N° 229
Juillet-Août

https://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Juillet 2022
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
https://www.seybouse.info/
Création de M. Bonemaint
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,

Écusson de Bône généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
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EDITO

Folle envie de vivre "normalement"

        Nous ne sommes qu'à la moitié de l'année et il s'est passé pas mal de choses dont trois principales :
        1) Tout d'abord une baisse spectaculaire du Covid grâce à deux élections, avec les rassemblements autorisés, des gestes " barrières trouées " que l'on pensait bien relégués au rang des souvenirs ;
        2) Une malheureuse guerre en Ukraine attisée par les amerlocs et des européens obéissant à l'OTAN sans se soucier de ce qui s'est passé dans le Donbass pendant 8 ans avec la souffrance des populations. Cela pourrait même nous faire revivre quelques douloureux souvenirs du passé ;
        3) deux élections " pas très claires " qui vont faire souffrir beaucoup de monde, avec peut-être dans quelques mois, une dissolution de l'Assemblée.

         Les élections sont finies avec tous les " magouillages " de l'Assemblée Nationale " pour offrir des postes et obtenir des alliances de circonstances. Et voilà, comme prévu par les gens qui avaient les yeux bien ouverts, qu'avec ce début d'été, le Covid fait un nouveau rebond, quelle coïncidence !!! On reparle d'un nouveau confinement, du port de masque, d'une nouvelle dose de vaccin, mais pas des traitements qui marchent. Cela fait vendre du papier, des heures TV et des vaccins qui n'en sont pas.
        Un événement qui ne devrait pas se reproduire, c'est la crise sanitaire liée au covid. Loin de moi l'idée d'imaginer que le danger viral est définitivement écarté.
        Cela arrange bien le monde politique, car l'inflation va continuer de galoper avec un bouc émissaire, la guerre en Ukraine, pays qui doit être le grenier du monde à en croire les " merdias ", les politiques et les financiers qui tirent les ficelles.

         Nous avons, une folle envie de vivre "normalement" et ce " nouveau pic " des contaminations ne doit pas "gâcher l'été et les vacances du monde du labeur.

         Merci à tous pour vos contributions et votre soutien.
        Bon courage pour la dernière ligne droite de 2022 ! Prenez soin de vous
        Je vous souhaite un très bel et bon été.
Jean Pierre Bartolini          
        Diobône,         
         A tchao.


Retour de l'Enfant prodigue.
Quand,
        le Bafoungne - la Mer - la Pluie - le Tonnerre…

        " Fais du feu dans la cheminée je reviens chez-nous… "

        Aujourd'hui, je reviens chez-nous, très heureux de retrouver ma grande famille Calloise.
        Mais, il faut que je vous dise, que je reviens près de vous tous, avec des rêves insensés plein la tête. Des rêves d'un autre monde, hélas ! Un monde aujourd'hui disparu, sauf, dans les beaux souvenirs qui dorment, bien enfouis dans le secret du labyrinthe de nos mémoires.

        Je rêve ! Mais, à quoi, me demanderez-vous ?
        Je rêve à un soir d'hiver, chez-nous à La Calle de France et je m'imagine que nous sommes tous ensemble, rassemblés à la lueur flageolante d'une antique lampe à pétrole, devant le feu ardant d'une immense cheminée, alors que dehors, souffle rageusement le Bafoungne, que gronde la mer démontée, qui vient se briser sur les rochers du Lion et ceux des Brisants, pendant que la pluie, tinte joyeusement sur les vitres de nos demeures, enfouies dans la nostalgie des souvenirs d'antan.

        Je rêve que nous sommes tous là, silencieux et blottis les uns contre les autres, à écouter avec extase tous les bruits venant du dehors : le chant rageur du Bafoungne, Seigneur des lieux en ce soir de tempête, le fracas de la vague, qui vient s'écraser sur la côte rocheuse et qui recommence sans ne jamais se lasser, puis, dominant ce tintamarre, la pluie, qui s'en vient de sa voix très douce, tambouriner joyeusement sur les volets clos de nos demeures…

        Comme nous sommes bien ensemble, mes chers amis et amies du Bastion de France ! Alors que dans la grande cheminée du souvenir, brûle un grand feu bien nostalgique.
        Je rêve alors, que chacun avec sa chacune, ou bien, comme moi, l'éternel solitaire, bercés par les bruits du dehors, se mettent à songer aux temps d'avant, ceux, où, nous étions si heureux de vivre, au milieu de tout ce petit peuple de Callois et au sein de notre belle et douce cité du corail…

        Je rêve, à tous les moments délicieux : de ces soirs d'été sur le Cours Barris ; aux promenades nocturnes en hiver, dans le clair-obscur du Cours des saucisses ; aux bals du Marché, dont, il me semble encore, entendre la musique du côté de chez-moi ; des fêtes si joyeuses, du Mont-Carmel et de la Saint-Cyprien de Carthage ; du " cinéma-cinéma " de chez Noto ; des superbes baignades en été, dans les eaux bleues de la Méditerranée Calloise ; des Saints Couffins mémorables, à la plage de l'Usine, sur le Boulif, aux premiers arbres…

        Je rêve et nous rêvons tous ensemble, silencieux, en accord avec le Maître Bafoungne, le grondement de la mer et le tintement de la pluie… Lorsque soudain ! le tonnerre se fit entendre, dans le lointain d'abord, puis, au-dessus de nos têtes, comme s'il voulait nous souhaiter le bonsoir et puis, il baissa d'un ton pour enfin disparaître dans la nuit. "Le bon Dieu joue aux boules " dit une voix, ce que devait approuver l'assemblée à mi-voix, comme pour ne pas agacer le bon Dieu et le perturber dans son tournoi de boules.

        Voilà mes chers amis et amies du Bastion de France, j'ai fait pour vous ce soir, un grand feu dans la cheminée des souvenirs et me revoilà de nouveau revenu parmi vous. J'ai voulu vous offrir, ce rêve un peu fou mais bien nostalgique où, j'ai fait appel au Bafoungne, à la mer démontée, à la pluie, au tonnerre et surtout, à tous ces souvenirs qui hantent continuellement mon esprit, sans ne jamais me laisser en paix.

        Faites du feu, dans vos cheminées du passé, frères et sœurs de là-bas du côté de La Calle et retrouvons-nous tous ensemble, à la lueur d'une vieille lampe à pétrole, en train d'écouter en silence et avec délice, tous les bruits venant du dehors, par une nuit de tempête mémorable, comme hélas ! nous n'aurons plus l'occasion de vivre, mais, dont le souvenir reste ancré dans nos mémoires.
        " Faites du feu dans la cheminée, car, je reviens aujourd'hui parmi vous. "

        Sur Internet, nous pourrons nous retrouver ensemble et continuer à deviser comme d'habitude, même, si le Bafoungne, la mer mauvaise, la pluie et le tonnerre, nous aurons aujourd'hui, hélas ! faussé compagnie.
Jean-Claude PUGLISI
- de La Calle Bastion de France.
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage.
Fait à Lyon, le 05 Novembre 2018.


LE MUTILE N° 141 du 16 mai 1920

Nos Soldats ont faim !...

               Depuis plusieurs mois déjà, les ménagères s'effarent, de voir monter constamment les prix, des denrées ; les employés salariés se rendent compte chaque jour qu'il leur est de plus en plus difficile de faire face aux nécessités de l'existence, malgré d'incessantes restrictions. Chacun se demande, à quelles privations nouvelles il faudra se résoudre bientôt et tous se plaignent.

               Il en est d'autres qui semblent, à première vue, n'être pas atteints par la croissante cherté de la vie. Le public, qui ne raisonne pas les considère un peu comme des privilégiés, puisqu'ils ne connaissent pas le souci quotidien de pourvoir à leur subsistance. Je parle des soldats.
               Cependant, pour eux comme pour les autres, l'ère des restrictions est ouverte. La vie chère et la consigne de faire des économies ont amené, dans les casernes, la diminution de la ration journalière et des privations de toute nature. Ces restrictions sont d'autant plus pénibles qu'elles s'imposent, à des appétits de vingt à vingt-deux ans, à des organismes en pleine croissance, astreints à une vie active, au grand air. Cela est horrible à dire, mais il faut le dire. : nos soldats ne mangent pas à leur faim!...

               Si vous ne me croyez pas, interrogez les militaires que vous pouvez connaître, ou rencontrer, à quelque arme qu'ils appartiennent. Ils vous diront, tous ceci : " On la pèle! ", Ce qui signifie, en langage académique : " La nourriture est insuffisante ".
               Nos troupiers vous diront que tout leur argent de poche passe en achats de victuailles - oh ! bien modestes, naturellement : pain, fromage, vin.
               Que voulez-vous qu'ils se payent, par le temps qui court ? Tout est si cher ! Les privilégiés s'offrent de temps à autre, un repas dans un restaurant. Mais ce gala n'est pas à la portée de toutes les bourses - et je songe avec tristesse à ceux auxquels leur famille ne peut, rien envoyer et qui, le ventre creux après leur maigre, repas de cinq heures, n'osant pas sortir de crainte, que la promenade n'augmente encore leur fringale, restent dans la chambrée, assis sur leurs lits...., à remuer quelles pensées ?...

               " Monsieur, écrit l'un d'eux, j'ai vécu sur le front depuis avril jusqu'en novembre 1918 et je n'ai jamais été réduit où j'en suis, Je ne me trouve à la caserne d'Orléans que depuis le mois de février 1920 et cependant, j'ai constaté que, malgré les quelques repas que je prends en ville, chaque semaine, j'ai maigri de plusieurs, kilos. Nos chefs nous disent qu'il faut économiser, mais... ne doit-on pas fournir à ceux qui se sont battus hier et qui sont encore, prêts à se battre demain, au moins la possibilité de vivre !'..."

               Que pouvez-vous répondre à ces choses lamentables ! Au nom de quelle nécessité faites-vous souffrir de la faim ces enfants que vous considérez, à juste titre, comme la forée du pays ?...
               Durant la guerre, il y avait deux régimes : celui du front (ration forte, avec supplément à la ration normale) et celui du dépôt, très strict.
               On pouvait prétendre, alors, que les fatigues exceptionnelles du front nécessitaient une nourriture plus abondante. Il se trouvait même de vieux Ramollots impitoyables pour affirmer que la nourriture parcimonieuse des dépôts avait l'avantage d'inciter les hommes à devancer leur tour de départ. Je crois, entre nous, que l'argument était un peu naïf, bien qu'assez canaille !...
               Mais aujourd'hui..., quelle raison, avouable peut-on invoquer pour infliger pareil supplice, à de malheureux soldats ?..
               Tous les-médecins vous le diront : nue alimentation déficitaire est la porte ouverte à l'anémie, à la tuberculose. Vous serez bien avancés avec vos économies sur l'ordinaire ", quand les infirmeries et les hôpitaux regorgeront de malades. Même sans aller jusque là, quel entraînement sérieux et profitable pouvez-vous espérer de recrues affamées, "pâles des jambes " ?...

               Sacrebleu ! Oublie-t-on cette vérité première que le véritable moral du soldat est dans son ventre !... Toutes les prises d'armes, défilés avec musique et allocutions du Colonel ne remplaceront jamais, à ce point de vue, une gamelle de rata, un bon morceau de boule et un quart de pinard !

S. TENNAT-CHOUILLAT.


PHOTOS de la Vallée de la Soummam
Envoyé par M. Louis Aymes

Monument aux morts



Eglise Sainte Cécile Sidi-Aïch


Église Sainte Thérèse de Seddouk


Histoire de la Vierge de Stora
Envoyé par M. Louis Aymes
                 

Le 25 janvier 1841, 31 navires de commerce, en mer, sont pris dans une violente tempête qui décime la presque totalité, coulés ou fracassés sur les rochers.

Un seul de ces bateaux arrive intact sur les rivages de STORA, à la plus grande stupéfaction des pêcheurs qui savaient évaluer l'ampleur et les conséquences d'un temps pareil.

Cette unité, avec son équipage indemne mais encore sous le choc, transportait également une statue de la Vierge, très belle et intacte.

Au plus fort de la tempête l'équipage, au complet, s'était mis à genoux à ses pieds, l'implorant de les sauvegarder, lui promettant de la déposer dans le premier port hospitalier.

Elle fut donc déposée à terre et aussitôt un calme plat, assez inexplicable, par rapport à l'intensité du temps précédent. On lui donna le nom de Notre-Dame de Stora.
Les Storasiens la célébraient chaque année en tant que leur Sainte Patronne.
La procession attirait une foule très dense, du village et de la région, ce qui faisait la fierté du Doyen François Guinet.

Rapatriée à La Seyne-sur-Mer au Sanctuaire de Marie : Pont de Fabre avenue J.B Ivaldi (dans le Var où elle fait la joie des paroissiens rapatriés.
Source Vincent Sasso Revue P.N.H.A n°64 -
Editions du Grand Sud -34070 Montpellier


TEMOIGNAGES :
ECHO D'ORANIE - N° 279
5 JUILLET 1962 à ORAN

               Monsieur Foâche, ancien professeur au Lycée Lamoricière m'écrit: "Je n'étais plus moi-même à Oran le 5 juillet, mais j'ai eu l'occasion d'écouter le récit de Monsieur Guerrero, employé à la Grande Poste d'Oran. (...) Fonctionnaire des Postes, il était spécialiste du téléphone. Le premier étage de la grande poste était réservé aux téléphonistes alors que le rez-de-chaussée était consacré aux services en rapport direct avec le public: le courrier, les colis postaux, la poste restante, les chèques postaux etc... Au deuxième étage, il n'y avait qu'un seul fonctionnaire chargé de la radio. Je n'ai pas gardé le souvenir du déroulement des faits dans le temps, mais il nous a dit que, dés qu'on a su qu'il se passait de graves événements en ville, les téléphonistes ont appelé toutes les casernes et tous les cantonnements pour les leur signaler et leur demander d'intervenir. Partout la réponse a été la même: "Nous sommes consignés dans nos cantonnements et il nous est interdit de sortir, quoiqu'il arrive."

               Pendant ce temps, les massacres se sont poursuivis et pour finir, les émeutiers sont arrivés à la Poste et l'ont envahie. Ils ont tué sur place une partie des postiers et ont emmené les autres. Mais ils n'ont pas eu l'idée de monter dans les étages. Les téléphonistes sont alors montés au deuxième étage, informer leur collègue radio de ces tragiques événements. Celui-ci a alors lancé des messages de détresse, surtout à l'intention du Ministère à Paris. Mais un navire de guerre américain qui croisait par hasard en Méditerranée non loin d'Oran entendit le message. Le commandant télégraphia alors : "Nous arrivons". Bien entendu, le message fut entendu à Paris et on mit le gouvernement au courant. Il parut évident que cela ferait mauvais effet sur le plan international qu'un navire américain fut amené à rétablir l'ordre à Oran.

               Un contrordre fut alors adressé au Général Katz qui permit à la troupe de sortir et d'intervenir. Je n'ai plus revu M Guerrero et je ne sais où il habite mais il ne serait sans doute pas bien difficile de le retrouver à moins qu'il ne soit mort, ce qui est peu probable, car il me semble qu'il ne doit pas être trop âgé.
               Je ne crois pas me tromper sur l'essentiel, c'est à dire l'intention d'intervenir du commandant américain, dont je n'ai par ailleurs jamais entendu parler. Si ce détail était confirmé, ce serait un élément intéressant à joindre à tout ce que l'on sait des événements du 5 juillet 1962. Je suis avec beaucoup d'intérêt vos efforts et ceux de l'Association Véritas pour rétablir la vérité sur cette terrible période. "Nous joignons notre demande à celle de M. Foâche pour que M Guerrero se manifeste et nous donne son propre récit des faits dont il fut témoin.

               Monsieur Adolphe Napis, (Je ne suis pas sûre d'avoir lu correctement son nom) m'écrit le 9 octobre 2001 : "Votre article sur les témoignages du 5 juillet 1962 à Oran (sur le 276) m'a remis sur cette journée et, y revenant, je m'aperçois aujourd'hui que j'en avais fait I'impasse totale: la page avait été définitivement tournée et le souvenir enfoui je ne sais où.
               C'était le noir total. Le 5 juillet 1962, j'étais au centre ville, rue Floréal Mathieu, à mon lieu de travail occasionnel, lorsque vers 1 1h30, 11 h45, me semble-t-il, on m'avise que mon père était là. Surpris, je vais vers lui et nous partons puisqu'il était venu me chercher. Il me dit, remontant vers la rue d'Arzew, qu'il avait garé la voiture rue d'lgli, dans le parking prés de l'angle rue El Moungar, mais qu'il voulait discuter.
               Nous nous arrêtâmes au bar L'Oasis, à l'angle de la rue de Lourmel et nous consommons à la terrasse (tables sur le trottoir !) Nous avions à peine entamé et la discussion et le verre que, descendant la rue d'Arzew, une foule vociférante de tous ages tous sexes, avec un encadrement assez mou, puisque s'arrêtant à la hauteur des tables occupées, elle criait, hurlait mots, phrases avec des gestes appuyés mais avançant finalement.

               Aussitôt, nous décidâmes de partir et après avoir traversé le flot hurlant des manifestants, nous remontâmes vers la rue de l'Artillerie, puis la rue Alsace Lorraine et enfin la rue El Moungar. Je récupère la voiture, m'installe au volant, mon père à mes cotés. Je décide de passer par la rue de la Vieille Mosquée et, afin d'éviter la manifestation qui allait doucement, de remonter chez nous, à Delmonte par le Boulevard des 40 mètres, en passant par la nouvelle préfecture, via Miramar. Tout marchait puisque nous arrivâmes jusqu'à la clinique du Docteur Juan, puis la cote de la préfecture. A la hauteur de celle-ci, gardée par je ne sais qui, une pétarade éclata. Je dis à mon père de se courber sous le tableau de bord et, rétrogradant la voiture en 2ème et la poussant à fond, le V8 Ford nous projeta hors de portée de nos tireurs et arrivâmes chez nous sans encombre. C'est alors, en ce début d'après-midi que des tirs sporadiques, tantôt proches, tantôt lointains assez saccadés se produisirent' Bien entendu, ma sœur rentrée de son Lycée commercial St Charles, ma mère, mon père et moi n'avons plus bougé de chez nous jusqu'au lendemain. Le lendemain, descendant rue Floréal Mathieu, j'appris dans le désarroi le plus total que les événements de la veille dépassaient l'imagination: enlèvements, assassinats, égorgements... En ce qui concernait notre administration, il y avait parait-il, dix ou douze morts, dont le sous-directeur, et deux de ses adjoints égorgés en allant chez eux à Choupot, arrachés de leur voiture et là, sur le trottoir".
               Un autre collègue avait été retrouvé pendu parmi d'autres aux abattoirs etc... Arrivé à la mi-journée à la maison, j'apprends par mon père que notre voisin a été enlevé à Choupot allant voir sa mère et qu'il avait été vu par un de ses employés alors qu'avec d'autres personnes on le dirigeait vers les Planteurs...
               Et notre départ définitif de ce qui n'était plus notre pays, prévu courant juillet, s'accéléra, pour moi quelques jours après. Il reste que votre article a réveillé ma mémoire et je suis désespéré, mon père est mort il y a quelques années et je n'ai jamais pensé à lui demander pour quelle raison il était venu me chercher, donc me sauver. Comme le dit Jeannine Verdes-Leroux dans son livre très instructif et prenant "Les Français d'Algérie de 1830 à aujourd'hui" nos réactions, 40 ans après sont révélatrices du traumatisme subit, par exemple, je n'ai jamais pensé à demander à un très vieux camarade d'Oran ce qu'il faisait ce jour là et pourtant, on parle de tout, de rien... et moi, je ne lui ai jamais raconté cela, ni d'ailleurs à personne d'autre, hors ce jour, à vous.

               Par contre, puis-je me permettre d'ajouter à cette note une anecdote. Dans ce même numéro, il y a un article qui m'a remis en mémoire mon enfance, dans le quartier ou je suis né, où mon père et mes frères sont nés, où mes grands-parents sont venus habiter au tout début du dernier siècle, et c'est Delmonte. Cet article mentionne l'école de garçons sise rue de Louvain, et l'auteur de l'article cite les hommes et femmes qui ont exercé dans ce lieu.
               Le vieux Delmontois que je suis n'oublie pas le bonheur d'avoir eu successivement Mmes Juan, Trouchaud, Guillem et Mlle Maraval, jeune institutrice en 2ème, non citée et c'est là ce qui m'ennuyait, sinon me peinait, et en 1ère, en 194511946, M. Juan nouvellement arrivé et qui avec M. Salvador se partagèrent la 1ère comme on disait. Cette scolarité, faite par des enseignantes et enseignants hors du commun, survenant après quelques mois au Cours de Sainte Marie des Champs, et une année au Cours Fénelon, dans mon environnement global, fit de moi un enfant très heureux. (...)"

               Cette lettre est très intéressante par la précision des lieux mais je souhaiterais que notre correspondant me donne encore quelques indications si cela est possible. Dans quelle administration travaillait-il ? Sait-il les noms des personnes assassinées qu'il signale ? le nom de son voisin ? Peut-il demander à son ami s'il se trouvait à Oran ce jour là de nous donner son témoignage ? N'étant pas sûre de son nom et de son adresse, je lui demande de bien vouloir compléter ainsi ce témoignage et le remercie de tout cœur d'avoir fait l'effort de ressortir de sa mémoire ces douloureux souvenirs.
               Quant aux souvenirs de Delmonte, il est normal que nos correspondants ne se souviennent pas de tous les noms et de tous les événements, et c'est à cela que sert notre journal, compléter par les souvenirs de chacun le puzzle de notre vie oranaise. A tous un grand merci."
Geneviève de Ternant



La Cuisine du Bastion de France.
Pâtes au Fenouil Sauvage

        Ce fut un beau et très heureux ménage à trois.
        Peut-être ? vais-je de nouveau entendre scander sur l'air des lampions : "des pâtes - toujours des pâtes et encore des pâtes !..." auquel cas, je répondrai sur un même tempo :"oui ! Mais, des Puglisi !."

        Plaisanterie mise à part, je voudrais aujourd'hui sincèrement me justifier, en vous avouant que la recette qui va suivre, ne cesse de me poursuivre depuis mon adolescence, mais, aussi bien longtemps après et je vais de ce pas vous révéler le pourquoi.

        La première fois que j'ai entendu, prononcer le nom de baptême de cette préparation, ce fut un beau jour dans les propos gourmands de Pétronille, mon illustre et regrettée grand-mère sicilienne. Jusque là, cette histoire aurait pu s'arrêter et moi de me dire comme dans les films italiens :"fine la transmissionne !" car, où, pourrions-nous voir de problème posé par cette recette ? Et bien, que nenni mes chers amis et amies ! Si Pétronille connaissait à peu près quelques modestes bribes de la recette, cependant, hélas ! pour le reste de la préparation originale : oualou ! Voilà pourquoi, que, durant des années, j'ai toujours eu une sensation "d'eau à la bouche", en pensant bien naïvement à ce mystérieux plat de pâtes, que, je trouvais plus que délicieux, sans même l'avoir une seule petite fois seulement goûté, même au plus profond de mes plus beaux rêves.

        Ceci étant dit, je n'ai pas du tout l'intention de vous faire attendre plus longtemps, pour enfin vous révéler l'issue de cette drôle d'histoire de pâtes et consorts... Je suis fermement persuadé, que parfois les miracles existent et il arrive même que l'on puisse par un jour radieux, les rencontrer sur le chemin de l'existence et cela, au moment où, nous ne nous attendions pas : C'est ce qui m'est arrivé un jour, par un beau dimanche après-midi de février ensoleillé. Alors je me promenais béatement dans la campagne de Giens en Presqu'île, en pleine causerie culinaires avec mon ami Gustave, une sympathique connaissance d'origine tunisienne, lequel, à moment donné s'arrêta soudain, pour ramasser dans le pré un fenouil sauvage, qui avait poussé là parmi tant d'autres sur notre route. Sans même lui demander les raisons de cette cueillette inopinée il me lança triomphant et heureux :"je vais pouvoir cuisiner demain des pâtes aux fenouils sauvages avec des anchois !" Je laisse imaginer la surprise que j'ai eu sur le moment, puis, reprenant mes esprits, je m'empressais de m'enquérir auprès de Gustave s'il connaissait bien cette recette ? Sa réponse fut affirmative et me précisait qu'il avait appris à la connaître, auprès de la communauté sicilienne de Tunis, laquelle, avait coutume de mettre régulièrement ce plat traditionnel au menu.
        Aujourd'hui, j'ai pensé à toi, mon petit peuple chéri du Bastion de France et je n'ai pas voulu garder ce trésor culinaire rien que pour moi. Voilà pourquoi, je me suis empressé d'aller fouiller allègrement dans mes poussiéreux grimoires, pour en retirer pieusement la sublime formule, des Pâtes aux Anchois et Fenouils sauvages de nos ancêtres siciliens.

        Bon appétit et surtout, rappelez-vous, lorsque vous aurez le ventre bien plein, de dire comme autrefois à La Calle :"dans la maison du bon Jésus, tout ce qui rentre ne sort plus !".
        Ainsi soit-il.
Jean-Claude PUGLISI
de La Calle de France
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage.

Pâtes aux anchois et fenouils sauvages.
( Recette sicilienne contée par Gustave de Tunis.)
Ingrédients : ( pour 6 personnes )
        1 gros bouquet de fenouils sauvages frais.
        1 œuf frais.
        Chapelure de pain.
        1 verre de filets d'anchois à l'huile.
        1 à 2 gousses d'ail.
        1 belle tomate bien mûre.
        Sel et poivre / Huile d'olive.
        1 kg de spaghetti.

        Préparation :
        Rincer et égoutter les fenouils et récupérer ses pousses tendres : les rameaux supérieurs des tiges avec ses petites feuilles vertes.
        Réserver la partie inférieure et dure des tiges.
        Dans un grand mixer, mettre : les pousses tendres des fenouils sauvages + 1 jaune d'œuf frais + 1 à 2 gousses d'ail + 1 belle tomate pelée et épépinée coupée en morceaux + les filets d'anchois à l'huile + la chapelure de pain + l'huile d'olive + Sel et poivre + 1 petit piment de Cayenne ( facultatif ).
        Mixer et monter en pommade, en dosant bien l'huile et la chapelure.
        Réserver la préparation au frais.
        Dans un grand faitout mettre : eau + sel + les tiges dures du fenouil débitées en petits tronçons.
        Plonger les spaghettis dés l'ébullition et cuire les pâtes al dente.
        Passer les pâtes en réservant 1 louche d'eau de cuisson / Oter les tiges du fenouil.
        Dans un grand saladier, verser : les spaghetti + 1 louche d'eau de cuisson des pâtes + la pommade aux anchois et fenouils sauvages.
        Bien mélanger et rectifier l'assaisonnement.

        NB :
        Ce plat très simple et peu onéreux est un véritable régal.
        Doser la quantité d'anchois suivant les goûts de chacun.
        Parmesan et / ou gruyère si on le désire.
        On peut remplacer les fenouils sauvages par des fenouils de culture.


Algérie catholique N°2, 1936
Bibliothéque Gallica

L'Evêché d'Oran
AVANT LA CREATION DU DIOCESE

       Le diocèse d'Oran, on le sait, fut détaché du diocèse d'Alger en 1868. Jusqu'à cette date l'Evêque d'Alger gouvernait tout le pays conquis par les armes françaises. Cependant comme les communications étaient alors bien peu faciles et le pays encore peu soumis, Mgr Dupuch, Evêque d'Alger, avait placé à Oran un Vicaire général chargé du gouvernement religieux d'une province. A Oran ce fut M. Caron qui reçut le pouvoir d'organiser la contrée au point de vue religieux. M. Caron qui possédait un talent littéraire de quelque valeur nous a laissé le récit d'un premier voyage accompli par Monseigneur Dupuch à Oran et Tlemcen.

       Parti d'Oran le prélat se dirigea d'abord par Misserghin sur Témouchent. Après avoir visité le camp de Spahis installé à Misserghin, côtoyé plus loin les mares de Brédéa qui sont devenues les sources qui abreuvent de nos jours les Oranais et dépassé Bou-Tlélis, Er-Rahel, il parvint au puits de Bourchache devenu l'actuel Lourmel. Près de ce puits une famille espagnole possédait un petit restaurant. L'Evêque s'arrêta pour baptiser un nouveau-né et confessa cette famille abandonnée. Hélas, au retour il apprit que la cabane avait été brûlée par des pillards et les habitants égorgés.

       Peu après Bourchache Mgr Dupuch arriva à Chabat-el-Leham, le défilé de la chair. Là, dans le bois habité alors par les panthères, une troupe espagnole avait été, en 1543, complètement détruite. Bientôt l'Evêque devait rencontrer le 8e Bataillon des Chasseurs d'Orléans commandé par le Commandant Froment-Coste qui, quelque temps après, devait succomber au marabout à jamais célèbre de Sidi-Brahim. Depuis trois ans ces soldats n'avaient pu assister à la messe : ils ne devaient plus y assister jamais.
       Après M. Caron, le représentant le plus connu de l'Evêque d'Alger en Oranie, fut M. Compte-Calix. Il habitait au fond du jardin Welsford une petite villa au pied du rocher de Santa-Cruz.
       Le nom d'évêché est resté à cette villa. C'est là qu'il écrivait de temps à autre des articles documentés qu'imprimait "L'Echo d'Oran". Ces articles étaient signés du pseudonyme : l'Ermite de Santa-Cruz. On a affirmé que Mgr Pavy avait obtenu sa nomination comme Evêque d'Oran lorsqu'il fut enlevé par la mort.

L'ERECTION DU DIOCESE EN 1866

       L'Evêque d'Alger succombait lui aussi lorsque la bulle "Supremum pascendi munus " donnée à Rome le 26 juillet 1866, érigeait la province d'Oran en Diocèse, suffragant d'Alger. En 1867 Mgr Irénée Callot, curé du Bon-Pasteur de Lyon, fut promu évêque d'Oran. Il fallut se hâter de procurer un logement au nouvel évêque. Il y avait, extra muros, un immense magasin qui avait servi de dépôt de tabacs. Comme ce bâtiment était pour le moment inutilisé, l'Etat pensa qu'il pourrait servir de Grand Séminaire et d'Evêché.
       Il fallait songer à former un clergé devenu nécessaire par la création de nouvelles paroisses. La province ecclésiastique d'Oran conservait d'ailleurs les limites civiles. A ce dépôt de tabacs on ajouta un autre bâtiment séparé du premier par une cour. Ce fut la maison épiscopale (on n'ose dire le palais) divisée en deux parties : les bureaux et le domicile particulier de l'évêque. Un beau jardin de palmiers et de pins le séparait de la route d'Oran à Saint-Cloud. C'est dans ce jardin que Mgr Callot recevait les visiteurs illustres. Les très vieux oranais se rappellent encore un somptueux repas donné aux officiers de l'escadre mouillée dans le port. Le prélat avait, pour la circonstance, fait édifier une salle en forme de bateau qui servit de cadre original pour la réception des autorités civiles, militaires et maritimes.

       A Mgr Callot, décédé à Bayonne en 1875, succéda Mgr Vigne, prélat aimable et distingué. Dès son arrivée il pensa que l'éloignement de la ville et de la cathédrale nuisait au ministère pastoral.
       L'idée de bâtir un évêché plus proche germa dans son esprit. Il obtient des domaines un terrain situé dans le quartier Karguentah, alors séparé de la ville par le ravin d'Aïn-Rouïna. Ce ravin planté de cactus et d'orangers possédait de nombreuses grottes qui abritaient des indigènes miséreux. La traversée de ce terrain coupé de petits sentiers était, le soir, dangereuse. Défense était faite aux militaires de suivre ces sentiers la nuit. Il fallait qu'ils fussent dix au moins.

       Aussi fut-on surpris lorsqu'on apprit en ville le projet de Mgr Vigne. Est-ce possible, répétait-on, d'aller bâtir sur ce rocher et au milieu des jujubiers une maison épiscopale ? L'avenir devait donner tort à ces censeurs. Cet évêché est encore l'évêché actuel et il se trouve dans une position unique au centre de la ville. De plus, le même prélat eut la bonne fortune d'obtenir un vaste espace couvert de palmiers nains et de broussailles que les vieux oranais ont bien connu. Sur ce terrain, plus de 30 ans plus tard, Mgr Cantel devait élever la nouvelle et vaste Cathédrale du Sacré-Cœur. Le plan de l'évêché agréé par Mgr Vigne fut modifié. On ajouta au plan primitif de nouvelles constructions.

       La coquette chapelle, qu'un beau vitrail de N.-D. de Lourdes éclaire, fut élevée par Mgr Ardin. Le bâtiment actuel semble, au premier aspect, un peu bizarre de forme. Il s'avère cependant assez vaste et commode. Séparé des rues qui l'entourent par des jardins il donne l'impression de calme et de fraîcheur.
       Telle est l'actuelle résidence épiscopale. Tout près et dans les mêmes jardins un nouvel et confortable immeuble a remplacé les anciens qui s'élevaient jusqu'en 1928 sur le terrain occupé aujourd'hui par la Maison du Colon. Comme eux, il contient les Bureaux de l'Evêché et le logement de deux membres de l'Administration diocésaine. Il fut béni avec une grande satisfaction le 25 décembre 1929 par S. E. Mgr Durand, Evêque d'Oran, qui, ayant fait triomphé le droit avec une courtoise fermeté, en avait obtenu la construction, grâce à l'obligeance de la Chambre d'Agriculture, et à la bienveillance de la Municipalité Molle et des autorités préfectorale, gubernatoriale et métropolitaine " Semaine religieuse d'Oran ", 1930, p. 34.)
F.



ENTTENTION TE TOUCHE PAS A LA CAROUBE !
Envoyé par M. Georges Barbara

            -"O Zé, on va s'prendre un madonne de bain c'matin. Agas ça t'ya encore personne t'sur la plage et comme elle dit la chanson " la rue elle est à nous "" L'eau c'est sur qu'a va t'etre bonne te vas 'oir …Te sais on est comme des rois nous a la Caroube, hein ? Et qu'y sait qui nous touche ?....

            Mais attends un peu o Frade C'est quoi ça…. t'le 'ois com'moi..., a qui c'est ce madonne de linge qu'y l'est jeté là t'sur la plaque. Et t'ya personne qu'y l'est a coté ? Te dirais que c'est les Galeries de France qu'y sont venus te monter un magasin a chez nous ! Et 'oila, personne y te respette plus rien de nos jours. Y vont pas se faire patron de la Caroube qu'a meme ? On est a chez nous ou on est pas ? …..,
            Ya plus d'la morale c'est moi qu'je t'le dis !…. Ossinon ça va t'etre un marchand d'chiffons qu'y l'est venu et qui doit s'enlever la crasse dans les rochers ? Te sais a'c ce monde la, y te faut s'attendre a tout. Y se croivent pas que la plage c'est le bain Maure non des fois !

            - " Ouais je pense Tony que là t'yas raison, même que une fois y'avait le Mozabite qu'y vend les pois chiches t'sur la place du Marché au blé qui l'était venu s'laver à la plage de Joanonville, juste où on se fait les z'haricots de mer ! Te t'rends compte ...Ce monde la y doivent pas te s'a'oir que le savon d'Marseille y te mousse pas dans l'eau salée, mais à qui te parles toi ? Mais madone là pour dubon dans ce linge je 'ois 'ya le bien de dieu Diocane. Agas ça et ben ya meme des bas que c'est du nylon, une combinaison a'c la dentelle et des souliers a'c les talons !

            - "A sa'oir çà qu'c'est ce carnaval de bon matin ! Mais aousqu'ils sont je 'ois qu'ya personne qu'y te prend le bain ô Zé. Et pis surtout a'c l'heure qu'y l'est là o frade, y l'est meme pas 7 heures. D'habitude ya que nous qu'on vient de bonne heure, pour que les gens y rogard pas notre madonne de ventre...mais là çà que j'te comprends pas, c'est ou c'est qu'y sont tout ce monde ? Ou alors çà qu'je pense, c'est qu'c'est une bande qu'y z'ont fait la bringue hier au soir chez Salemme a Nice Plage et que après y s'ont venus chez nous pour te finir la nuit tranquilles tranquilles !

            - " C'est ça o frade pour venir te faire leurs cabrioles t'sur la plage là y sont bons, mais aprés te vas 'oir t'sur la Depeche de l'Est que les garçons y z'ont été poursuivis pour çà qu'y z'appellent " la pression sexuelle ""….t'yauras tout vu et si main'nan on a plus droit d'être des hommes ou on s'en va o frade !

            - "Combien j'te leur en donnerai moi de leur chose sexuel. Et oui !
            Ousqu'elle est la bonne mentalité chez les jeunes, 'ac ce cirque Amar qu'y te font, tout y te fout le camp et crois moi ça que j'te dis que c'est la faute des parents ça c'est sur. A'c la mauvaise éducation qu'y leur donnent... de mon temps on marchait droit pas com'mainan que c'est plusque la route de Bugeaud que le cours Bertagna. Abloc des zigsags !

            - " Bon te dis quoi toi o Ze, on s'leur cache le linge dans les rochers pour te rigoler un peu ? Comme çà on va te 'oir la fatche qu'y vont faire !
            - "Diocane a debon toi o frade te me fais rotourner en errière comme quand nous sommes été jeunes à La Gronouillère et qu'on se cachait le linge de ceux qui z'étaient d' la bande du faubourg !
            - " Aller ramasse Tony ramasse, qu'on te mets tout dans le sac qu'ya t'sur le sable !

            - " Ouilleeeeee entention, entention Zé laisse tomber, a rogards les, le garçon et la Fi qu'y z'arrivent, et madonne c'est pas vrai, y sont comme la vierge elle les a faits…. tout nus ces deux cats a debon tous nus ! T'ya pas vu, y te sont sortis de darrière le canote d'Augu !

- " O VOUS LA BAS, ENTTENTION LE LINGE, QUE C'EST A NOUS !!!!

            - " Eh ! doucement o jeune, on va pas t'le voler, n'as pas peur, juste à peine on l'arrangeait….Mais d'où c'est que vous venez tout nus comme ç'a de bon matin, ce serez pas mieux que vous mettez une serviette devant vous ?
            - " On étaient juste venu pour se faire un peu du Yoga à la fraiche à la Caroube, qu'on sait que c'est une plage tranquille !

            - " Vous faisez du quoi ? Du Yoyo ?
            - " Du yoga, mais vous ça vous dit rien, que le yoga c'est une gymastique qu'elle est bonne pour le corps et pour l'esprit. Mais vous, adebon vous allez comprendre que dalle à votre age …..!

