et de se promener du matin au soir...
        - C'est le tort que tu as, de refuser, dit Pépico.
        - Moi ? me faire nourrir par une femme !... Il ne faut pas avoir de sang ! J'aimerais mieux me couper...
        Puis après un silence :
        - Sais-tu ce que je voudrais faire ?... Je voudrais avoir un camion à moi, trois ou quatre chevaux que je soignerais... Elle m'a proposé de m'avancer de l'argent.
        - Prends-le, prends-le ! J'en connais, moi, des camions à vendre !
        - Oui, mais... je la vois venir. Si je fais cela, il faut que je me marie avec elle.
        Et moi, me marier avec une Juive, jamais !
        D'abord, qu'est-ce que ma mère dirait ?...
        - Pour ça, tu as raison, dit Pépico ; mais tu n'es pas forcé de te marier avec elle...
        - Et si elle me fait faire un papier ?...

        Rafael était toujours hésitant. Le soir, il retourna chez la Juive. Il lui reparla de son projet, lui posa ses conditions. Elle consentit à tout ce qu'il voulut et lui mit les billets dans la main. Les événements emportaient sa volonté. Sans qu'il sût bien comment ni pourquoi, la chose se trouvait décidée maintenant il renonçait à sa vie errante du Sud et se fixait à Alger.
        Cependant il n'avait pas la conscience en repos : qu'allait-on penser de son changement de fortune, et, encore une fois, qu'allait dire sa mère de son intimité avec Rébecca ? Il se figura l'instant comme très solennel, et avant d'entreprendre aucune chose, il voulut qu'une sorcière kabyle lui tirât les cartes. Elle lui prédit de l'argent, puis des démêlés avec la justice. Ses hésitations le reprirent. Finalement, énervé par ce va-et-vient perpétuel de sa pensée, il se convainquit que la chose était écrite et qu'il n'y avait pas à reculer.

        Lorsque, dans la soirée, il descendit à la Marine, pour annoncer sa décision à Pépico, tout son esprit n'était occupé que, de cet acte qu'il allait accomplir et dont il s'épuisait malgré lui à deviner les conséquences. Il cherchait à immobiliser cet instant dans sa mémoire, afin de s'en souvenir toujours, s'imaginant qu'une vie nouvelle commençait pour lui. Longtemps après, les moindres détails- lui restèrent. Il se rappela qu'un marchand arabe lui avait offert des oranges au tournant de l'escalier de la Pêcherie et que Pépico portait ce jour-là un grand pantalon de velours bleu à côtes, ballonné sur les mollets comme ceux des chasseurs d'Afrique.
        Il s'agissait de racheter un attelage au meilleur prix. Pépico s'en chargea. Il confia son camion à son élève, un jeune garçon de quatorze ans, qui était son voisin et qui avait la passion des chevaux et des équipages. Puis ils se mirent, Rafael et lui, à battre les quais, en quête d'une occasion.
        Ce quartier du port, encombré de marchandises, tout bruyant du roulement des voitures et des wagons, c'était pour Rafaël comme- un pays inconnu. Il l'avait, vu cent fois du haut des rampes du Boulevard.

        Mais maintenant qu'il y allait vivre et travailler toute sa vie, - pensait-il, - il lui semblait seulement le découvrir.
        Ils parcoururent les quais d'un bout à l'autre, s'arrêtant dans les estaminets, au hasard des rencontres, s'éternisant devant un attelage dans des débats interminables.
        Les yeux brûlés par la poussière étincelante qui flottait dans l'air, Rafael et Pépico se hâtèrent vers un terre-plein, où se pressait une foule de chariots et de camions. C'est le quartier du vin. Les tonneaux s'y alignent en rangées profondes et inextricables comme les rues d'une ville.

        Des rinçures s'y étalent en larges flaques couleur de bois de campêche ; des fûts roulent poussés par les manœuvres arabes et vous forcent à vous garer. Des contremaîtres marseillais ou bordelais circulent, le crayon sur l'oreille et des liasses de connaissements à la main. A de certains moments, la confusion est telle que les chariots ne peuvent plus avancer. Puis, après un grand tapage de grelots et de coups de fouet, les files d'attelages se débrouillent, et l'on voit les premiers démarrer lentement avec leur charge oscillante de tonneaux étagés et s'acheminer l'un derrière l'autre dans la direction du bassin de radoub, parmi les grands coffres pleins d'outils des charpentiers, dont on entend les marteaux sonner sur les carcasses des chalands en construction.

        Le peuple de travailleurs qui grouille sur ces quais en fait comme une Babel de toutes les langues. Des cris, des appels, des injures, des commandements se croisent, en arabe, en provençal, en espagnol, en français, en italien. Les sifflets des locomotives et des remorqueurs, la plainte stridente des sirènes augmentent le tumulte. Des équipes de manœuvres arrivent en bandes serrées.
        Des matelots stationnent devant les buvettes et les cantines, tout ce monde formant une mêlée mouvante, où se distingue seulement la blancheur mate d'un torse nu, - le torse d'un chauffeur qui se lave à une fontaine, - ou bien la silhouette maigre d'un enfant à peau brune, qui, les reins ceints d'un mouchoir, pareil à un jeune dieu égyptien, fend brusquement la foule et s'élance, les mains jointes au-dessus de sa tête, pour plonger dans la mer.

        Au milieu de tout ce monde affairé et bruyant, Rafaël se sentait étourdi et même un peu intimidé. Tous ces métiers n'avaient rien de commun avec le sien. Cette vie fiévreuse, cette agitation perpétuelle, lui causaient plutôt du malaise, à lui habitué aux lentes journées de marche à travers les sables du Sud. Lui, si prompt à la décision quand il s'agissait de dégager un équipage, tout seul, en plein pays perdu, il n'arrivait pas à fixer son choix sur un camion, ni à conclure un marché. Autant il était habile brocanteur sur la route de Laghouat, autant il était maladroit avec les marchands de chevaux et de mulets, ou les propriétaires de voitures, dont les moindres paroles lui semblaient receler des finasseries et dont les lenteurs l'irritaient. En fin de compte et malgré l'avis de Pépico, il jeta son dévolu sur trois petits chevaux arabes à la robe toute noire, qui l'avaient séduit par leur bonne mine. Pépico les trouvait trop faibles et affirmait que Rafael ne viendrait jamais à bout d'un chargement de vin avec trois bêtes de cette taille.

        Rafaël n'aurait jamais conseillé à personne une pareille acquisition ; et cependant l'idée ne lui vint pas un seul instant qu'il était volé, tellement les trois petits chevaux lui plaisaient. Le premier jour, il se leva de très bonne heure, pour aller les voir à l'écurie. Il les étrilla longuement, les brossa, leur cira les sabots, leur tressa la crinière avec des rubans rouges et leur mit à l'oreille une rose de papier. Quand il arriva à la Marine, il était plus de sept heures. Pépico, qui avait déjà récolté plusieurs commissions, se moqua de lui - Tu sais ? si tu arrives tous les jours d'aussi bon matin, tu ne fatigueras pas beaucoup tes bêtes...

        Les autres tournèrent en ridicule ses moustaches rasées. Mais surtout on plaisanta ses harnais neufs, la mèche de soie rouge qu'il avait à son fouet, - une élégance apprise d'un postillon marseillais, - les bouffettes des crinières et jusqu'à la propreté méticuleuse des chevaux. Il entendit même un vieux camionneur dire tout haut derrière lui : " Ce sont des chevaux de cirque, ça!... ça n'ira pas loin !...
        Soit malveillance des autres, soit maladresse de sa part, il n'eut pas un seul transport de la journée. Il resta sur son, camion, les jambes pendantes, à rouler d'interminables cigarettes ou à bavarder avec les camarades. qui, comme lui, attendaient du travail. Des portefaix arabes le harcelèrent continuellement pour qu'il les embauchât.

        A midi, comme il avait oublié d'apporter un couffin de provisions, - pour s'éviter la dépense du restaurant, - il dut se contenter de poissons frits dans le jaune d'œuf et de petits pains de semoule saupoudrés d'anis. Tandis qu'il achetait ce maigre déjeuner à l'étal en plein vent d'un M'zabite, on lui vola son caban.
        Le lendemain, il recommença la même journée inoccupée, et ce fut lamentablement ainsi jusqu'à la fin de la semaine. Heureusement Pépico partagea avec lui le transport d'une cargaison de poterie et d'ustensiles de cuisine, arrivée par une balancelle espagnole.
        Cette balancelle est fameuse dans le monde de la marine, des charretiers, des camionneurs et des portefaix. Ils l'ont baptisée le "bateau des gargoulettes ".