            - " Ah ! A notre age ? Parce que tu te crois que quand te fais ton yoyo ou je sais pas quoi darriere le canote à Gugu te fais faire d'la la gymastique à ta p' tite cervelle ? Te nous prends pas des fois pour des Gougoutses….Alors agas que vous vous mettez en vitesse t'sur le dos, ces quates chiffons que vous avez laissés là t'sur le sable et rogardez de vous reprendre cette route qui vous à fait venir t'sur cette plage d'la caroube qu'elle est à nous !
            - " Et zeck main'nan aga ça, oila que la Caroube elle vous appartient ?
            Mais je rêve ou quoi ?

            - "Et non que tu rêves pas ô strounze, ouais que c'est chez nous, même que nous sommes tous d'la Colonne ! Et que nos parents d'avant, ça qu'tu sais pas, et ben y z'étaient ici que t'yavais même pas la plage qu'elle était faite! Et que ce monde à eux y z'avait pas besoin de se masser la cervelle pour bien te reflechir !

            Alors agas, fais le pour l'ame de tes morts, tu te reprend la route quatre à quatre et te vas continuer ta gymastique a'c ta pastèque et ton yoyo, ou c'est qu'ya pas du monde !
            - " C'est bon aller nous s'en allons y vaut mieux, pourquoi la science et vous….. !

            - " Mais agas moi çuila y m'ensulte o Zé,,,,Te vois pas qu'y veut aussi faire des necks mai'nan…..Aller vas vas dela o jeune, avant que te m'les met à l'envers ce matin. Et toi ô frade laissons tomber qu'on est entrain de se manger le sang avec ces deux Gouailles. Aller iam on se va prendre ce bain, que çà va nous calmer, aussinon je sais pas ça qu'y va t'arriver !

Georges Barbara


IL Y A 60 ANS… L’EXIL
Par M.José CASTANO,


       « L'exilé est un mort sans tombeau » PUBLIUS SYRUS, Poète latin (Sentences)

       Il y a 60 ans, nous en étions à verser des larmes de sang… Le cessez-le-feu avait été proclamé le 19 mars, l’ennemi d’hier était devenu l’interlocuteur privilégié de l’Etat français et ce fut la fin… une fin que nous ne pouvions imaginer ainsi… La fin d’une épopée, la fin d’une civilisation, la fin d’un mythe.

       C’était pour nous la fin du monde, mais c’était surtout la fin d’un monde… né dans la peine et la souffrance, qui avait vécu dans le bonheur et dans la joie et qui mourrait dans le désordre, la corruption et la haine.

       L’Algérie était devenue un pays sans foi ni loi où la pitié n’existait plus. Elle était perdue, saccagée, agonisante. Son cœur avait beaucoup trop battu, souffert, espéré, désespéré, à travers des foules dont on réglait les houles, commandait les tempêtes pour des vertiges tricolores. Trop de larmes et trop de sang. Les jardins se taisaient, les rues se vidaient, des bateaux s’en allaient… L’heure de l’arrachement et de la greffe venait de sonner pour tous.

       Une nouvelle fois le drapeau tricolore fut amené ; une nouvelle fois, l’armée française pliait bagages poursuivie par les regards de douleur et de mépris et les cris de tous ceux qu’elle abandonnait. Le génocide des harkis commençait…

       Dans le bled –comme en Indochine- les Musulmans qui avaient toujours été fidèles à la France s’accrochaient désespérément aux camions et, à bout de force, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Ce sont là des images que seuls ceux qui ont une conscience ne pourront de si tôt oublier…

       Ainsi, 132 ans après son épopée, l’Armée d’Afrique disparaissait avec l’Empire qui était sa raison d’être… L’Armée d’Afrique !… Le terme sonnait aujourd’hui comme une outre vide. Il était difficile de le prononcer sans rire… et sans pleurer. Tout s’était passé comme si son destin eût été accompli le jour où la métropole fut libérée par elle et qu’elle n’eût plus qu’à disparaître.

       Que ce fut aux aérodromes ou aux ports, le spectacle était le même. De pauvres hères, hagards, empêtrés dans leurs baluchons de fortune traînaient leur misère. Ils attendaient des jours et des nuits dont ils ne savaient plus le nombre, sous le soleil des midis et les silences de la nuit, parqués comme du bétail, sans ravitaillement, conscients de ce qu’il y avait d’intention de les punir encore dans ces avions mesurés et ces bateaux refusés.

       La Croix Rouge ? Aucune trace… En revanche, les transistors annonçaient qu’à la frontière Algéro-Marocaine, près d’Oujda, des camions de la Croix-Rouge internationale avaient été pris en charge par le Croissant Rouge pour venir en aide aux « pauvres réfugiés algériens » qui s’apprêtaient à rentrer chez eux…

       Quand enfin un bateau accostait sur les quais, c’était aussitôt la panique… cependant, qu’à bord, ils ne demandaient plus rien. Ils s’affalaient, prostrés, et contemplaient, silencieux et amers, une dernière fois les contours de leur terre. Ils pensaient qu’ils avaient regardé ce paysage maintes et maintes fois, animés d’une confuse espérance d’événements nouveaux, émouvants, romanesques dans leur vie… qu’ils allaient s’en éloigner pour ne plus jamais revenir… qu’il ne s’était rien accompli de miraculeux et que, de cette indifférence de la destinée, leur cœur restait endolori.

       Ils voulaient s’imprégner une dernière fois de cette vision qui avait été le cadre de leur enfance, se souvenir de chaque mot, de chaque geste, pour être enfin dignes de s’envelopper du linceul immuable des choses définitives. Ils entraient en exil par de honteuses poternes, traînant derrière eux, comme un fardeau et un tourment, le manteau d’apparat de leurs souvenirs rebrodés de mirages.

       L’Algérie, tant servie, tant chantée, tant aimée ; c’était le passé de bonheur, d’héroïsme et d’espérance, et ce n’était plus, en cet instant tragique, que le désespoir de milliers de cœurs calcinés au fond de milliers de poitrines humaines. Et ils étaient seuls, face à l’échec, face au passé et à l’avenir, submergés par la peine et l’amertume, seuls au bord d’un gouffre, au bord du néant où finissent en fin de compte toutes les colères, les rêves et les révoltes des hommes… où se consument les noces stériles de l’amour et de la haine.

       Ils attendaient l’instant où serait levée l’ancre, celui où ils sortiraient du port, l’instant où, dans la brume et les larmes, s’évanouirait enfin la lumineuse vision de la terre d’Algérie.

       Un barrissement lugubre, le grincement d’une chaîne que l’on remonte et déjà le navire qui déhale lentement. Des femmes pleuraient en silence ; des hommes serraient les poings et les mâchoires… La déchirure de leur âme était profonde ; se cicatrisera-t-elle jamais ?

       Accoudés à la rambarde du navire qui s’éloignait, impassible, sous l’épreuve de la torture, ils dardaient leurs regards voilés de pleurs vers cette vision magique de l’Algérie, vers les cimes violettes des montagnes. L’horizon de leur beau pays reculait sans cesse au fond de l’espace et du temps et ils sentaient approcher le chagrin qui déborde, éclate et se répand comme un fleuve qui a crevé ses digues.

       C’était une sourde rumeur grossissante qui semblait leur monter de la poitrine à la gorge, et qui se portait aussi sur la vue qu’elle brouillait un peu plus. Car le fait lui-même n’est presque rien en comparaison de son retentissement : l’arrachement dans la douleur, l’adieu, et la côte qui disparaît… disparaît ; c’est à présent que cela pénètre et opère son ravage !

       A la proue du navire, le nez dans la brise, un homme chantait. On entendait faiblement les paroles ; c’était un air lent, nostalgique, déchirant, qui se répétait toujours et qui se prolongeait en mourant, avec des ondulations traînantes : « Hay péna, pénita péna, péna… »

       Cela s’en allait doux et triste sur la mer, comme dans une âme un souvenir confus qui passe… et les bateaux s’éloignèrent ainsi, accompagnés de sanglots qui leur faisaient la conduite et qu’on eût pris pour la cantilène des chameliers poussant leurs bêtes.

       Que de larmes grossirent la Méditerranée ! Que de chagrin emportèrent ces navires !…

       Ils partirent ainsi, chassés de leur terre, de leur maison, le cœur broyé par le chagrin, retournant une dernière fois la tête, sur la route de l’exil et, regardant, les larmes aux yeux, pour un dernier adieu, ce qu’avait été leur bonheur, cet adieu qui allumait aux paupières des larmes de sang, cet adieu définitif qu’il leur fallait goûter amèrement et dont le souvenir les poursuivrait toujours.

       Là-bas, déjà, le jour mourait en flammes au-dessus du cher pays de leur enfance. Un silence profond s’élevait emportant là-haut, tout là-haut, les souvenirs à jamais enfouis, dans la tranquillité des milliers de crépuscule d’été.
José CASTANO

      
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José CASTANO       
e-mail : joseph.castano0508@orange.fr
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NI OUBLIE NI PARDON !
Par Marc Mottet
Envoyé par Mme Eliane Saurel

              Il ya bientôt 60 ans de par la trahison d'un colonel qui se disait général de gaulle et des communistes et socialistes.
               Nous quittions notre pays l'Algérie y a 60 ans !.... oui nous avons tous ces souvenirs de bateau surchargé, d'Exodus!...
               Nous étions jeunes, à peine sortis de l'enfance mais tout ceci nous a mûri !!

               Le "Ville de Marseille" devient "l'Exodus"
               Un lieutenant de chasseurs alpins dit : " C'est l'exode. " Derrière les chevaux de frise qui barrent l'entrée de la rue Figeac, une tête émerge de la marée humaine. Celle d'une toute petite fille coiffée d'un chapeau blanc. Elle est perchée sur les épaules de son papa. Elle s'appelle Nathalie Tesson, ballottée, tiraillée par les remous, elle pleure.

               Ils sont des milliers qui, autour d'elle, se ruent vers l'étroit goulot garde par des C.R.S. Des milliers qui sont descendus vers le port avant même la fin du couvre-feu dans l'espoir de monter à bord du beau bateau blanc dont on aperçoit à 300 mètres, la cheminée noir et rouge. Visiblement bouleversé, un commandant de C.R.S. répète sans cesse : " Les femmes et les enfants d'abord."

               Un homme crie : "J'ai quatre enfants, ma femme est enceinte, j'ai une réquisition, laissez-nous passer !"
               "Moi j'en ai six !" Hurle une femme. Puis on l'entend crier : " René ! René ! Où es-tu ?"
               Une autre femme crie : " On arrive de Tizi-Ouzou. On a été mitraillés sur la route. C'est la deuxième fois ! Monsieur, je vous en supplie, laissez-nous passer, on ne peut plus revenir !"

               Une vieille dame en noir s'est arc-boutée contre la porte d'un hangar pour protéger ses trois petits-enfants du flux et du reflux de la foule.

               Sur les épaules de son papa, Nathalie est le visage du désespoir. Courbée dans la cohue, sa maman tire deux énormes valises. Les Tesson étaient instituteurs à Arouba. Ils avaient une jolie école toute neuve et quarante petits écoliers musulmans. Du jour au lendemain, les écoliers ne sont plus venus et ils ont reçu une menace de mort.

               Une femme réussit à attraper le bras d'un C.R.S et demande avec angoisse : "Monsieur, on va partir ?" Le policier balbutie et fait un geste d'impuissance.
               Le papa de Nathalie - je vois maintenant son maigre visage entouré d'un mince collier de barbe - réussit à gagner quelques centimètres.
               A coté de lui, un vieux monsieur à feutre noir et légion d'honneur dit :
               - "Jeudi dernier, plus de 2 000 personnes n'ont pas pu embarquer."
               La remarque allume l'angoisse sur les visages qui ont entendu.

               Une jeune fille à moitie étranglée par les sangles d'un sac à dos dit alors avec violence :
               - "A Paris, "ils" préfèrent qu'on crève tous ici plutôt que de nous voir arriver."

               A court de larmes, Nathalie s'est arrêtée de pleurer. Une femme répète sans cesse en se lamentant : " Ah oui, cette fois c'est bien l'exode ! "
               Quelqu'un derrière elle ajoute : "Après sept ans de guerre, si c'est pas malheureux..." Un camion haut-parleur débouche de l'aire d'embarquement et s'arrête devant les barbelés.

               Une voix annonce alors calmement : "Mesdames et messieurs, le bateau est complet. Il y aura un autre bateau mardi prochain.
               Tous ceux qui n'auront pas pu s'embarquer aujourd'hui recevront des numéros qui leur donneront une priorité pour le prochain bateau."

               Dans la foule, une sourde rumeur de rage et de désespoir éclate aussitôt. La femme de Tizi-Ouzou pousse un cri, tourne sur elle-même et tombe évanouie. Ses enfants affolés se mettent à hurler.
               Accroupie sur son baluchon, une pauvre vieille plaque ses doigts recroquevillés sur son visage parcheminé et se met à sangloter doucement.
               Adossé au capot de sa Jeep, la mitraillette sur le ventre, un sous-lieutenant d'un commando de marine ferme les yeux et serre les poings.

               Des centaines de valises jonchent le sol. Des valises en carton bouilli, en bois, grossièrement attachées avec des ficelles et des courroies. C'est tout ce qu'ont pu emporter les 1500 candidats au voyage, ces privilégiés qui ont pu franchir les barbelés de la rue Figeac et les lourdes grilles de la porte de Fougères.

               Assise sur sa valise, une vieille dame à chapeau noir attend qu'un C.R.S. appelle son numéro. Mais les numéros n'ont pas été distribués dans l'ordre et, parfois, les derniers arrivés passent les premiers. Elle tient par la main une petite fille qui serre dans ses bras une poupée. C'est tout ce qui embarquera, ce matin, de la famille Guilloud. Les autres sont restés de l'autre coté des barbelés. Les Guilloud étaient à Boufarik depuis l830, depuis que le premier bateau colonisateur avait débarqué un Guilloud sur la terre d'Algérie.

               "Mémé, demande la petite Josette, c'est comment la France ?"
               Derrière les barrières de bois du parc des 4e classes, on se bouscule. Une femme supplie :
               - "Faites-nous asseoir."
               Une femme gifle son petit garçon parce qu'il joue à la balançoire avec le tendeur d'une tente. Un haut-parleur annonce que le petit Roger a été retrouvé et qu'il attend ses parents à la voiture radio.

               Toutes les cinq minutes, un commandant de vaisseau promu speaker lance dans le micro des paroles apaisantes :
               "Mesdames, messieurs, ne vous énervez pas. Vous êtes maintenant certains de vous embarquer. Présentez-vous aux différents services de contrôle pour les formalités d'embarquement !"

               Appuyée au bras d'un matelot, la vieille Mme Marceau, veuve de l'ancien gardien chef de la prison d'Alger, cherche, à petits pas, ses valises. Elle avait juré de ne jamais quitter son Algérie, mais sa fille l'a embarquée de force. En France, personne n'attend Mme Marceau. Personne, sauf deux morts qui reposent quelque part du coté de Reims, ses deux fils tués a la guerre.

               Aux entrées du bateau, c'est l'embouteillage. Un père pousse tout à coup un cri ; "Martine !" Mais Jupin, le commandant en second du"Ville de Marseille", s'est précipité. Il a rattrapé, in extremis, la petite Martine qui allait tomber à l'eau.

               Devant la pancarte "4e classe" une jeune femme aux cheveux blonds essuie ses lunettes noires. Son visage est boursouflé de larmes.
               Elle murmure : "Quelle honte d'être français." Au marin qui l'aide à porter ses deux valises, elle confie : "Entre Orléansville et Alger, c'est la panique. Le train est pris d'assaut. Tout le monde fuit. Il n'y a plus de troupes dans le bled.... Cette fois, c'est bien fini...

               Un C.R.S aide Mme Guilloud à descendre de l'autocar et guide ses pas jusqu'aux monceaux de valises que déversent sans arrêt des camions de l'armée. "C'est une petite valise marron", répète la pauvre femme. Mais la petite valise marron de Mme Guilloud est perdue au milieu de mille valises marrons.

               Dans les bras d'une fillette aux yeux bleus, un gros chat miaule lugubrement. Son petit frère pleure : il a coincé son pied dans un rail. Un marin vient le délivrer. Un hélicoptère bourdonne au-dessus du " Ville de Marseille ". A son bord, le capitaine de vaisseau Combe.
               C'est lui qui est chargé de la sécurité de l'embarquement. Les plongeurs-démineurs n'ont rien trouvé mais un tir de mortier ou de bazooka depuis les hauteurs de la ville est toujours possible. Et là-haut, ces blocs d'immeubles blancs dans les îlots de verdure, c'est Belcourt .

               Soutenue par un C.R.S et par un marin, Mme Marceau entre dans la cale du navire. Comme tous les passagers, c'est à l'intérieur qu'elle acquittera les 6 300 francs de son passage en 4e classe. Derrière Mme Marceau, une femme en cheveux tient en laisse un gros berger allemand qu'elle appelle Darling. Elle semble désemparée. Au C.R.S qui contrôle les cartes d'embarquement, elle dit timidement :
               - "Monsieur, je vais au centre anticancéreux de Villejuif, que dois-je faire ?"

               Un quincaillier de Cherchell, sa femme et son fils sont les trois derniers passagers du navire de ce matin. Au doigt de M. Mossi, il y a encore une clef : celle de l'Aronde toute neuve que les Mossi ont abandonnée derrière les barbelés de la rue de Figeac. Il est midi.
               L'embarquement a duré cinq heures. Les officiers du bord ont regagné leur passerelle et les matelots relèvent les coupées et ferment les écoutilles. Mais, soudain, un camion militaire bâché débouche en trombe sur le quai. Un civil aux cheveux en brosse saute à terre et parlemente avec les C.R.S. Le commandant donne de sa passerelle l'ordre de remettre une coupée. Il a compris que ces ultimes passagers n'étaient pas prévus. Ce sont cinq familles de harkis que l'homme en civil, un ancien sous-officier de S.A.S, est allé chercher dans leur douar de Kabylie . Les yeux hagards, paralysés de terreur, une vingtaine d'hommes, de femmes et d'enfants s'engouffrent précipitamment dans les flancs du navire sauveur.

               Deux coups de sirène. Arraché par deux remorqueurs, le " Ville de Marseille " vire sur lui-même. Sur le quai, le chauffeur à béret rouge du camion qui a amène les harkis démarre lentement et, tout à coup, son Klaxon se met à scander furieusement : ti-ti-ti-ta-ta. Sur l'un des remorqueurs, deux marins répondent en déployant un drapeau tricolore . Une grande ovation monte alors de tous les ponts du navire.
               De la poupe à la proue, coté bâbord, la foule s'est massée en rangs serrés pour regarder une dernière fois Alger. Chaude et lumineuse, éclatante de blancheur, c'est une des plus belles cartes postales du monde qui défile lentement devant nos yeux. Par instant, le soleil étincelle sur le pare-brise d'une voiture qui file sur la route moutonnière.

               Accrochée à la rambarde sur laquelle tant de soldats ont gravé " la quille ", une femme sanglote : " Marcel, Marcel !...", crie-t-elle désespérée. Marcel, c'est son mari. Un modeste fonctionnaire de ce Gouvernement général qui dresse, là, juste en face, son triangle de verre et de béton, tel un navire de haut bord ancré au cœur de la ville.
               Le mari de cette femme a disparu depuis trois jours. Alors, la pauvre femme s'est affolée. Elle a rempli le petit logement de provisions pour le retour de Marcel et elle s'est enfuie avec les enfants. Ses cris sont déchirants : " Marcel, mon pauvre Marcel !"

               A la pointe extrême du navire, sous le pavillon tricolore qui bat mollement, un gamin, lui aussi, pleure. Il a peut-être 15 ans mais les larmes qui coulent sur son visage ravagé lui ont tout à coup donné un air de vieillard. Il regarde à travers ses larmes la casbah et son enchevêtrement de maisons et de ruelles à flanc de colline. A droite, il reconnaît, au milieu des arbres, les murs ocre de son lycée, le lycée Marengo, où il n'y a plus ni élèves ni professeurs. Derrière, au bout de la rue Mizon, ce grand immeuble un peu de guingois, c'était sa maison. Et à droite, presque au bord de l'eau, juste à côté de l'enceinte de l'hôpital Maillot, sous une dalle blanche parmi d'autres dalles blanches du cimetière de Saint-Eugene, il y a son papa et sa maman. Ils sont morts tous les deux dans un attentat du F.L.N voici quatre ans. Une fillette s'est approchée du gamin qui pleure. Dans un geste maternel, elle pose sa main sur une épaule :
               - " "Ne pleure pas, Jacques, ne pleure pas, dit-elle. Essuie tes larmes…"
               Le gamin prend le mouchoir que lui tend la fillette et s'éponge le visage :
               - "Tu sais, dit-il, moi, j'ai voulu aller leur dire adieu. On ne m'a pas laissé entrer dans le cimetière,"
               - "C'est fini pour les morts, dit alors la fillette avec tendresse, tu dois vivre maintenant. Papa et maman s'occuperont de toi..."
               Le papa de la fillette était comptable dans un commerce de grains et sa maman, standardiste à l'hôtel Aletti. Ils sont à bord avec leurs six enfants. Mais personne en France n'attend la famille Simoneau.

               Debout sur la cale avant, les Tisson regardent les coupelles de Notre-Dame d'Afrique qui s'éloignent dans une lueur rose. Derrière eux, affalée sur des cordages, le visage dissimulé dans un mouchoir blanc, Mme Guilloud sanglote.

               Sur sa passerelle, le commandant Latil hoche la tète :
               - "Pauvres gens ! " Murmure-t-il. Puis il ajoute : " C'est " l'Exodus " que je commande aujourd'hui ! "

               C'était pourtant hier encore qu'on dansait sur le " Ville de Marseille ", qu'on s'entassait dans le grand salon de première pour jouer aux courses de petits chevaux. Le bateau de France, c'était pour l'Algérie le premier jour des vacances. Ce soir, il n'y aura ni courses de chevaux, ni cinéma, ni bal sur le pont. Les musiciens ont été décommandés. Sur tous les ponts, dans toutes les coursives, ce n'est qu'une immense détresse. Dans le lointain, Alger n'est plus maintenant qu'une tâche blanchâtre sur le bleu de la mer. Assommé par les heures qui viennent de s'écouler, chacun s'est fait une place tant bien que mal dans le fatras des valises, des paquets, des ballots. Les enfants jouent à cache-cache dans les coursives.

               Il est 7 heures, le lendemain matin, quand les murailles du château d'If émergent entre l'eau grise et le ciel sombre. Une femme dit avec tristesse : " Ou est-il le beau soleil de notre Algérie ?"

               Les yeux lourds de sommeil et de fatigue, les passagers du "Ville de Marseille" ont rassemblé leurs bagages et sont montés sur le pont.
               Un gosse demande :
               - " Papa, à quelle heure finit le couvre-feu ?"

               A la vue des côtes de France, une sourde inquiétude a, sur beaucoup de visages, remplacé l'angoisse d'hier. Le gamin du lycée Marengo a séché ses larmes mais son regard reste grave. Debout sur le pont avant, les Tisson, les Rossi, les Simonneau et tant d'autres se demandent à cet instant quel sort les attend. Appuyée sur la rambarde bâbord du pont A, la vieille Mme Guilloud regarde Marseille venir vers elle. Elle hoche doucement la tète et dit :

               - "Un jour, Je retournerai dans mon pays "
_Marc Mottet_




 
Pontéba : " Quarante-huitards ".
Envoi de M. Christian Graille

               Chères et chers Compatriotes,
               En ce jour de commémoration nationale, C'est avec émotion que nous dédions cet article à la mémoire de notre regretté ami M. Vinson dont les ancêtres et lui-même étaient originaires de Pontéba.
               Il aurait eu grand plaisir à lire ce récit. Malheureusement, parti vers d'autres cieux, il n'eut pas le temps de nous communiquer des documents indispensables à une meilleure connaissance de l'Algérie.
               A la lecture de cette histoire, nous pouvons aisément prendre la mesure des immenses difficultés rencontrées par ces premiers colons dont les successeurs que certains d'entre nous furent, ont trop souvent critiqué, calomniés, honnis et vilipendés depuis l'indépendance de l'Algérie ....
               A méditer en toute modestie.
               Cordialement.
               Christian Graille, le 11 novembre 2019

Pontéba : " Quarante-huitards ".

               1848… La toute jeune République regarde vers l'Algérie et tente l'expérience restée connue sous le nom de " colonisation ouvrière de 1848 ".
               Par l'arrêté du 19 septembre 1848, le gouvernement offre aux ouvriers parisiens la possibilité de partir pour l'Algérie où on leur donnera des terres.
               Intéressés par cette offre, les Naudin, une famille parisienne, s'embarquent le 9 novembre pour le village prometteur de Pontéba, près d'Orléansville.
               Dès le 23 septembre 1848, un avis public indiquait que les citoyens de toutes professions qui désiraient faire partie des 12.000 colons qui doivent être installés dans les colonies agricoles en 1848 sont invités à se faire inscrire dans leurs mairies respectives où les listes seront ouvertes en conséquence.

               C'est la ruée : le 8 octobre, 36.000 volontaires déjà inscrits ; fin octobre plus de 100.000 personnes se sont portées volontaires et une commission doit statuer sur chaque candidat, au vu des papiers et certificats établissant sa position.
               L'Algérie représente pour ces ouvriers souvent sans emploi, le pays de cocagne, la promesse d'un avenir prospère et radieux. Se voir octroyer :
               - une parcelle de terrain de 2 à 10 hectares,
               - une maison,
               - des outils,
               - des semences,
               - des bestiaux,
               - recevoir des rations de vivres jusqu'à ce que les cultures produisent,


               Voilà une bien belle affaire ! Le plus curieux c'est que bon nombre de traditions familiales en feront plus tard des déportés politiques, alors que seule la misère et l'aspiration à une vie meilleure les poussèrent à partir.
               C'est ainsi que Louis-André Naudin, ancien journalier à Corbeil, employé chez un grossiste en vins à Paris, s'inscrit avec sa femme, sa fille et ses trois fils.
               Un beau matin un garde national en tenue se présente à son domicile porteur du carton annonçant que sa candidature est acceptée.
               Le départ est prévu dans les prochains jours et personne n'a oublié " le guide de nouveaux colons en Algérie " que l'Administration a fait distribuer.
               Les premiers colons quittent le quai de Bercy le 8 octobre 1848, en présence du général La Moricière, ministre de la guerre, et avec la bénédiction des autorités religieuses. Direction Saint-Cloud un petit village à créer dans l'Oranie.
               Un voyage de trois semaines effectué :
               - en chaland jusqu'à Chalon-sur-Saône,
               - en bateau à vapeur jusqu'à Arles,
               - En chemin de fer jusqu'à Marseille.
               - Puis après une traversée de quatre jours, les côtes de l'Afrique du Nord se précisent.

               Les Naudin sont du 9e convoi, à destination :
               - de Montenotte,
               - de la Ferme et
               - de Pontéba, trois villages de la plaine du Chélif.


               Le départ est fixé au 9 novembre.
               C'est dans la joie que les familles embarquent sur les chalands (sur lesquels flottent les drapeaux des trois colonies à créer), encadrés par des policiers chargés du pointage et du maintien de l'ordre.
               Le convoi part et bientôt les tours de Notre Dame s'estompent dans le lointain…
               Trois semaines plus tard se dresse la silhouette massive du cap Ténès : voici l'Algérie ! Le nouvel eldorado !
               Mais l'accueil des colons à Ténès n'est pas ce qu'ils prévoyaient ; non que la réception soit sans chaleur, bien au contraire, mais il leur est brossé un tel tableau de Pontéba et de la Ferme que tous veulent s'installer à Montenotte !
               Les militaires, chargés d'organiser la création de ces colonies ne l'entendent cependant pas ainsi et la répartition par village s'opère.
               En convoi, les colons partent pour leur lieu de destination. Mais comme la route de Ténès à Orléansville est en fort mauvais état, les carrioles de l'armée ne peuvent pas rouler trop chargées si bien qu'une bonne partie de leurs bagages doivent provisoirement rester à Ténès !
               Une fois passée les gorges de l'oued Allala, les Parisiens arrivent à Montenotte où ils sont accueillis par le capitaine Lapasset.
               Le gros du convoi continue son chemin à travers le massif de la Dahra.
               Au soir de cette première journée assez éprouvante, les colons s'arrêtent à l'auberge du lieu-dit " les trois palmiers " où les femmes et les enfants peuvent coucher sur des paillasses, les hommes devant dormir sous des tentes de l'armée

               Ils arrivent à Pontéba.
               Au réveil il pleut et les quelques kilomètres qui restent à parcourir pour atteindre Orléansville sont péniblement accomplis.
               Heureusement les habitants de la cité viennent offrir gîte et couvert aux Parisiens ce qui les réconforte.
               Les colons se séparent selon leur destination et le 6 décembre 1848 enfin les Naudin arrivent à Pontéba situé à 6 kilomètres d'Orléansville.
               Trois grandes baraques de 80 mètres de long sur 6 de large, construites par le génie militaire, une route défoncée, une rivière boueuse, le Chélif, pas un arbre, des collines nues, seuls quelques champs cultivés par les militaires.
               Le mythe de l'Eldorado, déjà passablement éprouvé, s'écroule totalement et les beaux discours du départ ont maintenant un goût amer.

               Réveil au tambour.
               Le capitaine Michel Besse, du 16e de ligne, un vieux routier de l'Afrique est chargé de les encadrer. Dans un discours ferme, il leur applique sa méthode de travail :
               - réveil au tambour, à cinq heures du matin (l'été à 3 heures !),
               - départ en escouades aux champs pour le travail obligatoire.
               - Récalcitrants et paresseux sont prévenus que leur mauvaise volonté les privera de nourriture.

               Un ton :
               - dur,
               - brutal
               - mais efficace.


               Dès la fin de janvier 1849, le capitaine Besse peut noter dans son rapport : " Je n'ai qu'à me louer actuellement des bons procédés des colons.
               Dans le commencement ils semblaient ne pas vouloir se soumettre au commandement du chef.
               Quelques remontrances ont suffi pour les ramener à de meilleurs sentiments. Je pense, qu'animés du vrai désir de bien faire les colons de Pontéba pourront être signalés comme étant soumis et s'être occupés de la prospérité de la colonie. "
               Une exception ce ton autoritaire ? Il semble bien au contraire être largement répandu.
               L'Administration demandait à de vieux briscards sortis du rang ou à de jeunes lieutenants d'encadrer des civils venus :
               - défricher,
               - cultiver et
               - fonder des villages.

               Une mission pour laquelle ces officiers n'étaient nullement préparés et qu'ils n'appréciaient pas toujours.
               Le mépris des militaires pour ces civils, considérés à tort comme des " agités des barricades " n'arrangeait rien à l'affaire.
               Il y aura certes des philanthropes :
               - Lapasset adulé par les colons de
               - Montenotte, de Malglaive qui engagera sa fortune personnelle pour sauver le centre de Marengo.

               Il y aura également des profiteurs tels le lieutenant du village d'El Affroun qui n'hésitera pas à s'arroger un droit de cuissage sur les femmes des colons

               A chacun sa méthode.
               Entre les deux extrêmes, beaucoup d'officiers furent soucieux de remplir leur mission du mieux possible, malgré leur méconnaissance du travail de la terre et les faibles moyens alloués par une administration tatillonne. A chacun sa méthode : le capitaine Besse entend se faire respecter. Il s'occupe tout d'abord de :
               - dresser l'état des lieux,
               - répartir les lots,
               - loger les familles.

               Pontéba compte alors 321 habitants dont 78 concessionnaires se partageant 121 parcelles réparties en deux zones.
               Mais comme le lotissement n'est pas fait (on ignore encore la superficie de Pontéba) les lots de la 2e zone n'ont pu être attribués.
               Les quelques colons venus comme ouvriers d'art (maçons etc.) réclament et reçoivent un petit lopin.

               1 - Situation morale de la colonie, disposition d'esprit des colons, habitudes, règles de conduite.
               2 - Bien-être matériel des colons, nourriture, vêtements, appropriation intérieure des habitations,
               3 - État d'avancement des constructions tant publiques que privées, des routes, des chemins,
               4 - Superficie du territoire de la colonie,
               5 - État des diverses cultures,
               6 - Nombre et espèce de bétail possédé par les colons, nombre de charrues,
               7 - État sanitaire de la colonie,
               8 - Nombre de décès et de naissances pendant le mois (tenue du registre d'état civil)
               9 - Effectif de la population au dernier jour du mois.


               De plus des officiers du génie militaire et des inspecteurs se rendent, de temps en temps, dans les différentes colonies agricoles (42 pour toute l'Algérie).
               Tous ces rapports étant conservés, on peut suivre, pas à pas, l'évolution des centres. A Pontéba tout le monde se met au travail au son du tambour.
               Il faut s'occuper des parties communes : aménagement de la route allant à Orléansville et, construction de l'enceinte du village.
               Dès février la route est finie, l'enceinte achevée sur deux de ses côtés (le génie militaire ayant au préalable tracé au cordeau le plan en damier du village).
               Une 4e baraque destinée aux employés (en particulier ceux des entreprises de construction), à l'infirmerie et aux magasins est construite.
               On bâtit des hangars pour remiser le matériel et abriter les chevaux. Les terres communes sont ensemencées :
               - 260 quintaux de blé et
               - 95 quintaux d'orge leur avaient été distribués,
               - 2.200 arbres peupliers, mûriers, noyers, figuiers et
               - 2.000 pieds de vigne sont mis en terre dès le premier mois !

               On a distribué des grains en quantité suffisante pour subvenir plus tard à l'alimentation des colons ; ces grains sont en bonne voie de prospérité ; tout porte à croire que dans peu de temps les colons pourront recevoir les premiers fruits de notre labeur, note le capitaine Besse.
               De plus les jardins (de 15 à 20 ares), situés en bordure du Chélif (premiers terrains sortis de l'indivision) sont distribués et déjà cultivés.

               Riz et haricots : vin et pain de troupe.
               Le capitaine-directeur se loue du moral des colons animés du désir de bien faire, mis à part quelques célibataires grincheux ramenés manu militari à de meilleurs sentiments.
               Il semble, du reste, que les colons de Pontéba aient été des gens paisibles car cet officier et ses successeurs ne se plaindront jamais du mauvais vouloir de leurs administrés, bien au contraire.
               Ils ne formuleront aucune demande de punition et ne feront état d'aucun délit répréhensible durant les quatre années d'encadrement militaire de la colonie (on est loin de la légende des " agités " et des " déportés ".)
               - Si les plantations poussent,
               - si les récoltes s'annoncent prometteuses


               Le capitaine Besse remarque, en revanche, que le " bien-être matériel des colons est passable, qu'ils ont besoin de gagner quelque argent pour améliorer leur position. "
               Les travaux collectifs étaient rémunérés.
               Il note aussi un certain nombre de lacunes, en particulier à propos de l'alimentation :
               - " La nourriture n'est pas assez abondante,
               - le pain pourrait être meilleur, s'il était manipulé par un boulanger (…).,
               - le vin est généralement mauvais (…),
               - les légumes ne sont jamais variés,
               - les colons se fatiguent de manger toujours du riz,
               - la viande est bonne, mais pas assez abondante (…)

               Mais l'administration ne réagit pas et les mois suivants le capitaine se plaint toujours de l'aigreur du vin (et de la mauvaise grâce que montre l'intendance militaire à le reconnaître !), du pain de troupe qui pourrait être meilleur, des légumes qui se divisent en riz et haricots.
               Les haricots ne cuisent pas, ce qui fait que dans les familles on reste pendant les quatre jours que dure la distribution, sans légumes.
               Heureusement la production des jardins améliore l'ordinaire et le salaire des travaux collectifs permet aux colons d'acheter aux marchands ambulants quelques boissons, d'ailleurs mauvaises !

               Le foin jaunit.
               Quant au confort matériel, il s'améliore. L'intérieur est bien tenu, chaque famille a reçu de cinq à six caisses à biscuits qui ont servi à faire :
               - des lits,
               - des étagères ou
               - des bancs.

               Les familles les plus nombreuses ont demandé des planches au génie, moyennant remboursement.
               Quoi qu'il en soit, tout le monde a son lit.
               Un vaguemestre assure la distribution du courrier deux fois par semaine ; il ne ménage pas sa peine sur les routes défoncées entre :
               - Orléansville,
               - la Ferme et
               - Pontéba.

               Les enfants vont déjà à l'école où un vieil instituteur leur fait la classe. Il semble cependant que les gamins soient plus doués pour l'école buissonnière, ce qui rend furieux l'officier-directeur.
               A ses yeux un seul moyen pour les forcer à suivre les cours : La privation de nourriture !

               Cependant une légère vague de chaleur se fait sentir fin janvier, début février 1849, le capitaine Besse fait part de ses angoisses. " La récolte, de magnifique qu'elle était, devient désespérante, surtout si la chaleur dure encore quinze jours ", écrit-il dans son rapport fin février 1849.
               " L'orge et le blé souffre beaucoup, le foin qui promettait du succès jaunit déjà (…) les graines qui sont semées dans les jardins ne peuvent traverser la croûte de terres sèche, les pois et les fèves seulement prospèrent. "
               La construction se poursuit : le fossé d'enceinte est terminé en avril, une voie reliant le village à la route de Miliana est entreprise. Des maisons se construisent :
               - celle du directeur de la colonie,
               - la forge, la boulangerie, et
               - cinq maisons doubles et
               - six maisons simples, en juin,
               - la maison de secours et
               - le presbytère.


               48° centigrades !
               En revanche la situation sanitaire des colons jusque-là satisfaisante commence à se dégrader, aggravée par les grosses chaleurs.
               Le médecin affecté à la colonie constate dans l'ensemble que " les premières chaleurs et surtout le vent du désert qui a soufflé pendant huit jours et nous a donné à l'ombre 48° degré centigrade au mois de juin ont apporté dans la santé générale quelques modifications qui, heureusement n'ont rien d'inquiétant. "
               Il s'agit essentiellement :
               - d'embarras gastriques, d'une lassitude générale due à la chaleur,
               - de quelques ophtalmies et conjonctivites douloureuses,
               - de coliques et de diarrhées dues en particulier à la mauvaise habitude de trop boire et au manque d'hygiène alimentaire (les coutumes parisiennes devront être corrigées sous le soleil d'Afrique : régime sévère et port d'une ceinture de flanelle pour ne pas prendre froid), de quelques accès de fièvre.


               Deux morts et un noyé.
               En outre quelques colons commencent à se décourager et songent à partir.
               - Deux petits enfants sont morts, emportés à l'apparition du sirocco.
               - Nous avons de plus un triste accident ; un colon est allé se baigner après son repas s'est noyé.
               - Enfin le 29 juin une jeune dame enceinte de deux mois et demi a eu un avortement suivi d'une perte utérine extrêmement grave qui n'a cédé qu'aux dernières ressources de l'art.

               Cette dame, le lendemain lorsque son état a pu le permettre a été envoyé à l'hôpital :
               - forceps,
               - sondes,
               - seringues
               - et l'infirmerie reste toujours installée dans une baraque dont les planches sont mal jointes et insalubres.