        C'est un petit bâtiment de forme primitive, la coque entièrement peinte en blanc avec un filet bleu. Une madone se voit à l'arrière dans une niche grillée, et à la pointe des deux mâts est lié un rameau d'olivier bénit. Pendant la saison d'été, le bateau des gargoulettes parcourt toute la côte d'Afrique, jetant sur les quais des tas d'alcarazas, de jattes, d'amphores, de lampes en terre, de pots et de marmites, d'une forme si antique qu'elle n'a plus d'âge ni de caractère et qu'on les prendrait pour des objets découverts dans une nécropole. Cet étrange bateau se montre à époques fixes, et les gens du port en prédisent aussi sûrement la venue que les grandes tempêtes de l'équinoxe ou les passages des poissons. Il a l'air de savoir sa route depuis des siècles, - depuis les temps lointains où les marchands de Carthagène venaient apporter les poteries puniques aux barbares de la Maurétanie.

        Les gargoulettes épuisées, Rafael fit plusieurs voyages à la Trappe de Staouëli, grâce à Cecco qui l'avait recommandé à son patron, parce qu'il y avait une grande presse en ce moment-là. Mais Pépico avait deviné juste les petits chevaux arabes étaient insuffisants pour des chargements aussi forts. Rafael se vit, forcé d'emprunter un mulet.
        Ce fut pour lui une période de grandes fatigues : on partait dès deux heures du matin, après être rentré à la nuit, quelquefois très tard. Souvent même il ne se couchait pas. Pendant la montée d'El-Biar, il dormait, les guides à la main, risquant cent fois de tomber de son siège, jusqu'au moment où la fraîcheur de l'aube le réveillait tout à fait. A la sortie du village, il rejoignit Cecco et ses camara-des, dont les charrettes stationnaient devant la porte d'un estaminet. D'autres., qui descendaient déjà des fermes du Sahel, s'arrêtaient aussi.

        On prenait ensemble un verre de mauvais café sous l'auvent de la baraque. Le petit jour se levait en ce moment, et, dans la lumière trouble, les visages fatigués des hommes apparaissaient peu à peu, avec leurs traits tirés, leurs pommettes verdâtres, leurs paupières bouffies d'insomnie. On se touchait la main, les fouets claquaient, et, chacun partant de son côté, on se criait - adieu- comme pour un grand voyage. Devant l'étendue vague des terres émergeant de la nuit, Rafael, qui connaissait d'autres départs, songeait à la route de Laghouat, et son cœur se serrait.

        Cependant il n'avait pas peur du travail, et même Cecco, qui s'attendait à le voir rendu au bout de trois jours, s'étonna de sa force de résistance. Mais Rébecca, mal satisfaite, ne cessait de le quereller. Tous les soirs, c'étaient de nouvelles disputes..
        Aussi fut-il heureux d'en finir avec ces épuisants voyages à la Trappe..
        Alors les interminables journées d'inaction revinrent encore une fois. Le long des hangars de la Compagnie, Rafael stationnait des heures -entières, à l'affût de commandes qui ne venaient pas, jetant un bout de cigarette pour en rallumer une autre, ou grignotant des fèves cuites, que le marchand, un vieil Espagnol, lui pêchait dans un seau rempli d'une espèce de saumure.

        De loin en loin, il faisait un transport que les autres lui abandonnaient, comme par charité. Ce désœuvrement forcé le décourageait.
        Mais ce qui le dégoûtait plus que tout le reste, c'était ce monde hétéroclite des quais, auquel il était forcé de se mêler. Les indigènes surtout lui répugnaient, à cause de leur malpropreté et de leur platitude
        Tous ces déguenillés, qui agitaient autour de lui leurs linges sales, lui faisaient l'effet d'une vermine se promenant sur son corps.
        Leur odeur l'écœurait. Leurs cuisines, installées dans tous les coins, exhalaient des relents d'huile, de beurre et de graillon. Sur des réchauds en terre, des poêlons fumaient ; des morceaux de foie saignants barbouillaient des assiettes ; des sardines frites s'empilaient sur des étals ; des écorces de pastèques et de figues de Barbarie faisaient autour des vendeurs un tas d'ordures permanent ; et ce que Rafael trouvait de plus intolérable, c'était la puanteur de ces grands poissons qu'on appelle des "chiens de mer " et dont le bas peuple se nourrit.

        Il y en avait des piles, tout écorchés et décapités, hideux à voir. Ces mangeailles se rencontraient avec des tranches de citron, des oranges, des bâtons de chocolat, des quartiers de fromage. Et quel étrange peuple se pressait autour de ces officines ! Rafael, qui se rappelait la beauté et les grandes manières des Arabes du Sud, n'avait que du mépris pour cette canaille.
        Du milieu de cette tourbe, surgissaient quelquefois deux ou trois voyous, Français le plus souvent, ou métis d'Espagnols, de Maltais, de Napolitains. Habillés de défroques, pustuleux et blêmes, ils montraient quelque chose d'encore plus sinistre que le voyou parisien. Aucun n'osait approcher Rafael, qui les écrasait du regard. Il avait pour eux une horreur insurmontable, qui allait jusqu'à la haine et jusqu'à l'envie de cogner dessus.

        Il ne se sentait guère d'amitié que pour un portefaix marseillais, un grand gaillard aux cheveux un peu grisonnants et le dos voûté par les fardeaux. De temps en temps ils causaient. Le Marseillais contait à Rafael ses ennuis de famille. Il lui disait sa gêne et ses fatigues, le rude labeur, des moments de presse et les longs jours de chômage, sans travail et sans pain. Par-dessus tout, il regrettait Marseille. Une fois, il lui dit :
        - Ah ! si je n'avais pas la femme et les enfants, comme j'y retournerais, là-bas!...
        Il tendait son bras vers la mer.
        Moi aussi, dit Rafael, je voudrais bien retourner vers le Sud !.. Qu'est-ce que je fais ici ? Il n'y a pas un patron qui me donne de l'ouvrage. Je ne sais pas ce qu'il leur faut à ces gens-là. Il faut leur parler comme au bon Dieu, se mettre à genoux devant eux... Est-ce que je sais, moi ?
        - Ah ! ah ! Rafael, dit le portefaix, on voit bien que tu n'as jamais été domestique !...

        Au même moment passait une galère des Carrières. L'homme qui la conduisait était si décharné que son corps flottait dans ses vêtements. Il avait une tête de squelette, les yeux éteints, et il marchait d'un pas automatique, comme par habitude, comme s'il ne sentait plus le poids de la fatigue, qui, depuis des années, brisait ses membres.
        Rafael reconnut le vieux Cagnète, l'ancien ami de son père :
        - Si ce n'est pas à faire pleurer ! dit Rafael... un homme qui a été fort autrefois ! Maintenant il n'a plus que la peau sur les os : on l'étranglerait avec un cheveu !

        Et il pensait en lui-même :
        - Voilà probablement ce que c'est que d'être domestique !...
        Il songeait de plus en plus à reprendre son chariot chez Bacanète. Il s'accoutumait déjà à cette idée, lorsqu'un matin il l'aperçut qui descendait les Rampes du Boulevard, derrière ses équipages. Il en éprouva une telle joie qu'il s'en étonna lui-même. Il courut au devant de son ancien patron, lui serra la main mais celui-ci était pressé :
        - Quand tu voudras revenir, lui cria le petit homme, l'équipage est à toi !

        A quelque temps de là, il y eut un grand arrivage d'huile de Kabylie. Pépico conseilla à Rafaël de s'arranger avec un épicier maltais, le principal intéressé, afin d'avoir sa part dans les transports. Mais, soit que Rafael s'y fût mal pris, soit que l'autre eût eu quelque contrariété, il l'éconduisit assez grossièrement. Ce fut le coup de grâce. Rafael entra dans une violente colère. Il répétait à Pépico :
        - Un homme que j'ai vu aller pieds nus dans la rue!... qui a emprunté de l'argent à mon père !...
        De rage, il jeta son fouet par terre, écrasa d'un coup de poing une des lanternes de son camion. C'était fini maintenant il n'en voulait plus, pour rien au monde ; il criait à tue-tête que son attelage, ses harnais, tout était à vendre. Pépico, le voyant hors de lui, s'efforçait de le calmer. Toutes les raisons furent inutiles. Pour une somme dérisoire, il adjugea son équipage à un Espagnol, qui le guettait depuis longtemps.
        Comme il se défiait de Rébecca, il ne voulut même pas la revoir. Il chargea son ami de lui rembourser l'argent qu'il venait de toucher, et séance tenante, il fit écrire à Bacanète qu'il était à sa disposition pour le prochain voyage.