               Elles ne défendent pas de l'action du vent et sont sous l'action du soleil de véritables fournaises. Le jour excessivement chaud, elles laissent passer l'humidité et la fraîcheur des nuits.
               De plus les habitations sont remplies d'insectes qui tourmentent les habitants, les privant de sommeil.
               Dans ces conditions les malades graves sont évacués sur l'hôpital militaire d'Orléansville au moyen d'une carriole de l'armée.
               Aussi le médecin réclame-t-il une voiture-maison pour le transport des blessés et des malades. Il souhaite la formation :
               - de garde-malades,
               - de secouristes,
               - de sages-femmes parmi les dames de la colonie afin que l'entraide soit plus efficace.


               Des mois passeront avant qu'il soit entendu.
               Le capitaine Besse note en juillet 1849 que :
               - pour vingt familles la réussite est malgré tout à peu près assurée,
               - pour quarante-trois elle est possible,
               - pour vingt elle est difficile.


               Il mentionne également cinq récalcitrants notoires mais personne de physiquement incapable, d'évincé ou parti volontairement.
               La terrible vague de chaleur de l'été va précipiter les choses : il ne reste plus que 248 habitants à Pontéba en septembre 1849 !
               La chaleur a été accablante, les cultures :
               - fourrages,
               - céréales,
               - tabac ont grillé sur pied,
               - l'eau a manqué (il n'y a qu'un puits profond de seize mètres pour toute la population).


               On compte des décès et des départs.
               L'échec est général dans toutes les colonies agricoles : outre la sécheresse, le manque de savoir-faire de ces Parisiens qui n'ont pour la plupart jamais travaillé la terre auparavant se fait sentir.
               En outre l'Administration refuse d'envoyer des moniteurs de culture.
               A Pontéba, parmi les familles qui réussissent : les Naudin.
               André Naudin ayant été longtemps cultivateur, prodigue des conseils et fait de son jardin et de sa parcelle de 7 ha l'une des moins désolées.
               Néanmoins, tous les espoirs de récolte se reportent maintenant sur l'année suivante.

               Fin décembre 1849, le capitaine Besse note que " les colons se livrent aux rudes travaux avec le zèle possible (…). La majeure partie d'entre eux sont animés du désir de prospérer ".
               Il ajoute que la rude année qu'ils viennent de passer leur a servi de leçon.
               Les travaux en commun sont détestés, il ne serait plus possible d'employer ce mode sans s'exposer à de nouvelles réclamations.
               En outre le réveil au tambour et surtout la privation de rations alimentaires sont bien moins tolérés qu'avant.
               Il estime que chaque famille pourra en 1850 récolter 58 à 60 quintaux de grains et il demande au génie militaire de construire des norias (système de godets sur chaînes pour puiser l'eau).
               D'autre part, il distribue aux colons qui demeurent un " du laboureur algérien" édité par l'administration, ou mois par mois sont donnés des conseils élémentaires en matière d'agriculture ou d'hygiène de vie, en même temps que sont cités des cas exemplaires de colons venus sans rien, et maintenant prospères.

               Les norias de Marengo.
               Les colons de Pontéba louent volontiers leurs bras pour des travaux collectifs rémunérés, notamment pour la construction des routes ou le creusement des fossés délimitant les parcelles.
               Un différend va les opposer un moment au génie militaire qui trouve excessives les sommes réclamées par le géomètre du village et le capitaine Besse. Cette affaire sera réglée à l'amiable.
               Grâce au petit pécule ainsi gagné, les colons peuvent s'acheter des produits de première nécessité : vêtements et complément de nourriture.

               Coup sur coup tombent deux mauvaises nouvelles.
               L'Administration refuse tout d'abord de financer les norias sous prétexte que les colons de Marengo, Novi et autres centres ont creusé leurs puits individuels ; Or dans ces villages il suffit de creuser un sol de tuf solide pour trouver de l'eau à une profondeur de 5 m alors qu'à Pontéba l'eau se trouve à 16 m de profondeur dans un sol alluvial s'écroulant sans arrêt ; les puits nécessitent donc un coffrage.
               On ne peut construire qu'un lavoir ; faute d'abreuvoir les bêtes doivent aller boire au Chélif.
               Ensuite la sécheresse sévit de nouveau : " Si les colons ont réussi à ensemencer une moyenne de 5 ha chacun et si, tout leur présageait un meilleur avenir après la récolte (…) malheureusement la sécheresse qui se prépare encore cette année leur enlève tout espoir.
               Leur moral s'affecte sensiblement de voir ainsi deux années perdues écrit le capitaine Besse à la fin du mois de mars 1850.
               L'année 1850 sera épouvantable :
               - le blé sèche sur pied,
               - les départs se succèdent,
               - la malaria fait des ravages (la mortalité infantile est particulièrement élevée).


               Des volontaires venus de France viennent déjà remplacer les premiers colons découragés.
               Parmi eux, la famille Noël, originaire d'un petit village de Normandie à qui l'administration a accordé " un secours de route " pour qu'ils puissent rejoindre Pontéba.
               En attendant la construction de l'église, l'infirmerie sert de chapelle, le curé d'Orléansville se déplaçant pour dire la messe.
               Faute de crédits l'intendant a refusé de donner une ambulance complète, les soins sont donnés à domicile, les malades graves étant toujours évacués sur Orléansville dans des conditions pénibles.
               Commerces et artisanat se développent ; on compte :
               - des débitants de boissons,
               - un épicier,
               - un cordonnier,
               - un fleuriste,
               - un tuilier.

               Les jardins potagers produisent mais le problème de l'eau n'est toujours pas résolu et le capitaine Besse, soulevant la question des norias, évoque un projet de barrage et avertit l'administration : " Si on recule devant ce travail, je crains que l'on soit obligé d'abandonner la colonie ! "

               Ils utilisent la charrue à " la Dombasle ".
               Les colons les plus solides résistent ; des moniteurs enseignent les soins à donner aux bovins, apprennent aux Parisiens à cultiver de façon plus rationnelle.
               Les pluies des mois d'octobre et de novembre réconfortèrent les colons, il ne reste plus à Pontéba que 188 habitants et 68 concessionnaires parmi lesquels un tiers de nouveaux venus.
               Le capitaine Besse est remplacé, quatre officiers se succèderont en deux ans à la tête du village.
               1851 est une année moins mauvaise quoique la situation demeure toujours bien précaire.
               Les colons savent maintenant se servir de la charrue " à la Dombasle " (charrue avec versoir mais sans roues, peu coûteuse, légère, robuste, bien conçue, nécessitant une faible force de traction, inventée par Mathieu de Dombasle, agronome) et de charrues plus légères.
               Le matériel agricole se complète. L'emploi du joug d'encolure pour les bœufs permet des labours plus importants.
               En avril le génie militaire a achevé l'église (une maison double transformée), l'abbé Berthot vient s'installer au village, ce qui produira un effet immense sur toute la colonie.
               Les constructions s'améliorent, le génie a reçu l'ordre de mettre à la disposition de chaque colon la chaux et les tuiles pour réparer les toitures, point faible de toutes les maisons, bien souvent construites par des entrepreneurs peu scrupuleux.
               En revanche la route d'Orléansville , défoncée, est impraticable par gros temps et doit être réparée.
               Le docteur Dours visite toujours les malades à domicile ; il n'y a toujours pas d'ambulance.
               - Quelques marchands de vin,
               - un épicier et
               - un boucher
,
               vivotent mais le manque d'argent empêche les industries de se former parmi une population qui n'a aucune ressource pécuniaire.
               Le problème de l'eau reste entier.
               En outre une invasion de sauterelles détruit de nombreuses cultures.

               Des relations pacifiques.
               Maintenant que le village est plus solidement implanté, les Arabes y viennent volontiers, et l'officier-directeur peut noter " qu'ils sont bien traités par les colons ; quelques-uns les emploient et leur accordent une confiance illimitée et peu de plaintes parviennent à l'autorité " (mars 1851).
               Cependant au printemps les Indigènes pillent nos récoltes ; ils coupent les blés, lorsqu'ils ne trouvent pas de gerbes toutes faites que le propriétaire n'a pas enlevées dans la journée.
               Malgré les patrouilles et les gardes particulières, il est impossible d'empêcher ces Arabes de se livrer à cette industrie qui les fait vivre aux dépends des cultivateurs " (juillet 1851).
               Malgré ces péripéties " les relations avec les Arabes sont toujours pacifiques.Ces derniers nous vendent quelques fruits, de la volaille et du bois " (octobre 1851).

               La récolte est bonne.
               Enfin l'administration accepte de financer les puits à norias. En octobre 1851, la construction de deux norias qui serviront à l'arrosage des jardins est entreprise.
               La récolte de fourrage de 1852 est correcte et permet aux colons de rembourser des dettes qu'ils n'avaient cessé de contracter depuis trois ans.
               L'école des filles et surtout celle des garçons restent toujours aussi peu fréquentées ! En revanche les maisons sont réparées ou finies.
               L'esprit de prévoyance s'introduit peu à peu dans les ménages, ainsi de nombreuses basses-cours seront bien peuplées, les volailles et les chèvres y abondent, quelques vaches et quantité de cochons qu'on engraisse pour mettre dans le saloir.
               Presque tous font leur pain eux-mêmes et avant les labours quinze voitures sont allées à Miliana faire moudre le grain (il n'y a pas de moulin au village, les colons sont obligés de faire une centaine de kilomètres jusqu'à la minoterie la plus proche !).
               Les habitations sont bien entretenues par la majorité des colons, presque tous y ont ajouté des écuries en maçonnerie, des hangars aux étables, de sorte qu'aujourd'hui ils sont à peu près installés quant à leurs ressources et à l'exploitation de leurs concessions (décembre 1851).

               Toujours pas de moulin.
               En 1852, on peut affirmer que le village est sauvé, même si les conditions de vie demeurent encore très dures.
               Les dettes remboursées, il ne reste que peu d'argent aux colons (seules vingt et une familles ne sont plus redevables à l'État.)
               Il n'y a toujours pas de moulin au village, il faut encore aller à Miliana pour le moulage. Et encore là-bas fait-on attendre au moins quatre jours et quelquefois même le peu de bonne volonté des meuniers oblige les colons à revenir sans farine. Un troisième puits à noria est construit, Pontéba ne demanderait plus à l'État qu'une seule chose, celle de lui venir en aide pour la construction au centre du village d'un bassin qui servirait de lavoir, le tout alimenté par une noria placée au puits qui existe actuellement (septembre 1852).
               Sur les 1.000 hectares fixés à l'origine comme devant être mis en valeur :
               - 958 sont effectivement travaillés, plantés de vignes et d'arbres,
               - 268 ha sont plantés de blé dur,
               - 134, d'orge,
               - 235 en fourrage.

               Le cheptel se multiplie.
               Le village compte une cinquantaine de maisons.

               Fin 1852, l'armée se retire confiant l'administration du village à l'autorité civile.
               Le premier maire, Pierre Paulet, un " quarante-huitard " tenace qui a réussi, représente Pontéba au conseil municipal d'Orléansville présidé par Ferdinand Duboc, le commissaire civil.
               L'une des premières tâches de l'Administration civile sera de dresser, le 6 février 1853, l'état nominatif des colons ayant droit à titre de propriété.

               André Naudin avec ses dix hectares de terre (il en a acheté 3 supplémentaires à un colon découragé) fait partie des prétendants sérieux ; il est vrai que ses fils participent à l'entreprise familiale ; la fille aînée s'est mariée à Orléansville avec un débitant de vin.
               En revanche les quatre frères Noël eux aussi cultivateurs de profession avant de venir en Algérie, peinent beaucoup plus ; ils ont plus de bouches à nourrir, et leur terre donne peu.
               - Ils ne réussiront pas,
               - revendront leurs petites parcelles et
               - trouveront à s'employer dans des fermes plus prospères aux alentours d'Orléansville.


               1855, Ferdinand Duboc accorde à André Naudin un petit lot de terre pour compléter une parcelle déjà plantée en vigne sur les coteaux de Pontéba que le rude cultivateur arrose au bidon, pied par pied.
               Deux ans plus tard tout est planté.
               Vers 1860, sur la partie du lot formant plaine, le colon creusera un puits et construira une grande maison.
               A son petit-fils, il demandera de mettre une bouteille de vin entre les pierres des fondations pour "porter chance ".
               - La régularisation des titres de propriétés s'effectuera lentement,
               - l'arrêté de concession est délivrée aux différents colons de Pontéba en 1857 , les titres de concession sont établis en février 1858,
               - la régularisation des titres définitifs n'aura lieu qu'en juillet 1866,

               Une fois que l'Administration aura vérifié que les terrains étaient effectivement :
               - défrichés,
               - plantés et
               - clôturés comme s'engageaient à le faire les colons.

               Entre-temps le village s'était encore agrandit.
               Le génie militaire envisageait très sérieusement la construction d'un barrage sur le Chélif, près de Pontéba, ouvrage terminé en 1871.

               17 coups de couteau.
               La vie continuait. L'un des frères Noël décédait à l'hôpital militaire d'Orléansville d'une cirrhose du foie et de delirium tremens.
               - Désespéré,
               - ruiné, il s'était réfugié dans le vin.


               André Naudin, quant à lui apprenait la naissance d'un autre petit-fils en novembre 1867.
               Deux jours plus tard, le garde champêtre le trouvait allongé dans son champ, le corps lacéré de 17 coups de couteau.
               Son chien blessé gisant à ses pieds, et hurlant à la mort. La tradition familiale rapporte qu'il aurait été assassiné par des Arabes, ce qui est fortement vraisemblable.
               Le chien, qui survécut, se montra à partir de ce moment-là extrêmement et systématiquement agressif envers les Arabes.
               Mais le ou les coupables ne furent jamais retrouvés et les preuves manquent pour trancher entre la thèse :
               - du lâche assassinat,
               - de la jalousie ou
               - de la vengeance,

               Car il faut bien dire que les colons, endurcis par les épreuves et un travail acharné, n'avaient pas toujours le caractère facile.
               Quoi qu'il en soit on écrivit sur la pierre tombale : " Ici repose André Naudin, victimes des persécutions indigènes. "
               Un colon disparaissait, un enfant était né : la vie suivait son cours …
               Jean-Louis Donnadieu.
               Algérie. Histoire et nostalgie. 1830-1987. (Historia juin 1987.)


               Engagement d'un colon.
               Jean-Baptiste Roussel, colon à Orléansville, obtint selon le procès-verbal de mise en possession (1er avril 1857) un terrain situé sur l'ancienne smala des spahis, portant le n° 11 du plan de lotissement (d'une superficie de l'ordre de 10 ha…). Ce terrain est de nature :
               - de terre labourable,
               - inculte,
               - le sol est couvert de quelques jujubiers et de buissons épineux.


               Il n'existe dessus ni constructions ni plantations.
               Le colon s'engage à construire une maison d'habitation et clore par des haies vives ou des fossés la parcelle dont il sollicite la concession dans le courant de la présente année 1856 :
               - planter 250 arbres (25 arbres fruitiers ou forestiers de haute tige par hectare),
               - planter un tiers par année à partir de ce jour,
               - défricher entièrement le terrain et
               - arracher les jujubiers et autres pines qui s'y trouvent et mettre en culture la totalité des terrains concédés dans un délai de trois ans à partir du jour de la mise en possession.
(Archives nationales d'outre-mer : (Aix-en-Provence)


Quatre jours
Envoi de M. Christian Graille
1

               C'était le jeudi 20 avril 1961, à une heure du matin. Un avion avait atterri tous feux éteints sur la base aérienne de Blida, à cinquante kilomètres d'Alger.
               Après avoir paru hésiter, il était allé se ranger en bordure des fossés qui séparent la route des champs d'atterrissage ; des ombres en étaient descendues.
               Elles confabulaient avec d'autres ombres qui attendaient les étrangers voyageurs dans la nuit parfumée des senteurs d'orangers.
               Le ciel était pur, givré de milliards d'étoiles, et l'énorme masse de l'Atlas se profilait sur ce scintillement de vivier, comme une muraille coupée par la brèche de la Chiffa.
               L'un des hommes qui revenait clandestinement en Afrique y avait commandé en chef. Il s'appelait Challe. Il était accoutumé, quand il descendait des avions militaires, à recevoir l'hommage des fanfares éclatant dans un brusque déchirement de cuivres, et à passer en revue les piquets de parade.

               Ce soir, sa silhouette lourde se découpait sur les étoiles à côté de celle du colonel Broizat et de l'ombre plus frêle du général Zeller qui venaient de débarquer avec lui. Challe avait demandé :
               - Où en sommes-nous ?
               - On lui avait expliqué que le projet de coup de force prévu contre Alger, pour ce soir-là avait été remis à la nuit suivante et Challe s'était emporté.
               - Comment rien n'est déclenché ?
               - Rien n'était déclenché.

               Les officiers qui avaient accepté la tâche de s'emparer d'Alger refusaient d'engager l'action avant d'être assurés que Challe était réellement revenu en Afrique et qu'il était prêt à prendre le commandement de l'aventureuse entreprise.

               Mais l'ancien chef des forces armées d'Afrique se réveillait en Challe. Il dit :
               - Vous allez apprendre à obéir.
               - Le colonel Broizat avait alors enlevé ses lunettes dans un geste qui lui est familier lorsque ce qu'il a à dire revêt une gravité particulière.
               - Il faut les comprendre, répondit-il à Challe. Ils ont déjà beaucoup été" déçus par les généraux.

               La remarque était si juste que quelques semaines avant à Paris Roger Degueldre avait exigé qu'un officier supérieur vint en Algérie en attendant le déclenchement du coup de force, comme un otage.
               On avait cédé. Et ce soir Challe arrivait à son tour sur les terres en délire dans la paix d'une nuit de printemps.

               Le voyage n'avait pas été simple. Les mouvements aériens étaient trop surveillés pour que l'on osât faire débarquer l'ancien commandant en chef pendant le jour, sur l'une des bases où sa silhouette était familière.
               Il avait été convenu qu'une manœuvre nocturne aurait lieu au-dessus de la base de Blida.
               Les avions procèderaient à un lâcher de parachutistes et tourneraient un moment dans le ciel.
               Ainsi, au moment de l'atterrissage, serait-il possible d'intercaler l'appareil arrivant de France avec le général Challe à son bord, entre ceux qui rejoindraient leur base la manœuvre finie.
               A l'heure prévue, les lourdes machines volantes prirent l'air, l'une après l'autre, emportant les groupes de parachutistes pour une fois figurants inconscients d'une action.

               La nuit était belle ; énorme masse fourmillante d'étoiles qui palpitaient au rythme d'une vie secrète. L'Atlas barrait d'une falaise plus dense l'horizon du Sud. Les initiés guettaient le ciel où passaient les grandes ombres des avions arrachés à la terre par les vacarmes d'enfer.
               La radio qui devait annoncer l'arrivée de l'avion portant le général Challe se taisait et ce silence insolite paraissait creuser un trou énorme dans le malstrom sonore qui broyait la nuit.
               Peu d'entreprises de ce genre ne butent pas sur le détail inattendu qui complique tout. Cette nuit-là, le détail c'était le retard du général Challe.
               Les avions larguèrent les commandos de parachutistes sur les zones prévues et revinrent tourner autour de la base, pour prendre leur tour d'atterrissage.
               Il tombait du ciel des averses de vacarme et parfois l'on apercevait une ombre d'avion fauchant les champs d'étoiles.

               Les pilotes appelaient. Ils s'étonnaient de ce que ne leur eût pas encore été donnée la permission d'atterrir.
               On éluda les appels trop pressants, mais les secondes parurent couler plus lentement dans l'orage sonore qui ravageait le ciel.
               Des pilotes las de tourner dans la nuit s'impatientaient.
               Les postes récepteurs crachaient des injures à l'adresse des services toujours accusés d'incapacité par les combattants.
               Il fallait attendre cet avion qui se taisait ce bruissement d'élytres qu'il s'agissait d'effacer dans une avalanche de bruits.

               Les appareils tournaient toujours coulant dans le ciel un toit métallique d'où tombaient les appels des pilotes comme des voix de charpentiers excédés.
               - Tous les plans minutieusement établis depuis des semaines,
               - les rendez-vous de traqués,
               - les secrètes retrouvailles,
               - les conciliabules tenus
               - dans les gares,
               - dans des villas de banlieue,
               - à Paris, ou les bureaux de l'École Militaire ou des Invalides, risquaient de s'effondrer, ramenés à néant par l'absence de cet avion qui semblait avoir broyé les meules invisibles qui tournaient dans le ciel.


               Enfin, la petite voix tant attendue tomba des étoiles et l'appareil atterrit au cœur de :
               - la grande fête du bruit,
               - la magie des balises et
               - les phares des avions traînant derrière leur attelage de lumière de grosses bêtes grondantes de colère.

               Une ultime anicroche avait failli tourner au désastre. L'avion portant le général Challe avait atterri normalement, mais au lieu de rouler vers le point de la piste où état fixé le rendez-vous, le pilote, trompé par les lumières qui dansaient partout, s'était dirigé vers l'unité de protection de la base ; la gueule du loup.

               Alerté à temps, il avait remis en route pour aller se ranger au bord des fossés.
               Maintenant Challe jetait à ceux qui l'accueillaient qu'il allait leur falloir apprendre à obéir !

2

               Deux jours avant l'arrivée de Challe en Afrique, dans les rumeurs d'une manœuvre prétexte, le capitaine Sergent qui avait été muté à Chartres après les émeutes de novembre 1960 se trouvait être le seul officier du groupe de subdivisions où il avait été affecté.
               Il était dix-huit heures. Le général Souard, commandant le groupe, était absent mais devait rentrer dans la soirée.
               Il était d'usage que l'officier du rang le plus élevé allât l'attendre à la gare.
               Le général appela Sergent pour lui préciser l'heure de son arrivée. Celui-ci prétexta un malaise pour éluder la petite cérémonie de l'accueil.
               " Le général avait été très gentil, dira Sergent, et j'ai eu scrupule à lui avoir menti.
               Mais ainsi libéré, Sergent :
               - boucla ses valises,
               - vida ses tiroirs et
               - gagna Paris pour prendre le train de Marseille.


               J'écoute Sergent longtemps après, un soir triste de Bruxelles. Étrange voyage !
               Je pensais au récent déjeuner à Paris auquel j'avais convié les officiers du Premier Étranger, comme moi, mutés en métropole.
               Je leur avais dit : " Challe a accepté … Vous avez le temps du repas pour vous décider. Après, aucun d'entre vous ne pourra changer d'avis. "
               A l'issue du repas, tous ont accepté. Un seul n'a pas tenu parole , mais pour moi c'est beaucoup … Étrange voyage .… le jour se leva lentement du côté de Lyon, et regardant défiler les paysages de la vallée du Rhône, je ne parvenais pas à croire que les généraux s'étaient enfin décidés, ou s'ils avaient laissé entendre qu'ils ne trouveraient pas un prétexte pour renoncer au dernier moment.

               La précision des rendez-vous :
               - Marseille, Istres, Alger impressionne Sergent.
               Au-dessus de la Méditerranée, je regardais ce Rubicon aux dimensions de mer.
               A Alger les capitaines sont rassemblés dans une villa des Tagarins qui servira de poste de commandement.
               Ils y apprennent que l'aventure a été reportée au 22 avril, à peu près à l'heure où Challe en était informé au bord des fossés de Blida.
3

               Cependant quelque chose avait filtré du projet en cours. Il n'est pas de secret que puissent garder tant d'hommes en marche vers leur mystérieux rendez-vous et les palabres menées par Argoud et Broizat pour bâtir l'affaire avaient éveillé quelques échos. De confuses alertes chuchotées de bouche à oreille avait couru d'un bout à l'autre de l'Algérie comme ces rumeurs sourdes roulées sur des horizons déjà brouillés et qui annoncent les orages de l'été.
               Affolés par l'imminence d'un évènement qu'ils pressentaient et dont ils savaient qu'il les acculerait à un choix difficile entre les commandements contradictoires de l'intérêt et de la conscience, les fonctionnaires en uniforme s'étaient rués dans l'un de ces échappatoires qui révèlent à la fois les failles secrètes du caractère des hommes et la maladie cachée dont souffre un ordre mourant.
               Ils s'étaient fait mettre en permission pour éluder le choix.
               Partout :
               - dans les djebels ou
               - sur les plateaux,
               - les ébullitions minérales des Aurès,
               - de l'Ouarsenis ou
               - des monts kabyles,
               - sur les plaines pierreuses du Hodna ou
               - du Chergui ou
               - les corniches tourmentées du Dahra et
               - les forêts de l'Akfadou et
               - de l'Edough,

               Des chefs étaient partis pour n'être pas en Afrique quand se lèveraient les aurores difficiles.
               Les historiens que plus tard, voudront écrire l'histoire du 22 avril 1961 devront d'abord établir une liste des colonels et des généraux permissionnaires.

               Ils découvriront alors que le " putsch " d'avril 1961, c'est l'épreuve de force entre une élite qui s'engage, qui jette tout dans l'aventure :
               - jusqu'aux soldes,
               - jusqu'au prestige hérité du passé,
               - jusqu'à la vie ; et le troupeau qui élude l'engagement et l'abandonne aux sergents parce qu'il a, depuis longtemps, choisi entre l'auge et le sacrifice à une idée.

               A Alger le haut commandement avant multiplié partout les patrouilles de gendarmes et renforcé nuit après nuit les systèmes de barrages.

4

               Le vendredi 21 avril, le soleil brillait sur la Mitidja, découpant les montagnes dans l'azur bleu et gravant sur les routes l'ombre des cyprès.
               Le général Challe et ses compagnons ralliaient Alger dans deux voitures se suivant à distance raisonnable pour ne pas attirer l'attention.
               Le colonel Broizat avait prié Challe de mettre son chapeau précaution nécessaire si l'on voulait que l'ancien général en chef ne fût pas reconnu.
               De sa 403 noire Challe pouvait voir les collines du Sahel barrant l'horizon du Nord. Le point de rendez-vous était une villa des Tagarins, sur les hauts d'Alger d'où l'on domine la perspective merveilleuse de la baie et le Fort-l'Empereur construit jadis par Charles-Quint, où Challe ne savait pas que se terrait l'état-major civil et militaire d'Alger soumis.
               Il avait été convenu que l'on passerait par Coléa pour éviter la dangereuse traversée de la ville et des faubourgs.
               La route qui monte vers le petit village du Sahel serpente entre les eucalyptus et les pins. Quand le convoi atteignit les crêtes, la mer apparut sans une ride, bordée par des haies de roseaux alignées comme à la parade.
               Sur l'horizon de l'Ouest, après Tipasa, le Chenoua était bien cette nuée bleus dont a parlé Camus et qui se condense dans la pierre au fur et à mesure qu'on en approche.
               - Quel jour avons-nous ? demande Challe
               - le 21 avril.
               - Alors ce sera le 22 !

               Sans doute pensait-il à l'histoire.

               A la villa des Tagarins on en était au plan d'investissement d'Alger. Il avait été convenu que le Premier Étranger de parachutistes serait le fer de lance de l'opération.
               Le colonel Guiraud qui avait remplacé Dufour, éloigné d'Afrique après les confusions de novembre 1960 était en permission et en son absence le commandement était assuré par le commandant Denoix De Saint-Marc.
               Un capitaine fut chargé d'aller chercher Saint Marc au camp de Zéralda installé dans les pinèdes à trente kilomètres sur la côte Ouest.
               La situation était la suivante dit Roger Degueldre : ou bien le commandant de Saint Marc acceptait de participer à l'affaire et alors le régiment intervenait comme un bloc aux hiérarchies inchangées, ou bien Saint Marc refusait et nous étions contraints de lui interdire le retour à Zéralda pour que l'alerte ne soit pas donnée.

               Dans ce cas les compagnies seraient engagées, séparément aux ordres des capitaines revenus de France ou des officiers affidés …
               Le commandant Saint Marc arriva vers midi à la villa des Tagarins et s'enferma avec Challe. L'entrevue dura une heure.
               " Nous aimions Saint Marc, dit Sergent, et nous souhaitions passionnément qu'il dise oui. Quand il sortit, il était blême. " Un silence de mort pesait sur le petit groupe d'officiers qui attendaient.
               Denoix de Saint Marc alla droit au capitaine Sergent, lui prit le bras et lui dit : " Suivez-moi Sergent, j'ai décidé de dire oui au général Challe ! Ce soir-là, le vendredi 21 avril M. le général de Saint-Hillier donnait un bal.
               Le commandant de Saint Marc y était invité. Il fut convenu qu'il se rendrait pour ne pas éveiller l'attention et qu'il rentrerait au camp de la légion avant minuit pour troquer sa tenue de gala contre la combinaison de combat.

               Dans l'après-midi finissant les officiers rallièrent une auberge près du camp de Zéralda, " les sables d'or " où sont passés tous les clandestins des batailles algériennes. Chaque chef de détachement portait sur lui une enveloppe avec un dossier précisant l'objectif précis à atteindre, l'itinéraire pour y parvenir et le nom des guides civils qui viendraient à Zéralda conduire les unités à travers la ville.
               La mission du capitaine Sergent commandant la première compagnie est de s'emparer du corps d'armée d'Alger. A la nuit tombée, Sergent rentre au camp abandonné quatre mois plus tôt.
               Il convoque les officiers et les sous-officiers de son ancienne compagnie. Nous avons à nous emparer du corps d'armée d'Alger, leur dit-il.
               Nous agirons exactement comme nous l'avons toujours fait dans les " djebels ", lorsque nous avions une mission à remplir. Rien, je dis bien rien ne pourra nous empêcher de remplir cette mission. "

               Dans le camp on distribue les armes et courent les rumeurs. Les permissions de spectacle avaient été maintenues pour éviter de donner l'éveil. Les légionnaires qui rentrent d'Alger parlent de gendarmes, de barrages coupant les routes. Saint Marc convoque Sergent.
               Un instant on pense à changer les itinéraires. " Non ! dit le lieutenant Godot, ce serait remettre en question tout ce plan. Le téléphone sonne. Saint Marc décroche. Il dit : " Oui mon général. "
               Les officiers comprennent que Gambiez ou Vésinet appelle, s'inquiète des mouvements de camions. Car il faut faire venir des rames de camions depuis Staouéli à dix kilomètres entre Zéralda et Alger.

               Les gendarmes de garde devant les barrages ont dû signaler les passages. Saint Marc rassure :
               - Non ! Il ne se passe rien ; pas de mouvement de véhicules. Tout est normal.
               Sergent rejoint sa compagnie dont il connaît chaque légionnaire.
               Il leur dit : Nous nous sommes engagés à passer. Nous passerons. Les camions sont rangés dans l'allée centrale.
               Les légionnaires rentrés d'Alger depuis quelques minutes seulement plaisantent :
               - on retourne en permission.
               Le départ. Sergent en tête dans une jeep avec le capitaine Rubin de Cervens.
               Le chauffeur s'appelle Sladeck.
               A la sortie du camp de Zéralda, sur le petit chemin qui mène à la route nationale, il y a un dos d'âne. Passé ce mouvement de terrain, Sergent aperçoit un barrage.
               Les gendarmes ! Lorsque le convoi bute sur le carrefour, les gendarmes s'écartent et livrent passage. Pourvu que ça dure dit Sergent au capitaine de Cervens.

5

               Loin, dans l'Est Constantinois, le 2e régiment de parachutistes d'infanterie de marine ratissait les " djebels " ignorant les mouvements qui agitaient Alger.
               Et quelque part en Algérie J-P Angellili, jeune professeur d'histoire qui accomplissait son temps de service militaire, rentrait d'opération à l'heure où l'aurore coule du feu sur les crêtes.
               Toute la nuit j'avais entendu rouler des convois sur la route d'Alger. C'était un grondement sourd, continu, que j'avais noté sans lui trouver d'explication. Tandis que je me déshabillais, pestant contre le jour et la fatigue, je vis un numéro de Paris-Presse traînant sur une piles de journaux et de revues.
               On avait remplacé Crépin par Gambiez. Nimbus succédait au polytechnicien prognathe (personne à menton saillant).
               Le journal disait que c'était un héros ; mais dans cette guerre on se heurtait partout aux héros, comme dans les batailles de l'Empire.
               Celui-ci était un " spécialiste du dégagement ". Il évacuait depuis l'Asie.
               Et Nimbus déclarait aux journalistes : " Voyez-vous, je suis sûr de l'armée d'Afrique car une armée qui va vous lâcher, çà se sent … " Je m'endormis rassuré.

               A Alger, engloutie dans le couvre-feu, trois journalistes :
               - Georges Ras,
               - Dupuy, directeur de France-Presse et
               - Georges Laffly rentraient chez eux.

               Ils parlaient de ce " putsch " que tout le monde attendait et dont l'imminence avait ramené Wallis au flair infaillible.
               - Bientôt … mais quand ?
               - Ils étaient en désaccord sur les dates possibles.
               - En tout cas dit l'un d'eux, ce n'est certainement pas pour ce soir !

6

               A Blida le colonel De Froment lui aussi alerté, avait conçu quelques soupçons.
               Il patrouillait dans sa 403, tous feux éteints, autour de la base où le commandant Vailly préparait le détachement qui devait investir Alger par le côté opposé à celui qu'empruntait Saint Marc.
               Un moment on l'avait aperçu accroupi dans un fossé guettant par-dessus les talus, à l'heure où Saint Marc quittait le bal du général de Saint-Hillier pour aller revêtir sa robe de panthère.
               Ceci fera que, deux jours après, le colonel De Froment dira au commandant Vailly :
               - Il me semble que nous nous sommes déjà rencontrés.
               - Vailly répondit :
               - Oui, vous étiez à quatre pattes dans un fossé.

               Le commandant avait tort d'ironiser : le colonel avait trouvé dans le fossé ses étoiles de général.
               Vailly avait rendez-vous au carrefour où la route de Maison-Carrée à Fort de l'Eau coupe la route dite " moutonnière " que tous les Algérois connaissent bien parce qu'elle mène à l'aérodrome.
               De ce point, Alger est effectivement, sur l'écrin de la nuit, cette vitrine de bijoutier dont ont déjà parlé les frères Goncourt, et les lampadaires qui bordent les grands boulevards rectilignes du front de mer tracent au ras de l'eau de longs traits de lumière.

               A une heure trente, les colonnes s'ébranlent. C'est l'heure où quelque chose semble naître au cœur de la nuit et où le silence plus dense, les vagues qui rabotent le temps sur les plages jettent leurs crêtes d'écume avec un bruit plus grave de galets agités au fond d'un panier.
               A l'endroit où la route borde la mer à quelques mètres, l'air sent le sel et les algues brassées.

               Le capitaine Mosconi est aux côtés du commandant Vailly, champion de saut en parachute, il est célèbre, mais il s'est cassé une jambe au cours d'un exercice et ce soir il marche difficilement, traînant dix kilos de plâtre autour de sa jambe blessée. Les répliques échangées sur les barrages ont cette invraisemblance que la vérité seule peut se permettre et qui s'inscrit :
               - aux lisières indécises de la banalité et de la légende,
               - du dialogue de film et de la geste.

               Sur le pont de l'Harrach, deux véhicules semi-chenilles barrent la route. Le commandant Vailly crie :
               - Laissez-nous passer !
               - J'ai ordre de ne pas bouger répond l'officier de garde.
               - Je vous donne l'ordre de bouger. Alors je vous accompagne.

               Nouvel arrêt sur le pont du Ruisseau.
               - Laissez-nous passer.
               - J'ai ordre de tirer dit un sous-officier.
               - Eh bien, je passe, tirez !

               Et le sous-officier ne tire pas. Les pavés du port, puis la rampe qui monte au carrefour de l'Agha.

               Devant la poste se profilent les carrés noirs des escadrons de CRS comme des frises sculptées sur la nuit, au pied de l'énorme bâtiment qui tient du fort et du palais mauresque avec :
               - ses arches, ses coupoles en forme d'échauguettes et
               - ses hauts murs percés de quelques rares fenêtres, comme des meurtrières.

               C'est là que tout se décidera.
               Le commandant Vailly s'avance seul vers les gardes.
               Un capitaine de gendarmerie crie :
               - " Je pourrais donner l'ordre à mes hommes de tirer, ils obéiraient.
               - Inutile, réplique Vailly, les miens tireraient mieux.

               Et les gardes se rendent.
               Sur un autre barrage un gendarme dira à un officier de parachutistes :
               - Nous avons failli nous tirer dessus
               - Non répondra le parachutiste, vous seriez mort avant.

7

               Le commandement savait bien que, de tous les itinéraires qui menaient à Alger, le plus menacé était celui que de Zéralda à Staouéli et Guyotville, ou Chéragas et El-Biar, devait emprunter le 1er REP. Les barrages y avaient été multipliés.
               Sergent raconte dans un bar de Rome : " Le convoi roulait. Nous avions dépassé la grande fourche qui mène à Staouéli d'un côté, à Chéragas de l'autre.
               L'odeur des pins saturait la nuit.
               Avant Staouéli surgit un barrage. Dans le pinceau lumineux des phares, j'aperçois les rouleaux de fils de fer et les hérissons aux pointes destinées à crever les pneus. Sladeck freine. Un capitaine de gendarmerie se tient devant la chicane aménagée entre les barbelés. Je me présente. L'officier me demande :
               - Où allez-vous mon capitaine ?
               - Je vais en mission à Alger. J'ai reçu des ordres très précis. Je dois interdire toute circulation.

               Je hausse le ton, lui aussi.
               - Je dois demander au corps d'armée l'autorisation de vous laisser passer.
               J'hésite. Il me dit : Suivez-moi jusqu'à ma voiture radio.

               Je passe la chicane derrière lui. Nous roulons pendant deux ou trois cents mètres. Sladeck suivait de trop près. Je luis dit " doucement " !
               Je réfléchissais. Il fallait trouver une solution, vite. Je me décide.
               La jeep du gendarme était loin devant. Je crie à Sladeck : " demi-tour ".
               La voiture tourne sur la route large.

               Je reviens vers les gendarmes et je leur dis :
               - nous avons reçu l'autorisation de passer.
               Les gendarmes tirent les hérissons et enlèvent le barrage. Les camions s'ébranlent. Le capitaine de Cervens me dit :
               - Nous ne recommencerons pas deux fois le même coup.
               Je dis à Sladeck " schnell ! Schnell ! … vite … " Le compteur de la jeep atteint trente milles … trente-cinq. Surgit un nouveau barrage dans les fossés.
               Au moment où je bute sur lui des silhouettes s'égaillent dans les fossés, je n'avais pas vu les hérissons.
               Sladeck freine si brusquement que Cervens bascule par-dessus le pare-brise baissé et le capot. Il roule sur la route.
               Un homme passe dans la lumière des phares … mon capitaine de gendarmerie !
               Il est blanc de colère.