Louis Bertrand



LE PATAOUETE
Par M. Bernard Donville
                Chers amis, Bonjour aux fidèles

            Pour le jour de Paques moi aussi j'apporte mon petit cadeau trouvé dans le jardin : c'est la suite de l'Echo d'Alger.
            Tout d'abord vous verrez qu'il n'était pas sectaire et que de partout des nouvelles y en avait. Mais vous constaterez aussi que comme toute grande ville les arts et lettres étaient bien honorés
            Mais fi de la nourriture artistique on pouvait y trouver de quoi se restaurer à bon compte.
            Sur ce je vous souhaite bonne lecture et bon appétit

            Dans cet envoi Echo N°4, exploitant l'Echo d'Alger, nous allons tout d'abord retrouver la mode, bien sur, sujet le plus souvent fémini, et ses conséquences sur la description pour certains événements comme des mariages .
            Nous rappelerons ensuite la vie religieuse de tout culte.
            L'Echo des Sports vous confirmera la richesse des disciplines pratiquées et je me permettrais de rappeler qu'en volley ball nous étions champions de France!!!
            Amitiés et bonne lecture.
            Bernard Bernard : bernardonville@free.fr
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echo4.pdf
A SUIVRE



De Jacques Grieu

IGNORANCE

A l'ère du smart-phone ayant réponse à tout,
Parler de l'ignorance est un sujet tabou.
L'homme le plus ignare, en consultant le web,
Croit en savoir bien plus que la vulgaire plèbe.

Confesser qu'on ignore est un acte de foi :
Le cacher plusieurs fois, chacun s'en aperçoit.
L'ignorance des peuples engendre des postures,
Un faux nationalisme et puis... la dictature.

Pire que l'ignorance est l'orgueil du savoir
Qui aime s'admirer à grands coups d'encensoir.
Souvent la conséquence d'obscures habitudes,
Il barre tout progrès et empêche l'étude.

Et si, de l'affreux vice, on prenait la défense,
Et que, de la vindicte, on sauvait l'ignorance ?
Des siècles il nous faudrait remonter les séquences,
Pour voir dans quel esprit a progressé la science…

On croyait tout savoir : nul besoin de chercher ;
Les Dieux, les Ecritures, avaient tout expliqué.
Vouloir aller plus loin relevait du péché,
Et de hardis génies en furent empêchés.

C'est quand on découvrit tous nos puits d'ignorance
Que la science moderne entama son avance.
L'aveu de tous nos doutes obtint consécration
Qui fit que tout savoir se remit en question.

Aucune vérité n'est jamais absolue
Et même aucun problème à jamais résolu.
La certitude acquise et souvent religieuse,
Vint à tomber d'elle-même en se montrant trompeuse.

Savoir son ignorance aide à la mieux juger
Et qui alors n'est plus l'ignorance attestée.
L'ignorance nous mène à la diversité
Dont la science permet de voir l'immensité.

Estimer pour chacun son degré d'ignorance,
Devrait être un moyen de voir ses compétences,
Un critère objectif et non pas négatif
Pour guider ses actions avec indicatif.

Savoir qu'on ne sait pas est la clef du savoir
Orientant la recherche et ouvrant des espoirs.
Alors, je revendique un droit à l'ignorance,
Condition assumée pour que ma tête pense…

Jacques Grieu                  


ALGÉRIE
Gallica : Revue de l'Orient 1850/2-pages 292 à 302

OUARGLA.

         Du sommet aride et nu de Chabet el MehaI, le voyageur a sous les pieds une forêt de dattiers, échelonnée sur le versant sud de la montagne, et qui, gagnant la plaine, s'étend jusqu'à une lieue plus loin dans un sol marécageux.
         A mesure qu'on s'avance, la physionomie devient différente : les dattiers sont moins pressés, des arbres fruitiers de toute espèce leur disputent le terrain, et des carrés de culture annoncent l'action de la main de l'homme.
         Dans le centre, à peu prés de cette forêt devenue jardin, une muraille crénelée, couronnée de quarante forts à deux étages, en terrasses, crénelés eux-mêmes, enceint un immense périmètre, coupé de jardins intérieurs, semé de cinq ou six cents maisons blanchies au plâtre, que dominent trois mosquées et une kasbah ; c'est Ouargla.

         Ouargla est située par 31° de latitude nord et 0°,25 longitude ouest, à cent quatre-vingt-dix-neuf lieues d'Alger, et à cinquante-deux du pays des Beni Mzab. Comme Touggourt, elle est protégée par un fossé parallèle à sa muraille d'enceinte, et que l'on peut à volonté remplir d'eau.
         Elle a six portes :
         Bâb el Rebïa,- Bâb Baba Ahmed, - Bâb Rebah, - Bâb Bou Isaak, - Bâb Amar,- Bâb Azi.
         Chacune d'elles s'ouvre en face d'un pont en maçonnerie jeté sur le fossé.
         Au milieu des jardins extérieurs de la ville, vient mourir l'Oued el Mia (la rivière des Cent), que l'on appelle ainsi, parce qu'elle reçoit, dit-on, cent rivières sur sa route. Elle vient de Djebel Baten, à quatre jours de marche N.-E. du Tidikelt.

         Malgré ces nombreux affluents, l'Oued et Mia n'ont d'eau qu'en hiver; son lit est très large, et c'est pour cette raison sans doute qu'elle est à sec pendant tout l'été; il suffit cependant d'y creuser à une très-petite profondeur pour y trouver de l'eau.

         Cette description intéressante d'une région, encore peu connue, de l'Algérie, est extraite du livre remarquable que MM. le colonel (aujourd'hui général) Daumas et Ausone de Chancel ont publié en 1845 sous ce titre : Le Sahara algérien. Les explorations postérieures n'ont fait que confirmer, sur la plupart des points, les renseignements recueillis avec tant de soin et au prix de si laborieuses recherches par les auteurs de ce titre, qui est demeuré l'un des documents les plus précieux pour l'histoire et la géographie de nos possessions d'Afrique.

         Ouargla, ainsi posée sur un sol marécageux, est vivement affectée de fièvres pendant les mois de mai et d'octobre, quand les pluies cessent et quand elles commencent. Ces fièvres ne sont toutefois dangereuses que pour les étrangers ; là, comme sur beaucoup d'autres points, elles sont rarement mortelles pour les indigènes.
         Ouargla ne possède pas de sources; elle est fournie d'eau par des conduits qui les prennent dans les jardins extérieurs, et vont, en passant sur les ponts, alimenter des bassins publics.

         La ville est divisée en trois quartiers appelés du nom des habitants. Beni Siein, - Beni Ouakeir,- Beni Brahim.
         Chaque quartier a sa mosquée, ses écoles (medersa) où des tolba enseignent aux enfants la lecture, l'écriture et la religion. Les maisons sont généralement assez mal construites en briques crues et en pierre ; il semble au reste que ce soit là le moindre souci des habitants, car le minaret de l'une des trois mosquées, celle des Beni Brahim, est à peu près en ruine, et la kasbah, qui autrefois avait ses jardins, ses écuries, ses prisons, ses bassins, sa mosquée, est elle-même dans un tel état de délabrement qu'il y reste à peine un logement pour le sultan.

         Bien que les habitants des trois quartiers d'Ouargla semblent former trois familles très-distinctes, tous obéissent ordinairement à un chef suprême, qui prend le nom de sultan, et qui est élu par la djemâa.
         Nous avons déjà parlé souvent de la djemâa, ou assemblée des notables ; nous la retrouverons dans presque toutes les villes du désert, mais toujours plus ou moins soumise à un maître absolu et mémo héréditaire. A Ouargla au contraire, c'est la djemaa qui est le véritable pouvoir exécutif ; elle se compose de douze membres dont chaque quartier fournit un tiers, et si elle se nomme un chef, elle peut aussi prononcer sa déchéance ; au reste, elle s'en passe assez volontiers, et c'est le cas présent ; elle gouverne alors elle-même le pays.

         Ouargla se prétend la ville la plus ancienne du désert; si l'on en croit la tradition, voici en quelle circonstance fut élu son premier sultan. Jusque-là, elle s'était administrée tant bien que mal et sans forme précise de gouvernement; mais le désordre et la rivalité des grands l'ayant jetée dans l'anarchie, les partis s'égorgeaient, et l'on convint enfin de se donner un chef. Le prendre dans la ville, c'eût été blesser trop de susceptibilités, soulever trop de haines, ne rien consolider pour l'avenir ; il fut convenu qu'on demanderait à l'empereur de Maroc d'envoyer un chérif, un descendant du prophète, devant lequel toutes les ambitions se tairaient, et qui serait nommé sultan. Contre toute attente, l'empereur refusa ; c'était une raison de plus pour insister; et les gens d'Ouargla firent offrir à Sa Majesté le poids en poudre d'or du prince qu'elle voudrait bien leur donner; le marché fut conclu.
         Le sultan, accueilli par tous, fut logé dans la kasbah, et e pour qu'il ne vécût pas du bien des pauvres, et ne fût pas forcé de piller pour vivre, on lui donna " autant de jardins qu'il y a de jours dans l'année. "

         Ce premier sultan et ses enfants furent bons princes ; mais, plus tard, sa famille s'étant considérablement accrue, les ambitions rivales ramenèrent l'anarchie ; peu à peu d'ailleurs les sultans avaient aliéné et vendu les jardins que l'on avait donnés à leurs ancêtres. Devenus pauvres, ils furent déposés, et la ville, ou plutôt la djemaa s'en nomma de nouveaux.
         La race des Cherfa, autrefois princes d'Ouargla, existe encore ; l'an dernier même, un de ses membres fut élu sultan ; mais il oublia bientôt la sévère leçon qui avait été jadis donnée à sa famille : " Il mangeait impudemment le bien des pauvres, et se laissait aller à toute sorte d'excès ; " aussi fut-il déposé après quatre mois seulement de règne.

         La déposition d'un sultan se fait avec tous les égards dus à la dignité déchue, sans formes brutales, et comme par une convention tacite sanctionnée par l'usage ; à l'heure où la musique du sultan joue, c'est-à-dire aux heures des prières, un des membres de la djemaa fait signe aux musiciens de se taire. Il n'en faut pas davantage, le sultan a compris, il n'est plus que simple particulier, et il rentre dans la vie commune.
         Le sultan d'Ouargla n'a plus, comme autrefois, un domaine particulier ; chaque quartier de la ville défraie tour à tour sa maison ; de plus, il lui est annuellement alloué 180 saâ de dattes (le saâ est une mesure variable de quarante à cinquante livres). Au moment de la récolte on prélève encore, à son profit, une charge de chameau sur le produit de cent dattiers ; cet impôt lui constitue un revenu considérable, car le district d'Ouargla ne contient pas moins de soixante mille dattiers, dont le nombre est rigoureusement enregistré.

         Les amendes qu'il impose pour les vols et les délits de toute sorte lui sont également attribuées.
         Il n'a aucun droit sur l'achour proprement dit ; l'achour, qui n'est autre chose que la dîme, est perçu par la djemaâ et sert à nourrir les pauvres et les pèlerins malheureux, qui de l'ouest gagnent la Mecque par le désert.

         La justice est confiée aux soins du kadi de la cité ; le kadi actuel se nomme Si Mohammed Oulid Sidi Atallah.
         Voici quelques fragments des lois pénales que ce magistrat est chargé d'appliquer : Les voleurs sont exposés à un poteau sur une place publique et frappés d'une amende. Les meurtres peuvent être rachetés à prix d'argent. La femme adultère qui, d'après la loi musulmane, doit être battue de lanières et lapidée, est beaucoup moins sévèrement punie à Ouargla, ou, comme dans tous les grands centres de commerce, les mœurs sont fort relâchées : elle est simplement répudiée ou châtiée par son mari.

         Les habitants d'Ouargla sont d'une couleur fortement altérée par leurs alliances habituelles avec leurs esclaves négresses ; et, bien que la couleur brune n'influe en rien sur les droits d'héritage et de nationalité, elle semble cependant entacher l'individu d'une espèce de réprobation morale ; ainsi, les blancs purs prennent avec orgueil le titre de el harar (gens de race), et désignent les sangs mêlés par ce terme de mépris, el khelatia (les abandonnés). Presque tous les chefs de la djemaâ sont blancs, et les femmes blanches sont particulièrement recherchées en mariage ; d'où l'on pourrait conclure que l'aristocratie du pays évite le mélange de sa race avec les races inférieures ; elle a d'ailleurs en elle un sentiment de dignité qui se traduit par ce trait caractéristique : les femmes nobles se voilent le visage, les autres vont la figure découverte.

         Les moeurs de la population entière sont, du reste, fort dissolues : non seulement nous retrouvons près des murs de la ville et sous la tente ces espèces de lupanars qui se recrutent des belles filles du désert ; mais, ce dont nous douterions sans les témoignages nombreux qui nous l'ont affirmé, c'est que, dans la ville même, on trouve des mignons qui font ouvertement métier et marchandise de leurs débauches. Ce sont de très-jeunes gens, qui vivent à la manière des femmes, se teignent comme elles les cheveux, les ongles, les sourcils et les lèvres; ils sont, il est vrai, généralement méprisés et relégués dans la classe des filles publiques, mais ils vivent, ce qui prouve que leurs compatriotes, malgré leurs dédains affectés, sont en secret plus qu'indulgents.

         A certaines époques de l'année, Ouargla a d'ailleurs ses saturnales, son carnaval avec ses débauches, ses mascarades et son laisser-aller nocturne.
         Aux fêtes d'Aïd el Kébir, d'El Achoura et d'El Mouloud, on habille tant bien que mal des jeunes gens en costumes européens d'homme et de femme, car nos habits étriqués sont un sujet intarissable de plaisanteries ; on figure des lions en fureur ; des enfants enfarinés sont déguisés en chats ; on affuble de haillons et d'oripeaux bizarres un individu qui représente le diable ; et cette mascarade, escortée de la jeunesse montée sur des chameaux, et pressée par la foule des curieux accourus de tous les environs, court pendant sept nuits les rues et les marchés de la ville.
         Ce jeu singulier s'exécute de temps immémorial ; sa tradition, comme celle de notre carnaval, ne remonte pas jusqu'à son origine.

         La langue des gens d'Ouargla n'est point l'arabe, elle semble tenir du mzabïa et du zenalia ; cependant tous les chefs de la ville et les tolba parlent arabe.
         Ouargla a sous sa dépendance quelques villages dont les plus importants sont :

EL ROUISSAT.

         A une lieue et demie ouest, c'est un groupe de quarante maisons, bâties dans une forêt de dattiers et sur un sol tellement fertile, qu'on ne prend aucun soin d'irrigation. L'hiver, les environs de Rouissat sont marécageux, et l'été, bien qu'il n'y ait pas de sources jaillissantes, des puits très-peu profonds, de cinq ou six pieds au plus, donnent de l'eau en abondance.
         Entre Rouissat et Ouargla, on voit des carrières de plâtre.

EL HEDJADJA er AIN AMER.

         A une lieue et demie ou deux lieues au sud, on trouve, en face l'un de l'autre et très-rapprochés, les deux villages d'El Hedjadja et d'Aïn Amer : le premier de cinquante ou soixante maisons, l'autre de cent à peu prés. Toujours des dattiers et des jardins, arrosés par de nombreuses sources jaillissantes.
         A moitié chemin entre Ouargla et ces villages, on rencontre un lac salé appelé Sebkha el Malab, qui fournit du sel en si grande quantité qu'on peut en enlever, à certaine saison, quatre ou cinq cents charges de chameau, sans qu'il y paraisse ; c'est du moins ce que nous disait l'Arabe à qui nous devons ces renseignements.

SIDI KHOUILED.

         A cinq ou six lieues au sud-est est situé le village de Sidi Khouiled, habité par une famille de marabout, et, pour cette raison, exempt d'impôt. Bien que situé au milieu des sables, Sidi Khouiled est entouré de dattiers et de jardins bien cultivés, car on trouve beaucoup d'eau à quelques pieds sous terre.

         Dans tous ces villages on ne parle que l'arabe.
         A une lieue et demie, sud-ouest, du village de Rouissat s'élève une montagne en forme de piton nommée Djebel Krima ; au sommet on trouve un puits très-profond, et les ruines d'un village que la difficulté de la position aura sans doute fait abandonner. On appelait ce village Krima.
         A une lieue plein nord de Krima s'élève une autre montagne nommée Djebel el Aobad (montagne des adorateurs), et à une lieue est de Djebel el Aobad se trouvent les débris d'une grande ville abandonnée que l'on nomme Cedrata, et qui, selon la tradition, aurait été détruite par un chérif du Maroc, appelé Kaid el Mansour.
         Sous les flots de sable on distingue encore les restes de la muraille d'enceinte et les ruines d'une mosquée.
         Une source très-abondante, et qui se divise en quatre petits ruisseaux, coule à quelque distance de ces ruines.

         A deux lieues en avant de Hedjadja, sept mamelons de sable se prolongent vers Djemel Krima. On les appelle El Bekerat, les jeunes chamelles ; ce nom consacre un miracle :
         Un soir, un chamelier arrivant du désert, fatigué et mourant de soif, s'arrêta à une source connue pour boire et faire boire ses sept chamelles ; mais la place était prise, un homme y puisait de l'eau pour arroser ses palmiers. Dépêche-toi, méchant corbeau noir, lui cria le chamelier. L'imprudent venait d'insulter un marabout. Le saint leva les yeux au ciel, étendit les mains, et les sept chamelles se couchèrent pour ne plus se relever, elles n'étaient plus que du sable.

         Les trois grandes tribus des : Mekhadma, - Chambet Bou Rouba, - Saïd, campent dans le territoire d'Ouargla, et quelquefois sous les murs de la ville, où elles déposent leurs grains.
         Chacune d'elles se compose de plusieurs fractions : Mekhadma : Beni Hassan - Ouled Nçer - Beni Khelifa - Beni Tour - El Arimat - Ouled Ahmed. 60 chevaux, 500 fusils.
         Les Ouled Ahmed qui y exercent le pouvoir sont djouad (nobles).
         Le chef principal de toute la tribu se nomme Cheikh Abd Allah Ben Khaled.

         Chambet Bou Rouba : Ouled Ismail - Ouled Bou Baker - Doui - Ouled Ferredj - Ouled Bou Saïd - Ouled Zeit. 30 cheveux, de 200 à 300 fusils.

         Saïd : Fatnassa ou Rahba - Beni Mansour - Sebrat - El Amarat - Ouled Fedout. 100 chevaux. 500 fusils.