               Je hurle. Il reçoit l'algarade sans broncher. J'admire son calme. Je lui dis : " Si vous n'avez plus confiance en moi, venez vous expliquer avec le commandant de Saint-Marc, commandant le régiment. " il me suit. Cervens me chuchote : On y va ? Oui ! Il crie " débarquez ! " Les légionnaires dégagent la route.
               Je plante là mon gendarme, saute dans la jeep et nous repartons.
               J'avais peur que les gendarmes tapis dans les fossés n'ouvrissent le feu.
               Ils ne tirent pas. Nous roulons … La Madrague … Guyotville … puis les méandres de la route qui longe la mer.
               On entend les vagues. Les villas se font plus nombreuses … Te souviens-tu ?
               Nous allions là manger des poissons grillés. C'est drôle …

               Soudain, nouveau barrage. Des barbelés circulaires entassés. Sladeck freine.
               Les gens qui gardent le barrage ne sont pas des gendarmes.
               Un lieutenant se présente. Je lui crie :
               - " Que voulez-vous ?
               - Je dois demander au corps d'armée.
               - C'est le discours des gendarmes.
               - Je dis au lieutenant. Écoutez, les gendarmes nous ont laissés passer. C'est que nous sommes en règle. Ces gens-là ne badinent pas. Alors faîtes-nous place nous sommes pressés …


               Le lieutenant hésite, puis fait dégager la route. Au moment où nous allions nous engager dans la brèche, une jeep démarre et fonce vers Alger.
               Nous tenons à la suivre. De nouveau le compteur monte. Mais les camions ne suivent pas. La jeep disparaît. La course continue …
               - Les Bains Romains, Miramar, la Pointe Pescade.
               Nous dépassons le casino de la Corniche. Encore :
               - un barrage énorme,
               - des barbelés,
               - des voitures …

               " Cette fois, dit Cervens, nous ne nous en tirerons pas avec une pirouette.
               Je range la jeep sur le bas-côté. Les camions avancent. Je les guide.
               Le camion de tête freine, entre au contact de la jeep. Il pousse voiture et barbelés. Les soldats crient. J'attends l'incident à chaque seconde.
               Les camions repartent, je les dépasse. Rien ne s'est produit …. Saint Eugène …. Bab-el-Oued. Voici Alger.

               Le poste de commandement du corps d'armée est installé à l'orée d'Alger quand on y parvenait par la route de l'Ouest qu'avait emprunté le 1er REP.
               C'était un bâtiment médiocre ; un parallélépipède de deux étages bâti en face du lycée Bugeaud sur l'emplacement de la brèche ouverte après 1830 par la démolition de la porte de l'oued " Bab-El-Oued ".
               Et derrière entre la bâtisse et la mer, subsistaient les restes d'un fort turc que les Algériens appelaient en 1830 Bordj-Ezzoubia … le fort des immondices, parce que l'embryon de service de voirie mis en place par le Dey d'Alger avait l'habitude de jeter là les ordures par-dessus les remparts.
               La caserne avait, après 1830, abrité les services pénitenciers confiés au colonel Marengo, ancien tambour piémontais qui s'appelait Capone et que Bonaparte avait rebaptisé sur-le-champ de bataille de Marengo, jugeant que Capone n'était pas un nom pour un héros.
               Ce colonel était déjà en cette haute époque un officier suspect.
               On l'accusait de nourrir peu de respect pour le général commandant en chef Bourmont à qui le colonel reprochait, comme beaucoup d'officiers de l'armée d'Afrique, d'avoir fait défection à la bataille de Waterloo et d'être passé dans les lignes anglaises au plus fort du combat.
               Ainsi avait-on dédaigneusement affecté Marengo à la garde des prisonniers militaires à qui il fit aménager l'adorable petit jardin situé en face de la caserne, au flanc du lycée et qui porte son nom.

               Plus tard, la bâtisse avait reçu le nom du général Pélissier et l'on avait construit sur son aile gauche un casino-music-hall le " Kursal " dont les lumières faisaient rêver les lycéens et qu'un incendie détruisit vers les années 1928, 1929.
               En cette nuit tumultueuse du 22 avril 1961, un peu avant l'aube, le commandant Denoix de Saint Marc venait buter contre l'ancien domaine du colonel Marengo dont il avait mission de s'emparer.
               Il s'approcha du capitaine Sergent qui lui aussi, contemplait la désespérante façade et lui dit : " Quoi faire ? "
               C'est l'un de ces " mots " dont les soldats ont le secret et qui découragent l'invention.

8

               L'objectif du commandant Vailly était le Fort-l'Empereur qui dressait ses hauts murs sur une croupe hérissée d'eucalyptus d'où l'on découvre la perfection géométrique de la baie, sertie dans les montagnes empanachées de nuages comme des mirages d'escadres.
               Le fort que les soldats de Bourmont croyaient bâti par Napoléon, parce que pour eux il n'était qu'un seul empereur, avait été l'ultime point de résistance de la régence d'Alger au cours des journées de juillet 1830 qui précédèrent la capitulation. C'était un des hauts lieux de l'épopée africaine.
               Mais la topographie n'était pas à la mesure de la légende. Un maigre chemin menait aux portes barrées par des ventaux de fer solides mais affreusement vulgaires.

               En cette nuit, le fort était un terrier où les autorités civiles, préfet en tête, ainsi qu'une trentaine d'officiers supérieurs, gardés par le gendarme Debrosse, tendaient l'oreille à ces rumeurs qui, passaient sur Alger comme des ondes électriques.
               Le capitaine Mosconi, tirant sa jambe plâtrée, heurta la porte de sa canne et les ventaux ayant été entrouverts, il fit avancer sa jeep pour en interdire la fermeture.
               Debrosse cria : " les gendarmes à moi ! " mais pas un gendarme ne bougea et le capitaine boiteux appuyé sur une canne fit prisonnier le mirobolant sous-état-major avec ses grands chefs et ses subalternes paralysés par la même peur.
               Dans la bousculade, le gendarme Debrosse avait reçu un vigoureux coup de pied au cul.
               Les parachutistes, un peu goguenards interrogeaient ses subordonnés pour savoir pourquoi aucun n'avait ébauché un geste, quand le colonel avait crié : " Les gendarmes à moi ! "
               - C'est, répondit l'un des interpellés, qu'aucun gendarme n'aura jamais l'idée de se faire tuer pour le colonel Debrosse.

9

               - Quoi faire ? demandait le commandant Saint Marc à Sergent.
               Le capitaine avait une idée. Se doutant qu'il aurait à franchir un corps de garde, il avait préparé une grande enveloppe au nom d'un officier appartenant à l'état-major. Il avait glissé l'enveloppe bourrée d'une rame de papier blanc dans la poche de sa combinaison de combat. Il l'en tira et s'en fut parlementer avec la garde.
               L'officier dont le nom était inscrit sur l'enveloppe était absent. Sergent insiste, parle d'opération déclenchée, demande à rencontrer un officier.
               Le sous-officier du poste cède. Il entrouvre la porte et fait accompagner le visiteur de nuit. " Tous les bureaux étaient éclairés dit Sergent. Sur le palier du second étage, je me heurte à un colonel. Je commence à lui raconter une histoire de compte rendu et lui met l'enveloppe sous le nez. Soudain, le général Vésinet sort d'une porte voisine. Il est furieux. " Il crie :
               " - Qu'est-ce que vous foutez-là."
               De nouveau j'agite mon enveloppe. Le général éclate :
               " Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Vos camions n'ont rien à faire à Alger.
               Retournez à Zéralda où je vous fais tirer dessus ! "…
               Brusquement il pense à l'enveloppe. Il me la prend.
               " Qu'est-ce que c'est cette histoire d'enveloppe ? "
               Je me souviens alors que l'enveloppe ne contient que du papier blanc.
               Je l'arrache des mains du général et je dévale les escaliers. Il crie : Attrapez-le ! "
               Un commandant s'élance derrière moi. J'ai un étage d'avance.

               Parvenu au poste je ralentis. J'affecte le plus de calme possible pour dire au sous-officier : " Ouvrez la porte je suis pressé ".
               La grille s'entrouvre au moment où le commandant hurle : " Fermez la grille ! Arrêtez-le ! … " Trop tard … je suis passé !
               Mais Sergent se retrouve avec Denoix de Saint Marc et la même question se pose : " quoi faire, " Les légionnaires plaisantent cette caserne " qui, porte un nom de coureur cycliste "

               Sur le bâtiment, les fenêtres s'allument. On arme les secrétaires. L'une des compagnies prend ses dispositions pour investir les parages.
               Sergent revient devant la grille avec les légionnaires.
               L'officier d'ordonnance du général Vésinet se présente, parlemente.
               L'homme de garde dénoue les chaînes. C'est l'occasion. Sergent crie : " en avant ! ". Les légionnaires se ruent sur la grille, l'ouvrent … entrent en ordre colonne par un et grimpent les étages.
               Le lieutenant Godot place un légionnaire devant chaque porte.
               Au dernier étage il entre dans le bureau du général Vésinet. Celui-ci ébauche un geste vers son pistolet. Godot ceinture le général et là s'échangent les quelques mots que la presse de l'époque a rapportés.
               - De mon temps, dit Vésinet, un lieutenant n'arrêtait pas un général
               - De votre temps, répond Godot, les généraux ne trahissaient pas.

               Le corps d'armée est occupé.

               Sergent redescend les étages pour en organiser la garde. Il ne commet pas la grossière erreur des autres qui s'étaient enfermés dans leur souricière, surgissent des camions. Les gendarmes ! Un capitaine de gendarmerie descend de sa jeep. Il est petit, chauve, il dit :
               - " J'ai reçu du général Vésinet l'ordre d'assurer la garde du corps d'armée.
               - C'est fait " répond Sergent."

10

               Le jour se levait dans cet éblouissement d'ocre qui, presque chaque matin, sous les ciels de laque transparente, rend Alger aux grandes parades des premières aurores du monde.
               Au fort l'Empereur, Mosconi régnait, la canne à la main sur ses captifs aux épaules reprochées de galons et de dorures.
               L'un d'eux interrogea : Combien de temps cela va-t-il durer ?
               C'était le dernier souci du capitaine.
               - Pourquoi demanda-t-il ?
               - parce-que nous n'avons pas pris notre petit déjeuner.


               Dans le Constantinois, le 2eme régiment parachutiste d'infanterie de marine, apprenant ce qui s'était passé à Alger pendant la nuit, avait interrompu les opérations en cours.
               L'histoire de cette cellule militaire reflète très exactement celle de cent autres cellules dispersées sur le territoire de l'Algérie, des Aurès aux monts Amour, et de la mer au désert.
               Elle renvoie depuis l'échelon des troupes un écho fidèle des confusions algéroises. Le colonel commandant le régiment était en permission, comme tant d'autre et le commandant adjoint à qui incombait la responsabilité du commandement, hésitant comme tant d'autres, avait cédé à la pression des capitaines et rallié Challe.

               Une partie du régiment avait fait mouvement sur Constantine, l'autre s'était dirigé sur les admirables corniches du Nord Constantinois dont la sauvage beauté n'a peut-être pas de réplique autour de la Méditerranée.
               Installé à Ziama-Mansouriah, cet élément contrôlait la route de Djidjelli à Bougie et Alger.
               Un régiment de cavalerie occupait Ziama-Mansouriah, il célébrait la Saint Georges, remettant à plus tard le soin de choisir entre Paris et Alger, De Gaulle et Challe. On fêta les parachutistes autour des bouteilles de bière.
               Les officiers et les cavaliers étaient unanimes. " Nous sommes avec vous. "

               Puis l'attente commença, face à la route, entre les montagnes désertes et la mer vide. Les postes-radio diffusaient des marches militaires.
               Quelque part à Alger on prenait parti pour Sambre et Meuse et on se taisait sur l'essentiel.
               Naquit un malaise comme une fièvre légère, et le second jour commencèrent à courir des murmures.
               A l'intérieur de l'unité de parachutistes, un " soviet " de soldats qui était hostile à Alger. Ce n'était encore qu'un noyau, mais le silence d'Alger le grossissait d'heure en heure du ralliement des indécis.
               A Ziama-Mansouriah, le régiment de cavalerie grondait et les quelques parachutistes qui tentaient d'aller vider les bouteilles de bière étaient l'objet de quolibets.
               A Alger, le même officier du bureau de presse en place sous le commandement de Nimbus-Gambiez recevait les journalistes sous celui de Challe.
               Il leur distribuait des portraits du général.

               L'un des reporters, alerté par le format inhabituel de l'image, remarqua que c'était une ancienne photographie sur laquelle Challe figurait aux côtes de De Gaulle.
               On avait simplement coupé le document au massicot et les morceaux ainsi séparés, portant l'effigie du président de la République, gisaient en vrac dans une corbeille à papiers.
               Au quartier Rignot, siège du commandement inter armes, Challe téléphonait : " Je l'ai entendu, dit un témoin, appeler successivement des généraux dispersés sur le territoire de l'Algérie pour leur fournir des explications pendant de longues heures qui étaient perdues pour le commandement … " On avait dispersé les colonels :
               - Gardes dans le Constantinois,
               - Argoud à Oran,
               - Godard à la police,
               - Lacheroy à l'information.

               C'était un peu le " schéma du 13 mai ". On est toujours tenté de recommencer le passé. Cette dispersion des colonels qui, à force de volonté, avaient organisé ce qui maintenant s'accomplissait " sous le képi de Challe " est sans doute la faute grave qui a pesé sur les destins des " journées d'Alger. "

               Lors d'une réunion préparatoire tenue à Paris, la question du commandement avait été posée. " Challe est le drapeau, qui commandera ? "
               Sergent avait répondu : " les colonels, naturellement ! "
               Alors Argoud avait bondi : " Pas question, Challe sera le patron.
               Nous avons obtenu son accord à cette condition. Si elle n'est pas remplie Broizat et moi, nous n'en sommes pas ! "
               On avait voulu faire un coup de force respectant scrupuleusement l'échelle des hiérarchies.
               Il est certain que quelque part, à un moment donné, quelqu'un avait dû dire : " Dans l'ordre ! " L'ordre est l'obsession des corps sclérosé, et cependant, une entreprise qui commençait par l'arrestation d'un général par un lieutenant était nécessairement un défi à l'ordre.
               Maintenant, Challe, assis dans son ancien fauteuil, téléphonait. Mais, comme le notera un témoin lucide, les mêmes réseaux téléphoniques, qui tissaient le pouvoir de Challe, le défaisaient. Et jusqu'au bout, les " rebelles " et les " loyalistes " se servirent des même lignes.
               Le général Gouraud qui commandait à Constantine avait depuis longtemps promit son accord. Il hésitait. On lui dépêcha le général Zeller et Gouraud se rallia.

               L'événement a un sens. Quand on réfléchit à ce qui s'est passé à Alger dans la nuit du 21 au 22 avril on s'aperçoit que l'audace de quatre ou cinq officiers a suffi à venir à bout de l'énorme appareil de " l'ordre ".
               Sergent donne l'ordre aux camions de pousser les jeeps des gendarmes et pénètre seul au cœur du corps d'armée, une enveloppe bourrée de papiers blancs à la main. Mosconi, la jambe plâtrée, s'en va frapper du bout de sa canne, à la porte du Fort l'Empereur.
               Et là comme à la caserne Pélissier, les grands chefs s'enferment derrière les grilles. On en trouve aucun en tête des escadrons, faces aux convois parachutistes, là où leur présence eût sans doute modifié l'évènement.
               Il faut qu'il y ait une raison à cette dérobade, à cette véritable démission du haut commandement qui ne sait même pas organiser la défense du corps d'armée en avant des grilles du corps de garde.
               On entend cette raison, quand un sous-lieutenant pousse le général Vésinet dans la 403 pour le convoyer jusqu'à l'avion qui momentanément l'éloignera momentanément d'Alger. " Croyez-vous demande le général que je serai autorisé à garder mon appartement de fonction ? "
               Partout où les chefs et les troupes ont été à l'abri de la canne symbolique du capitaine Mosconi, versé pour que le sort décide, et finalement rallié le vainqueur.

               A Alger les secrétaires du corps d'armée se taisent.
               A Sétif, citadelle des fonctionnaires, ils vont jusqu'à huer, depuis le premier étage, des légionnaires venus faire le point d'essence d'un véhicule. Sur les murs ils avaient écrit : La quille ! …. Mort aux vaches…. ! Vive De Gaulle !
               Nous fûmes d'abord :
               - attentistes, puis rebelles, puis loyalistes … mais chaque fois avec un temps de retard dit JP Angellili, bon observateur de son régiment perdu dans les " djebels " constantinois.

               C'est si vrai que le 117e régiment d'infanterie, commandé par le colonel Froment, refusant de se rallier à Challe, le colonel Godard s'en plaignit au commandant Vailly. " Une seule solution, dit Vailly, il n'y a qu'à faire prisonnier le 117e d'infanterie. "
               Il se rendit aux cantonnements du régiment. Il délégua un sous-lieutenant en parlementaire. Celui-ci se fit ouvrir les grilles, laissa sa jeep en travers de la porte pour en interdire la fermeture et fit purement et simplement prisonnier le poste de garde.
               Et le régiment qui menaçait si fort de se battre se rendit au commandant. " Je vous souhaite de réussir dit le colonel Froment à Vailly.
               J'entends le commandant quelque part à Lisbonne.

               Au procès qui s'ouvrit plus tard on a dit que cette action risquait d'entraîner la mort de plus de cent soldats.
               Vailly éclate de rire. " -Mais ils ne sont pas morts ! ".
               Un autre témoin m'a dit : " - nous avons donné un coup de poing dans un oreiller " … et ceci explique beaucoup de choses.

               L'appartement de fonction du général Vésinet était aussi un symbole.
               Aux préoccupations qui émergent pendant les heures graves, on mesure l'état de décomposition d'un ordre.
               Le général Vésinet devait retrouver son appartement de fonction et être élevé moins d'un an après, à l'apparente dignité de général d'armée. Apparente parce qu'il n'y avait plus d'armée. Elle s'était défaite en quatre jours, effondrée en poussière comme ces bâtisses aux façades orgueilleuses, mais parfois rongées dans leurs œuvres vives et qui s'écroulent au premier souffle d'orage.

11

               A Zamia-Mansouriah commençaient les désordres. Les officiers palabraient autour du commandant adjoint. Des orateurs improvisés sautèrent sur le capot des jeeps pour prêcher la défection et le ralliement à la légalité.
               Soudain, les véhicules de la première compagnie lancèrent leurs moteurs et s'ébranlèrent en direction de Bougie. Le capitaine n'eut que le temps de hurler :
               " Attendez-moi ! " On le hissa sur le dernier camion où il resta assis sur le plancher, les jambes dans le vide.
               Le commandant errait d'un groupe à l'autre, affolé.
               Des adjudants :
               - vidaient à coups de pied, un camion chargé de boules de pain,
               - chargeaient leurs cantines et
               - fuyaient.


               " Que puis-je faire ? " demanda le commandant à son chauffeur.
               - Jetez-vous au travers de la route répondit le chauffeur.
               D'autres camions s'éloignaient profitant de la confusion et quelques parachutistes qui essayèrent de se faire servir une bière à Ziama-Mansouriah faillirent y être lynches par les cavaliers qui les fêtaient deux jours auparavant.

12

               Le 25 au matin, le général Zeller fit appeler Sergent. Il était seul derrière son bureau, le visage un peu rosé. Sergent, dit-il, le général Challe a décidé de se rendre. Je me souviens encore, raconte Sergent, de la douleur physique que m'infligea l'information.
               Je voulais vous demander, poursuivit Zeller, si vous-même et les jeunes officiers accepteriez de poursuivre l'effort … Sergent s'emporte.
               Il dit que les capitaines ne se sont pas lancés dans l'aventure pour jeter le manche après la cognée, au bout de quatre jours. Mais le destin est déjà en marche. Challe a convoqué les officiers supérieurs pour leur faire part de sa décision.
               Sergent refuse d'y croire. Il contourne le bureau et frappe à la porte du chef d'état-major. Le colonel de Boissieu a été rappelé par Challe du Constantinois. Il demande. " Qui a-t-il ? Je viens d'apprendre la décision du général Challe, dit Sergent, c'est atroce … Oui, dit le colonel, c'est atroce mais nous n'y pouvons rien. Nous pouvons peut-être tirer sur le général Challe ?
               Boissieu a les yeux embués de larmes. Il murmure : Oui … peut-être ….
               Zeller entre. Et sa petite voix, posée, calme, qui porte un étrange pouvoir de persuasion, il dit : " Voyons, Sergent, vous ne pouvez pas tirer sur le général Challe. "

13

               Le soir tombait sur Alger engloutissant lentement la ville avec son grand arroi de terrasses et de jardins, les chevelures raidies des palmiers découpées sur le ciel rouge.
               Le dessin idéal de la baie, la mer déjà rendue à l'opacité de l'étain et les montagnes qui n'irradiaient plus les lueurs de gemmes allumées par le couchant.
               On pensait aux derniers mots de Rommel : " la nuit se fait autour de nous. "
               La foule s'était assemblée sur le forum. Ce n'étaient plus les grandes houles sonores des fêtes de mai 1958. C'était une station silencieuse, une veillée.
               Le chœur si souvent :
               - d'acclamations,
               - de clameurs et
               - de chansons s'était tu, écrasé par l'intensité tragique des heures.


               On avait réclamé les généraux au balcon. Mais les appareils amplificateurs ne fonctionnaient pas.
               Les acteurs qui avaient manqué leur rôle et allaient s'enfoncer dans leurs caves et leurs geôles promenaient leurs regards sur la foule qui les regardait devinant les lendemains terribles qui l'attendaient.
               Et cette contemplation mutuelle dans le silence, interdisant toute explication était comme un symbole de confusions qui avaient empoisonné les jours écoulés.

               Les gendarmes avaient pris position sur les avenues qui dominent le Forum. Ils échangeaient des injures avec les civils et les élèves des classes préparatoires à Saint Cyr du lycée Bugeaud s'étaient embossés les armes à la main dans les jardins proches du Gouvernement général de l'Algérie.
               Derrière les baies vitrées du grand bureau central passaient les ombres des généraux :
               - Hautes silhouettes de Salan et de Jouhaud,
               - stature lourde de Challe et
               - frêle profil de Zeller.
               - Godard,
               - Gardes,
               - Saint Marc étaient là aussi.


               On disait que les escadrons de gardes progressaient dans les jardins supérieurs.
               Sergent dit à Challe : " Mon général, vous avez décidé de vous rendre et c'est votre affaire. Vous jugez que vous devez rendre des comptes au chef de l'État, cela ne nous regarde pas.
               Pour nous, le combat continue. Il n'est pas normal que les officiers qui représentent une force aillent en prison et ainsi soient perdus pour la bataille qu'il reste à livrer … Vous avez peut-être raison répond Challe. Faîtes ce que votre conscience vous demande de faire. "
               La foule s'était faite moins dense sur le Forum. Couraient les bruits les plus extraordinaires … On parlait d'assaut, de défense désespérée.
               L'immeuble du Gouvernement général était pratiquement cerné, mais le 1er régiment étranger de parachutistes continuait à faire peur.
               Par sa seule présence il contenait les gardes derrière leurs taillis. " Il y eut, dit un témoin, une heure 'angoisse extraordinaire. On avait la sensation de deviner, de sentir physiquement l'approche des gardes dans la ville engloutie. "
               Le général Zeller, le premier descendit les escaliers, vêtu d'un ciré noir et se perdit dans l'ombre.
               Des légionnaires dormaient dans les couloirs du Gouvernement général.
               Sergent s'était fait apporter des vêtements civils. Il se déshabilla dans un réduit.
               Penché sur l'ombre d'un légionnaire endormi, il glissa son pistolet et sa tenue sous le sac du soldat et à son tour après Degueldre et Godard, il disparut dans le gouffre d'ombre de la ville.
               Les sous-officiers réveillaient leurs hommes et les rassemblaient. En bas, les camions de la compagnie portée du 1er R.E.P attendaient moteur en marche ; ronronnement continu qui prêtait une densité au silence.
               Parurent Jouhaud et Challe, vêtus d'un blouson de pilote, puis Salan. " Merde dit Challe, j'ai oublié ma valise. " Il enjamba les marches et revint porteur d'une petite mallette.

               Au pied des camions Salan s'entretenait avec son épouse. Un homme s'approcha, comme pour écouter. Salan le poussa de la main appuyée à plat sur la poitrine de l'indiscret.
               C'était fini ! Les camions s'ébranlèrent avec leur chargement de généraux et de légionnaire. Les hommes chantaient une rengaine d'Edith Piaf : Je ne regrette rien. Aux alentours du Forum commençaient les échauffourées entre les gendarmes et les civils qui rentraient chez eux.
               Un camion passa portant des soldats du contingent métropolitains. Ils chantaient les Pieds Noirs sont dans la merde… sur l'air des Gaulois dans la plaine.

14

               Le lendemain matin à Ziama-Mansouriah, on tint meeting au milieu de la route.
               La reddition des généraux était connue.
               Un capitaine qui exhortait les hommes à ne pas provoquer d'autres désordres fut grossièrement interpellé par des furieux. Les plus excités exigeaient que leur fût offert un mois de repos à Alger. On décida de regagner la base des Aftis.
               Quelques conducteurs de véhicules refusèrent et foncèrent sur la route de Bougie-Alger. Des sous-officiers les rattrapèrent et les contraignirent à faire demi-tour sous la menace des mitrailleuses.
               Au carrefour d'Aftis, d'autres mutins " oublièrent " de tourner et filèrent sur Djidjelli. Dans ce convoi de fuyards les camions transportant les rations.
               On courut après les véhicules que l'on retrouva à la gendarmerie de Cavallo.
               Les gendarmes, mitraillette à la main, refusaient de livrer les coupables.
               Il fallut les menacer d'ouvrir le feu et de donner l'assaut pour qu'ils consentissent à rendre les mutins. Au bout de ce désordre, on avait vu des gendarmes protéger des soldats déserteurs !

15

               A Zéralda, le 1er régiment étranger quittait sa base entre deux haies d'hommes aux poings noués et de femmes au visage serré dans des fichus noirs. Le crissement des pneus froissait seul le silence.
               L'air sentait le varech, le parfum de pinèdes et les fumées qui s'étiraient sur les brasiers où avaient été englouties les soutes à munitions.
               Des mains jetaient des fleurs sous les roues des camions.
               Alors les légionnaires entonnèrent un chant aux lentes cadences et la colonne s'en fut dans le soir ; convoi de mariniers halé par une complainte grave.

               A Sétif la ville avait été mise en état de siège, parce que devait y passer un régiment étranger en marche vers la dissolution.
               - CRS, gendarmes et gardes, l'arme au poing,
               - bordaient la rue que le convoi devait emprunter.

               Sur les camions les hommes étaient assis dos à dos, face aux trottoirs et chaque véhicule était précédé d'une jeep.
               Là aussi le silence pesait lourd et dense comme une pâte.
               Quand la première jeep atteignit les rues bordées de gardes, un légionnaire se leva derrière le conducteur. C'était un géant aux cheveux poivre et sel.
               Il se dressa dans la jeep, ébaucha un vieux geste d'injure homérique, bras gauche tendu frappé par la main droite à la saignée du coude et hurla :
               - Tiens !
               Il faisait tramer les syllabes dans son accent d'Europe centrale.
               - Tieeemmm !
               D'un seul mouvement les légionnaires qui occupaient le camion se dressèrent à leur tour et, serrant le poing dans le même geste au bout du bras tendu. Ils crièrent : - Fume !
               La scène se répéta dans le camion suivant :
               - Tieeemmm !
               - Fume !

               C'était d'une précision mécanique hallucinante et la puissance de défi et d'injure qu'exprimaient les gestes était à peine soutenable.

               Les hommes de gardes restaient immobiles, mais leur visage blafard disait leur fureur, et pour quelques-uns, la honte.
               Les camions défilaient les uns derrière les autres et à intervalles réguliers montait le cri et éclatait la réponse du chœur.
               - Tiens ! Fume !
               Les Arabes s'étaient reculés, conscients de la force tragique du spectacle.
               Et le convoi acheva de défiler, laissant derrière lui un sillage de silence, comme s'il avait ouvert une tranchée imaginaire dans laquelle tramait encore l'écho des clameurs. - Tiens ! Fume !

17

               Sur les quais d'Alger, les soldats du contingent libéré chantaient l'Internationale et, du haut des rambardes du paquebot qui allait les rendre à leurs familles, ils jetaient à la mer les friandises que leur avaient apportées des Algéroises.
               Et ils injuriaient ces jeunes femmes venues à eux les bras chargés d'offrandes.

18

               Au fort de l'Est, dans la banlieue de Paris, un juge d'instruction disait à un colonel : " Vous verrez ! Seules les premières années sont difficiles … "
Interdit aux chiens et aux Français.
Le drame de l'Algérie française.
De Jean Brune. Réédition intégrale 1967.



Ils meurent !
Envoyé Par Annie

La meilleure des générations est en train de mourir.
          Celles et ceux qui sans faire de longues études, ont tout donné pour leurs enfants.

          Celles et ceux qui sans de grandes ressources les ont aidés et ont traversé des crises financières

          Ils sont en train de mourir.

          Ils ont connu des temps de guerre, des restrictions, se contenter de peu,
          Ils ont eu des peines et des souffrances mais ne le disaient pas.

          Parfois, ils ont travaillé comme des bêtes,

          On disait d'eux qu'ils étaient plus vulnérables que quiconque.

          Comme ce fut pour leur vie, en silence ils meurent.

          Ils n'ont jamais osé penser à soulever le pays et pourtant !
          Ils recherchaient des bonheurs simples comme partager un peu de la vie de leurs petits-enfants.

          Ils s'en vont sans déranger, ils seront toujours celles et ceux qui dérangent le moins, ils partent sans adieu.

          Alors pour celles et ceux qui se plaignent tout le temps d’être confiné(e)s à la maison, parce que leurs salons de coiffure, d’onglerie ou bien même leurs salles de sports restent fermées... qu'ils ne peuvent pas faire la fête, partir en vacances et réclament toujours plus d'argent à l'Etat.....

          Par RESPECT pour cette génération qui nous quitte sans bruit.. mais avec dignité, silence.
Inconnu



Les chiffres du rapatriement d'Algérie.
Envoi de M. Christian Graille

Année 1962

          Janvier          1.329
          Février          9.727
          Mars           27.500
          Avril           29.750
          Mai           82.360
          Juin           328.434
          Juillet           60.890
          Août          40 .258
          Septembre          15 .787
          Octobre           10.187
          Novembre          9.735
          Décembre          32.308
                              -------------------
          Total :          648.265

Dans ces statistiques, les Français " Musulmans " ne sont pas comptabilisés. De la même façon les statistiques préfectorales ne prennent pas en comptes les rapatriés arrivés avant le premier janvier 1962. Il faudrait ajouter aux 6000.0000,
          - 46.000 Français " Musulmans ",
          - 150.000 personnes arrivées entre de 1958 et 1961 et
          - une vingtaine de milliers ayant refusé, pour diverses raisons, le statut de rapatriés.

Année 1963

          - 80.000 Français d'Algérie rentrent en France.

Année 1964

          - Un peu plus de 30.000 Français d'Algérie rentrent en France.

1962 : L'arrivée des Pieds Noirs.

          Jean-Jacques Jordi. Édition Autrement

Exilés

          Espagne :           80.000
          Québec :          12.000
          Argentine :          6.000
          Israël :          30.000

Participations aux conflits.

          - 16,4 % de la population européenne a été mobilisée pour fournir 155.000 hommes. (Jamais une telle mobilisation n'a été effectuée).
          - 1,8 % de la population musulmane a été volontaire et a fourni 165.000 hommes.
          - Les Européens ont eu 20.000 tués et 36.000 blessés soit 6,7 % de la population.
          - Les Musulmans ont eu 20.000 tués et 36.000 blessés soit 0,6 % de la population.

Mobilisation par classe d'âge.

          Européens : 45 %          Musulmans : 9 %
          Morts Européens : 8%          Morts Musulmans : 5 %
Christian Graille


Les débuts de la presse algérienne
Envoi de M. Christian Graille
Jean Toussaint Merle et " l'Estafette de Sidi-Ferruch.
               Les à-côtés de l'expédition d'Alger, ce qui en constitue l'histoire anecdotique, sont loin d'être tous complètement connus.
                A côté des soldats dont le rôle retient en premier lieu, et légitimement l'attention, il y eut, dans l'entourage du général en chef, des personnages sans mission bien définies mais qui jouèrent leur rôle épisodique dans cette pittoresque campagne.
                La guerre contre Alger enflamma les imaginations.
                La France suivant le mot de Chateaubriand, se réveilla au son de la trompette.

                On vit des volontaires de toutes sortes :
                - demi-soldes,
                - vieux soldats de l'Empire aussi bien que
                - jeunesse dorée du café de Chartres ou du boulevard de Gand.

                Des civils se présentèrent aussi.
                Les uns comme Jal, le futur historiographe de la Marine pour suivre la campagne en amateur (Jal assista seulement au débarquement et à l'installation de l'armée à Sidi-Ferruch).

                D'autres à la recherche d'un emploi.
                - M. Belfort de Burgos, homme de lettres, offrait, pour faire partie de l'expédition, de verser immédiatement à la caisse militaire neuf cents francs qui lui seraient remis à raison de 150 francs par mois.
                - Rousseau fils, maître imprimeur lithographe demandait qu'on l'attachât en cette qualité à l'armée.
                - M. Baillot de Saint Martin se proposait comme historien chargé de rédiger les bulletins de l'armée et
                - M. Bourquin, " homme libre et non militaire " aspirait à un emploi de secrétaire. Candidats jugés fantaisistes et impitoyablement éconduits.

                D'autres furent plus heureux.

                Un ancien commissaire des guerres, M. Frossard fut chargé de la presse lithographique de l'armée sur laquelle devaient être tirés les ordres émanant du Quartier Général et les proclamations aux Indigènes.
                Le titre de secrétaire du général en chef fut attribué à deux personnes :
                - Auguste Chauvin-Beillard, avocat, auteur de brochures à tendance gouvernementales, devait sous la monarchie de juillet acquérir de la réputation comme spécialiste des procès politiques. L'auteur est mieux connu.

I

                Jean Toussaint Merle avait quarante-cinq ans. Après un passage dans les bureaux du ministère de l'Intérieur, puis, en 1805, sous les drapeaux, il s'était consacré depuis 1808 à la seule littérature.
                (Quand Merle dut accomplir son service, M de Bourmont, Maréchal qui devait s'emparer d'Alger, l'attacha à son secrétariat. Sans doute avait-il été séduit par son intelligence et par l'allure du jeune homme.
                De quoi il résulterait que Merle, à l'âge de 45 ans, était un jeune homme qui allait faire son service militaire ; d'autre part, Bourmont aurait été maréchal de France avant même l'expédition d'Alger !)

                Polygraphe (auteur écrivant sur des domaines variés) il avait publié :
                - un abrégé des mémoires de Bachaumont,
                - une nouvelle édition de la grammaire espagnole de Port Royal,
                - la monographie du château de Chambord et
                - des écrits politiques.

                Il avait été l'un des fondateurs de la Mode et avait collaboré sous la première Restauration au nain jaune, avec Harel.
                On disait que l'ermite de la Chaussée-d'Antin lui devait plus qu'à l'auteur avoué, M. de Jouy. Mais il était surtout homme de théâtre.
                Auteur dramatique il avait collaboré à cent-vingt pièces, tant mélodrames que vaudevilles et comédies.

                Directeur de théâtre, il présida aux destinées :
                - du théâtre de Strasbourg,
                - de la Gaîté,
                - de l'Opéra-Comique, enfin
                - de la Porte Saint-Martin.

                Ce fut un patron :
                - débonnaire,
                - insolent mais
                - plein d'ingéniosité.


                Le premier sujet lui annonce une fois qu'il lui est impossible d'apprendre pour le dimanche, jour de recette, le grand rôle d'un drame qu'on lui demande :
                - " Jusqu'où le savez-vous demande M. Merle ?
                - Jusqu'au troisième acte, tout au plus,
                - très bien. "

                Là-dessus M. Merle fait venir un autre acteur et le charge d'apprendre la fin du rôle. Le dimanche, on affiche la pièce. Le premier sujet joue ses trois actes couramment ; après quoi on annonce qu'il est subitement indisposé et que son camarade qui consent à le remplacer réclame l'indulgence.
                Le camarade joue sans broncher les deux derniers actes et le public est ravi d'un théâtre où tous les accidents sont prévus et les rôles appris en double.
                Merle n'en a pas moins sa place dans l'histoire du théâtre en France au début du 19e siècle.

                C'était sous la Restauration chose ingrate que la direction d'un théâtre classé, lorsque l'on était dénué ni de culture ni de goût.
                Dans ces années qui précédèrent l'avènement et le succès du drame romantique, les fournisseurs du théâtre dit littéraire étaient ces pseudo-classiques qui, avec une grande persévérance mais un talent moindre, s'efforçaient à fabriquer les uns du Corneille et du Racine, les autres du Molière.
                De ce répertoire inexistant le public était saturé et lui préférait les mélodrames de :
                - Pelletiere- Volméranges (auteur dramatique 1756-1824),
                - de " le Roi de Rougemont ", (écrivain et homme politique),
                - d'Achille de Jouffroy (publiciste, auteur dramatique 1795-1859),
                - de Victor Ducange (romancier, auteur dramatique 1783-1833), ou de
                - Pixérécourt (dramaturge, directeur de théâtre, 1733-1844).


                Merle qui dirigeait la Porte Saint Martin depuis 1818 comprit qu'il fallait trouver autre chose et demander à l'étranger cette nouveauté que les :
                - de Jouy (dramaturge 1764-1846),
                - Vizennet (homme politique, poète, auteur dramatique, membre de l'Académie française, (1777-1868),
                - les Ancelot (écrivain, mémorialiste 1784-1854),
                - les Arnault (dramaturge 1797-1863) étaient incapables de concevoir.


                D'un voyage à Londres en 1819, il revint féru du théâtre anglais qui " pouvait offrir comme études de grandes ressources ".
                Il commença d'ailleurs par ce que ces spectacles avaient de moins relevé et introduisit sur la scène de la Porte Saint Martin ce que l'on appelle dans les programmes actuels de music-halls, des numéros : boxeurs, combats de coqs.
                Puis en 1822, un impresario nommé Penley était venu avec une troupe anglaise donner des représentations à Boulogne et à Calais. Merle s'empressa de traiter avec lui pour six représentations. La première eut lieu le 31 juillet.
                L'annonce que " par les très humbles serviteurs de Sa Majesté britannique sera joué Othello, tragédie en 5 actes du très célèbre Shakespeare " coalisa les antipathies des tenants du classicisme et les fureurs des chauvins.

                Les manifestations furent aussi variées que violentes :
                - Cris d'animaux,
                - interruptions,
                - jets de projectiles divers :
                - Œufs, légumes, fruits, gros sous.