         Les Ouled Fedoul sont les djouad en possession du pouvoir. Le chef principal de toute la tribu se nomme Cheikh Saïd.
         Les Saïd déposent leurs grains à Ghardaïa, Ouargla, Ngousça. Ils ont des troupeaux de moutons nombreux et beaucoup de chameaux qu'ils louent pour le transport des objets de commerce entre Ouargla et les Beni Mzab.
         Leurs femmes, comme celles des Mekhadma et des Chambet Bou Rouba, tissent des vêtements de laine.

         Quoique ces tribus aient peu de chevaux, elles sont très-nombreuses, ainsi qu'on en peut juger par le nombre de leurs fusils ; et ce sont pour les habitants d'Ouargla des voisins souvent exigeants et toujours incommodes. Les hommes de la tente prennent, en effet, part à toutes les querelles de la ville, et quand un puissant veut se faire élire sultan, il cherche par tous les moyens possibles à se les attacher. Plus d'une fois ils ont mis le siège devant Ouargla, dévasté les jardins, coupé les conduites d'eau, et ce n'est jamais qu'en payant un impôt que les assiégés ont pu sortir de cette position difficile. Toutefois, si les gens d'Ouargla restaient unis, ils n'en ont pas grand chose à craindre. La politique de Machiavel, qui sans doute est dans la nature, puisque nous la retrouvons si loin, est la meilleure sauvegarde d'Ouargla contre les Arabes. Au moindre signe de menace, elle divise ses ennemis par des présents ou des espérances, et. elle achète ainsi la paix ; aussi n'est-il pas rare de voir les Saïd et les Mekhadma en venir aux mains. Les Chambet Bou Rouba, trop faibles pour faire un tiers parti, tiennent selon leur intérêt pour les uns ou les autres, mais le plus souvent pour les Saïd.

         Les tribus qui fréquentent les marchés d'Ouargla, sont :
         Tous les Arba. - Les Ouled Iakoub. -Les Beni-Allal. - Les El Arouat Ksal. -Tous les Ouled sidi Cheikh. - Les Beni Mzab. - Les Chamba de Metlili.

         Quelques Touareg y apportent, de loin en loin, des dents d'éléphant, de la poudre d'or et des nègres.
         Quelques rares individus de Redamés y apportent un peu de poudre d'or, de l'or fondu en torsades et des esclaves.
         Ces tribus s'approvisionnent à Ouargla de tout ce qui leur est nécessaire, car c'est là un des entrepôts du désert, autrefois alimenté par des provenances que les marchands allaient chercher à Tunis en passant par Souf et par Touggourt. Le voyage était de vingt jours ; ils en rapportaient :
         Des épiceries de toute espèce. - Des essences. - Des armes. - Des indiennes, des cotonnades. - Des chaschïa. - Des bernous communs. - Des draps.- Des habits confectionnés. - Des turbans. - Des chaussures d'homme et de femme. - De la quincaillerie. - Des bijoux de femme, bracelets, pendants d'oreilles. - Des coquillages pour faire des ornements de femme et d'enfant. -Des pelles , des pioches, des clous, des marteaux, des fers de chevaux, etc. - Des mulets et des ânes, car on n'en élève pas dans le pays. - Beaucoup de poudre qui vient de Gourara, et qui ne se vend que deux boudjous les cinq livres de quatorze onces. - Du plomb de Tunis, de Touggourt et des Beni Mezab.

         Les petits marchands d'Ouargla garnissent leurs boutiques à l'arrivée des marchands voyageurs, et vendent, toute l'année, aux Arabes nomades. C'est surtout à l'époque de la récolte des dattes qu'il y a recrudescence de commerce.
         La ville renferme quelques échoppes de forgerons, d'armuriers, cordonniers, menuisiers, tailleurs, enfin d'artisans indispensables à tout centre de population. L'orfèvrerie y est faite par des juifs voyageurs qui y viennent passer quelques mois et se sauvent quand vient la saison des fièvres.
         Notre monnaie est tenue en grande estime à Ouargla, et non seulement elle y a cours comme le douro d'Espagne, maison la fond pour faire des bijoux.

         Tous les renseignements que nous venons de donner sur cette ville curieuse, nous les devons à un chef même de la djemaâ, nommé Cheikh et Hadj el Maïza, du quartier des Beni Ouâkin.
         O Mes compatriotes, nous a-t-il dit, m'ont envoyé pour étudier votre pays ; car on vante beaucoup au désert, vos richesses, votre justice et votre puissance. Voici deux ans que nous n'avons pas été à Tunis, vexés que nous sommes sur toute la route par une infinité de petits cheikh qui nous imposent des tributs sur leur territoire ; la route d'ailleurs n'est pas sûre. Chez vous, au contraire, on voyage en sûreté et sans rien payer, nous y viendrons faire nos achats.
         El Maïza a visité avec nous tous nos établissements publics et si nous en croyons l'impression sous laquelle il est reparti, nous devons espérer que des relations régulières ne tarderont pas à s'établir entre ce point extrême du Sahara et nos établissements.

         La position d'Ouargla, à deux cents lieues d'Alger, ne l'a pas toujours préservée de l'ambition conquérante des Turcs. On conserve encore dans la ville cinq ou six boulets que des canons algériens y ont lancés. Quelques deys aventureux ont aussi poussé jusque-là, mais on ignore à quelle époque. Partis d'Alger avec de nombreux fantassins, ils auront traversé le Ziban et le territoire de Touggourt, forçant sur la route les tribus et les villages à leur fournir de proche en proche des chameaux et des mulets, et seront venus mettre le siège devant Ouargla jusqu'à ce qu'elle leur ait payé un tribut en argent, en esclaves ou en dattes, etc.
         Cheikh el Hadj et Maïza nous a assuré que la djemaâ dont il est membre, conserve un gros livre qui serait l'histoire de la ville. Il nous a même promis de nous en envoyer un abrégé ; nous n'osons croire à cette bonne fortune, mais un jour viendra, sans doute, où nous pourrons aller consulter ce monument précieux.
Cd. DAUMAS et Ausone DE CHANCEL.


AÏN TOUTA DEVENU MACMAHON
Pieds -Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui - N° 207, septembre 2012
     
                 Mac Mahon duc de Magenta, Maréchal de France, né à Sully (Saône et Loire) (1808 - 1893) se signala pendant les guerres de Crimée (prise de Malakoff et d'Italie, victoire de Magenta). Il fut Gouverneur Général d'Algérie de 1864 à 1870. Pendant la guerre de 1870 il fut écrasé par le nombre à Froeschwiller. Bien que monarchiste, il accepta la présidence de la République en 1873 mais démissionna en 1879.

                 Le Centre de peuplement de Mac Mahon situé à 33 kilomètres au Sud-Ouest de Batna et à 90 kilomètres au Nord de Biskra, d'une altitude de 980 mètres, fut créé en 1872 sur une superficie de 921 hectares provenant de la suppression de la Smala des Spahis antérieurement installée sur ce territoire appartenant à I'Etat.
                 Il est le siège de la Commune mixte d'Aïn-Touta. Aïn-Touta, nom arabe désignant une source plantée d'un mûrier. Il fut implanté dans une plaine marécageuse, entièrement recouverte de genêts et de roseaux lieu de prédilection de panthères noires. Travaux entrepris pour la réalisation du lotissement comprenant 30 lots agricoles : Assiette du Village, rues et trottoirs, assainissement et plantations. Alimentation en eau, réservoirs, bornes fontaines, abreuvoirs, lavoir. Construction d'un réduit défensif. Construction des bâtiments communaux : école, mairie, église presbytère. Clôture du cimetière. Coût total : 218.036 Frs
                 Les premières surfaces emblavées ont été de : 164ha en blé, 194 ha en orge, 25 ha furent consacrés aux jardins, et 5 ha furent plantés en vigne. Deux moulins à mouture indigène furent créés. Un hôpital est créé avec la nomination d'un médecin de colonisation.

                 De 1881 à 1901 la population européenne est passée de 74 habitants à 195 composée de 162 français, 7 israélites naturalisés, 26 étrangers et de 203 indigènes. De 1884 à 1902, 212 naissances et 147 décès furent enregistrés.
                 Le village de Mac Mahon s'est peu développé, la rigueur du climat, la pluviométrie quasi nulle, les surfaces des concessions ridiculement réduites, l'état sanitaire qui a laissé à désirer pendant un certain temps, sont les principales causes qui ont nui à sa réussite.

                 D'autre part les familles d'Alsaciens-Lorrains qui ont été installées sur ce point n'étaient pas du tout préparées à ce climat, à cette nouvelle vie à laquelle on les appelait. L'aide qui leur fut apportée était nettement insuffisante, pour réussir dans cette région comme dans I'ensemble des Hauts Plateaux, il est nécessaire de cultiver de grandes surfaces qui seules permettent l'élevage du bétail, ainsi que le développement de I'irrigation qui sont les seules sources de profits.

                 1907 . - Un réseau urbain téléphonique avec abonnés et une cabine publique sont mis en service.
                 1915. - Le docteur Bisquerra est médecin de colonisation.
                 Août 1916. - Les Chaouïas sont en ébullition, ils envahissent le village, pillent et incendient les maisons, détruisent le Bordj administratif de la commune mixte où le Sous Préfet et I'Administrateur sont tués. Les zouaves cantonnés à Mac Mahon interviennent pour rétablir l'ordre.
                 À la suite de ces émeutes la plupart des familles juives quittent la région, seul restera le propriétaire de l'hôtel restaurant.
                 Mais cette révolte locale n'aura pas d'incidence sur l'évolution de la vie locale.

                 1917. - La toute dernière panthère noire est abattue dans la région par Maurice Hôckel.
                 1927. - Construction de caniveaux pavés tout le long de la nationale N° 3 traversant le village.
                 1929. - La commission municipale de Mac Mahon est composée de trois membres. Des circuits téléphoniques sont réalisés entre Mac Mahon et El-Kantara.
                 1940. - Le responsable de la défense du centre en temps de guerre est : Le Chef, Tacon Eugène, son adjoint : Mayer Gabriel.
                 1946. - Le village de Mac Mahon compte une population de toutes confessions, de 340 familles de 1707 personnes.
                 L'eau potable provenant de deux sources captées, alimente plusieurs fontaines publiques, abreuvoirs et lavoir et les habitations.

PLAN D'ACTION COMMUNAL
de 1948 à 1960.

                 Le Plan d'action communal va permettre la réalisation: Un groupe scolaire de six classes avec les logements correspondants. Un Centre professionnel rural complètement équipé. Un Centre artisanal de tissage avec logement.
                 Un hôtel des Postes - une Mairie et une Justice de paix. Un hôpital disposant de 30 lits. Une caserne de Gendarmerie.
                 Vingt-cinq logements pour le personnel des Services administratifs. Un lotissement de villas, boulevard Casinelli, afin de loger le personnel communal :
                 Secrétaire, Architecte, Médecin de colonisation et le personnel médical.
                 Construction des bâtiments de la SIP, comptant les bureaux, les logements, les dépendances, un garage et un silo magasin à céréales.
                 Les principaux services administratifs : Bâtiments de la Commune mixte avec Administrateur et Adjoints.
                 Service des Eaux et Forêts.
                 Hôpital Civil. Médecin de colonisation. Contributions diverses.
                 Justice de paix.
                 Société Indigène de Prévoyance (S.I.P).
                 Chemin de Fer.
                 Défense et restauration des sols.
                 Mairie - Services municipaux.

                 On peut également citer : L'Eglise et son presbytère.
                 Un magnifique complexe sportif avec entre autres un terrain de football, jeux de boules, tennis, croquet.
                 Le marché hebdomadaire se tient le lundi, en dehors des bestiaux et des étalages habituels communs à tous les villages de la région, on peut remarquer des artisans potiers qui présentent des poteries, ocrées ornées de motifs géométriques, destinées à l'usage domestique et également des couvertures et des musettes aux couleurs vives. Tous ces objets d'origine berbère sont confectionnés dans les douars environnants.
                 Les derniers européens natifs de Mac Mahon furent les familles : Tacon Eugène, Hôtel restaurant Haëckel Maurice - Meyère Louis et fils Meyère Paul - Clapier Murat - agriculteurs.
                 Après le départ du docteur Deloy Christian, dernier médecin de colonisation qui avait pour adjoint Ali Mokrani et une infirmière diplômée Madame Maraval, de nombreux médecins militaires se succédèrent dans la commune mixte.

TEMOIGNAGE DE
Mauricette et Marcel Haëckel

                 La commune mixte d'Aïn-Touta tient son nom d'une source bordée d'un mûrier. Ce dernier a effectivement existé à proximité de la gare à 1 km du centre du village. Cette source s'est tarie vers 1950 à la suite de I'approfondissement des puits de la commune mixte. Quant au mûrier, il a séché en deux années, il était d'une variété très rare, que les indigènes dénommaient " Touta Michel" du nom de celui qui I'avait planté. La région était constituée de hautes plaines, terres propices à la culture des céréales, mais la pluviométrie déficiente en rendait aléatoire leur culture, seul l'élevage des moutons et surtout I'irrigation des terres avec les cultures de pommes de terre, de fourrage artificiel, de luzerne pouvaient rentabiliser les exploitations. Les collines environnantes boisées, couvertes de genévriers, de pins, étaient très giboyeuses.

                 Trois Oueds descendant de l'Aurès, traversent la région, I'Oued El Ksour à l'Est, I'Oued Fedal et l'Oued Berrichi à l'Ouest.
                 L'Oued El Ksour coule à 800 m environ de la gare, un barrage dérivatif permet d'actionner le moulin hydraulique à mouture indigène de M. Bacri, et plus loin une importante minoterie. Un barrage construit à la création, avec une retenue d'eau, permet l'irrigation de toutes les terres du village.
                 Dans les années 1910, un gisement de mercure, situé dans la région de Tiourist dans I'Aurès était exploité, le transport se faisait à dos de mulet dans de très lourds conteneurs en plomb sous la direction de M. Clapier (père).

                 A I'origine, 2 écoles furent ouvertes, I'une mixte, l'autre de 2 classes pour les garçons indigènes. La gare d'Aïn-Touta sur la ligne de chemin de fer Batna Biskra avait une certaine importance avec son chef de gare et de district. Une centrale électrique locale fournissait le courant à t'agglomération.

                 Plusieurs personnes ont marqué de leur empreinte le village, l'Administrateur Maglioli, qui lui a donné une structure, créant entre autre un magnifique square, plantant un nombre très important d'arbres particulièrement des pins et des frênes. Plus tard fut construit un très joli Bordj qui remplaça celui incendié en 1916. Le docteur Joseph Tramini grâce à son dévouement a éradiqué les épidémies, le typhus qui faisait d'énormes ravages dans la population indigène, le paludisme, en traitant tous les points d'eau stagnante. Mesdames Fiama (mère) et Joséphine Haëckel furent les seules femmes de la région de Batna à être décorées de la médaille du mérite agricole.

                 À la création du village, les lots de colonisation attribués comportaient : 1 lot urbain avec un lot de jardin, 8 hectares de terres irrigables et 16 hectares de terrain de culture. Il eut été nécessaire que ces surfaces fussent au moins triplées afin d'assurer la survie des premiers colons.

                 Certaines familles. les Bacri, Ben Redah et Nasri obtinrent des surfaces plus importantes. Des bois furent attribués à la commune, loués en adjudication triennale. Ne pouvant subsister de nombreuses familles de la première heure cédèrent leurs concessions.
                 L'implantation des romains dans la région se situe à 6 km à I'Ouest du village, certainement à cause des marécages.
                 La piste dallée qui reliait Lambèse, Timgad, via El Outaya, la montagne de sel gemme, traverse le site.

                 À I'est de nombreuses ruines, de nombreux sarcophages principalement d'enfants furent découverts à 3 kms au col des "Juifs" ainsi dénommé car à cet endroit des commerçants juifs, en convoi, furent attaqués et massacrés par les indigènes. D'importants travaux de drainage permirent I'assainissement de cette plaine marécageuse et l'irrigation des concessions situées rive gauche de I'Oued El Ksour, il faut noter que lors de la construction de la ligne de chemin de fer de Batna à Biskra, ces lots furent amputés chacun d'un demi-hectare. Les lots de la rive droite étaient irrigués par un barrage construit à la création du village.

                 Un syndicat d'irrigation en assurait la gestion, le dernier Président fut Marcel Haëckel qui réalisa des travaux très importants afin d'améliorer le débit des eaux avec I'aide et les conseils de M. Fourcade, ingénieur de l'hydraulique de Batna. Afin de palier l'érosion des terres, des travaux considérables furent entrepris par la Défense et Restauration des Sols (D.R.S) sous la direction de M. J. Ortoli, sa compétence permit la construction de banquettes avec des plantations dans tout le bassin de la commune allant de I'Oued Fedala à I'Est, au pied de I'Aurès à l'Oued Berriche à I'Ouest.

                 Les commerçants: Boulangerie-Epicerie: Matassem, Clapier.
                 Travaux publics : Haëckel Bastien
                 Travaux agricoles: Meyère.
                 Les principaux Administrateurs de la commune mixte furent MM. : Maglioli - Mombertrand - Laborde - Mougeot - Oberdorff Guy Guisolfi.
 ACEP : Maurice Villard
Les villages des Hauts Plateaux sétifiens
Pieds-Noir d'Hier et d'Aujourd'hui N°207 - Septembre 2012
    


 

LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.
             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens de faire des mises à jour et d'ajouter Oued-Zenati, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.
             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Clauzel, Duvivier, Duzerville, Guelaat-Bou-Sba, Guelma, Helliopolis, Herbillon, Kellermann, Millesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Oued-Zenati, Penthièvre, Petit et Randon, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.
POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

    
CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:
http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.
 


NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers


L’extrémisme n’a pas sa place en Algérie

Envoyé par Judith
https://www.lexpressiondz.com/editorials/l-extremisme -n-a-pas-sa-place-en-algerie-316917


L'Expression.dz - par Saïd BOUCETTA -23-04-2023


         «Le combat contre l'extrémisme, sous toutes ses formes, doit être mené à tous les niveaux, en impliquant l'ensemble des acteurs de la scène nationale», a affirmé le chef d'état-major de l'ANP.
         Ayant vécu, comme des millions d'Algériens la guerre féroce que leur a imposée l'extrémisme, Saïd Chanegriha a pu mesurer le poids de la société, son Histoire et sa grande volonté à ne pas céder à la folie intégriste qui est la négation de la modernité à laquelle aspire une Algérie née dans la douleur d'une guerre de Libération nationale.
         Cet intégrisme-là, qui se nourrit de l'ignorance des préceptes de l'islam, ne désarme pas et entend revenir à la charge. Ces commanditaires n'ont d'autre intention que de détruire la société algérienne de l'intérieur.
         La vigilance des institutions de la République leur ont barré la route, mais alors que les activités subversives «se faisaient clandestinement et dans des espaces clos», les vigiles de la République sont aujourd'hui «parfaitement conscients que ces activités (sont) menées désormais ouvertement».

         Un message aux mentors de l'islamisme radical: l'histoire ne se répétera pas en Algérie. Les autorités du pays savent que ces activités «ont été enclenchées sur instigation de cercles subversifs hostiles». Le mot est dit. Il n'existe pas d'Islam radical qui émane d'une pensée religieuse.
         C'est plutôt l'instrumentalisation de la religion à des fins criminelles. Et les financiers des plans de déstabilisation des sociétés n'ont d'autres soucis que d'accaparer leurs richesses.
         Les pays soumis à l'extrémisme islamiste jusqu'à l'effondrement des États témoignent du caractère irréversible d'un processus de destruction lorsqu'il est mené à son terme. Armées et financées par des officines, souvent occidentales, il est arrivé que les forces de la haine ne trouvant pas de résistance dans les sociétés, ont ravagé tout sur leur passage.
         En Algérie «la conscience et l'unité de notre vaillant peuple et à son adhésion à son armée et ses institutions» est un rempart très solide contre tous les «desseins subversifs». La conviction de l'ANP et de l'État algérien est que l'unité du peuple est un facteur de stabilité de la nation.
         Le propos est certes de confirmer les liens solides entre l'ANP et le peuple, comme l'ont été ceux, entre l'ALN et le peuple en lutte pour son indépendance. Mais plus encore, le chef d'état-major rappelle que l'islamisme violent n'a pas sa place en Algérie.
Saïd BOUCETTA           


Rire, c’est vraiment sérieux ?

Envoyé par Mathias
https://www.lesoirdalgerie.com/constances /rire-c-est-vraiment-serieux-77062


Le soir d'Algérie - Par : SLIMANE LAOUARI le 18-04-2023

         L’autre fois, un ami qui n’a pas l’habitude de… rigoler quand il parle, nous faisait cette terrible confidence : aucun Algérien ne m’a fait rire depuis… l’inspecteur Tahar ! Je ne sais pas pour vous mais en ce qui me concerne, j’ai compris qu’il parlait des… humoristes quand il disait «Algériens». Parce que loin des scènes, nos compatriotes ont le génie au bout de la langue. Il y en a dont c’est la vocation naturelle mais font semblant de ne pas le savoir, il y en a qui s’y sont mis, justement parce que personne d’autre ne les fait rire, il y a ceux qui sont vraiment drôles quand ils sont sérieux et enfin les plus… rigolos, peut-être bien les plus nombreux, ceux qui… se prennent au sérieux. Hadj Abderrahmane avait un immense talent de comédien, un charme naturel et une vraie profondeur sociologique dont il a déserté le pire : le mime et le sens du poil lesquels, souvent, veulent dire la même chose et surtout génèrent les mêmes travers.
         On l’a presque oublié, Hadj Abderrahmane était tellement doué qu’il avait éclipsé… ceux qui ont écrit des rôles spécialement pour lui et l’ont mis en scène. Et si notre ami ne rigole plus depuis la disparition tragique de Hadj Abderrahmane parce que justement, il n’y a plus grand monde pour écrire et pour mettre en scène ? Bien sûr, en l’occurrence, on peut inverser les choses, j’allais même dire… inverser les rôles. Alors, il n’y a plus de comédiens qui puissent inspirer des auteurs par leur talent intrinsèque, leur profil et leur registre comique ? Voyons, l’équation, si c’en est une, ressemble un peu aux énigmes insolubles, pas très loin de l’œuf et de la poule. Plus grave, c’est un peu trop sérieux pour la circonstance.

         Bien sûr, d’autres amis plus ou moins inspirés, plus ou moins rieurs quand ils parlent, préféreront Rouiched ou Boubegra mais ça ne change rien à la donne. Les trois appartiennent sensiblement à la même génération, n’ont pas eu de formation classique, n’ont pas écrit, n’ont pas réalisé. Ils ont juste fait ce qu’ils savent faire le mieux et ils l’ont fait avec un réel bonheur. La liberté ? Ils ont eu… l’audace de leur temps et ça a souvent suffi. Mon ami a aussi parlé de ceux qui ont la… prétention de nous faire rire aujourd’hui : ils «veulent tout faire», ce n’est pas très drôle… sérieusement.
S. L.           


Tebboune :

Envoyé par Eric
https://www.tsa-algerie.com/tebboune-lespagne- accepte-de-restituer-a-lalgerie-3-hotels-de-haddad/

tsa-algerie.com - Par : Rédaction 06 Avril 2023

L’Espagne accepte de restituer à l’Algérie 3 hôtels de Haddad

          Après avoir récupéré une partie importante des biens détournés se trouvant en Algérie, les autorités algériennes s’attellent à rapatrier les biens transférés à l’étranger par des oligarques et anciens responsables condamnés par la justice dans des affaires de corruption.

           Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a évoqué le sujet dans un entretien accordé à Al Jazeera Podcast.

           Le 27 décembre dernier, le ministre de la Justice, Abderrachid Tebbi, avait listé les biens récupérés après des décisions définitives de confiscation prononcées par la justice, d’une valeur équivalente à 20 milliards de dollars.
           Depuis, le chiffre a augmenté, se situant désormais à 22/23 milliards de dollars, selon le président de la République. « Nous avons commencé avec les biens qui se trouvent en Algérie, l’argent, les avions, etc. Jusqu’à maintenant, la justice a prononcé la confiscation de biens d’une valeur équivalente à 22/23 milliards de dollars », a dit Abdelmadjid Tebboune.
           L’Etat algérien veut maintenant récupérer les biens mal acquis transférés à l’étranger. Lors de sa visite en Algérie en mars dernier, le vice-président de la Commission européenne et son Haut représentant pour la politique étrangère, Joseph Borell, avait fait état de la disposition de l’UE à coopérer avec l’Algérie sur la question de la restitution des biens détournés.
           Pour Abdelmadjid Tebboune, c’est un « devoir » pour les Européens de coopérer avec l’Algérie dans ce dossier « car toutes les opérations de transfert illégal de l’argent algérien se sont faites vers leurs pays et les comptes se trouvent chez eux ».
           Les transferts se sont faits vers « tous les pays européens, particulièrement les pays méditerranéens, la France, Espagne Belgique, Suisse, Luxembourg », a-t-il précisé.
           Les hôtels de Ali Haddad en Espagne en passe d’être récupérés par l’Algérie
           Cette coopération de l’Europe commence à se concrétiser puisque, selon le chef de l’Etat, l’Espagne a accepté de restituer à l’Algérie trois hôtels appartenant à un oligarque algérien.

           L’Espagne était l’une des destinations privilégiées des fonds algériens détournés. Depuis mars 2022, les deux pays sont en crise politique à cause du changement de position de Madrid sur la question du Sahara occidental.
           En juin de la même année, l’Algérie a suspendu le traité d’amitié et de bon voisinage qui la liait à l’Espagne et le commerce entre les deux pays est pratiquement bloqué depuis cette date.

           Le ministre de la Justice avait révélé le 27 décembre dernier devant l’Assemblée populaire nationale (APN) que la justice algérienne a délivré 220 commissions rogatoires et demandes d’entraide judiciaire au niveau de plus de 30 pays étrangers afin de récupérer les biens et fonds qui y ont été illégalement transférés.

           Concernant les biens confisqués et récupérés en Algérie d’une valeur équivalente à 20 milliards de dollars, M. Tebbi avait précisé qu’il s’agissait, entre autres, de promotions immobilières, villas de luxe, immeubles, périmètres agricoles, usines, complexes touristiques, parcs roulants et comptes bancaires.
           Le chiffre de 20 milliards de dollars de biens récupérés a été révélé pour la première fois par le président Tebboune le 22 décembre dernier lors d’une de ses entrevues périodiques avec la presse nationale. Il avait promis que l’opération se poursuivra et concernera les fonds détournés et se trouvant en dehors des banques.
            