                Devant ce déchaînement les acteurs amputèrent Othello du quatrième acte, le rideau se baissa au milieu des cris de " A bas Shakespeare ! C'est un suppôt de Wellington ! "

                Quant à la deuxième représentation qui fut aussi la dernière donnée devant une salle comble malgré l'augmentation du prix des places, car l'affaire fut excellente au point de vue financier, elle n'alla pas plus loin que la première scène de l'École de la Médisance de Sheridan.
                Merle dut venir faire des excuses au public et annoncer qu'on allait remplacer le spectacle anglais par deux pièces françaises.
                Cette capitulation fut blâmée par le préfet de police et lorsque le rideau se releva, il découvrit une compagnie de gendarmes rangés en bataille sur la scène.
                Le parterre monta à l'assaut. Il y eut :
                - force coups échangés,
                - des arrestations et au dehors
                - des charges de cavalerie.

                Inutile de dire que le mobilier du théâtre souffrit beaucoup.
                Tel fut pour Merle le bilan de sa tentative pour acclimater en France le drame anglais. Il n'en fut pas découragé.

                En 1826, il engagea le mime anglais Cook qui attira tout Paris et ce succès le décida à tenter l'année suivante une nouvelle saison de tragédie et de comédie.
                Mais quittant sur ces entrefaites la Porte Saint Martin, il ne peut lui-même donner suite à ce projet, qu'un autre réalisa.
                Il s'intéressa alors à l'Académie royale de musique et signala les vices de l'administration de ce théâtre ainsi que les améliorations à lui apporter.
                Enfin dans une brochure parue en 1829 sous le titre du marasme dramatique, pleine de renseignements sur l'activité des théâtres à la fin de la Restauration, il présenta un projet ingénieux et chimérique suivant lequel chaque scène devait se spécialiser dans l'exploitation d'un genre déterminé.

                Toussaint Merle était :
                - d'une taille élevée,
                - d'une prestance étonnante,
                - la tête superbe et portée haut,
                - les traits d'une régularité accomplie, fins et fiers à la fois, avec
                - une lèvre supérieure qui avançait un peu comme pour donner à la bouche je ne sais quoi de spirituel et de dédaigneux.

                Tel il apparaît dans le portrait d'Alophe (peintre et lithographe).

                Détestant le débraillé il fit toujours montre d'une élégance vestimentaire et, dans ses propos, d'une correction qui n'excluait pas l'esprit.
                - Très désintéressé,
                - fort érudit,
                - plein de goût,
                - d'un jugement sain et au fond
                - assez dédaigneux de ses contemporains, il ne s'enthousiasmait ni ne s'irritait jamais très vivement et le mot était toujours parfaitement dit, sans ambages ni phrases inutiles.


                Resté en plein romantisme très homme du XVIIIe siècle, sa fidélité à ses convictions politiques et littéraires sans préjugés, ne se démentit jamais.
                De même il demeura fidèle, sa vie durant, à la petite soupe à l'ail, mijotée à la mode du pays :
                - trois gousses d'ail dans un petit pot,
                - trois cuillerées de bonne huile d'olive
                - avec une rôtie par-dessus avec laquelle, quelque diner qu'on lui eût offert, il ne manquait jamais de se tonifier, tous les soirs, minuit sonnant.

                Avec cela un fond de Bohème : aucun sens de l'ordre ni de la prévoyance.

                Aimant la vie large, amateur de bonne chère, il tenait table ouverte et mangeait savamment. Il ne négligeait pas non plus le beau sexe.
                Aussi quoiqu'il eût gagné beaucoup d'argent, ne lui en restait guère.
                Il s'écriait devant Michaud, le directeur de la quotidienne : " Quand je pense que j'ai eu jusqu'à quatre pièces par jour sur l'affiche des Variétés !
                - Et vous n'avez pas quatre- vingt mille livres de rente ?
                - J'ai fait mieux que cela : je les ai mangées. "


                Au reste son caractère le portait à goûter l'heure présente sans se mettre en peine du lendemain.
                Aux créanciers qui ne lui manquèrent pas il n'accorda jamais qu'une attention distante et si l'argent lui fit généralement défaut pour les satisfaire, du moins en trouva-il toujours pour les nombreux voyages que sous les prétextes les plus futiles, il fit en Angleterre.

II

                Comment cet homme qui avait peu de sympathie pour l'art de la guerre, ne disait-il pas que " le moindre pédicure rendait plus de service à l'humanité que le plus grand général ", se laissa-t-il entraîner en Afrique à la suite d'une expédition. Il ne nous cache pas qu'il fut emballé par le caractère de grandeur de cette nouvelle croisade. " Comme tant d'autres, dit-il, je fus sous le charme et j'éprouvai le plus vif désir de faire la campagne. "
                Recommandé à Bourmont par le prince de Polignac qui trouvait sans doute opportun de faire suivre les évènements par un témoin favorable au régime, d'ailleurs écrivain de talent, Merle se vit agréer comme secrétaire particulier du commandant en chef.
                Cette qualité ne correspondait en fait à aucune situation déterminée.

                Pendant la campagne, Bourmont n'eut qu'un secrétaire particulier, son propre fils Louis qui lui servit d'aide de camp.
                De plus, embarqué, non sur le vaisseau amiral mais sur la Didon, Merle ne fut en rapport direct avec le général en chef que depuis le 14 juin, jour du débarquement, jusqu'au 23, date à laquelle le quartier général se transporta à Staouéli. Il ne vit ensuite Bourmont qu'après l'occupation d'Alger.
                Le titre dont il était revêtu avait surtout pour but de lui donner toute facilité pour voir et se renseigner.
                D'ailleurs aucun autre avantage que les rations de vivres.
                " Je suis revenu à Paris plus pauvre que j'en étais parti ; je pourrai presque dire que j'ai fait la guerre à mes dépends. "

                Que l'idée de Créer un journal en Afrique soit venu à ce professionnel auquel il ne manquait pas l'esprit d'initiative, la chose apparaît toute naturelle.
                A peine arrivé à Toulon, il constata que dans une expédition où tout avait été prévu une seule chose semblait avoir été dédaignée, c'était une imprimerie pour le service de l'armée.
                Il en parla à Bourmont qui parut regretter beaucoup ne n'y avoir pas pensé à Paris et qui comprit aussitôt les avantages qu'il pourrait en retirer.
                Il y vit un moyen de lutter contre la campagne de dénigrement que les organes de l'opposition menaient pour atteindre le cabinet Polignac contre l'expédition et il s'en ouvrit au président du Conseil :
                Les journaux libéraux qui s'impriment à Marseille, à Toulon et dans quelques autres villes du midi de la France, ont établi autour d'eux un foyer de malveillance qui a acquis une grande activité depuis le séjour de l'armée dans ce pays.
                Ces ateliers de fausses nouvelles travaillent sans cesse à égarer l'opinion et à propager les bruits les plus ridicules et les contes les plus absurdes.
                J'ai appris qu'à Marseille, à 15 lieues seulement de mon quartier général on a été dans les inquiétudes les plus vives sur les dispositions de l'armée au moment de l'embarquement et que des agents de trouble étaient parvenus à faire croire que cet embarquement, qui s'était opéré en présence d'une population de 40.000 âmes avec un enthousiasme sans égal, avec une joie vive et franche et aux cris sans cesse répétés par tous les soldats de vive le Roi… avait été raconté à Marseille avec les circonstances les plus fâcheuses.

                J'ai senti la nécessité au moment de quitter la France de prévenir ou de combattre l'emploi de pareils moyens, dont on abuserait à coup sûr lorsque les armées du Roi seront sur les côtes de l'Afrique.
                J'ai pensé qu'un journal publié à mon quartier général et qui rendrait un compte exact de la campagne, sans cependant avoir un caractère officiel, détruirait infailliblement avant peu l'influence malveillante des feuilles de ce pays : c'est du moins l'opinion de toutes les personnes que j'ai consultées sur cet objet.
                Ce moyen de donner des nouvelles de l'armée sans engager en aucune manière ma responsabilité m'a apparu la plus simple et la plus convenable.
                Je vous envoie, Prince, le prospectus de ce journal.
                Vous verrez à quelles conditions il devra paraître et quel est son but et son importance politique.
                J'ai fait prendre auprès de monsieur le procureur du Roi de Toulon les renseignements nécessaires pour savoir si ce journal devait être soumis aux règles de la législation française sur la presse.
                Ce magistrat pense que cette feuille étant imprimée en Afrique n'est passible ni du timbre ni du cautionnement imposé aux feuilles françaises ; plusieurs précédents viennent à l'appui de cette opinion et notamment celui du journal qui a été publié à Patras, pendant l'expédition de Morée (nom donné à la région du Péloponnèse).

                Cependant Merle s'occupait de se procurer à Marseille le matériel et d'embaucher le personnel nécessaire. En moins de quatre jours :
                - la presse,
                - ses accessoires,
                - deux compositeurs et
                - deux imprimeurs étaient embarqués à bord d'un transport qui vint rallier la flotte en grande rade la veille de notre départ.
                - En même temps il s'entendait avec l'un des éditeurs de la revue maritime en vue du lancement du nouveau journal.
                - Un prospectus imprimé à Brignoles, typographie de Peyremond-Dufort, annonça en ces termes la prochaine apparition de l'Estafette d'Alger, journal :
                - historique, politique et militaire.


                Notre journal, y était-il écrit, ne se fera :
                - ni à Toulon, ni à Marseille,
                - ni à Paris.

                Il sera :
                - fait, écrit, imprimé en Afrique.
                Il sera composé suivant les circonstances :
                - sur la plage ou
                - dans les montagnes,
                - sur les bords de l'Harrach ou
                - dans le palais du Dey.

                Il sera expédié à nos lecteurs du champ de bataille et portera, par cela même, ce caractère de vérité locale qui doit lui donner une physionomie toute particulière.

                Tous nos rédacteurs font partie de l'expédition et y sont attachés à différents titres :
                - des officiers de toutes armes,
                - des hommes de lettres,
                - des savants et
                - des artistes doivent fournir des matériaux et apporter dans la rédaction une grande variété.

                Le journal sera composé, d'une partie officielle, contenant :
                - les bulletins,
                - les ordres du jour,
                - les mouvements de troupe et
                - les détails des sièges et des combats,
                - d'une description historique et pittoresque des lieux occupés par l'armée à laquelle se rattacheront tous les documents les plus authentiques de statistique et de topographie,
                - une peinture des mœurs des différentes tribus africaines,
                - de leurs habitudes,
                - de leurs coutumes et
                - de leurs usages,
                - de renseignements précis sur les intérêts agricoles et commerciaux de tout le Nord de l'Afrique depuis l'Atlas jusqu'à la mer,
                - d'un article " variété " consacré aux détails hygiéniques, à la manière de vivre de nos soldats et au anecdotes militaires.


                Nous sommes en mesure d'offrir à nos abonnés, lorsque les évènements l'exigeront :
                - des dessins lithographiés,
                - des plans de bataille,
                - des vues de pays et
                - des costumes des habitants.

                Le programme était aussi complet qu'alléchant.

                La promesse d'illustration n'a rien d'un leurre : les artistes ne manquaient pas à l'armée d'Afrique et la presse lithographique de l'intendance générale permettait de reproduire leurs dessins.
                Aussi le prospectus pouvait conclure : " Notre journal sera le seul de ce genre. Il sera en position de donner toutes les nouvelles avant tous les autres. "
                Mais il s'engageait beaucoup en annonçant : " Il sera porté en France par un service régulier de bateaux à vapeur. "
                Les conditions d'abonnement étaient les suivantes :
                L'Éstafette d'Alger paraîtra par numéros à des époques indéterminées, à raison :
                - d'au moins deux numéros par semaine,
                - 15 francs pour trois mois pour la France,
                - 18 francs pour l'étranger.

                Le trimestre commencera avant le premier numéro qui paraîtra le lendemain du jour du débarquement sur la côte d'Afrique et contiendra tous les évènements de la traversée.
                Le bureau d'abonnement est chez Bellue, libraire à Toulon, qui sera seul chargé de notre dépôt.

                Quoique annoncé pour le lendemain du débarquement, le premier numéro de l'Éstafette d'Alger ne parut à Sidi-Ferruch que quatre jours après.
                Le matériel de l'imprimerie avait été chargé en effet sur un des bricks appartenant à cette division du convoi dont le vice-amiral Duperré, craignant l'encombrement dans la baie de Sidi-Ferruch, n'avait fixé la sortie de Palma que deux à quatre jours après le départ de l'armée.
                Il arriva le 25 juin mais ne put être débarqué que le 27.
                Il fallut en découvrir les matériaux à travers :
                - 500 bâtiments, 60 chalands, 150 chaloupes et 200 canots qui couraient la rade de Sidi-Ferruch…
                - déterrer les caisses du compositeur sous des affûts de canon,
                - les jumelles de la presse au milieu d'un parc de boulets,
                - nos rames de papier sous des bottes de fourrage.


                " En quelques heures s'écrie Merle que l'enthousiasme incite au style noble, la machine de Gutenberg ce formidable levier de la civilisation, fut établi sur le sol africain, " mais il ajoute aussitôt avec plus de simplicité " deux tentes suffiront pour abriter presse et personnel. "
                Placées au pied et au Sud Est de la petite hauteur sur laquelle s'élevait Torre-Chica, elles prirent le nom d'imprimerie du marabout.

                Le 28 juin, cette presse fut surnommée aussitôt l'Africaine pouvait fonctionner.
                L'inauguration en fut faite en présence :
                - d'un grand nombre d'officiers de terre et de mer,
                - de soldats et de marins accourus pour jouir du curieux spectacle d'une imprimerie française dans le pays des Bédouins.


                Ce journal de 36 centimètres sur 23 se présentait ainsi.
                - En haut, au milieu, un écusson circulaire aux armes de France (trois fleurs de lys) surmonté d'une couronne et entouré de collier de l'ordre de Saint-Louis,
                - de chaque côté un trophée de drapeaux,
                - à gauche et à droite, sous le numéro du journal et la date " Sidi-Ferruch le 25 juin 1830
                - des avis concernant la périodicité du journal qui devait paraître deux fois par semaine ou huit fois par mois,
                - le prix de l'abonnent fixé comme on l'a vu plus haut et l'indication que l'on s'abonnait au dépôt général chez M. Lasade, libraire, rue d'Angoulême n° 1 et au quartier général de l'armée.


                Puis le titre : l'Estafette d'Alger, journal :
                - militaire, historique et politique.
                Le premier numéro débutait par un avis aux abonnés écrit d'une plume alerte qui expliquait le retard apporté à l'apparition du journal.
                A la page 3 ils pouvaient lire :
                - " l'Estafette d'Alger tiendra toutes les conditions de son prospectus à Toulon ",
                - le second numéro devait mettre " les évènements au courant " et
                - le troisième contenir " une jolie vue de la presqu'île de Sidi-Ferruch. "


                Suit le récit, de l'installation du camp français qui est du bon reportage et, sous le titre " mouvements de l'armée " un résumé rapide des évènements du 14 au 25 juin. Enfin des "mélanges " rassemblaient des anecdotes sur la campagne.
                Voici d'ailleurs le texte de ce premier numéro :
                Aux abonnés
                Nous ne chercherons pas à excuser le retard de quelques jours que notre journal a éprouvé auprès de ceux de nos abonnés qui savent ce que c'est : qu'un camp, une armée et un débarquement sur une plage déserte.
                Nous sommes sûrs d'avance qu'ils ne seront étonnés que d'une chose, c'est que nous ayons pu parvenir à composer et à faire imprimer un journal le 25 juin dans une presqu'île, au pied de l'Atlas sur laquelle on ne voyait le 13 que quelques bédouins : cachés dans les broussailles, les ruines d'une vieille tour mauresque et les restes d'un marabout.
                Mais nous apprenons seulement, à ceux qui croient que tous les journaux s'impriment : rue Montmartre, rue des Prêtres Saint-Germain l'Auxerrois ou rue des Bons Enfants, que pour composer l'Éstafette d'Alger qu'ils vont lire en déjeunant chez Tortoni avec des coquilles de volailles, ombrages du Palais Royal, il a fallu découvrir les matériaux de notre imprimerie à travers : 500 bâtiments, 60 chalands, 150 chaloupes et 300 canots qui couraient la rade de Sidi-Ferruch qu'il a fallu aller déterrer les casses du compositeur sous les affûts de canon, les jumelles de la presse au milieu d'un parc de boulets, nos rames de papier sous des bottes de fourrage et composer chaque article au milieu du mouvement de trente-cinq mille hommes de toutes armes et qu'enfin sans avoir le courage et le sang froid de Charles XII nous avons écrit les pages de cette feuille au milieu des coups de fusil et au son du fifre et du tambour.

13 juin - le branle-bas

                L'Armée d'Afrique vient d'accomplir deux des conditions importantes de son succès sa traversée et son débarquement.
                Arrivée le 13 juin à midi devant la tour de Sidi-Ferruch.
                De 14 à 7 heures du soir 36.000 hommes étaient sur le rivage et nos avant-postes étaient poussés sur la route d'Alger.
                Le 15 des vivres et des munitions pour un mois étaient établis et parqués sur la plage ; des chevaux, des batteries de campagne, des caissons et des munitions de guerre étaient déjà distribués dans les trois divisions.

                En deux jours, enfin, l'armée : a pu défier l'intempérie de la saison, elle a évité et les désastres de Charles-Quint et les fautes d'Oreilly.
                Elle est aujourd'hui en attitude de suivre sa ligne d'opérations.
                Les doutes de l'expédition sont dissipés, les prévisions sinistres démenties, le succès de l'entreprise est certain, puisqu'il ne dépend plus que du courage des soldats et de l'habileté des chefs ; encore quelques jours et la grande pensée de Charles X sera accomplie, la chrétienté sera rassurée et le pavillon français sera vengé.

                La mission de l'Éstafette d'Alger vient de commencer, ce journal instruira la France de tous les évènements de la campagne d'Afrique, il consignera dans ses colonnes tous les faits de nos soldats et les conquêtes de notre armée, il peindra les mœurs des peuplades ennemies et réunira dans son ensemble les documents les plus précieux sur la statistique, la géologie et es ressources du pays soumis à nos armes.
                Les épisodes qui se rattachent aux journées du 13 et du 14 sont assez précieux pour que nous ayons jugé convenable de les faire servir d'introduction à l'Éstafette d'Alger.
                Ils sont aujourd'hui de l'histoire, nous allons les consigner ici d'après un extrait du journal d'un passager de la Didon, frégate commandée par M. le vicomte de Villeneuve, destinée à faire partie de la division de combat ; nous pouvons répondre de leur exactitude et de leur authenticité : " Après vingt jours d'une traversée souvent contrariée par les vents, nous avons découvert le dimanche matin 13 juin, au point du jour, la terre d'Alger.

                Lorsque le soleil a pu dissiper les brumes nous nous sommes aperçus que nous n'étions guère qu'à 4 lieues (5,5 kilomètre en marine).
                Tout le monde était monté sur le pont, chacun était curieux de voir ce rivage si fameux par son inhospitalité et sa barbarie, nos soldats appelaient de tous leurs vœux et le moment du débarquement et celui du combat.
                L'amiral ayant donné l'ordre de forcer de voiles, nous nous rapprochons de la côte assez rapidement, bientôt nous distinguons Alger et ses riches et nombreuses maisons de plaisance, sa campagne agréablement coupée et couverte d'une végétation puissante et variée, ses forts sur lesquels ne flotte aucun pavillon et ses bâtiments à l'ancre dans le port.
                L'amiral ordonna de former la ligne de bataille, et au même moment un cri de joie s'élève de toute part ; la 2ème escadre vire aussitôt vent devant pour prendre nos eaux, le Trident doit devenir notre matelot d'arrière ; le branle-bas de combat a été ordonné en même temps que l'ordre d'arriver au Sud-Sud-Ouest.

                Au même instant, chacun court à son poste, les canonniers sont à leurs pièces, les boutes-feux (bâton muni d'une mèche servant à enflammer la charge de poudre d'une bouche à feu) sont placés dans leurs baies, les parcs à boulets sont approvisionnés, les canons et les canonnades (pièces d'artillerie courtes) sont détapés (démunies de leurs tapes de liège fermant les bouches à canon) et garnis de leur batterie à pierre.
                Les marins parcourent les galeries en faisant fermer partout les hublots et disposent les bouchons, les étoupes (fibre résultant du travail du chanvre ou du lin) et les plaques de plomb pour les coups à fleur d'eau.
                Dans le faux port et dans la batterie sont distribués sur tous les points des sceaux à incendie, des hommes sont placés aux pompes et aux robinets de Sainte Barbe (nom donné à plusieurs espaces dans un vaisseau de guerre ; chambre des canonniers ou soute à poudre).

                - La ligne des poudres s'établit depuis les soutes jusqu'aux manches à gargousses (cartouche de recharge de la poudre à canon)
                - le poste des blessés est installé dans la cale,
                - un panneau est destiné à les transporter sur un cadre suspendu du pont à l'infirmerie,
                - les chirurgiens disposent leurs appareils,
                - tous ces préparatifs solennels sont faits avec un ordre et un sang-froid admirables. La voix seule des officiers de marine se fait entendre, les ordres se répondent du banc de quart (endroit où se tient l'homme de quart) à la cale, le commandant de la frégate donne ses soins à toutes les parties du service avec calme et dignité, il préside à tous les détails de la manœuvre comme à ceux du combat.


                500 hommes de troupe ne font entendre qu'un regret, celui de ne pas être admis là l'avantage d'avoir leur part de boulet comme la compagnie de voltigeurs placée sur le pont pour aider aux manœuvres.
                Nous avons déjà placé les bosses de combat (petit cordage dont une extrémité est fixé au pied d'une bitte d'amarrage) sur les étais et les écoutes (cordages), nous avons une embossure sur chacune des encres des bossoirs (dispositif de levage pour hisser une ancre ou une embarcation de sauvetage.)
                L'ancre de veille de bâbord est étalinguée (amarrée) et nous sommes prêts à mouiller par derrière notre plus grosse ancre à jet, les sabords (ouverture dans le flanc d'un navire par laquelle passe le fût du canon) de retraite et de chasse sont disposés à recevoir leurs canons dans le cas où la rupture nous forcerait à présenter l'avant ou l'arrière à l'ennemi, tout enfin est prévu pour les diverses chances ou accidents d'un combat.
                Nous manœuvrons pour tenir notre poste derrière l'Iphigénie, les bricks le Dragon et l'Alerte qui sont en avant, longent la côte de très près pour signaler les sondes.
                Nous défilons tous devant Alger en très bon ordre, plusieurs fortes batteries sont sur la côte, nous avons déjà dépassé le Cap Caxine et nous courons vers Sidi-Ferruch ; nous sommes très surpris de voir les batteries de Torre-Chica qu'approchent nos bâtiments de tête extrêmement près, de ne pas tirer sur eux un seul coup de canon : aucun pavillon n'est arboré sur la tour, tout paraît y être abandonné.

                A midi nous avons aperçu le poste que nous devons prendre vis-à-vis le fort qui est près de Torre-Chica ; nous nous sommes rangés au vent en suivant l'Iphigénie.
                Le Breslaw qui avait mouillé le premier était déjà embossé (maintien d'une position donnée à l'aide de deux amarres) malgré le vent.
                L'Iphigénie était embossé aussi, nous commencions à suivre cette manœuvre lorsque ne voyant pas partir un seul coup de canon du fort du plus voisin où nous l'avons distingué aucune pièce dans les embrasures, nous avons suspendu cette opération un peu délicate et nous mouillons par 9 brasses (longueur légèrement inférieure à 2 mètres) sur un fond de sable à deux encablures (longueur d'environ 180 à 200 mètres) du rivage.

                Nous présentions bâbord à la tour et nous avons aperçu plusieurs groupes d'Arabes, accroupis dans les broussailles dont le pays est couvert.
                Un large morceau de toile blanche fixé sur un piquet ou sur un arbuste leur sert de tente, ils veillent auprès d'une batterie qui paraît à peine à travers les joncs et les aloès et on ne distingue que la pointe de leurs burnous blancs.
                Tous les bâtiments arrivent successivement au mouillage.
                Nous disposons d'avoir le signal que fait l'amiral à débarquer les chalands et les embarcations, cette opération importante est terminée à 2 heures.
                Pendant ce temps, deux bateaux à vapeur le Nageur et le Rapide se sont approchés de la côte et ont tiré quelques coups de canon du côté de la batterie masquée, cette manœuvre l'a obligée de se découvrir.
                Elle a tiré à l'instant quelques coups très bien pointés, plusieurs boulets ont dépassé nos positions ou sont tombés dans les eaux, quelques obus ont éclaté en l'air et les éclats ont blessé deux hommes sur le Breslaw.
                Pendant la soirée des coups de canon ont été échangés, à l'entrée de la nuit on voyait les Bédouins occupés à remuer la terre et à faire des retranchements à 200 toises (une toise équivaut à près de 2 mètres) environ du rivage

Débarquement - La presqu'île de Sidi-Ferruch au 13 juin et cette presqu'île au 25 juin 1830

                Nous avions pris notre parti sur le silence des batteries et l'inaction des Bédouins.
                Quelques barbares galopant sur la plage et deux ou trois bombes éclatant près de nos bords ne pouvaient empêcher le débarquement.
                Le signal est donné à la première escadre de mettre les embarcations à la mer et de préparer les chalands.
                Attentifs, la lunette braquée sur la presqu'île, nous épions un mouvement d'hommes et le saut d'un cheval, cinq ou six petites tentes blanches apparaissaient seulement dans le lointain, disposées avec art, chacune sur un monticule choisi sans doute pour la défense.
                Au milieu de ces tentes, une plus grande s'élève distinguée surtout par le drapeau turc planté à quelques pas de son entrée. Tout ceci à droite de la tour et vu de quatre bâtiments qui s'étaient embossés pour le combat.

                Un profond silence règne sur la plage déserte, du sable paraît fraîchement remué çà et là mais la presqu'île ne semble qu'une vaste bruyère foulée seulement par les pas du pieux pèlerin qui vient tendre son mouchoir (superstition du pays sur la fécondité des femmes) au tombeau du Marabout.
                L'escadre du débarquement arrive au milieu de nos distributions de vivres et de préparatifs de tout genre, cette nuit nous allons toucher la terre de tous ces traits de gaieté militaire et d'impatience française qui circulent sur le pont, nul ne peut nous distraire.
                Quand une bombe éclate, elle crève sur la tête de ceux qui l'on lancée, un rire bruyant se fait entendre sur toutes les dunettes (partie surélevée du gaillard arrière d'un navire) couvertes d'officiers de terre et de mer, à travers la fumée qui s'élève, on distingue aussitôt quelques cavaliers en burnous blanc fuyant à toute bride et en ses opposé comme des gens effrayés par leurs propres œuvres.
                On s'attendait à recevoir dans l'obscurité de la nuit quelques éclats d'obus, quelques coups de canon.

                Dès trois heures du matin, équipages et passagers étaient sur le pont, les chalands sont rendus depuis longtemps à leurs bords respectifs et dans le meilleur ordre. La première division va descendre, bientôt un long cri : " vive le Roi ! " a retenti dans la baie, et sur cent points à la fois on entend le bruit des rames qui poussent les chalands au rivage.
                - Nul signe de combat,
                - nulle tentative de résistance ne se manifeste pas plus que la veille.

                Toutefois, des bombes en tout petit nombre, cinq ou six au plus, tombent au milieu des chalands qui arrivent près de la plage.
                Nos soldats s'élancent dans l'eau à mi-jambe dans quelques endroits un peu plus haut dans quelques autres ; ils touchent la plage, les voilà qu'ils se forment sur le terrain, on distingue les compagnies et jusqu'aux officiers qui viennent de nous quitter.

                Il est 4 heures. Le débarquement a commencé.
                - Cette tour déserte,
                - cette batterie abandonnée,
                - les voilà remplies de soldats français qui franchissent les portes où pénètrent par les embrasures.

                Un moment encore et le drapeau blanc va flotter sur le sommet de la Torre-Chica.
                Ce n'est plus le désert de la veille, immense presqu'île abandonnée à quelques chiens errants ; c'est un nouveau monde couvert déjà de nos amis et de nos frères. Mais quel nom ai-je prononcé ?
                Là aussi nous retrouvons des tracés bien connus, traces impies du crime et des factions.
                Dans la batterie :
                - un manuel d'artilleur, un manuel d'infanterie et de cavalerie écrit en français, imprimés en France ! …
                Dans la tour : - un rapporteur ; une ode à Napoléon Bonaparte en vers alexandrins ! …

                Quel grand et prodigieux spectacle qu'un camp et un camp dans un pays de barbares où tous les moyens manquent, où nul secours local ne vient aider à l'effort industrieux de besoin !
                Voyez sur toute la presqu'île, cette vie domestique qui s'installe : avec quelle rapidité ces larges feuilles de l'aloès, ces longues branches de palmier forment des abris à nos soldats !
                Et ce foyer creusé dans le sable à la flamme pâle de quelques branchages verts où le fantassin par escouade vient suspendre sa marmite et sa ration.
                Voyez comme il s'improvise de distance en distance et va se répéter dans toute l'étendue du camp !
                Ce ne sont pas encore là les feux du bivouac, vus du pied de la tour où s'est établi la quartier général, ils apparaissent plutôt comme une fumée blanchâtre, exhalaison d'un sol humide et chaud, mais ces mille feux rayonnent bientôt avec la nuit, ils forment à nos yeux étonnés comme une ville entière sortie tout-à-coup de cette plage abandonnée, il est impossible d'imaginer à soi seul et loin des lieux, l'étrangeté pittoresque d'un tel spectacle
                Le soleil de demain doit éclairer d'autres travaux.

                Les objets de campement sont débarqués, les tentes se dressent et en quelques heures cette terre où l'on apercevait :
                - qu'aloès, cactus, troncs arrachés, branches coupées, feuilles éparses,
                - cette terre se couvre de toiles artistiquement tendues pour l'habitation des hommes, des baraques charpentées en planches pour les magasins.

                La cantinière circule rapidement dans les groupes de travailleurs.

                Des détachements de soldats se pressent autour des lieux de distribution ; ils vont porter des vivres à leurs compagnies dans les cantonnements, l'abondance est partout, ce ne sont pas seulement les provisions de l'armée qui abondent sur la plage ou dans les chalands qui arrivent ; il y a dans le camp des marchands de comestibles en grand nombre, des cantines où l'on débite du Bordeaux et du Champagne. On trouve au même lieu :
                - le sirop et l'eau-de-vie,
                - le modeste saucisson et le luxe de perdreau truffé.
                - Les tonneaux de vin se roulent dans tous les sens,
                - des fours sont déjà construits,
                - du pain s'y fait en ce moment.
                - Bœufs, chevaux,
                - canons de siège, pièce de campagne.

                Tout le matériel est ici sous nos yeux, on ne suffit pas à voir à distinguer ce qui s'organise sur tous les points.
                A l'extrémité de la presqu'île, un immense fossé s'achève que je ne savais pas commencé ! Il doit défendre le quartier général contre toute surprise.
                On se maintiendrait dans une telle position avec deux bataillons et quelques pièces de canons contre une armée entière de Bédouins, contre 50.000 Arabes, ce sera un excellent dépôt pour l'armée d'expédition une place de guerre spacieuse et sûre. Mais le plus prodigieux des travaux de cette belle armée d'Afrique est, sans contredit, le chemin qui doit nous conduire à Alger.

                Cette route déjà à plus d'une lieue d'étendue, je l'ai parcouru ce matin jusqu'aux avants postes, jamais terrain n'a plus résisté au tracé d'une route,
                - à chaque instant une montagne qu'il faut tourner,
                - pas un pied de terre dont la bêche et la pioche ne doivent extirper des ronces et des racines plus tenaces.
                - Il y a plaisir à voir ces nombreux travailleurs se faisant ainsi à eux-mêmes la route de la victoire.

                Comme ils se succèdent avec empressement et quittent l'instrument d'un travail plus paisible pour le fusil du tirailleur.
                Les Bédouins ne tiraillent pas à proprement dire ; ils chassent plutôt qu'ils ne combattent, mais pour des chasseurs en réputation ils tirent assez mal.
                Ce matin à leur portée ils ont tiré sur nous, un groupe de cinq ou six personnes plus de 500 coups de fusils sans nous atteindre, pour tirer ils se courbent jusqu'à terre comme s'ils ajustaient quelque gibier sous le feuillée, dans cette posture on ne les distingue qu'à la lunette.
                Pour s'en approcher davantage quelques soldats ont mis leur chemise sur l'uniforme ce qui imite assez le burnous blanc des Bédouins, alors on a pu les atteindre avec le fusil de munition, ce qui est le plus souvent impossible par la distance où ils se tiennent.

Mouvements de l'armée du 14 au 25 juin

                Le 14, au moment du débarquement, la première division soutenue par le feu des bateaux à vapeur :
                - le Sphinx, le Nageur et le Rapide
                - et par quelques bâtiments légers au nombre desquels se trouvaient la Badine et le Griffon qui s'étaient embossés à l'Est de la presqu'île se porta au-devant d'une batterie très bien servie, armée de 12 pièces et de 2 mortiers en bronze.

                Le général en chef était débarqué avec la deuxième division ordonnant à la première de se porter sur la crête et le versant d'une vallée dont l'ennemi occupait le revers opposé et aussitôt la batterie est enveloppée.
                Au même instant, la deuxième division vient se placer à la droite et sur la même ligne, et soutint un combat de tirailleurs très vif avec les Arabes retranchés dans les broussailles qui couvraient la presqu'île.

                Pendant ce temps le génie traçait un retranchement qui s'étendait d'une baie à l'autre et faisait de la presqu'île de Sidi-Ferruch une véritable place forte où pouvaient se mettre en sûreté :
                - nos hôpitaux,
                - nos magasins et
                - tous les services de l'armée.


                Le 16 un violent orage du Nord-Ouest mit toute la flotte dans le plus grand danger et suspendit tous les travaux du débarquement.
                Nous étions au moment de se voir renouveler une partie des désastres qui accablèrent l'armée de Charles-Quint ; mais en quelques heures nos alarmes furent dissipées.
                Le vent tourne subitement à l'Est, la mer tomba presque aussitôt, et pendant l'après-midi la plage fut encore couverte de travailleurs et la rade de chaloupes et de chalands.
                Nos troupes qui avaient supporté pendant trois heures la pluie d'un orage d'Afrique soutinrent cependant avec un courage admirable les attaques de l'ennemi qui croyait tirer parti de notre position et qui fut obligé de reculer devant les obus et les boulets nous lui avions pris la veille.

                Le 17, le général en chef arrive de bonne heure aux avant-postes où l'ennemi avait réuni de grandes masses d'infanterie et de cavalerie qui furent contenues en quelques instants par l'attitude ferme et prononcée de nos troupes.
                On s'occupa toute la journée à détruire, sur la route du camp aux avant-postes, les broussailles qui servaient de retraite aux Bédouins.
                Le soir on conduisit au quartier général un vieil arabe qui était venu se présenter aux premières sentinelles, il fut conduit au général en chef qui, après l'avoir fait interroger le fit traiter avec bonté et donna ordre que le lendemain il fut reconduit hors de nos lignes. Un ordre du jour défendit de tirer sur tout arabe qui se présentait désarmé.

                Le 18 quelques légers engagements de tirailleurs. On continua sur la plage le débarquement de notre matériel.
                Le 19, à la pointe du jour, nos avant-postes furent attaqués sur toute la ligne par l'armée turque. Aussitôt le général en chef suivi de son État-Major se porta sur le terrain. Nos troupes se trouvaient en face de toutes les forces réunies de la régence. Les Beys :
                - de Constantine, d'Oran et du Titteri étaient au camp de Staouéli, leur étendard flottait sur leur tente à côté de celui de l'Aga, gendre du Dey.
                Le général donna l'ordre d'attaquer les Turcs à la baïonnette ; le mouvement est aussi rapide que terrible, et en quelques instants, l'armée turque est en fuite, tout le camp tombe entre notre pouvoir :
                - 30 tentes, des munitions de tous genres,
                - plus de cent chameaux, des troupeaux de moutons,
                - des provisions de bouche et
                - toute l'artillerie du camp sont les trophées de la journée.

                Les milices turques rentrent pêle-mêle dans Alger avec les Arabes épouvantés, et si l'on avait livré nos troupes à leur élan, elles se seraient précipitées dans la ville à la poursuite des fuyards.
                La journée de Staouéli a prouvé que nos jeunes soldats sont appelés à marcher sur les traces des anciens et que nos généraux ont conservé le secret de nos vieilles victoires.

                Les journées des 20, 21, 22 et 23 se passent sans évènement remarquable.
                Mais le 24, dès la pointe du jour, le général en chef quitte Sidi-Ferruch et porte son quartier général à Staouéli.
                Il se rend aux avants postes et fait attaquer les Turcs qui sont chassés devant nous pendant cinq heures de mamelons en mamelons ils prennent position sur un plateau qui domine le fort de l'Empereur et s'y retranchent derrière des batteries de gros calibre.
                Cette affaire leur coûte beaucoup de monde, nous en avons perdu peu, mais dans le nombre des blessés se trouve un jeune officier (Amédée de Bourmont, lieutenant au 49e de ligne, blessé le 24 juin, décédé le 6 juillet) qui porte un nom d'acquérir dans cette guerre une nouvelle illustration, et qui à la tête de sa compagnie, s'élance le sabre à la main dans un taillis rempli d'Arabes.
                - Il y reçoit une balle dans la poitrine,
                - une autre perce son schako (couvre-chef en forme de cône avec une visière),
                - une troisième casse le fourreau de son sabre.

                On espère cependant que cet officier estimé de ses chefs et aimé de tous ses camarades, qui depuis le commencement de la campagne a donné des preuves d'un courage brillant, sera conservé à l'armée.

                Le retard de quelques jours qu'a éprouvé le premier numéro de l'Éstafette a fourni matière à beaucoup de commentaires qui tombent d'eux-mêmes par sa publication. Il nous suffira de dire à nos abonnés :
                - que le bâtiment qui portait notre imprimerie, faisant partie de la troisième division du convoi, n'est arrivé en rade de Sidi-Ferruch que le 25 de ce mois,
                - que le coup de vent du 26 a empêché aucune embarcation à la mer,
                - que le 27 seulement, l'imprimerie a pu être débarquée,
                - et que le 28 la presse était en activité sur la plage de Torre Chica.

                Tous les obstacles sont surmontés, l'estafette d'Alger tiendra toutes les conditions de son prospectus.
                Le second numéro mettra les évènements au courant et le troisième contiendra une jolie vue de la presqu'île de Sidi-Ferruch.

                Pour répondre à des insinuations dont nous ne voulons pas rechercher l'origine, nous croyons nécessaire d'avertir nos lecteurs :
                - que nous n'écrivons sous d'autre influence que celle de nos impressions et
                - que nous ne recevons d'autre direction que celle de notre conscience.
                - Nous dirons la vérité sur tous les évènements dont nous serons les témoins,
                - nous raconterons les faits tels qu'ils sont et
                - nous en laisserons l'appréciation au public.