Sahel

Envoyé par Sophie
https://www.tsa-algerie.com/sahel-lalgerie- reitere-son-refus-de-lingerence-etrangere/

tsa-algerie.com - Par : Rédaction 02 Avril 2023

L’Algérie réitère son refus de l’ingérence étrangère

           L’Algérie a toujours refusé l’ingérence étrangère dans les pays du Sahel sous couvert de la lutte antiterroriste. Une position réitérée, ce dimanche 2 avril, par le chef d’état-major de l’ANP, Saïd Chanegriha.

           Le général d’armée était, ce dimanche 2 avril, au siège du Commandement des forces terrestres à Alger. Dans une allocution devant les cadres et personnels du Commandement, Saïd Chanegriha a évoqué la problématique de la lutte contre le terrorisme dans les pays du Sahel, dont deux, le Niger et le Mali, partagent une longue frontière terrestre avec l’Algérie.

           Saïd Chanegriha a d’abord rappelé le combat de l’Algérie contre le terrorisme, une expérience « certes amère, mais couronnée de succès ».
           Très tôt, l’Algérie a pris conscience des « origines, risques et dimensions » du terrorisme, et a mis en garde le monde contre ses conséquences, a dit Chanegriha dont les propos ont été rapportés dans un communiqué du MDN.
           Si l’Algérie a vaincu « le projet obscurantiste » du terrorisme, c’est grâce à « l’exploitation rationnelle de ses capacités » et l’expérience acquise par le peuple pendant la Guerre de libération nationale, a indiqué le chef d’État-Major qui a ensuite plaidé pour une approche coordonnée et la mutualisation des efforts de lutte antiterroriste tant au niveau national que régional et international.
           Cette mutualisation passe par la mise en œuvre « rigoureuse » des résolutions et des outils juridiques de l’ONU et de l’UA ainsi que des mécanismes bilatéraux et multilatéraux, a-t-il ajouté.
           L’ingérence étrangère au Sahel : un « échec total », selon Chanegriha
           Saïd Chanegriha a rappelé que cela a été souligné par le président de la République Abdelmadjid Tebboune lors du débat de haut niveau du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la lutte antiterroriste.
           Le président Tebboune avait indiqué que l’Algérie poursuivait ses efforts pour soutenir ses voisins et les pays africains dans la lutte contre le terrorisme.
           D’où l’initiative algérienne visant à conférer une nouvelle dynamique aux efforts de lutte contre le terrorisme dans la région. L’initiative a été approuvée en octobre 2022 par les pays membres du CEMOC (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger).

           La nouvelle stratégie adoptée consiste à ce que la lutte contre le terrorisme soit prise en charge par chaque pays dans son propre territoire et par ses propres moyens.

           La nouvelle stratégie s’inscrit néanmoins dans une « dynamique collective, fondée sur la conjugaison des efforts, la coordination et l’aide mutuelle et qui exclut toute forme d’ingérence étrangère sous le couvert de la lutte antiterroriste », a ajouté le chef d’État-Major de l’ANP pour qui l’approche de l’ingérence étrangère a été « un échec total » comme l’ont démontré « les derniers développements dans la région ».
            



Tipaza

Envoyé par Ferdinand
https://www.algerie360.com/tipaza-2-ingenieurs-algeriens -coincoivent-une-station-solaire-pliable-et-transportable/

  - Par algerie360.com - Par: Par Lamia F 4 avril 2023

2 ingénieurs algériens coinçoivent une station solaire pliable et transportable

           Nous vivons à une ère où la pollution atmosphérique est un sujet sérieux débattu dans les assemblées et traité par les scientifiques comme une catastrophe environnementale majeur. Face à cette situation, tout un chacun essaie, tant bien que mal, d’apporter sa contribution pour préserver notre planète et son écosystème.

           Deux ingénieurs algériens ont conçu une station solaire portable et pliable capable de générer de l’électricité à Tipaza. Un projet qui se veut prometteur et qui a attiré l’attention de certains acteurs du secteur.

           Une centrale solaire mobile inventée par deux ingénieurs algériens à Tipaza
           Deux experts en énergie solaire du nom de Djamel Bachiri et Djamel Fodil ont réussi à créer une station solaire amovible et transportable. L’ensemble est composé de plusieurs panneaux solaires pliables capables de fournir de l’électricité dans n’importe quelle situation (catastrophe naturelle, coupure de courant…). Grâce à son caractère transportable, le dispositif peut être utilisé dans divers domaines sans poser de contraintes. Une invention qui vaut aux deux ingénieurs la visite du média arabe « Attaqa » jusque dans leur atelier de fabrication, à Cherchal.

           Interrogés sur les composantes de leur invention, les deux ingénieurs expliquent que la station dispose de 6 panneaux solaires pliables, incrustés sur une structure métallique. Une fois pliée, la station prend la forme d’une boite métallique, facilement transportable. Ce dernier a reçu le brevet du projet en février 2023, de la part de l’Institut National Algérien de la propriété industrielle.
           Pratique et ergonomique, cette station énergétique portable est aussi économique selon la même source. La consommation des panneaux solaires est réduite de façon à assurer une transmission sans pertes d’énergie.
           Plusieurs perspectives pour la centrale solaire pliable algérienne
           Fodil et Bachiri aimeraient développer le projet sur une plus grande envergure, pour toucher pour quoi pas les domaines de l’agriculture et des énergies fossiles. L’énergie des panneaux pliables servirait ainsi à alimenter les pompes d’arrosage des champs, ou à fournir de l’électricité dans les champs pétroliers isolés. Le dispositif pourrait aussi remplacer potentiellement les générateurs diesels classiques de secours, réduisant ainsi l’impact carbone.

           Le montage est composé d’un transformateur et d’un régulateur pour protéger les batteries, qui ont une capacité de stockage de 3.6 KW. Certaines pièces étant non-disponibles, les deux ingénieurs ont dû innover et créer de leur main des alternatives. Le projet a coûté 320 000 DA au total au duo, qui espère attirer des investisseurs locaux et étrangers prochainement lors de sa participation à une exposition à Khenchela.
           Les deux ingénieurs envisagent également l’éventualité d’un partenariat avec le Gouvernement pour mettre l’invention au profit du secteur public.


Lamia F                



De M. Pierre Jarrige
Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
    PDF 167A                                                  PDF 168
    PDF 168A                                                  PDF 169
    PDF 169A                                                  PDF 170
    PDF 170A                                                  PDF 171
Pierre Jarrige

Site Web:http://www.aviation-algerie.com/

Mon adresse : jarrige31@orange.fr


La gomme et Le crayon
Envoyé par Elyette

     La gomme a dit au crayon : - Comment vas-tu mon ami ?...

     Le crayon répondit avec colère : - Je ne suis pas ton ami... Je te déteste...

     La gomme dit avec étonnement et tristesse: - Pourquoi ?...

     Le crayon rétorqua : - Parce que tu effaces tout ce que j'écris...

     La gomme répondit : - Je n'efface que les erreurs.

     Le crayon: - En quoi cela te regarde ?...

     La gomme : - Je suis une gomme et c'est mon travail..

     Le crayon : - Ce n'est pas un travail..

     La gomme : - Mon travail est aussi utile que le tien.

     Le crayon : - Tu as tort et tu es prétentieuse, car celui qui écrit est meilleur que celui qui efface...

     La gomme : - Supprimer l'erreur équivaut à écrire ce qui est bien...

     Le crayon est resté silencieux pendant un moment puis il a dit avec un peu de tristesse : -Mais je te vois raccourcir jour après jour.

     La gomme: - Parce que je sacrifie quelque chose de moi à chaque fois que je t'efface une erreur

     Le crayon dit : - Moi aussi je me sens chaque jour plus court que je ne l'étais...

     La gomme dit en le consolant : - Nous ne pouvons être utiles aux autres, qu'en faisant un sacrifice pour eux...

     Puis la gomme a regardé le crayon avec une grande gentillesse en disant : - Tu me détestes toujours ?...

     Le crayon a souri et a dit : - Comment puis-je te détester alors que tu nous as rassemblés par le sacrifice ?...

     *MORALITÉ DE L'HISTOIRE*

     A chaque fois que tu te réveilles, ta vie diminue d'un jour...
     Si vous ne pouvez pas être un crayon pour écrire le bonheur des autres, soyez une gomme douce qui efface leurs peines et diffuse l'espoir et l'optimisme dans leur âme pour que leur futur soit meilleur .
     Que la Sagesse nous guide toujours, partout.




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Notre liberté de penser, de diffuser et d’informer est grandement menacée, et c’est pourquoi je suis obligé de suivre l’exemple de nombre de Webmasters Amis et de diffuser ce petit paragraphe sur mes envois.
« La liberté d’information (FOI) ... est inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946, ainsi que par les Articles 19 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), qui déclarent que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
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