                Nous avouons cependant que, placés sur le lieu même de la scène, nous ne pouvons nous défendre d'un peu d'enthousiasme pour tant de bravoure et de dévouement ; nous ressemblons à des spectateurs qui sortent enivrés du brillant succès d'une première représentation.

Mélanges

                L'armée a été révoltée d'un acte de barbarie qui paraît être en usage parmi les Arabes. Dans la journée du 14, le capitaine Chapelier venait de reconnaître un petit ruisseau qui coule à l'Ouest de la presqu'île, il s'était assuré que l'eau en était bonne et abondante, un officier et trois soldats s'y rendent quelques instants après, les broussailles les dérobent à leurs camarades qui, ne les voyant pas revenir vont à leur recherche et qui ne retrouvent plus que leurs cadavres dont la tête venait d'être enlevée.
                - Dans les premiers jours de notre arrivée sur la côte d'Afrique nous ne trouvions sur le chemin de bataille ni morts, ni blessés arabes ; ce ne fut pas sans étonnement qu'on s'aperçut qu'à peine un des leurs était tué ou même blessé, qu'aussitôt un de ses camarades s'élançait sur lui en lui jetant un croc en bois au moyen duquel il le saisit adroitement et l'entraîne au grand galop de son cheval, et le malheureux est aussitôt enterré dans les broussailles.
                - Un de nos conscrits blessé à l'affaire du 24 d'une balle dans la cuisse, fut porté à l'ambulance, un seul soin l'occupait quand le chirurgien lui eût extirpé la balle : " Monsieur, lui dit-il, je vous prie de me la rendre dès que je serai guéri, ce sera la première que je veux renvoyer aux Turcs. "
                - Un caporal de voltigeurs s'est emparé après une lutte violente et périlleuse d'un étendard turc très vigoureusement défendu par l'officier qui le portait, ce n'a été qu'après lui avoir plongé la baïonnette dans le corps qu'il est parvenu à s'en emparer. Un de ses camarades lui a dit : " Tu as dû trouver sur lui beaucoup d'argent ? Ma foi, lui a répondu le caporal je n'en sais rien, son drapeau était tout ce que je voulais avoir de lui. "


                Les cantinières ont fait leur service dans tous les combats qui ont eu lieu avec un zèle et un dévouement digne d'éloges : une d'elles, dans l'affaire du 24, n'a pas quitté les lignes des voltigeurs les plus avancés, distribuant le Rogomme de Catin (eau de vie) à tous nos soldats.
                Cette brave femme a été blessée de trois balles dans la cuisse, on l'a portée sur-le-champ à l'hôpital où elle a supporté avec la plus grande fermeté l'amputation ; son mari, sapeur de l'un de nos régiments est venu au chevet de son lit soutenir son courage avec une sensibilité de vieux troupier qui ne manquait ni d'intérêt ni de dignité et qui a vivement touché tous ceux qui ont été témoins.
                - Un soldat du vingtième blessé à la main d'une balle à l'affaire de Staouéli s'était emparé d'un riche pistolet enlevé à un officier turc ; on lui proposa de le vendre.
                - Non dit-il, parce que dès que je serai guéri j'irai chercher l'autre, je reconnaîtrai bien le coquin de turc qui m'en a fait tort, je l'ai marqué à la figure de deux coups de baïonnette pour ne pas me tromper.


                Il y aurait négligence à ne rien dire des scorpions et des sauterelles du journal des Débats (Alger est une rude terre :
                - des barbares, des soldats, des citadelles.
                Tout cela entouré de déserts où :
                - rugit le lion, le chacal, la hyène, où se traîne le serpent comme au temps de Régulus …
                - De petits scorpions dont la piqûre est mortelle.
                - Puis quand l'été est venu, les sauterelles " véritable plaie d'Égypte " qui se pressent intrépides comme les armées de Gengis Khan, qui dévorent jusqu'à l'écorce des arbres. Journal de Débats 22 mars 1830.)

                Nous pouvons assurer messieurs de cette feuille que les sauterelles n'ont pas encore fourni leur contingent de guerre et que jusqu'ici les scorpions ont observé la plus exacte neutralité. (La veille du jour où il fut blessé, Amédée de Bourmont m'avait envoyé par une vivandière (mot désignant les femmes suivant leurs maris pour servir de personnel de service) une grosse sauterelle sous enveloppe avec un mot ainsi conçu : Je vous envoie mon cher ami, le plus gros ennemi que j'ai trouvé ; il est du genre de ceux que, d'après le journal des Débats nous aurons à combattre. C'est un prisonnier que j'ai fait et dont je vous fait hommage ".)

                Le camp est couvert des dépouilles de Staouéli où tous nos soldats se sont pourvus d'ustensiles de tous les genres, quelques-uns couchent sur des tapis de Turquie, la garde-robe de l'Aga est tombée au pouvoir de nos voltigeurs qui en ont vendu les riches débris à quelques amateurs de l'armée :
                - de superbes hombets de drap superfin brodés en soie et en or,
                - de brillantes soubrevestes (longue veste sans manches que portaient les mousquetaires),
                - d'étoffes de brocard sont aujourd'hui le costume à la mode de l'armée, tout le monde veut avoir un burnous arabe pour s'envelopper la nuit ; ce manteau d'une forme élégante et commode et d'un tissu très souple et très fin, pourrait bien être en vogue cet hiver à Paris, on sortira du bal, du Raout (fête mondaine) ou de l'opéra avec un burnous qui remplacera le manteau, la pelisse,

                Le consul d'Espagne demandait dernièrement au Dey s'il ne se repentait pas d'avoir offensé le roi de France . Après avoir réfléchi un instant, le Dey répondit : " Je ne me repends que d'une chose, c'est de ne pas avoir fait couper la tête à Deval, il n'en serait ni plus, ni moins et je serais vengé. "

                Cependant à Toulon, malgré la promesse que l'envoi de l'Estafette en France serait assuré régulièrement, le libraire Bellue et les abonnées attendaient en vain l'arrivée du journal.
                Dans les tous premiers jours de juin, Bellue reçut de Merle le billet suivant daté du 21, c'est-à-dire antérieurement à l'arrivée de la presse à Sidi-Ferruch :
                " Vous avez dû être fort étonné de ne point recevoir le premier numéro de l'Estafette, mais nous sommes dans un pays dans lequel on ne fait pas tout ce qu'on veut. L'imprimerie nous a mis en retard mais dans quelques jours elle sera établie et alors tout marchera régulièrement.
                Je vous promets que nos abonnés n'auront rien perdu pour attendre car il y aurait ici matière à dix journaux et je vous réponds qu'aucun journal en France ne pourra lutter avec nous d'intérêt et d'opportunité.
                Afin de ne pas faire attendre ses abonnés Bellue lança tout d'abord un nouveau prospectus sous forme de quatre pages 13 x 20 portant en titre :
                Bureau // DE: // l'Estafette // d'Alger // rue d'Angoulême N° 1 à Toulon.

                Il reproduit pour les abonnés de Toulon, en attendant les premiers numéros de ce journal, les nouvelles presque officielles adressées par le rédacteur en chef de l'Estafette.
                Ces nouvelles consistent en un récit daté de Torre-Chica le 19 juin à 8 heures du soir, de l'attaque de nos troupes par 30 à 35.000 cavaliers, attaque vigoureusement repoussée. Suit une dépêche de M. de Bourmont.
                Un autre feuillet de même dimension recto verso et sans titre: (24 juin 1830) N°11

                Avec les armes royales, donne le texte d'une " communication faite par M. le Préfet maritime par intérim à M. le maire de la ville de Toulon ".
                C'est la confirmation en six lignes de notre succès du 19 juin.
                En même temps Bellue décidait de faire paraître une édition toulonnaise de l'Estafette et d'utiliser pour les premiers numéros les matériaux qui devaient être imprimés en Afrique.
                Tant en son nom qu'en celui de M. Timothée Larade, agent d'affaire à Toulon qui devait assurer la gérance du journal, il faisait effectuer " un dépôt de 12.000 francs à la Caisse des Consignations. "

                Le Mardi 29 juin 1830 paraissait donc le N° 1 de l'ESTAFETTE // D'ALGER // Journal de l'armée expéditionnaire // et de la Méditerranée // politique, militaire, industriel, historique et maritime.
                Ce premier numéro de fortune était composé d'une " partie officielle " et de " nouvelles de l'armée d'Afrique " les deux rubriques comprenant des documents également officiels :
                - " Rapports de l'amiral Duperré " des 14 et 19 juin,
                - " rapports de M. de Bourmont " des 14 et 19 juin " documents qui avaient déjà figuré au Moniteur Universel et dans la plupart des journaux.


                Le N° 2 paru le 1er juillet avec une variante dans le titre : L'ESTAFETTE // D'ALGER // journal de la grande armée // et de la Méditerranée // politique, militaire, industriel, historique et maritime.
                Une note de Bellue assurait que le journal paraîtrait deux fois par semaine.
                " Aucun sacrifice ne sera épargné pour répondre à la vive impatience du public. " Ce deuxième numéro débutait par une partie officielle très courte (un ordre du jour du quartier général de Sidi-Ferruch le 20 juin 1830 et une dépêche de l'armée Duperré du 26 juin).

                Suivait sous le titre : " Afrique grande armée d'expédition " une longue lettre narrant :
                - l'installation du camp à Sidi-Ferruch,
                - la venue d'un Arabe au quartier général,
                - le combat de Staouéli.

                Enfin sous la rubrique " Toulon 20 juin " des nouvelles apportées d'Afrique par des bâtiments de commerce.
                En somme l'édition toulonnaise de " l'Estafette d'Alger " n'a rien de spécifiquement africain. Elle ne différencie pas des autres journaux imprimés à Toulon et à Marseille tel l'Aviso de la Méditerranée et le Sémaphore qui consacraient eux aussi une notable partie de leurs colonnes à l'expédition d'Alger.

                Enfin le N°3 du dimanche 4 juillet annonça que le premier numéro de l'Estafette (édition africaine) paraîtrait tous les deux jours.
                Bellue explique que ce retard est occasionné par son désir d'être agréable à ses abonnés " en les gratifiant d'une superbe carte d'Alger et de ses environs. "
                Ce numéro qui contiendra la relation de la prise d'Alger, ajoute-t-il, sera accompagné d'un joli plan de la ville, échelle de 500 mètres vue à vol d'oiseau. Sur ce plan seront indiqués :
                - tous les monuments, les batteries,
                - les rues, les portes, les places fortes etc.

                Avec ce même plan qui, nous en sommes convaincus, fera le plus grand plaisir au lecteur, celui-ci pourra, de son cabinet, voir où sont logés les braves qui doivent assurer à la France la possession de la plus belles de ses colonies. "

                En attendant, ce troisième numéro toulonnais était particulièrement copieux. Aux quatre pages ordinaires, comprenaient des correspondances groupées sous des rubriques différentes :
                - partie semi-officielle,
                - Correspondance particulière de l'armée de terre,
                - Correspondance particulières de l'armée de mer
                - et des nouvelles de Toulon.

                S'ajoutent deux pages d'un supplément au numéro 1 pour faire suite au numéro 3. Le tout donne les nouvelles d'Afrique du 27 au 28 juin.

                Nouvelles pas toujours exactes. Une lettre que son rédacteur en chef date du quartier général en vue du château de l'Empereur, le 28 juin 1830, annonce en effet que le siège de la forteresse se fait depuis le 27 juin avec beaucoup d'acharnement des deux parts.
                Les Algériens se défendent en désespérés. (L'armée n'arrive que le 29 juin en vue du fort l'Empereur dont l'investissement commence le 30.)
                Les abonnés qui sur la promesse qui leur était faite, attendaient pour le 6 juillet l'Estafette (édition de Sidi-Ferruch) furent déçus.
                Dans le numéro 4 de son journal (10 juillet) Bellue annonçait : " Au moment où le quatrième numéro de l'Estafette était sous presse, je reçois une lettre du rédacteur en chef qui m'annonce l'arrivée du premier numéro du journal imprimé en Afrique. "

Sidi-Ferruch le 1er juillet 1830 à 7 heure ½ du soir.

                Mon cher Bellue, j'apprends à l'instant qu'il part dans une heure un bâtiment pour la France.
                On commence à tirer le premier numéro de l'Estafette ; je vous envoie les cinq premiers exemplaires sortis de la presse. On va tirer toute la nuit et demain j'aurai deux mille exemplaires prêts à partir.
                Le second numéro sera imprimé dimanche (4 juillet) et partira avec le troisième par le premier bateau à vapeur.
                Ainsi jeudi (8 juillet) nous serons à jour. Montrez les premiers exemplaires pour prouver que nous sommes en mesure et que l'on a dit que des sottises sur notre journal. "
                Ce quatrième numéro composé comme les précédents donnait des nouvelles jusqu'au 6 juillet, et se terminait par l'ouverture d'une souscription " en faveur des familles de soldats et marins qui auront trouvé une mort glorieuse ou qui auront reçus des blessures graves. "

                En résumé le n° 1 de l'Estafette d'Alger quoique daté du 25 juin avait été imprimé à Sidi-Ferruch les 1er et 2 juillet et arrivait à Marseille après le 10 juillet.
                Les exemplaires reçus furent probablement en nombre moindre que les deux mille annoncés, car Bellue en fit faire un tirage spécial avec la date N° 1 Sidi-Ferruch 1830 sous le titre :
                L'Estafette d'Alger, journal de l'armée expéditionnaire et de la Méditerranée, politique, militaire, industriel, historique et maritime.
                Copie littérale de l'Estafette d'Alger, journal militaire, historique et politique.
                a vignette reproduit approximativement celle de l'édition d'Afrique ; l'écusson aux fleurs de lys n'est pas circulaire, mais ovale et cintré.

                Cependant Merle parvenait à faire paraître le n° 2 de l'Estafette le jour même où les troupes françaises entraient dans Alger.
                Ce numéro est en effet daté de Sidi-Ferruch (sic) 5 juillet 1830. En voici le texte :
                (Archives nationales marine BB 529. Il est à peine besoin d'indiquer que le parti pris optimiste du rédacteur qui a signé A. R. de représenter l'Afrique comme une terre promise et la campagne comme une partie de plaisir pour nos troupes correspond plus à l'imagination qu'à la réalité.)

Affaire du jeudi 24.

                Depuis le 19, quelques coups de fusil avaient à peine été échangés dans les avant-postes.
                Le camp de Staouéli emporté si rapidement sur les trois Beys qui étaient là à la tête de leurs contingents, des positions formidables tournées et prises en quelques heures contre des chefs turcs qui avaient mis des mois entiers à s'y fortifier ; c'était plus qu'il n'en fallait pour imprimer la terreur de nos armes à cette population arabe que des janissaires traînent au combat.
                Aussi attendions-nous avec impatience l'arrivée du convoi qui portait les derniers chevaux et le reste des équipages du siège ; ce convoi avait dû partir le 16 de la rade de Palma.

                Cependant un gros de Bédouins avait été vu dans la journée du 26 faisant une espèce de reconnaissance et se tenant avec soin hors de portée.
                - Peut-être les Turcs rentrés en désordre dans Alger après l'affaire du 19 en étaient-ils sortis de nouveau ?
                - Peut-être les Arabes avaient-ils été ralliés et venaient-ils tenter quelques nouvelles chances sur une si belle proie ; car l'amour du pillage aide un peu le sabre des Turcs dans les corps arabes qui nous sont opposés.

                On s'attendait donc à quelque attaque pour le lendemain.
                Dès trois heures du matin, j'étais sur pied et voulais me retrouver de bonne heure aux avants postes.
                Du quartier général de Sidi-Ferruch au camp de Staouéli le chemin est maintenant praticable ; j'y arrivai en moins de deux heures de marche.

                Les hauteurs emportées le 19 étaient occupées par nos avants postes. De là on découvrait au loin sur des versants opposés quelques groupes d'Arabes qui s'avançaient timidement, lâchaient leurs coups de fusil à toute portée, tous se détournaient avec précaution pour recharger leurs armes.
                Staouéli ne ressemble déjà plus à Sidi-Ferruch, et deux lieues à peine les séparent. Staouéli, il est vrai n'est guère mieux en culture que la plage où le débarquement s'est opéré, mais l'aspect du pays est tout différent.
                - Plus de ces sables arides,
                - de ces escarpements continuels,
                - de ces tristes et uniformes bruyères !

                Un beau et vaste plateau couvert :
                - de mûriers touffus,
                - de palmiers nombreux,
                - des eaux abondantes et
                - toute une végétation plus forte.

                Qu'il y ait là une main d'homme, le moindre levier de civilisation vous verrez bientôt les plus riches produits couvrir cette terre encore sauvage.
                Les heures employées :
                - à parcourir le camp,
                - à examiner en détail les tentes,
                - les armes, meubles et
                - jusqu'au Coran, laissés par l'ennemi.

                Ces heures n'avaient point encore amené d'engagement plus vif.

                Je désespérai d'un combat pour ce jour-là. Deux palmiers penchés fraternellement l'un vers l'autre sont au milieu de camp ; aspect touchant et d'un charme indicible au milieu des mouvements de la guerre, sur un champ sillonné la veille par nos bombes, couvert encore des débris sanglants d'une armée vaincue.
                Mon attention était toute entière à ce profond contraste, quand les feux deviennent plus pressés et nos tirailleurs s'engagent visiblement.
                L'action va commencer. Quelques obus sont lancés sur les groupes les plus nombreux et le général en chef arrive de sa personne sur le terrain.

                Les deux premières divisions sont sous les armes. On voit bientôt des régiments qui s'ébranlent, puis s'avancent rapidement. Il était deux heures. Depuis ce moment les tirailleurs sur la gauche n'ont pas cessé de poursuivre au pas de course les Bédouins qui lâchaient le pied.
                Il y a eu sur la droite un peu plus de résistance et quelques difficultés de terrain plus saillantes ; mais nulle part une masse ennemie n'a pu tenir contre nos soldats. Il s'est bien vu çà et là quelques arabes assez déterminés pour attendre des détachements à petite distance ; mais cela a été fort rare, et dans ce cas même ils n'ont jamais soutenu le choc à la Baïonnette.

                Après leur coup lâché, les plus courageux fuient au haut de la montagne d'où l'on va les déloger. Mais que nous gravissons moins facilement et surtout moins vite qu'eux. Dans cette poursuite qui avance l'armée vers Alger :
                - on rejette sur la droite les Arabes combattants,
                - on les sépare ainsi de la milice janissaire qui défend Alger et occupe le château de l'Empereur,
                - on les éloigne du Bey et de son gouvernement qui les font trembler.

                Après le château et la ville investis, l'isolement sera complet ; et la population arabe dans toutes ses tribus n'aura plus que deux classes :
                - dont l'une apportera ses denrées et offrira des relations amicales,
                - dont l'autre attendra l'issue de la lutte et fera amitié au plus fort.


                Je voudrais bien n'être accusé :
                - de cacher nos pertes, de nier un climat insalubre,
                - d'omettre les ravages de ces vilains animaux qui devaient dévorer l'armée.

                Mais la main sur la conscience, j'affirme avoir :
                - fait hier dix lieues à travers le pays,
                - marché dans les sables et sur les bruyères,
                - descendu dans des ravins profonds,
                - gravi jusqu'à la cime des montagnes.
                - Je n'ai pas vu un scorpion,
                - je n'ai pas découvert un serpent,
                - je n'ai pas reçu une piqûre
                - J'ai parcouru toute la ligne de l'armée,
                - j'ai interrogé des soldats,
                - des officiers en grand nombre,
                - pas un homme n'est malade.


                A défaut des bêtes la Turquie et l'Angleterre enverront peut-être pour plaire à nos libéraux un bon traité offensif et défensif. Mais ce traité ne se perdra-t-y point dans la baie de Sidi-Ferruch avec l'amiral Malcom et l'escadre partie de Mahon pour s'opposer à notre débarquement ?
                Toutefois nos soldats marchant serrés et compactes, l'ennemi a quelque facilité pour nous blesser du monde.
                Un régiment s'avance pour occuper un mamelon ; les Arabes vont fuir, mais avant de descendre ils font une décharge sur les premières compagnies.
                Nous n'avons pas cet avantage parce que nous tirons sur un ennemi qui fuit ou sur des hommes qui se tiennent isolés l'un de l'autre : On marchait lentement ; la cavalerie avait été appelée pour hâter la poursuite de l'ennemi.

                Il était plus de midi quand elle put se mettre en ligne. Du reste aucune occasion ne lui a été offerte de rompre des carrés ou de faire une charge ; elle n'eut :
                - qu'à se former, puis à courir,
                - puis à se former de nouveau.

                C'est alors que l'on a reconnu distinctement ce chemin de Sidi-Kalef à Alger mentionné dans tous les écrits publiés au sujet de l'expédition.
                Alors aussi un pays tout nouveau découvert à nos yeux.
                es maisons de la plus belle apparence, de vastes jardins couverts de légumes et d'arbres fruitiers ! C'étaient les premières maisons depuis le départ de Toulon ; la première trace d'homme et de civilisation depuis notre débarquement sur cette côte sauvage. (Pour parler seulement de ce que j'ai visité en détail ; d'une grande maison bâtie en briques et à plusieurs étages, et d'un jardin autour duquel on reconnaît des restes de murailles qui l'avaient enclos.)
                - L'oranger, le citronnier,
                - le figuier s'y trouvaient dans les plus grandes proportions et chargés des plus beaux fruits.
                - Au pied de ces arbres, des ruisseaux purs et frais qui serpentent comme dans notre belle Europe.
                - A travers le jardin, des canaux d'irrigation pratiqués avec soin.
                - En approchant de la maison on est frappé d'un singulier mélange de luxe et de misère.


                Une porte vermoulue vous donne entrée dans un corridor pavé de marbre et des arceaux élégants soutiennent un plancher qui s'écroule. Des fenêtres taillées en ogive ne donnaient qu'une clarté douteuse, et l'ensemble de cette habitation n'offrait aucune des commodités que nous sommes habitués à trouver chez nous, quoiqu'il n'existât d'ailleurs aucune trace de destruction.
                Tout ce que j'apprends sur les quelques maisons voisines est conforme à ce que j'ai observé par moi-même. Mais il faut rappeler que nous sommes aux confins du pays habité, loin encore de ces maisons consulaires bâties à grands frais par des architectes italiens et qui avoisinent Alger.
                Le résultat de cette journée est immense. Deux lieues de terrain gagnées sur l'ennemi portaient nos avant-postes jusque sur le château de l'Empereur près du camp retranché qu'ont fait les Turcs en avant de ce fort qui domine la ville.

Revue africaine. Volume 70. Année 1929
G. Esquer
A SUIVRE




Le prof et l'étudiant
Envoyé par M. Louis
Un jeune étudiant en droit vient d'échouer à son examen.

         Il vient donc voir le correcteur, vieux professeur connu pour sa mauvaise humeur et son esprit très alerte.
         - Monsieur, je me demande si vous connaissez la réponse à un problème de droit qui me préoccupe.
         - En effet jeune homme, sinon je ne serais pas professeur, n'est-ce pas ?
         - Très bien. Alors j'aimerais vous poser une question et convenons, si vous le voulez bien, que si vous répondez correctement, j'accepterai le mauvais résultat que vous m'avez mis à mon examen, mais que dans le cas contraire, vous me donnerez un " A "
         - D'accord quelle est la question?

         - La question est la suivante: qu'est-ce qui est légal mais pas logique, logique mais pas légal et finalement ni logique ni légal ?
         Le professeur réfléchit longuement, tourne et retourne en tous sens ses immenses connaissances juridiques, mais ne trouve pas de réponse satisfaisante. Beau joueur, il accorde un A à l'étudiant, transformant ainsi son échec en réussite à l'examen Dans l'après-midi, frustré et encore troublé par la question, le professeur réunit ses assistants et les plus brillants de ses élèves afin de leur soumettre la question et de l'aider à trouver la solution. - Jeunes gens, sauriez vous dire ce qui est légal mais pas logique; logique mais pas légal et finalement ni logique ni légal ? À son immense stupéfaction, tous les étudiants levèrent la main.

         Le prof demande alors à son plus brillant étudiant: quelle est la réponse ?
         - C'est très facile Monsieur, vous avez 75 ans et vous avez épousé une femme âgée de 30 ans, ce qui est légal mais pas logique. - Votre épouse, elle, a un amant âgé de 22 ans ce qui est logique mais pas légal. - Enfin, l'amant de votre femme a échoué à son examen et vous lui avez quand même donné un " A " - Ce qui, vous en conviendrez, n'est ni logique ni légal.




De Sidi-Ferruch aux avants postes. Château de l'Empereur
Envoi de M. Christian Graille
Paradoxes


               La presqu'île est maintenant rendue au calme et à la paix :
               - plus de chalands qui labourent incessamment la plage,
               - le débarquement est achevé,
               - plus de cris de guerre ni de retentissement d'armes,
               - plus de ces longues files de soldats qui criaient au-dessus de nos têtes comme une atmosphère de sable et de poussière.

               Nos trois divisions sont en avant à plus de quatre lieues d'ici.
               On ne voit plus à Sidi-Ferruch que les paisibles distributeurs de vivres, que ces graves et utiles employés qui comptent les écus du Trésor ou distribuent les lettres de France.
               Je ne parle pas des hôpitaux où notre pays avec toute son humanité et toutes ses sciences, est dignement représenté par des hommes que l'on connaît : Au milieu de la gloire et de la fortune de la France, puissent se fermer les plaies de quelques-uns de ses enfants.

               Mais la défense de la presqu'île est assurée comme si l'armée entière y avait ses cantonnements. Au-dessus du fossé qui s'est rapidement achevé, s'élève un revêtement qui défie l'artillerie arabe et la cavalerie musulmane.
               Quelques compagnies d'artilleurs ayant à leur tête le commandant Préaux assurent mieux notre sommeil contre les Bédouins, que les patrouilles grises ne nous défendent à Paris contre les tapages nocturnes d'un entresol.
               Deux bateaux armés en guerre prolongent la défense du retranchement à plus de quarante pieds en mer et de chaque côté de la presqu'île à moins donc que les requins plus dociles que les scorpions à l'appel de l'opposition de France, ne logent sur leur dos et n'apportent à la plage des tribus d'Arabes.
               Il n'y a pas apparence que la presqu'île soit un seul instant troublée, un seul instant inquiétée. Mais les habitants de Sidi-Ferruch, tranquilles pour eux-mêmes étaient moins de croire la route jusqu'aux avants postes aussi bien assurée. Il circulait ici des histoires :
               - de convois attaqués,
               - de gendarmes enlevés,
               - de traîneurs à qui on coupait la tête.


               Si près du quartier général, ces nouvelles d'infirmiers, ces propos de cantinières avaient fini par répandre du doute et du malaise. C'était à Sidi-Ferruch comme un arsenal de " on dit " et de mensonges de la journée à l'usage des feuilles libérales de Paris. J'ai voulu vérifier par mes yeux, je vais dire ce que j'ai vu :
               Sur la droite de la route s'élèvent de demi-lieue en demi-lieue des redoutes garnies en grande partie par des canons pris à la Régence. D'une redoute à l'autre sont des postes fréquents éclairés au moins par des sentinelles que l'on place toujours en avant de la droite, et jusque sur le versant opposé des montagnes qui dominent le chemin.
               Les blockhaus arrivés par le dernier convoi commencent à s'élever ; chaque poste placé dans un blockhaus que défend toujours un pierrier (petit canon qui lance des pierres) pourrait tenir des heures entières contre des centaines d'assaillants ; un quart d'heure suffit pour que le bruit de la fusillade attire, des postes voisins, comme un petit corps d'armée sur le point attaqué.
               Le feu des redoutes qui se croiserait au besoin, empêcherait toujours qu'un parti, même le plus considérable, arrivât jusqu'à la route. Tout ceci sur la droite car aucune attaque ne peut venir vers la gauche qui est le côté de la mar.
               Toute bande qui y serait demeurée cachée dans quelques ravins et sous les pieds de nos divisions qui marchaient en avant, ou qui y pénètreraient je ne sais comment. Toute bande, dis-je, se trouverait enfermée étroitement dans un triangle formé par la mer, d'où nos vaisseaux balayent la côte par le retranchement de la presqu'île garni de canons, et toute la ligne des redoutes, des postes et des trois divisions de l'armée.

               De plus les convois nombreux qui se croisent sur le chemin se servent pour ainsi dire d'escorte l'un à l'autre ; et à deux endroits seulement où le plan, de terrain ne permet pas d'éclairer autant, on a poussé la prudence jusqu'à placer des détachements en avant et en arrière des convois.
               Quant à la route elle-même elle est maintenant faite et praticable pour l'artillerie jusque sous le château de l'empereur, c'est un travail vraiment prodigieux que cette route si large, si bien aplanie, à côté de la vielle route qui commence à Sidi-Kalef, route plutôt indiquée que tracée, plutôt un ravin qui se prolonge qu'un chemin pour le passage.
               Sans doute il y a bien encore quelques fatigues a y marcher, dans le sable jusqu'à la cheville et par une chaleur de trente-cinq degrés centigrades.
               Mais je puis assurer que pendant un trajet de quatre heures et ma carabine sur l'épaule et le yatagan (arme turque à lame recourbée) au côté, et le pistolet et le poignard à la ceinture ne m'ont été qu'un poids inutile.
               Le 28 au soir, toute l'armée était dans l'attente la plus vive.
               Le lendemain matin, à quatre heures, on devait attaquer le mamelon ou plutôt cette chaîne de montagnes qui couronne le château de l'empereur et la ville elle-même. Les divers écrits publiés depuis six mois sur l'expédition, et d'ailleurs les hommes qui connaissent ce pays s'accordaient à dire que tout dépendait de la possession de ce mamelon d'où l'on domine entièrement le château et par le château les vieilles murailles de Charles-Quint qui sont encore là comme pour défendre la ville. Il fallait donc s'emparer de ces hauteurs.
               Défendues par des Français, par notre artillerie, elles tiendraient contre une armée entière, contre toute l'Afrique réunie.
               Défendues même par des Turcs, elles pouvaient tenir longtemps et nous coûter cher. En tout cas ce devait être l'affaire la plus sérieuse de la campagne et l'on s'attendait à une résistance opiniâtre à quatre heures, donc le signal est donné, et l'attaque va commencer.

               Déjà par une habile manœuvre, des colonnes se sont avancées dans les ravins surtout du mamelon et vont cerner les batteries. Cet avantage inattendu a saisi d'étonnement les canonniers turcs sur leurs affûts. Mais quand la bouillante ardeur de nos jeunes soldats les pousse sur les pièces tonnantes au cri de " vive le Roi ! Et baïonnette en avant. " Tant d'audace épouvante, anéantit l'ennemi qui abandonne ses canons, son camp retranché et fuit en désordre vers le château.
               Dès le même jour les travaux de la tranché ont commencé ; et si pour épargner le sang des hommes on n'avait pas remis à la nuit ces travaux qui ne peuvent durer longtemps le château de l'empereur aurait croulé déjà sous le feu de notre artillerie. J'ai passé deux jours au quartier général, placé maintenant au milieu de ces maisons consulaires, élégantes villas d'Italie et véritables châteaux de plaisance comme nous en avons dans les plus belles parties de notre beau pays.

               Les maisons de consuls ont reçu des sauves-gardes et partout le pavillon a été respecté. Tous les consuls se trouvent maintenant réunis dans la maison du consul américain. Je ne puis dire que deux mots sur une campagne charmante et une position magnifique : A nos pieds, la mer ; Alger nos vaisseaux qui croisent, et devant nous les sites les plus pittoresques et des chaînes de montagne qui vont se perdre dans l'Atlas.
               Nous allons offrir à nos lecteurs la traduction littérale d'un document assez curieux, c'est une lettre trouvée sur un officier turc mort sur-le-champ d'honneur dans la matinée du 29 à l'attaque du mamelon, elle donne une idée de l'état désespéré dans lequel se trouvent les défenseurs du Dey, et du dévouement qu'ils peuvent attendre d'auxiliaires qui ne servent leur cause qu'à prix d'argent.
               " Avec le secours du Très Haut, que la présente soit remise entre les mains du très honorable, très heureux et très généreux Aga Seyd Hadgi Ibrahim, fils de Ahmed Hodgea au service du sultan d'Alger.
               Très noble, très puissant, très miséricordieux, Seigneur etc., etc. D'après votre invitation je me suis rendu à la réunion. Le Wahib Emal fait ses efforts (que Dieu les couronne de succès).

               Il est nécessaire d'envoyer de l'argent, surtout de l'or. On préférerait les ducats de Hongrie, ou bien la monnaie d'or d'Egypte dont le pacha a la coutume de faire usage dans ses paiements : ayez la bonté de m'écrire par le porteur.
               Tout ce que vous m'avez envoyé en argent et argenterie est tombé entre les mains de l'ennemi. Je vous assure que Saïd Mustafa, Saïd Mehemed, Sayb et plusieurs autres martyrs de la foi ont péri par le feu de l'ennemi.
               27 delhhdje 1241, Mehemed Voh.

               Des blessés et de la nature des blessures.
               Après avoir entretenu nos lecteurs des succès de nos armes, il est juste de leur faire savoir au prix duquel sang et de quelles douleurs ces triomphes ont été achetés. Au milieu de l'enthousiasme que font naître l'aspect d'une armée victorieuse, les drapeaux et les dépouilles conquis sur l'ennemi, on ne voit pas sans émotion et sans reconnaissance, tous les soins prodigués aux blessés, une administration sage et prévoyante, concourt de tous ses moyens aux secours donnés par des mains habiles à ces intéressantes victimes de la victoire.

               Le sang répandu est une des fatales nécessités de la guerre. Ce qui est consolant à penser c'est que pendant cette courte et importante campagne, tout a été fait pour épargner la vie des hommes sur-le-champ de bataille et que tout a été prévu pour la conserver dans les hôpitaux.
               On peut porter de 16 à 1.800 la quantité de nos blessés, heureusement le plus grand nombre des blessures sera sans résultat funeste et ne laissera sur le corps de nos braves soldats que d'honorables cicatrices.
               On envoie journellement à Mahon tous les blessés qui peuvent faire ce voyage sans danger.
               Trois cents tout au plus sont encore dans le camp, ce sont ceux que la nature ou la gravité de leur état empêche de partir et ceux aussi n'ayant que des blessures légères pourront, sous peu de jours, aller prendre leur revanche sur les Algériens.

               Ils sont tous bien impatients de voir arriver ce moment, et quelques-uns d'entre eux même, du nombre de ceux qui étaient sur le point de s'embarquer, trompant la vigilance de leurs gardiens, ont été le bras en écharpe, et l'appareil sur leurs partager de nouveau les périls et les fatigues de leurs compagnons d'armes.
               Nous n'avons eu, jusqu'ici que des plaies d'armes à feu.
               Les Bédouins n'ont pas de baïonnettes et font la guerre en tirailleurs. Leurs balles sont de plus petit calibre que les nôtres. Elles ne sont point mâchées ainsi que le bruit paraissait s'en être injustement répandu.
               Elles ne sont pas à la vérité bien régulièrement sphériques et ont presque toutes les restes d'une petite queue qui se produit ordinairement lorsque l'on coule du plomb dans l'eau.
               Cette saillie paraît-il aplanie avec un couteau et n'offre pas d'aspérité. Cette légère irrégularité a bien pu dans quelques cas peu nombreux augmenter la gravité des blessures ; mais en général elle n'a pas pu occasionner de graves inconvénients.

               La plupart de nos blessés ont été atteints dans les membres inférieurs.
               Ce genre de blessures qui donnent peu de craintes pour la vie, a rendu malheureusement l'amputation quelque fois nécessaire.
               Une chose digne de remarquer c'est que les premiers jours, les balles portaient trop haut pour atteindre nos soldats ; plus tard les Bédouins ont mieux dirigé leurs coups.
               - Qui a pu les instruire de la fausse portée de leurs balles ?
               - A quoi attribuer ce changement ?
               - Est-ce au hasard ou plutôt est-ce à la disposition des lieux où l'on a combattu ?

               Il faut le croire, il serait trop pénible de penser qu'il faut l'attribuer à la même cause qui a fait apporter à Torre-Chica le manuel français d'artillerie et les autres ouvrages de stratégie militaires. (Le 14 juin, après que la division Berthezène sitôt débarquée se fut emparé de la première position turque, on trouve dans celle-ci divers objets dont la présence en pareil lieu ne manque pas de surprendre : un rapport d'artillerie, un volume d'Horace, et sous le titre épître à l'objet de mon rêve, une sorte de roman. On ne doute plus que des Français ne fussent au service de la Régence et que nous eussions des compatriotes à combattre. Mais peu après le rapporteur fut reconnu appartenir à un lieutenant topographe et l'un des voltigeurs entré dans les premiers dans la batterie vint réclamer le livre et les papiers tombés de son sac.)

               L'état sanitaire de nos blessés est on ne peut plus satisfaisant. Le plus grand nombre d'entre eux ayant été transportés à Mahon n'ont pas à redouter les accidents que fait naître la chaleur et l'encombrement des malades.
               Ceux qui sont restés ici n'ont pas non plus ressenti d'une manière fâcheuse l'influence du climat ; grâce au soin que l'on prend de renouveler souvent leurs pansements, d'arroser les salles avec du chlorure de chaux, et au zèle intelligent et infatigable des officiers de santé auxquels tous les malades savent rendre une entière justice. -- A. R

Observations météorologiques faites au camp de Sidi-Ferruch
du 26 juin au 1er juillet 1830
Observations

               Dans la nuit du 26 au 27 un violent coup de vent S. O. a tourmenté les bâtiments stationnés dans la rade, plusieurs d'entre eux ont éprouvé des avaries considérables. Des tourbillons de sable ont fatigué les yeux.
               Le 30, le temps s'est couvert dans l'après-midi ; petite pluie fraîche dans la nuit du 30 au 1er juillet.
               Le thermomètre exposé au soleil de midi a marqué 45° centigrades. Il résulte de ces observations que la plus grande élévation de la température a été de 41° le 30 juin à 3 heures après-midi. Le minimum a été de 18 le 28 à 6 heures du matin.
               Le thermomètre est placé dans une tente appelée marquise, ouverte de tous côtés, hormis vis-à-vis le soleil.
               Dans les tentes dites pour quinze personnes, la chaleur est beaucoup plus considérable, elle a dépassé 45 le 30 juin.
               Il est à remarquer que la chaleur quoique moins forte de 10 heures à midi, que dans l'après-midi, se fait sentir beaucoup plus vivement que vers le milieu du jour, et ne tempère pas alors l'action du soleil.

               Le 2 juillet, à 4 heures après-midi le thermomètre plonge dans la mer, au milieu de la baie a indiqué 25°. Notre tente d'observation est assise sur un plateau ensablé, légèrement incliné vers le Sud ; la couche de sable est de nature granitique, elle a 2 à 3 pieds de profondeur.
               En creusant dans le sol, on rencontre une terre humide très près de la surface ; l'eau parait à 2 ou 3 mètres de la superficie ; près de la mer on la rencontre à un mètre mais elle n'est pas de bonne qualité.
               Celle des puits situés sur le plateau de la Torre-Chica est généralement bonne.
               Comme la presqu'île de Sidi-Ferruch est entourée par la mer et ne communique avec la terre que du côté du Sud, le vent qui souffle dans cette dernière direction est le seul qui ne soit pas rafraîchi par la mer ; aussi devons-nous nous attendre à des chaleurs beaucoup plus fortes lorsque son règne arrivera.
               La fraîcheur des nuits est très grande : son minimum ne parait pas descendre au-dessous de 16 à 18 degrés.
               Il y a donc une différence de 20 à 22 degrés entre la température moyenne du jour et celle de la nuit.
               Cette considération rend nécessaire l'usage des vêtements chauds et de flanelle, pendant la fraîcheur des soirées et des nuits, et c'est une salutaire précaution que celle qui a muni nos soldats de ces moyens de défense, contre une température aussi variable.

Mélanges

               On a amené au camp une vieille femme algérienne, prise dans une maison de campagne près du château de l'Empereur, elle était renfermée dans son jardin et chargeait le fusil de son mari qui tirait sur nos troupes, le mari a été tué et la femme légèrement blessée à la tête.
               Elle est très bien soignée dans une tente, où, après avoir passé toute la nuit à invoquer Mahomet elle commence à présent à prendre avec assez de résignation son parti.
               Elle nous a dit :
               - que la plus grande terreur règne dans Alger,
               - que les habitants ont enfoui tous leurs effets les plus précieux et
               - qu'elle-même est sortie d'Alger de frayeur après avoir déposé tout ce qu'elle possède :
               - en argent, meubles et bijoux entre les mains d'un Juif.

               Elle nous disait hier d'un ton piteux : " Nous savons bien messieurs les Français que vous ne venez ici que pour trouver de jolies filles, mais vous serez bien attrapés, vous n'en trouverez pas à Alger c'est à Tunis que vous auriez dû aller. "

               Le télégramme de nuit de M. de St-Haouan, établi sur la plate-forme de Torre Chica a rendu les plus grands services. Il a communiqué jusqu'à ce jour du quartier général au vaisseau amiral, et est établi à ce moment aux avant-postes de Staouéli ; de cette manière les nouvelles parviendront en moins de deux minutes de Staouéli à la baie où la flotte est stationnée.
               Il y a quelques jours que le Consul du Danemark se présenta à la Cassauba, à l'audience du Dey, pour lui offrir les présents d'usages, Hussein refusa de les recevoir et lui dit avec son assurance habituelle : " Garde, garde Consul, je n'ai pas le temps de régler cette affaire-là dans ce moment nous en reparlerons quand je me serai débarrassé de ces chiens de Français. "
               Il paraît d'après cela que nous gagnons en considération auprès du Dey car il y a quelque temps qu'il nous appelait des poules et qu'il disait en riant dans sa barbe : " lasciate, lasciate venire las gallinas franceses. "(Laissez ! Laissez ! Venir les poules françaises)

               Un accident déplorable et qui a vivement affligé tous ceux qui en ont été témoins a eu lieu à la suite de l'attaque du dernier retranchement si vaillamment emporté par nos troupes.
               Quelques soldats poursuivant les fuyards qu'ils croyaient avoir vu entrer dans une maison écartée de la route, se mettent en devoir d'enfoncer la porte, elle résiste à leurs coups.
               Dans leur impatience ils tirent sur les panneaux quelques coups de fusil, elle cède enfin, ils se précipitent dans la maison, le premier objet qui frappe leurs regards est une jeune juive de 16 ans jolie et fraîche comme la Jessica de Shakespeare et qui était expirante sur le pavé de marbre ; elle avait été atteinte de deux balles dans le sein. C'est en vain qu'on a cherché à la rappeler à la vie.
               Eugène Isabey qui est arrivé quelques instants après à dessiné sa figure sur son album.
               On retrouve dans cette légère esquisse toute la pureté des traits sous lesquels on nous représente les vierges de Sion. (Le même fait est rapporté dans les mêmes termes dans l'Aviso de la Méditerranée du 21 juillet 1830 (archives nationales marines).

               Merle donne une variante : des soldats en attaquant par une porte du jardin qu'on s'obstinait à ne pas leur ouvrir, tirèrent quelques coups de fusil sur les panneaux. Une balle ayant traversé, frappa dans la poitrine une jeune servante juive qui tombe morte et baignée dans son sang.
               Tous les secours furent inutiles. Elle avait seize ans et était comme Rachel belle de taille et belle à voir. Cette mort attrista tous ceux qui en furent les témoins. Gudia qui se trouve là fit un portrait charmant de cette jeune fille.)

               Malgré les atrocités dont nos soldats ont été les témoins et les victimes, il y a chez eux encore un fond inépuisable de grandeur d'âme et de générosité. Nous les avons vu nos jeunes conscrits relever sur-le-champ de bataille des Turcs et des Bédouins blessés, que dans toute la vivacité de la mêlée, leurs camarades n'avaient pas eu le temps d'emporter.
               Il y avait dans les soins qu'ils leur prodiguaient un mélange fort singulier d'humour et bonté ; souvent sur le même fourgon d'ambulance, un blessé français jurait contre un Bédouin aussi blessé que lui et avec lequel il partageait en murmurant sa paille et son matelas.

               Un de ces Arabes blessés dans une des dernières affaires, couché et soigné à côté de nos soldats a donné un spectacle touchant à tout l'hôpital.
               Il était arrivé depuis deux jours et était vivement ému des soins qu'on lui donnait ; lorsqu'on amène sous la baraque dans laquelle il reposait un vieil arabe qui s'était présenté le matin sans armes à nos avant-postes, le blessé reconnut son père, qui, au péril de sa tête, venait voir son fils.
               Le vieillard s'avança gravement au chevet du lit, il met un genou à terre et lui présente sa main droite, le jeune homme la baise respectueusement ; des larmes coulent de leurs yeux, le père se relève et lui adresse quelques mots de consolation ; l'interprète s'approche et lui donne l'assurance que si son fils peut supporter l'amputation de la jambe, sa guérison est certaine ; l'Arabe lève les yeux au ciel en disant : " Ce qui Dieu a fait est bien fait et sa volonté doit être accomplie en toute chose. "
               Il ordonna à son enfant de refuser toute espèce de secours humain et après l'avoir embrassé demande à retourner vers son camp. On le fait reconduire aux avant-postes où nos soldats ont la douleur en le quittant de voir de loin tomber sa tête sous le yatagan d'un officier turc qui voulait le punir d'avoir communiqué avec le camp français.

               Nous nous empressons de réparer une omission de notre dernier numéro. Le nom du bateau à vapeur le Coureur doit être cité au nombre de ceux qui ont soutenu et protégé le débarquement.
               Le 14, à trois heures du matin il était en position à portée de fusil du fort, et servait de rempart à un grand nombre de bateaux plats et de chaloupes.
               C'est avec plaisir que nous saisissons cette occasion de rétablir un fait ; notre devoir étant de faire connaître en France les services de tous les genres rendus pendant l'expédition, tant par la marine que par l'armée de terre.

Nouvelles de l'armée du 4 juillet.

               Ce matin, à trois heures les ouvrages de la tranchée étaient terminées, nos batteries ont commencé le feu sur le château de l'Empereur, pendant sept heures cette forteresse a été battue en brèche de la manière la plus soutenue.
               A huit heures la place n'était déjà plus tenable pour la garnison qui s'est retirée sur la ville, où par les ordres du Dey, elle a été reçue à coups de canon et forcée de retourner sur les remparts.
               A dix heures, une bombe heureusement dirigée a mis le feu à un magasin à poudre et le fort a sauté au moment de la déroute des Turcs dont plusieurs ont été ensevelis sous les décombres.
               Quelques minutes plus tard nos troupes allaient donner l'assaut et dix bataillons étais prêts à y monter. De plus le désordre le plus complet a régné dans Alger et le plus grand effroi dans la casbah.

               Le Dey a envoyé des parlementaires au général en chef à son quartier général et à l'amiral en vue du port. Les habitants d'Alger quittent la ville par bandes. On dit que plus de 500 familles juives ont trouvé moyen de se mettre sous la protection de nos troupes.

               Le 5 à trois heures du matin.
               Des nouvelles qui arrivent du quartier général nous apprennent que le Dey a sollicité une capitulation, qu'il a été admis à se rendre à discrétion, et qu'à midi nos troupes doivent prendre possession :
               - des portes de la ville,
               - des postes,
               - des canons et que le quartier général sera établi à la Casbah.

               Tous les forts qui avoisinent la ville sont rendus et occupés par nos troupes.

               A 7 heures du soir.
               Ce matin à 8 heures, des députés d'Alger ont été admis devant le général en chef qui leur a dit qu'il voulait qu'on lui remit les clés de la ville et que le Dey et toute la garnison turque se rendissent à discrétion, qu'on leur garantissait leurs vies et leurs propriétés.
               A 9 heures le Dey est venu en personne faire sa soumission au général en chef à quelque distance de la ville.
               - Aussitôt les postes ont été occupés par nos troupes,
               - les forts par l'artillerie et la ville par le 34e régiment de ligne.

               A 10 heures le général en chef a établi son quartier général à la Casbah, le drapeau blanc flotte sur les remparts d'Alger la guerrière.

               Malgré que son directeur nous présente la publication de son journal comme un évènement considérable, l'Estafette d'Alger paraît avoir passé à peu près inaperçue, car, à deux exceptions près, il n'en est pas fait mention dans les diverses relations de la campagne.
               L'enseigne Aubry-Bailleul, qui devint contre-amiral, écrit le 4 juillet à Augustin Jal : " Vous avez dû recevoir le premier numéro de l'Estafette d'Alger. C'est bien vraiment la montagne qui accouche d'une souris.
               Monsieur Merle s'est évertué à composer des idées bien bêtes pour les prêter à nos soldats qui, certes, ont plus d'esprit qu'il ne veut bien leur en prêter.
               De son côté le Lieutenant-Général Loverdo commandant la deuxième division de l'armée expéditionnaire en 1830 note :
               " Les premières épreuves de l'Estafette d'Alger circulèrent dans le camp. Ses rédacteurs l'avaient annoncée comme le journal de l'armée : ils s'attribuaient le titre de secrétaires particuliers du général en chef.
               Le général Desprez nous rendit un véritable service en s'opposant à la continuation de ce journal qui aurait allumé le feu de la discorde dans nos rangs. "
               Combien en parcourant les numéros de la feuille incriminée, ces jugements sévères paraissent exagérés ! Ils sont la conséquence,
               - le premier, du manque de sympathie qui régna pendant la campagne entre les officiers de l'armée navale et l'état-major du général en chef,
               - le second, des difficultés que Loverdo eut pendant la campagne avec le quartier général.


               La situation de Merle suffisait aux yeux de certains à discréditer son œuvre.
               D'autre part, afin sans doute d'éviter de faire des mécontents par des omissions inévitables, Merle s'est gardé soigneusement en retraçant le cours des opérations de citer personne.
               Par suite il a mécontenté tout le monde et il a payé de retour par le silence que l'ensemble des analystes de l'expédition ont gardé sur l'Estafette d'Alger.

               L'accueil fait au premier numéro reçu en France ne fut pas plus chaleureux.
               " En lisant l'Estafette d'Alger, on est bientôt convaincu que ce journal n'a pas été jusqu'à ce jour rédigé sur le théâtre de la guerre.
               Il n'a aucune teinte de localité.. On dirait que ce n'est qu'une compilation de lettres sottement écrites et plus sottement analysées. Si l'Estafette conserve cette allure, nous doutons fort qu'elle aille bien et longtemps. "

               Le Sémaphore de Marseille se faisait écrire de Toulon :
               " Avez-vous reçu l'extrait d l'Estafette que je vous ai envoyé hier ? Je le désire pour que vous puissiez juger de ce chef-d'œuvre. On avait assuré que ce journal devait être rédigé par M. Merle, secrétaire du comte de Bourmont. Je crois que le plan de cette feuille est manqué et je défie au plus malin d'affirmer que le rédacteur de l'extrait que je vous ai envoyé soit un fin merle … "

               Cet accueil peu confraternel était inspiré sans doute par la crainte d'une concurrence faite aux journaux métropolitains par une feuille africaine.
               Crainte doublement illusoire car les retards avec lesquels l'Estafette paraissait et parvenait en France écartaient les abonnés, et surtout parce que le journal ne devait pas aller au-delà du second numéro.
               Les occupations que procuraient la rédaction et l'impression de l'Estafette n'étaient pas tellement absorbantes que l'existence à Sidi-Ferruch ne parut au rédacteur en chef empreinte d'une monotonie qu'il a ainsi exprimée : Les ressorts de notre organisation se détendent tout à coup et les souvenirs des affections, des douceurs de chez soi viennent nous surprendre sur une terre étrangère, au milieu d'une nuit froide et humide, pendant les longs intervalles d'un insomnie rendue plus insupportable par le tourment des moustiques et la contrariété " Tout n'est que joies et plaisirs à l'armée :
               - le bruit imposant du canon,
               - les fanfares guerrières,
               - l'éclat de la victoire,
               - le tumulte des armes, finissent par rassurer l'imagination.


               A ces émotions rares et enivrantes succèdent des moments d'ennui et de dégoût.
               Les ressorts de notre organisations se détendent tout à coup et les souvenirs des affections, des douceurs de chez soi , viennent nous surprendre sur une terres étrangère, au milieu d'une nuit froide et humide , pendant les longs intervalles d'une insomnie rendue plus insupportable par le tourments des moustiques et la contrariété nerveuse occasionnée par les mugissements rauques et lugubres des chameaux.
               Voilà ce que nous commencions à éprouver quelques fois sur cette côte d'Afrique que nous avions tant appelée de nos vœux et qui ne nous offrait depuis dix jours que le spectacle uniforme de la mer et l'immense rideau des montagnes de l'Atlas que nous revoyons chaque matin avec leur éternel azur, et le soir rouge comme le soleil qu'elles reflétaient.

               Sans cesse la vue de cette tour blanche de Torre Chica que les yeux retrouvaient partout et ce palmier solitaire qui semblait triste au milieu de nous et qui se balançait languissant comme pour nous dire qu'il s'ennuyait de nous voir. Enfin le supplice de douze heures d'une atmosphère étouffante qui tombait sur nous d'un poids de 38° de chaleur et nous jetait haletant sur notre paille attendant avec l'impatience du tourment un souffle d'air rafraîchissant qui ne nous arrivait le soir qu'avec une rosée pénétrante.
               - Du riz assaisonné avec un morceau de lard,
               - un bifteck de bœuf étique ou
               - une tranche de chameau et
               - quelques verres de gros vins de Languedoc que des flots d'eau saumâtre avaient peine à décolorer, telles étaient les douceurs de notre table car on ne pouvait pas tous les jours aller s'asseoir sous la tente d'Hennequin (un certain Hennequin de Nantes avait frété un brick chargé des comestibles les plus recherchés et des meilleurs vins, avait installé à Sidi-Ferruch au milieu des parcs de l'armée, un restaurant qui fut aussitôt très fréquenté) et lui payer au poids de l'or ses compotes de perdrix, ses terrines aux truffes, sa blanquette de Limoux et son vin de Sillery. Nos promenades sur la plage, autour de nos tentes, les charmes d'un bain à la lame à l'aurore ou le soir au couchant du soleil, étaient nos seuls plaisirs.


               Le séjour de Merle à Sidi-Ferruch n'allait d'ailleurs pas tarder à prendre fin.
               Dans la matinée du 4 juillet, après une canonnade qui durait depuis le point du jour, on entendit au camp une épouvantable explosion.
               Au même instant l'horizon fut couvert d'une fumée noire et épaisse qui s'élevait à une hauteur prodigieuse ; le vent apporta une odeur :
               - de poudre, de poussière et de laine brûlée.
               Dans la soirée un expresse confirma l'explosion du fort l'Empereur et annonça que le Dey avait capitulé.

               Merle arrangea donc son départ pour le 7 juillet au matin et donna les instructions nécessaires au transport de l'imprimerie. Son rôle de journaliste avait pris fin.
               L'Estafette d'Alger avait vécu, du moins l'édition africaine, car Bellue continuait à faire paraître l'édition de Toulon.
               Il avait attendu vainement l'arrivée du troisième numéro imprimé à Sidi-Ferruch et saisi vraisemblablement de réclamations, il devait s'excuser d'un retard " qui lui est plus pénible qu'aux abonnées eux-mêmes. "

               Aussi, le désir d'être agréable au public lui fait-il prendre la détermination, en attendant les numéros d'Alger d'en faire imprimer un à Toulon contenant les rapports officiels qui doivent entrer dans la collection et quelques nouvelles du jour. Heureux si MM. Les abonnés conçoivent tout ce que sa position a de pénible et lui sauraient gré de ses efforts et de ses sacrifices. "

               Bellue déclinait toute responsabilité, n'était-il pas un simple commissionnaire de cette Affaire ? et se déchargeait sur son confrère d'Alger. " Les conditions du prospectus ont été établis par M. Merle, rédacteur en chef de l'Estafette. Si elles n'ont pas reçu une entière exécution, c'est la faute, sans doute involontaire, de ce dernier. "
               Enfin comme ses nombreuses opérations ne lui permettent pas de faire droit aux réclamations qu'on lui adresse, M. Larade, gérant de l'Estafette est désormais seul chargé de la gestion et de l'administration de ce journal.
               Celui-ci continua donc à paraître deux fois par semaine, à des jours indéterminés.
               Une modification fut apportée à son titre au début d'août.

               Aussitôt reçue la nouvelle de la chute de Charles X les armes de France de France disparurent ainsi que toute indication de périodicité. Dans le numéro 4 du 21 août, Bellue et Larade annonçaient qu'à la suite du retour de Merle en France ils devenaient seuls propriétaires du journal.
               " Les difficultés qui s'étaient élevées en Afrique pour l'impression de l'Estafette n'existent plus.
               Elles ont été remplacées par l'établissement d'une correspondance des plus actives et des plus intéressantes avec les collaborateurs de ce journal qui tous dans l'armée remplissent des emplois supérieurs et peuvent ainsi être au courant de tous les évènements. "
               Tout allait marcher désormais le mieux du monde.

               Il n'y aura plus ni retards ni irrégularités et les nouvelles les plus fraîches et surtout les plus exactes leur seront données par l'Estafette. "
               Mais ce journal se distinguait de moins en moins des autres feuilles de Marseille ou de Toulon donnant à peu près les mêmes nouvelles qu'elles vinssent d'Afrique ou qu'elles eussent trait aux évènements politiques.
               Le côté " local " en quoi consistait l'intérêt du journal rédigé par Merle lui manquait donc, et la nouvelle Estafette faisait double emploi avec les journaux plus anciens et d'ailleurs mieux rédigés ne pouvaient durer longtemps.

               Après quelques jours passés à Alger Merle débarqua à Toulon dans le courant d'août. Il rapportait d'Afrique des notes qu'il a utilisées dans un volume paru en 1831 sous le titre : Anecdotes, historiques et politiques pour servir à l'histoire de la conquête d'Alger en 1830 par J.T. Merle, secrétaire particulier de M. le Comte de Bourmont, commandant en chef de l'expédition d'Afrique. Comme épigraphe, une phrase de Joinville : " Je prierai les lecteurs de ce mien labeur, qu'ils veuillent prendre en bonne part tout ce que j'y ai écrit, vous assurant tout ce que j'affirme et quant à ce que je récite avoir ouï, je le tiens de gens dignes de croire. "
               L'ouvrage est dédié au maréchal de Bourmont dont l'auteur en une lettre liminaire évoque la situation en 1830 et en juillet 1931 :
               " Quand j'ai eu l'honneur de prendre congé de vous à la Casbah … vous étiez environné de l'estime de vos compagnons d'armes et de l'admiration de l'Europe : rien ne manquait à votre gloire !
               Aujourd'hui c'est sur la terre d'exil, où la tempête politique vous a jeté que je viens vous offrir le témoignage de mon inviolable attachement. "
               Ces lignes dans lesquelles Merle assurait Bourmont, vaincu par le sort, de la fidélité de son souvenir, étaient écrites à une époque où les passions politiques s'efforçaient à effacer du nom de l'histoire le nom du vainqueur le nom du vainqueur d'Alger.
               (Deux ans après le gouvernement de Louis-Philippe allait se donner le ridicule de faire graver à Brest, sur le piédestal d'une colonne commémorative de la prise d'Alger une inscription où figure à côté du nom de l'amiral Duperré, ceux du ministre de la marine et du préfet maritime de Brest en fonction en 1833, mais où par contre le nom de Bourmont est omis.)

               Ce livre écrivain un rédacteur de la Revue de Paris est le fait d'un homme de cœur. Ayant eu à se louer du général en chef, M. Merle profita du moment de son exil pour imprimer la reconnaissance et de son épître dédicatoire n'est pas une flatterie faite, intéressée. L'ouvrage n'a d'ailleurs rien d'un panégyrique.
               L'entraînement de la fidélité au malheur n'a pas préoccupé l'auteur jusqu'à lui faire faire de son livre une œuvre de parti. Merle s'est efforcé d'être exact et de se documenter sérieusement sur les faits dont il n'a pas été le témoin. Son interview de l'interprète Bracevich nous a conservé le dramatique récit des circonstances dans lesquelles le Dey Hussein accepta l'ultimatum de Bourmont.
               Il ne méprise pas le document : il a ainsi reproduit en appendice le rapport du général Valazé sur les travaux du génie pour le siège d'Alger, une note sur le trésor de la Cassauba et une note sur les auxiliaires d'Afrique.
               Enfin il a complété son livre par une carte de la presqu'île de Sidi-Ferruch avec l'indication de l'emplacement des différents corps et services, un plan de Torre-Chica et de la Casbah avec les logements de l'État-Major, un plan de l'attaque du fort l'Empereur.

               Malgré quoi, il convient de ne pas chercher dans les anecdotes plus que ce que l'auteur a voulu y mettre. Elles ne sont pas une histoire de l'expédition, pas même une relation complète ou seulement suivie des opérations. Il a nettement décliné toute compétence sur ce point.
               Je n'ai pas besoin, je pense, de m'excuser de n'avoir pas donné de grands détails sur les opérations militaires de la campagne. Personne, à coup sûr, ne les attendra de moi.
               Je me serais bien gardé de m'affubler du ridicule de juger la partie stratégique de la guerre d'Afrique. (Il n'aborde qu'exceptionnellement le côté politique. Cependant les raison qu'il donne de la douceur des conditions imposées au Dey d'Alger par la capitulation.)

               Merle s'est simplement proposé de conter sous forme d'anecdotes ses souvenirs personnels de la campagne et de les conter librement en homme qui ne doit de ménagement à personne. (Voir le jugement qu'il porte sur la " camarilla " du Duc d'Angoulême : " cette foule de valets en crédit qui ont entouré le prince de leur fatal dévouement jusqu'au jour où leur intérêt a été de le trahir et de l'abandonner.)
               Comme figaro, j'ai voulu au moins du plaisir où je ne trouvais pas de profit et j'avoues que je me suis bien amusé :
               - de la suffisance de beaucoup de grosses épaulettes,
               - de l'impertinence de quelques intendants et
               - des ridicules prétentions de tant de gens que j'ai rencontré sur mon passage, depuis la terrasse de Torre-Chica jusqu'aux antichambres de la Casbah.


               Je me suis convaincu qu'il y avait plus de comédie dans une journée de quartier général qu'il ne s'en fait en un an dans quatre théâtres royaux.
               Je ne désespère pas de pouvoir amuser le public de quelques caricatures militaires que leurs épées et leurs croix ne mettraient pas à l'abri de bonnes et grosses bêtises d'Odry (1781-1853, célèbre bouffon du théâtre des Variétés).
               Merle n'avait décidément pas le respect des " habits brodés ".
               Il ne s'est pas borné à observer la campagne sous le point de vue comique et il a parlé comme il convenait de la bravoure et du dévouement des soldats dont le plus grand nombre voyait pourtant le feu pour la première fois.
               Ils y allaient avec le sang-froid de nos vieilles bandes, des fatigues de la campagne, des souffrances des blessés, (Merle a rendu également justice aux marins qui exécutaient avec joie et enthousiasme des travaux qu'on regardait comme une barbarie d'exiger des nègres et des forçats. Il serait difficile d'imaginer quelque chose de plus beau que le zèle infatigable et le dévouement de tous les instants des officiers de marine et de leurs équipages depuis le commencement de la campagne) douloureux revers de la médaille qui bien mieux que la philosophie, dissipait toutes les illusions de la gloire.

               Il faut avoir vu chaque jour le long cortège des fourgons d'ambulances, chargés de soldats :
               - mutilés, pâles, défaits, sanglants,
               - pantelants de douleur se dirigeant à travers un nuage de poussière vers ce lit d'hôpital où ils devraient laisser un membre.

               Et souvent la vie pour apprécier à leur juste valeur ces bulletins qui font les délices du désœuvré qui les lit dans un journal en prenant sa tasse de moka sous les ombrages du Palais Royal ou en avalant un long verre de vin de champagne frappé, au rocher de Cancale.
               Ce bulletin tient à peine une demi-colonne du Moniteur, mais le convoi qui traînait les blessés avec lesquels il a été fait occupait une demi-lieue de terrain.

               Le lecteur philanthrope se félicite de la ligne rassurante qui le termine : nous avons perdu peu de monde dans cette glorieuse journée ; à peine cent hommes tués et deux cents blessés et il croit payer sa dette à l'humanité en buvant une rasade à leur mémoire ou à leur santé sans se douter seulement que ces deux chiffres, si simples sur le papier remplissent de cadavres une fosse de vingt pieds carrés et encombrent de mourants une vaste salle d'hôpital. "

               Nombreux sont dans l'ouvrage de Merle les morceaux bien venus :
               - description de Sidi-Ferruch et du marabout où se logea à la diable le personnel du quartier général,
               - du camp français,
               - de la tempête du 16 juin,
               - de la route entre Staouéli et le fort l'Empereur,
               - de la Casbah, spectacle des terrasses d'Alger la nuit.


               Voici la place de la Casbah le lendemain de l'entrée des Français :
               " Cette place ou plutôt les deux rues en équerre qui la forment étaient couvertes de soldats et de Juifs qui faisaient entre eux des échanges de tous genres.
               Tous les cantiniers de l'armée s'étaient installés dans les corps de garde des janissaires et dans les espèces d'échoppes où les officiers de justice du Dey donnaient leurs audiences.
               Là étaient étalés sans ordre :
               - des marchands d'oranges de Majorque,
               - de citrons d'Ivice, ( Île des Baléares)
               - de cédrats de Valence.
               - Les uns vendaient et des pâtés de Périgueux qu'on mangeait sur le pouce


               On buvait à pleins verres :
               - le vin de Champagne,
               - l'orangeade de Malaga,
               - la limonade,
               - le rhum,
               - le lait de chèvre,
               - le cognac,
               - l'hydromel (boisson fermentée d'eau et de miel)


               La rue de l'Aga était :
               - une salle de restaurant, un café, une guinguette.
               C'était un banquet général :
               - sans apprêts, sans nappes, sans fourchettes.
               Sur le pavé, sur la borne, à l'ombre des murailles de la Casbah, :
               - debout, assis, sous la tente, au soleil,
               - tout était joie : c'était la conquête sous son plus bel aspect.


               Et voici les impressions d'un boulevardier sur la ville même d'Alger en 1830 : " Alger est de toutes les villes que j'ai parcourues, celle dont les rues sont les plus désagréables.
               Dans la plupart d'entre elles deux hommes ont peine à passer ensemble sans que l'un d'eux s'efface pour laisser passer l'autre.
               On sent aisément que quand un Arabe les traverse, monté sur un cheval chargé de fagots ou de légumes, il faut nécessairement trouver une porte ou une encoignure qui vous donne asile, ou se résoudre à se laisser caresser la figure par des branches de genêts ou de feuilles de choux.

               A ces désagréments vient se joindre celui d'une marche très pénible sur un sol tellement incliné que le mouvement en est involontairement précipité et met hors d'état de pouvoir éviter les embarras sans nombre qui encombrent les rues dans les quartiers populeux. La plupart des rues sont voûtées, d'autres sont tellement resserrées que les murs des maisons se joignent presque dans le haut : dans celles-ci, le jour et l'air circulent à peine. Dans celles qui sont un peu plus aérées, le soleil darde de toute sa force et y rend le pavé brûlant :
               Descendre de la Casbah à la Marine et monter de la Marine à la Cassauba sont deux voyages également pénibles ; les recommencer plusieurs fois dans un jour serait un supplice tellement fatigant qu'à la longue on finirait par y succomber. "
               Merle se sentait évidemment très loin du boulevard de Gand et du Palais Royal.
               Bien d'autres pas se lisent encore avec agrément.

               Ainsi le portrait du capitaine anglais Mansell :
               " Avec un petit habit noir râpé, boutonné dans toute sa longueur que cachait un gilet de soin taché de tabac. Il avait un chapeau rond dont le bord et le fond paraissaient avoir beaucoup souffert dans les filets d'une diligence. Son pantalon et ses bottes étaient tout à fait en harmonie avec le reste de son costume …
               Cependant des yeux vifs et une physionomie fine et spirituelle, des manières aisées qui annonçaient l'homme de la bonne compagnie prouvaient à l'esprit le moins observateur que la lame valait mieux que le fourreau. "

               Mansell fut bientôt traité avec une grande considération. Sa bravoure, il s'était fait incorporer dans une compagnie de grenadiers, partageait la soupe du soldat le rendit populaire dans une armée française où ne manquaient cependant ni les vétérans, ni les souvenirs de l'Empire.
               Mais Alger pris, le soldat fit place au citoyen anglais. Le capitaine Mansell était redevenu le commensal de M. de Bourmont. Je m'aperçus qu'il prenait là une attitude politique qui nous expliqua beaucoup de choses.
               Il commença même à perdre son air de bonhomie et à s'envelopper d'une espèce de morgue diplomatique qui ne tourna pas à son avantage : il s'agitait dans tous les sens autour du consul anglais et du général en chef …
               Ces intrigues avaient alors pour but de décider le Dey à s'établir en Angleterre ou tout au moins à Malte. "

               Ainsi encore l'arrivée du premier Bédouin au camp de Sidi-Ferruch, la mort touchante de la vivandière du 37e de ligne, blessée tandis qu'elle distribuait de l'eau-de-vie aux soldats, celle d'Amélie de Bourmont, la visite du Dey Hussein au général en chef. Tout cela est écrit avec beaucoup de verve, d'un style net et brillant.
               De toutes les relations de la campagne d'Alger, le livre de Merle est le seul (avec certaines pages d'Ali le renard (1831) le roman à clé de l'interprète Eusèbe de Salle et des mémoires d'un officier d'État-Major par le capitaine Barchou de Penhoen, aide de camp du général Berthezène) qui traduise avec bonheur le pittoresque d'une expédition qui n'en manque pas. Les anecdotes furent bien accueillies par la presse.
               " Sous ce titre modeste M. Merle vient de publier un volume de faits curieux …. C'est une histoire exacte et consciencieuse des faits dont il a été journellement le témoin, et sous sa plume, ces faits ont pris l'intérêt du roman le plus amusant. "

               L'Artiste reproduit la description de la tempête du 16 juin et la fit précéder de ces lignes élogieuses : " L'auteur, étranger à l'art militaire n'a traité que d'une manière accessoires les opérations de l'armée.
               Son livre se compose d'une suite de tableaux qui présente toutes les scènes de l'expédition sous un point de vue tour à tour sérieux, plaisant ou philosophique. M. Merle a fait la campagne en observateur, il s'est attaché avec soin :
               - à peindre le costumes et les mœurs de l'expédition,
               - à reproduire, dans chacun de ses épisodes, sa physionomie morale,
               - à esquisser dans chacune de ses anecdotes, les traits caractéristiques d'une conquête si riche en poésie et qui parle aux imaginations avec tant d'éclat et de vivacité. "


               Au total le succès qu'obtiendra l'ouvrage doit être attribué à l'intérêt et à la variété des sujets qui y sont traités avec talent et vérité.
               Puis le rédacteur anonyme considérant la prise d'Alger elle-même, écrivait ces lignes qui, en 1831, ont l'aspect d'une prophétie :
               Jamais entreprise plus vaste ne fut exécutée avec tant de promptitude : trois siècles de honte et de servitude ont été effacées en moins de vingt jours. Cette côte de Barbarie, l'effroi des marins va devenir une source de trésors : ce port d'Alger si funeste à notre commerce est aujourd'hui, grâce à la puissance de nos armes, un havre hospitalier.

L'expédition d'Afrique n'est pas une de ces entreprises :

               - aventureuses, romanesques, sans but, sans résultat,
               - une de ces conceptions gigantesque du génie dans lesquelles le bonheur et le repos d'une nation sont sacrifiés à la gloire du général et de ses soldats : elle est l'œuvre :
               - de la philosophie, de la morale et de la religion.

               Un temps arrivera où la conquête d'Alger sera jugée hors de l'influence de l'esprit de parti, alors seulement on en appréciera toute la grandeur.

               Alfred de Vigny fit mieux que consacrer au livre de Merle un compte-rendu. Sous le titre de mille et deuxième nuit, il évoque à la manière d'un compte arabe l'expédition d'Alger et la chute de Charles X avec une ironie qui voile à peine l'indignation causée à l'auteur par le silence que la passion politique faisait autour de la prise d'Alger.
               Shéhérazade (personnage de fiction et conteuse du livre des Mille et une Nuits) parle : " Il y avait une fois un vieux roi, sectateur d'Issa qui régnait sur la plus belle contrée du monde et sur le peuple le plus aimable de la terre.

               Il y avait des ambassadeurs parmi tout l'univers, et entre autres endroits, dans un port de l'Orient où régnait un autre vieux roi nommé le Dey sur un tout petit peuple de croyants, dont l'usage immémorial était d'enlever :
               - les marchands, les jeunes filles, les jeunes garçons et
               - les archevêques de tous les rois et les empereurs infidèles qui n'osèrent jamais s'en venger parce que le Dey était protégé par Mahomet et qu'ils le savaient bien ; comme ils savent que tout le monde est carré et que Votre Hautesse, ô très puissant Sultan, est assise au milieu, ayant aux quatre coins :
               - l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, dont vous disposez à votre gré, transportant les rois d'un trône à l'autre selon qu'ils se sont bien ou mal conduits à votre égard.


               Un jour, le Dey étendit la main et donna un coup de chasse-mouches à l'envoyé du vieux roi. Le vieux roi dit à l'un de ses capitaines :
               - " Tu partiras avec tes quatre fils et les cent vaisseaux de ton roi,
               - tu prendras la ville du Dey,
               - tu y établiras mes guerriers qui ne savent que faire, et
               - tu m'enverras le trésor du Dey sans en garder un sequin."

               Or le capitaine partit.
               - Il partit avec ses quatre fils et les cent vaisseaux de son roi,
               - il prit la ville du Dey,
               - y établit les guerriers qui ne savaient que faire et
               - envoya le trésor du Dey sans en garder un sequin.


               Mais il arriva que le peuple le plus aimable de la terre égorgea gaiement les gardes du vieux roi, et le chasse précisément au moment où ses guerriers chassaient en riant le vieux Dey.
               Et le capitaine fut condamné à errer comme Simbad le marin, en punition de ce qu'il avait sacrifié un de ses quatre fils à la gloire du plus aimable peuple de la terre.
               Or le vieux Dey qui ne savait que faire, non plus que les soldats ses vainqueurs, s'en vint voir le pays du vieux roi avec :
               - ses femmes, ses enfants, ses diamants et ses lunettes.( Hussein Pacha après avoir séjourné à Naples puis à Livourne fit un séjour à Paris du 23 août au 24 octobre 1831. Il revint ensuite en Italie et se fixa en 1833 à Alexandrie ou il mourut en 1838.)

               Il assiste à une représentation porte Saint Martin. " Serait-ce la sublime Porte ? demanda le sultan en jetant sur la sultane un regard plein de pénétration.
               La plus sublime de toutes les Portes, reprit le sage Shéhérazade, car on y voyait une multitude d'hommes et de femmes assis pêle-mêle selon l'étrange usage des infidèles et considérant une vingtaine d'hommes et de femmes éclairés magnifiquement et vêtus plus magnifiquement encore, qui :
               - se parlaient, se battaient et s'embrassaient
               - comme jamais le Dey n'avait vu.


               Parmi ces hommes il y avait une femme qui avait des yeux de gazelle et des épaules d'une beauté merveilleuse.
               Elle paraissait d'abord fort tranquille chez elle, mais ensuite il lui arrivait toutes sortes d'aventures extraordinaires et pitoyables qui jetaient la multitude et le Dey lui-même dans un étonnement et une tristesse impossibles à décrire.
               Elle souriait au commencement de la nuit, et parlait avec tant de grâce que toute l'assemblée était mise en joie et lui tendait les bras en frappant des mains continuellement.
               Ensuite elle demandait grâce à tous les hommes pour son amant, et à son amant pour elle, et se jetait aux pieds de tous et disait des vers pour leur plaire et faisant tout ce qu'il est possible de faire pour leur être agréable sans rien obtenir de personne de toute la soirée. (Il s'agit évidemment de Marion Delorme, drame en cinq actes de Victor Hugo dont la première représentation eut lieu à la Porte Saint Martin le 11 août 1831. Hussein fréquente les théâtres de Paris et devint avec un autre exilé, Don Pedro un personnage à la mode.)

Alors :

               - elle fondait en larmes avec une douleur profonde,
               - se lamentait avec une voix si touchante,
               - faisait des gestes si désespérés et si élégants tout à la fois que l'assemblée pleurait tout autant qu'elle, même en la voyant.

               Le Dey qui était le plus clément de tous les vrais croyants, en fut tellement attendri, que ses larmes troublèrent complètement le verre de ses lunettes et qu'un brouillard épais se répandit sur les quatre lumières de ses yeux.
               Il étendit la main avec la même majesté que lorsqu'il avait si noblement usé de son chasse-mouches de bois de santal et dit à son drogman (interprète) :
               " Au nom de Dieu clément et miséricordieux, va m'acheter cette femme, et place-la dans mon harem afin que je la console. "
               Le drogman se précipita aux pieds du sublime Dey et lui répondit ces paroles en se frappant la poitrine très violemment :
               " invincible Dey, cette femme merveilleuse ne peut être achetée ni consolée parce qu'elle est l'épouse chrétienne du secrétaire intime du capitaine du vieux roi du plus aimable peuple de la terre dont les guerriers qui ne savaient que faire ont jugé à propos de détrôner votre grandeur … "

               A quoi le Dey ne peut que s'écrier :
               " Dieu est Dieu et Mohamed est son prophète. "
               Ici l'auteur reprend la parole :
               " Hélas mes amis, j'avais cru, jusqu'ici comme le sultan immortel des Mille et une Nuits que c'était un conte que toute cette aventure d'Alger, une histoire de nourrice ou tout au plus une vieillerie d'avant la révolution, quelque chose comme la guerre de sept ans et la bataille de Rosback.
               - A-t-on jamais vu dans Paris, me disais-je les étendards conquis sur les janissaires de Staouéli,
               - a-t-on vu quelque général piaffant sur les boulevards suivi d'un mameluk et ceint d'un cachemire ?
               - A-t-on chanté des Te Deum dans quelque église et des odes à l'Institut ?
               - A-t-on crié les glorieux bulletins dans la rue ?
               - Ai-je rencontré la tente de pourpre d'un aga plantée sue la place Louis XV à côté de la baleine du prince d'Orange (qui n'y songe guère à présent, le pauvre homme) ?
               - Avons-nous par hasard entendu les dilettanti des faubourgs chanter l'Algérienne avec la parisienne ? Jamais.


               Qu'est-ce donc que cette guerre dont il ne revient :
               - ni héros couronnés ,
               - ni héros blessés,
               - ni héros bronzés du soleil, haut cravatés, regardant sombre, et coudoyant sans pitié, comme au bon temps du débonnaire patriote qui nous canonna à Saint Roch ?


               Voilà ce que je disais lorsque m'est apparu l'ouvrage intitulé : Anecdotes historiques et politiques pour servir à, l'histoire de la conquête d'Alger …
               J'aurais donné tout au monde pour ne pas lire ce livre, parce que je n'aime pas être désabusé quand une fois je me suis complètement abusé, chose qui m'arrive dix fois le jour en des occasions diverses.
               J'aurais bien voulu dis-je ne rien voir de positif dans ce volume, rien de caractéristique, rien de naïf et de vrai, afin de pouvoir encore nier cette campagne et la laisser dans les féeries ; mais il m'avait fallu lire le recueil parce que je l'avais commencé et y croire parce que je l'avais lu.
               Il est donc vrai qu'il y a eu une campagne d'Algérie brillante et profitable.
               Il est donc vrai que nous devons quelque reconnaissance à une armée toute jeune et qui partit au milieu :
               - des pamphlets, des sifflets, des persiflages et des caricatures, qui la suivaient comme les éclairs d'un gros orage prêts à crever sur elle au premier revers.

               Grâce à la prudence du chef l'armée n'en éprouva pas. On le regardait du bord comme on épie les mouvements d'un équilibriste sur la corde tendue et il eut le bonheur de ne pas faire un seul faux pas.
               Après avoir regardé toute cette galerie de tableaux, on ferme les yeux, et l'on se demande pourquoi tout cet éclat s'est éteint tout à coup comme tout ce bruit a été subitement étouffé. On s'interroge sur cette gloire des actions après laquelle tant d'hommes ont voulu courir.

               Voilà une grande expédition entreprise et exécutée dans un temps donné comme une manœuvre du Champ de Mars. Le résultat en est complet, la nation en profite, et les noms des braves qui ont laissé là :
               - leurs ossements,
               - le nom de celui qui les a conduits,
               - le nom de leurs batailles,
               - les drapeaux qu'ils ont enlevés,
               - les armes qu'ils ont arrachées à l'ennemi,

               Tout cela n'a pas :
               - une église où se réfugier, un cénotaphe, un obélisque,
               - un pauvre gazon où s'abriter.

               Peu s'en faut que chaque conquérant, en revenant en France, ne se cache de sa conquête comme d'une mauvaise action et ne l'efface de ses états de service.
               Les faiseurs de réputations fouillent partout pour trouver des héros et ne s'informent pas de ceux-là qui sont tout fait, et que le sang a baptisés, selon notre vieille expression de soldat que l'ai apprise à l'armée.
               Voilà la gloire des faits d'armes en l'an de grâce 1831 … "

IV

               L'année suivante, Merle publia dans l'Artiste sous le titre : la Rue de la Marine à Alger une sorte de " en marge " de son livre. L'article était accompagné d'une eau forte de Frey d'après un dessin de Wachsmut (1802-1860 fut un des peintres qui accompagnèrent l'armée expéditionnaire en Afrique. Il a exposé en 1833,
               - vue prise à Staouéli,
               - Arabes près d'une fontaine,
               - Épisode de l'expédition d'Alger.

               En 1839, prise du fort l'Empereur.
               Des nombreux dessins qu'il avait exécutés en Afrique, il a tiré des lithographies :
               - défense d'une batterie turque,
               - famille arabe,
               - porte Bab-el-Oued,
               - le camp français et
               - un grand papier peint le camp de Sidi-Ferruch.) fait en 1830.

               L'anecdote est amusante, agréablement contée et mérite d'être reproduite dans sa majeure partie.

               C'était une chose curieuse à voir que nos jeunes soldats se promenant dans les rues d'Alger, en présence d'une population dont les mœurs leur étaient si étrangères et dont les usages étaient pour eux si nouveaux.
               L'instinct français est l'imitation ; aussi dès les premiers jours il fallut à nos troupiers de longues pipes, une bourse à tabac et toutes les douceurs des cafés. (Les cafés à Alger sont les seuls lieux de plaisir ou pour mieux dire, passe-temps. Les Algériens restent toute la journée fumant la pipe et buvant du café de demi-heure en demi-heure accroupis sur des nattes.)
               Ils fumèrent et ils burent du moka parce qu'ils s'aperçurent bien vite que c'étaient les seuls plaisirs du pays et ils le adoptèrent peut-être moins par goût que pour prouver qu'ils avaient conquis le droit d'en jouir.

               D'autres plaisirs plus français leur étaient interdits par la capitulation et ce fut l'article de ce traité qui leur coûta le plus à respecter.
               Ils virent sans envie partir pour la France les millions de la Casbah mais non sans humeur les portes des harems fermées pour eux.
               La rue de la Marine que le crayon facile et spirituel de Wachsmut vient de reproduire dans un dessin plein de vérité est la première par laquelle on passe à Alger par le port. (Wachsmut est un des jeunes peintres que l'amour de leur art entraîna en Afrique à la suite de l'expédition. Il a réussi un grand nombre de dessins et de croquis du plus bel intérêt, esquissés à l'ardeur du soleil et souvent sous les balles des Bédouins aux avant-postes.)

               On, y rentre en traversant, sous une salle et sombre voûte, un porche obscur qui sert de corps de garde.
               Deux portes vieilles et lourdes, armées de larges bandes de fer grossièrement peintes aux couleurs du Dey donnent tout d'abord l'idée de la ville qu'on va parcourir et qui, destinée à servir de repaire à des pirates, n'a pas failli à sa destination. Alger était avant notre arrivée, la ville des harmonies barbares.
               - Les rues, les mœurs et
               - les habitants étaient dans un accord parfait.


               Nos Français, maîtres et conquérants y furent les premières anomalies :
               - avec leur goût de civilisation,
               - leurs habitudes frivoles,
               - leurs manières élégantes et vives, ils formaient un contraste à la fois grave et plaisant, avec les figures froides, sévères et réfléchies des Turcs et des Maures et les allures basses et viles de la canaille juive.


               Il était au moins fort singulier de rencontrer un jeune voltigeur fumant sa pipe devant un iman qui se rendait à la mosquée et un élégant officier des lanciers prenant sa tasse de café à côté d'un aveugle invoquant la charité des passants.
               - A ces murs d'une blancheur éblouissante, qui reflète d'une manière fatigante un soleil d'Afrique lourd et accablant,
               - à ces rares et petites fenêtres armées de grilles serrées,
               - à ces échoppes enfumées et sombres, abritées par de vieux auvents vermoulus,
               - à ces masures rapprochées et soutenues par des solives transversales ; et qui encaissent dans un étroit espace une rue sale, dépavée et déchirée par des ornières et des ruisseaux puants, on ne se douterait guère qu'on est dans le beau quartier d'Alger la guerrière, de cette terrible El Djezaïr dont le nom a retenti si longtemps avec terreur dans toute la chrétienté.


               C'est pourtant là que :
               - les consuls ont leurs hôtels,
               - les grands de la régence leurs palais,
               - les plus riches négociants leurs comptoirs.

               Les Turcs furent longtemps à s'expliquer l'ivresse si vive et si gaie de notre champagne en voyant nos jeunes officiers sortant de nos joyeux divers à la française, eux qui ne connaissent que les hallucinations extatiques de l'opium.

               Mais un spectacle d'un autre genre vint frapper leurs regards et faire une sorte d'évènement dans cette rue de la Marine représentée dans le pittoresque croquis de mon compagnon de voyage Wachsmut.
               C'était je crois le 10 juin, cinq jours après notre entrée dans Alger.
               Nous sortions de déjeuner à l'hôtel des Ambassadeurs et nous nous dirigions vers le môle, avec mon ami M. Chauvin-Beillard quand nous vîmes se dessiner à travers les ombres de la porte de la Marine et apparaître au milieu de la rue une femme vêtue avec une élégance et une recherche dignes des habituées du boulevard de Gand, les plus distinguées par le goût et le luxe de leur toilette.

               Il faut se représenter, pour juger de notre surprise et de la stupéfaction des Algériens, dans une rue d'Alger, une femme :
               - en souliers de satin,
               - en robe de levantine lilas à grands volants et à manches à gigots (manches bouffantes aux épaules et serrées aux coudes),
               - coiffée d'une toque de satin rose,
               - au-dessus de laquelle s'agitaient des touffes de plumes blanches et disputant au vent qui s'engouffrait sous la porte une écharpe de crêpe de Chine qui flottait autour d'elle comme le voile d'une Néréide (nymphe marine de la mythologie grecque).


               Elle était suivie d'un vieux domestique en costume râpé de jockey anglais qui portait sous le bras un petit bahut espagnol.
               Dès qu'elle nous aperçut, elle se retourna vers son groom et lui dit avec des airs de Comtesse, car il faut le dire, ç'en était une : " Giuseppe, bisogna mi trouva une locanda, presto ! Presto ! " (Giuseppe, il faut me trouver une location, vite ! Vite !
               Nous nous avançâmes aussitôt vers cette élégante dépaysée, par un mouvement spontané de curiosité.
               En agitant autour de sa tête une ombrelle bleu de ciel, elle nous dit avec un accent italien très prononcé : " Messious povez-vi m'indiquer la meillore auberze d'Alger car je pense bien que je ne trouverai pas ici oun hôtel ? "
               Cette question était faite d'une manière si ridicule, elle avait été précédée et suivie de tant de petites minauderies que des gens plus mal élevés que nous aurions appelé des grimaces, que notre réponse fut un long éclat de rire.
               La comtesse aurait pu nous rappeler au respect de son âge mais elle préféra nous en imposer par son rang, et sur-le-champ en se retournant gravement vers son domestique elle lui dit : " Giuseppe, vi demanderez oun lozement per madame la comtesse Juanita. "

               Elle nous regarde alors avec air sévère, avec des yeux qui devaient avoir été assez brillants il y a quinze ans et nous montra un teint fort animé dont nous aurions pu attribuer l'éclat à un vif sentiment de dépit si nous n'avions pas su qu'au soleil seul de l'Afrique, il fallait faire honneur à ce vif incarnat.
               Déjà notre rencontre avait attiré l'attention des passants ; et en quelques instants nous fûmes entourés d'une multitude qui témoignait son étonnement par une foule de manières toutes plaisantes. En moins d'un quart d'heure la rue fut encombrée :
               - Maures, Turcs, Français, Nègres, Bédouins,
               - chacun discutait à sa mode.


               Enfin cette scène qui avait commencé par être bouffonne, allait devenir sérieuse quand nous jugeâmes prudent de faire entrer la Comtesse Juanita dans une maison habitée par des Français.
               Là nous apprîmes que l'héroïne de cet imbroglio italien était une ballerine de Florence qui, après avoir charmé l'armée à Palma pendant la relâche de la flotte, se proposait de donner aux Algériens une idée des danses vives et sémillantes de l'Italie.
               La ballerine nous assura qu'elle était réellement Comtesse et l'épouse légitime d'un Comte tyrolien, qui, par un lâche abandon, l'avait rendu à la profession qui la lui avait donnée dans sa jeunesse.
               La contessina se fut bientôt fait des protecteurs dans l'État-Major ; et au bout de quelques jours elle obtint la permission de donner à elle seule un ballet à l'abri d'une vaste tente dressée sur le môle et ajustée en salle de spectacle.

               Des affiches en français et en arabe annoncèrent à l'armée et aux habitants que la comtesse Juanita :
               - artiste de l'académie de musique de Paris,
               - élève à la Scala de Milan et
               - pensionnaire du Théâtre Royal de Saint Charles de Naples,
               - commencerait ses représentations par la danse du Schall. (L'abbé Dopigez, aumônier du 2eme de marche note le 5 juillet la présence à Alger d'une dame Ginetté se disant première danseuse de l'opéra de Londres et poursuivant l'armée française depuis Palma.


               Des correspondances adressées d'Alger aux journaux parlent des danses de la dame Ginetti qui n'avait pas dû manquer autrefois ni de grâce, ni d'agilité.) En lisant cette affiche, je me rappelai la remarque si vraie de M. de Chateaubriand : " Le caractère national ne peut s'effacer. Nos marins disent que dans les colonies nouvelles,
               - les Espagnols commencent par bâtir une église,
               - les Anglais une taverne,
               - les Français un fort et j'ajoute une salle de bal. "

               En effet il n'y avait pas dix jours que nous étions à Alger qu'on y dansait déjà ; et à tout prendre le petit Français trouvé par M. de Chateaubriand chez les Iroquois, en habit vert pomme poudré, frisé avec jabot et manchettes de mousseline, raclant sur un violon de poche Madelon Friquet (comédie, vaudeville) pour faire danser les coyougas (tribu du Canada) n'était pas plus extraordinaire que la comtesse Juliana cherchant à Alger un hôtel dans la rue de la Marine et venant danser un pas de ballet sur le môle en plein air entre le cap Caxine et le cap Matifou et presque au pied de l'Atlas. "

V

               En rentrant à Paris après son séjour en Afrique, Merle avait repris sa plume de journaliste. Il rédigea le feuilleton dramatique de la Quotidienne qui devint en 1847 l'Union monarchique, puis en 1848, l'Union. Ce feuilleton :
               - simple, net, court,
               - exempt de prétention à ce qu'on appelle aujourd'hui le style poli jusque dans ses plus grandes sévérités ne ressemblait à aucun autre..

               On y faisait grande attention, on l'écoutait, ce qui était plus que le lire, et j'ai remarqué que, par une exception respectueuse, jamais en parlant de notre doyen, on ne disait Merle tout court tant la dignité de sa personne imposait.
               Prisant avant tout la clarté et le naturel, il montrait peu de goût pour les épanchements romantiques et la phraséologie.
               A l'éloquence il préférait le style simple et direct et l'esprit au lyrisme. Il avait la phrase en horreur. Il est le disciple :
               - de Voltaire, de Rivarol et des petits poètes du XVIIIe siècle.
               Mais quelques qu'aient été ses préférences, il n'en a pas moins jugé avec intelligence et sympathies les œuvres romantiques. Rendant compte d'Angelo, tyran de Padoue, il écrivait : " La jeune école à sur l'école classique le grand avantage d'être représentée par des adeptes pleins de jeunesse et de vigueur.
               Elle met en lice des athlètes dans la force de l'âge et dans toute la puissance du talent.

               L'autre école, au contraire, est représentée par une littérature décrépite, par des verves caduques ; le public de celle-ci ne se compose plus que de vieux habitués du Théâtre Français qui ne vivent plus que de souvenirs, et sont obligés de justifier leur admiration par des chefs d'œuvres défigurés.
               Le public des autres au contraire, c'est la jeune France, c'est celle de la jeunesse qui veut tout régénérer et qui ne respecte pas plus la royauté de Racine que celle de Louis-Philippe, espèce de radicaux littéraires qui veulent une réforme absolue.
               Dans cette perturbation d'idée il est bien difficile de deviner l'avenir de notre théâtre et de prendre parti pour des gens qui se disent les successeurs :
               - de Corneille, de Racine et de Voltaire
               Et qui ne peuvent même pas s'élever à la hauteur de Pertarite (fils du roi des Lombards) d'Alexandre ou d'Irène et de répudier de jeunes talents qui désertent les drapeaux d'Aristote pour se ranger sous l'étendard :
               - de Shakespeare, de Schiller ou de Gœthe.
               La seule règle de conduite c'est de juger les ouvrages et non les écoles et les systèmes.
               Merle avait aussi retrouvé sa famille.

               Le 17 octobre 1829, il avait en effet épousé une de ses anciennes pensionnaires de la Porte Saint Martin, Marie Dorval qui, restée veuve du maître de ballet Allan, lui avait apporté avec son talent consacré par le succès, ses trois filles :
               - Gabrielle, Louise et Caroline.
               Le petit appartement de Merle était fréquenté par les hommes de lettres et les artistes, Marie Dorval attirait par le prestige de son art vivant et personnel, par sa beauté irrégulière mais d'où se dégageait un je ne sais quoi dont ses partenaires se déclaraient électrisés.
               Interprète inégalée du drame romantique, le public ne voulait plus voir sous les traits de son artiste préférée, Marion, Adèle et Kitty Bell.
               De son côté Merle avait de l'esprit, sa mémoire était fertile en anecdotes et il connaissait d'inappréciables recettes culinaires. Le cuisinier royal n'était-il pas avec Montaigne et le Théâtre Classique un de ses livres de chevet ?

               Aussi le salon du ménage était-il fréquenté par les acteurs :
               - Bocage, Périer
               et les hommes de lettres :
               - Hugo, Vigny, Dumas, Soulié, Georges Sand, Cavel, l'éditeur de Balzac.
               C'est un rôle périlleux à tenir que celui du mari d'une étoile :
               - Qu'il paraisse aveugle ou complaisant ou profiteur,
               - le titulaire n'esquive l'odieux que pour tomber dans le ridicule.

               Merle sut éviter l'un et l'autre.

               L'intérieur de M. Merle et Me Dorval, l'un des plus étranges et des plus respectables pourtant qu'on ait connus tant il y avait :
               - de probité dans le désordre,
               - de noblesse au milieu du laissez aller,
               - de cœur et de distinction couvrant le tout :
               - le cœur de Mme Dorval et la distinction de M. Merle.

               Ce fut cependant un foyer singulièrement mouvementé : grande passion d'Alfred de Vigny pour Marie Dorval, camaraderie de celle-ci avec les auteurs dont elle était l'interprète comme Dumas et avec ses camarades, une camaraderie dont on ne sait pas très bien jusqu'où elle a pu aller ; entraînement juvénile d'Antoine Fontaney pour Gabrielle Dorval était aussi du goût de la mère et de la fille cadette. (Antoine Fontaney (1836-1837) enleva Gabrielle Dorval en 1834. Tous deux moururent phtisiques à quelques mois d'intervalle.)

               Au milieu de ces complications Merle passa olympien et distant, amusé sans doute par les précautions que prenait à son égard l'amant de la mère et l'amoureux de la fille, précautions qu'il jugeait avec raison puériles et bien inutiles. Il dut les considérer du même œil que les intrigues qu'il voyait, de son fauteuil de critique se dérouler au théâtre.

               Il portait certainement plus d'attention à se garer des raseurs qu'il excellait à planter là avec un grand coup de chapeau, et des imbéciles, (on ne retrouvera pas le ton dont il s'écriait au récit de quelques histoires dont un imbécile était le héros, réussite de mauvaise pièce, nomination de tel académicien : Les bêtes nous mangent, les bêtes nous mangent ! " seuls gens qui ne le missent hors de lui-même.
               Il vécut toujours le même train de vie dont les principales dépenses étaient quelque voyage à Londres (M. Merle ne connut de beau et de bon que ce qui était anglais. Si par hasard il avait besoin d'un portefeuille, en rentrant chez lui il disait :
               - " Donnez-moi trois chemises,
               - tu vas donc encore à Londres ? répondait Mme Dorval,
               - oui j'ai perdu mon portefeuille,
               - mais je t'assure M. Merle qu'il y a de charmants portefeuilles à Paris,
               - ta, ta, ta, donnez-moi trois chemises.


               Ainsi pour les ciseaux, pour les canifs, pour tous les menus objets) et les femmes. Sur ce dernier point il refusa d'écouter les avertissements de l'âge et ceci lui fut fatal. On raconte qu'un jour ayant éprouvé auprès d'une dame qu'il comptait honorer de ses faveurs une défaillance naturelle mais vexante, il aurait déclaré que la vie n'ayant plus pour lui de raison d'être et que n'ayant plus de motif de sortir, il allait se mettre et pour toujours, au lit, ce qu'il aurait fait.
               Le vrai est qu'il fut cloué sur sa couche par l'impitoyable paralysie en 1848.
               Ses facultés demeuraient intactes, et telle était l'autorité qu'on reconnaissait au doyen de la critique dans le monde des auteurs, cependant peu enclins à la déférence envers autrui, que sachant qu'il ne pouvait plus venir aux représentations, on lui envoyait les manuscrits.
               Il rédigea ainsi son feuilleton presque jusqu'à la fin.

               Le dernier qui, dans le rez-de-chaussée de l'Union porte ses initiales est du 7 avril 1851. Il avait consacré celui du 7 janvier à une question qui était restée d'actualité, les congés du Théâtre Français : " Après six mois de villégiature, dont ont joui successivement sociétaires et pensionnaires privilégiés, grâce à l'excessive bienveillance de M. Arsène Houssaye, tous les touristes dramatiques viennent enfin de rentrer au quartier général de la rue de Richelieu. Les congés sont d'un usage déjà fort instinct mais depuis quelque temps il faut convenir que les comédiens en abusent.
               La plupart de ces Messieurs et de ces Dames sont plus connus en province qu'à Paris, et on est plus sûr, dans certaine saison de l'année de les rencontrer sur les grandes routes que dans les rues. Nous pourrions en citer qui ne font pas trois mois par an de service à, leur théâtre. "

               Sa femme qui n'avait su se fixer nulle part était morte en 1849 en courant la province après de misérables cachets.
               Merle lui survécu trois ans ayant pour vivre une très modeste rente que la Comédie Française lui servait en souvenir de Marie Dorval ; d'ailleurs admirablement soigné par la famille de René Luguet (famille qui a donné de nombreux acteurs à la scène française), époux de la troisième fille que Marie avait eu du chef d'orchestre Piccini.
               Il attendit la mort avec calme, comme une éventualité dont il avait envisagé l'inévitable une fois pour toutes afin de n'avoir plus à s'en préoccuper par la suite.

               Il mourut le 28 février 1852. Ses confrères de la critique dramatique témoignèrent d'unanimes regrets : " le seul d'entre nous, écrit Jules Janin dans le journal des Débats, qui n'ait pas soulevé sur ses traces :
               - les haines, les colères, les rages de l'amour-propre aux abois "
               - Homme d'esprit qui cependant ne changea jamais d'opinion,
               - directeur de théâtre curieux des nouveautés,
               - journaliste désintéressé,

               Cet écrivain de talent est l'auteur d'un très agréable recueil d'impressions sur l'expédition d'Alger et il a créé, voilà dans quelques jours un siècle, le premier journal algérien dont il a écrit, jugeant avec clairvoyance l'avenir de la nouvelle conquête : " Un bulletin de l'armée française imprimé sur une des plages des côtes d'Afrique est un fait assez extraordinaire pour qu'on y attache de l'importance.

               Dans quelques siècles, cette date signalera, peut-être un des évènements les plus influents de la civilisation, sur la plus belle comme la plus florissante de nos colonies. "
               La presse algérienne peut reconnaître Toussaint Merle comme un ancêtre fort avouable.

Revue africaine. Volume 70. Année 1929
G. Esquer


PHOTOS de L'EXODE 1962
Envoyé par Daniel Bonocori
Images de : Femmes et enfants attendant le départ du port d'Oran pour la France ; Hommes déménageant les affaires d'un appartement ; Enfant avec un landeau attendant au port d'Oran le départ pour la France ; Familles partant du port d'Oran pour la France, aidées par des soldats ; Soldats transportant des bagages sur le quai d'Oran...
































https://imagesdefense.gouv.fr/fr/ exode-pieds-noirs-algerie-1962





Pourquoi l'histoire a occulté le massacre d'Oran
Envoi de M. Christian Graille
           Site Atlantico : Le 5 juillet 1962, alors que l'Algérie est officiellement indépendante depuis deux jours, les quartiers européens de la ville d'Oran sont pris d'assaut pour un bilan de près de 700 morts en quelques heures.
          Le gouvernement français observera une stricte neutralité au lendemain du massacre. Plus de 50 ans après l'évènement, peut-on enfin en faire une analyse historique dépassionnée ?

          Guy Pervillé : Le massacre du 5 juillet à Oran a fait l'objet d'une conspiration du silence et d'une amnésie collective durant plus d'un demi-siècle. Et pourtant il a inspiré des témoignages, des enquêtes et même des travaux d'historiens beaucoup plus nombreux qu'on ne l'imagine.
          C'est en réalisant une étude historiographique de toute cette bibliographie que j'ai réalisé mon livre Oran, 5 juillet 1962, leçon d'histoire sur un massacre. Confronter tout ce qui a été publié sur ce sujet douloureux permet d'arriver à des conclusions relativement nettes, même si l'existence de sources non encore connues (notamment du côté algérien) nous oblige à rester prudent.

          Les causes de cette journée restent sujettes à controverses. Que vous apprennent vos récents travaux ?
          En histoire, un évènement ne peut s'expliquer que par des causes qui lui sont antérieures : mais ces causes peuvent être multiples.
          La plus simple est celle qui a été affirmée par le général Katz, commandant des troupes françaises à Oran de février à août 1962 : Les premiers coups de feu auraient été tirés sur la foule des Algériens fêtant l'indépendance par des hommes désespérés de l'Organisation Armée Secrète (OAS) cette organisation armée par des civils de l'Algérie et d'anciens militaires français qui avaient refusé d'accepter le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et le référendum sur l'indépendance du 1er juillet.
          Mais cette affirmation n'a jamais été prouvée depuis plus d'un demi-siècle et elle a été désavouée à l'époque par les responsables locaux du Front National de Libération Nationale (FLN) algérien.
          Pourtant si l'on remonte au-delà du 28 juin 1962, date de l'abandon du combat par l'OAS d'Oran, on est obligé de tenir compte des quatre mois durant lesquels celle-ci avait harcelé les Algériens musulmans dans les quartiers européens mais aussi dans les quartiers musulmans, par des tirs de mortier et même par une explosion de voitures piégées le 28 février qui donne l'impression très nette d'une volonté de provoquer la rupture du cessez-le-feu par les Algériens afin d'obliger l'armée française à défendre les Français d'Algérie.
          Il est pourtant vrai que le chef nominal de l'OAS, le général Salan, n'avait prévu qu'une action défensive contre le FLN dans sa direction générale du 23 février 1962 mais il avait aussitôt constaté des " ratonnades systématiques " dans les quartiers européens qu'il avait condamné sans pouvoir les empêcher.
          Cette divergence fondamentale entre les chefs de l'OAS est clairement indiquée dans les témoignages :
          - de son aide de camp le capitaine Ferrandi,
          - du colonel Broizat et
          - du colonel Château-Jobert (commandant l'OAS du Constantinois).

          A Oran, le général Jouhaud a estimé dans son dernier livre publié en 1983, que l'OAS a sauvé la vie de nombreux Français d'Algérie, en faisant reculer le FLN.
          Mais le Lieutenant Doly-Linaudière, sympathisant de l'OAS à plus de 100% écrivait le 16 juin 1962 (après le cessez-le feu décidé par l'OAS d'Alger) : " L'OAS a tort d'avoir arrêté les attentats contre les musulmans. En provoquant une réaction de ceux-ci, c'était le seul moyen de faire intervenir l'armée contre les Arabes. " Ce calcul a été démenti par l'obéissance persistante de cette armée au gouvernement, mais la réaction de vengeance prévisible n'en a pas été décalée.
          Les témoignages donnent l'impression très nette :
          - que le massacre des Européens avait été prémédité par au moins une partie des chefs du FLN d'Oran,
          - que la plus grande partie de leurs troupes a participé à la chasse des Européens avant d'être reprise en main mais aussi
          - que de nombreux civils se sont atrocement vengés de plusieurs mois de souffrance et de peur.
          Mais ajoutons, pour être tout à fait clair que le terrorisme du FLN avait largement précédé celui de l'OAS et qu'il poursuivait lui aussi un but de provocation.

          Au-delà de ces constats, il existe une interprétation qui veut expliquer le massacre du 5 juillet 1962 par le calcul machiavélique du colonel Boumediene, chef de l'État-Major général de l'armée de libération nationale auquel obéissait le colonel de la willaya 5 (Oranie) et qui s'était allié à Ben Bella contre le gouvernement provisoire de la république algérienne présidée par Ben Khedda :
          Le massacre du 5 juillet aurait été délibérément provoqué afin de discréditer le GPRA qui avait appelé à célébrer l'indépendance de l'Algérie ce jour-là et de permettre aux troupes venues du Maroc de rétablir l'ordre à Oran.
          Cette hypothèse mérite de retenir toute notre attention mais jusqu'à présent je n'en connais aucune preuve : la seule déclaration de l'État-Major datée du 5 juillet qui en parle appelle à protéger les civils européens d'Oran puisque Ben Bella prétendait hypocritement défendre les accords d'Évian pour tenter de s'attirer le soutien du Général De Gaulle.

          Pourtant rien ne permet d'affirmer que le gouvernement français aurait décidé de laisser au colonel Boumediene la tâche de rétablir l'ordre à Oran.
          Sa politique visait deux buts contradictoires :
          - maintenir la sécurité des Français d'Algérie mais aussi
          - éviter de se laisser entraîner dans des querelles entre Algériens pour ne pas reprendre la guerre, donc rester neutre contre les deux coalitions algériennes en lutte pour le pouvoir.
          Le général Katz a sans doute perdu beaucoup de temps à solliciter de ses supérieurs un ordre d'intervention.
          Le général De Gaulle et son gouvernement, qui siégeaient au début de l'après-midi du 5 juillet en Comité des affaires algériennes n'avaient pas prévu qu'il se passerait quelque chose le 5, puisque le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe avait demandé le 14 juin à son partenaire algérien Saad Dahlab que la fête de l'indépendance ait lieu le 6 juillet et non le 5.
          C'est pourquoi la France n'avait ce jour-là aucun représentant en Algérie, puisque le Haut-commissaire, Christian Fouchet avait quitté le pays le 4 (lendemain de la proclamation officielle de l'indépendance) et que l'ambassadeur Jean-Marcel Jeanneney ne devait rejoindre son poste que le 6.
          On peut donc reprocher aux dirigeants français leur inconscience du danger, comme l'a fait le général Katz dans ses mémoires.

          Vous évoquez notamment dans votre dernier livre une période " d'occultation " mémorielle. Quels éléments permettent d'expliquer la non-réactionn du gouvernement Français de l'époque, et surtout celle de ceux qui ont suivi ?
          Je viens d'expliquer sa lenteur à réagir le 5 juillet. Par la suite il a très lentement pris conscience de la gravité de ce qui s'était passé et pourtant dès 1963 un rapport dû à Jean-Marie Huille avait établi pour le secrétariat d'État aux affaires algériennes Jean de Broglie un bilan proche de 700 morts et disparus qui a récemment été confirmé d'après les archives par le livre de Jean-Jacques Jordi, un silence d'état, les disparus civils de la guerre d'Algérie.
          Mais entre le temps comme le dit le titre de ce dernier livre " un silence d'État " a recouvert tous les faits qui prouvaient l'échec des accords d'Évian à rétablir une véritable paix en Algérie, notamment les enlèvements et les meurtres de civils européens, et tout particulièrement ceux du 5 juillet à Oran.
          En conséquence cet évènement tragique n'a été connu que par ceux qui ont voulu le connaître.

          Quels ont pu être les conséquences de cette omerta dans l'évolution des relations franco-algériennes ?
          Elles ont été considérables, mais surtout depuis les années 1990.
          En effet, jusqu'à la fin des années 1980, l'absence de politique mémorielle française sur la guerre d'Algérie s'opposait à l'hyper commémoration algérienne.
          Mais depuis les années 1990 la rechute de l'Algérie dans une sorte de guerre civile, interprétée par les deux camps comme une répétition de la guerre d'indépendance a provoqué en France une crise mémorielle :
          - d'un côté, à gauche, on a vu dans la répétition d'un passé tragique une conséquence indirecte de l'incapacité de la France à éviter la guerre d'Algérie, alors
          - que de l'autre côté, à droite, on y voyait une conséquence de l'abandon de l'Algérie au FLN.
          En conséquence, la France en est venue à juger nécessaire la définition d'une politique mémorielle concernant cette guerre (reconnue officiellement comme telle par la loi du 18 octobre 1990), mais l'impossibilité de s'accorder sur le choix d'une date commémorative nationale, la gauche réclamant le 19 mars " fin de la guerre d'Algérie " alors que la droite le refusait en tant que début de la pire période de cette guerres, a prouvé l'absence d'une mémoire nationale consensuelle.

          Mais on ne sait pas assez en France que cette division de l'opinion publique française a été encouragée par l'Algérie.
          En effet, depuis 1990, la fondation du 8 mai 1945 a réclamé à la France la reconnaissance de la répression de cette insurrection en temps que " crime contre l'humanité " et non pas simple crime de guerre.
          Puis à partir de mai 1995, dans le cadre de tensions croissantes entre les gouvernements algériens et français liées à la guerre civile algérienne, cette revendication a été étendue à tous les crimes que la France a ou aurait commis contre le peuple algérien de 1830 à 1962.
          Elle a été affirmée avec force par le président Boutéflika les 8 mai 2005 et 2006 et a fait échouer la négociation d'un traité d'amitié franco-algérien proposé en 2003 par le président Chirac sur le modèle du traité franco-allemand de 1963.
          Par la suite le gouvernement algérien a renoncé à cette revendication, mais ses partisans restent nombreux dans les milieux :
          - politiques, journalistiques et intellectuels algériens.

          En conséquence, nous voyons s'organiser en France une commémoration de la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris mais aussi à Strasbourg où il ne s'était pourtant rien passé depuis l'élection d'un maire socialiste. De même à Marseille une plaque commémorative rendant hommage aux victimes de la répression colonialiste du 8 mai 1945 dans le Constantinois vient d'être inaugurée par une association franco-algérienne avec le soutien et la participation d'élus (le socialiste Patrick Menucci et l'UMP Sabine Bernasconi).

          Peut-on voir finalement dans cette " stratégie du silence " adoptée par le gouvernement français le révélateur d'un rapport honteux à notre histoire ? A quand le faire remonter ?
          En effet l'évolution de la mémoire de la guerre d'Algérie s'inscrit dans le cadre plus large de la politique mémorielle française. Pendant longtemps, il y avait deux sortes de guerres : celle dont la commémoration officielle a été jugée utile pour renforcer le sentiment national , comme les deux guerres mondiales commémorées à leur dates finales (11 novembre 1918 et 8 mai 1945) et celles qui étaient jugées incommémorables parce qu'elles avaient divisé la nation (guerres d'Indochine et d'Algérie).

          D'autre part les infractions à la solidarité nationale qui avaient pu se produire étaient généralement effacées par une amnistie générale après une phase de répression judiciaire.
          Mais les choses ont changé peu à peu après la deuxième guerre mondiale.
          A cause du vote de la loi de 1964 rendant imprescriptibles les crimes contre l'humanité et eux seuls, et à cause de sa conséquence, la reprise des procès de quelques responsables allemands et français de la répression contre les résistants et de la déportation des Juifs.
          Le procès Barbie de 1987 a causé l'effacement de la différence entre crimes contre l'humanité et crimes de guerre dans notre droit pénal et le procès de Papon en 1997 a favorisé un glissement entre les responsabilités de l'accusé dans les déportations des Juifs par les Allemands de 1942 à 1944 et celle du préfet de police de Paris dans la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961.
          En conséquence, la différence entre les guerres commémorables et celles qui ne l'étaient pas est devenue incompréhensible, et la commémoration a cessé d'être nécessairement glorifiante : depuis la loi Gayssot de 1990, nous avons vu se multiplier les lois de dénonciation de crimes et de repentance (loi condamnant le génocide arménien, loi Taubira-Ayrault condamnant l'esclavage et la traite des esclaves noirs par les Européens), à tel point que la seule loi mémorielle qui a fait scandale fut la loi du 23 février 2005 rendant hommage à la colonisation française en Afrique du Nord.

          Ainsi le massacre du 5 juillet d'Oran apparaît comme un évènement atypique, non qu'il ne fut pas un crime, bien au contraire, mais parce que ses auteurs directs ont été des Algériens et ses principales victimes, des Français.
          Et par ce double caractère, il appelle à remettre en question le bien-fondé de la revendication algérienne de repentance qui tente d'exploiter depuis un quart de siècle la tendance de la gauche française au masochisme, comme l'avait signalé il y a onze ans Guy Hennebelle dans un numéro spécial de sa revue Panoramiques (n° 62, 1er trimestre 200., p. 20) où il voulait contribuer à briser ce qu'il appelait " le duo maso-sado " entre " la culture laïco-chrétienne du culpabilisme et la culture arabo-musulmane du ressentiment. "

Guy Pervillé. Historien.


Réalité ou mythe ?
Envoi de M. Christian Graille

A propos des 3.024 disparus de la bataille d'Alger :

               J'ai vraiment découvert la guerre d'Algérie en dévorant dès leurs publications les quatre volumes d'Yves Courrière parus de 1968 à 1971 qui furent les premiers à raconter cette guerre à partir de sources empruntées aux témoins des deux camps. Mais à cette époque, mon enthousiasme n'avait d'égal que ma naïveté : je ne soupçonnais pas encore ce qu'était la critique historique, ni pourquoi il fallait la garder toujours en réserve, prête à l'emploi.
               Heureusement pour moi, j'ai eu très vite l'occasion de m'initier à sa nécessité, à travers un exemple particulièrement démonstratif : Celui du bilan de la bataille d'Alger.
               Mais le plus troublant fut de découvrir, beaucoup plus tard, que cette expérience si précieuse n'avait pas été partagée par tous les historiens. C'est pourquoi je ressens aujourd'hui plus que jamais le besoin d'en rendre compte publiquement.

               Le bilan de la bataille d'Alger : historique d'une controverse trop oubliée.
               Yves Courrières a raconté dans son deuxième volume, intitulé le temps des léopards, " la bataille d'Alger " qui a opposé les parachutistes du général Massu à l'organisation FLN-ALN de la zone autonome d'Alger (ZAA).
               Utilisant le témoignage de l'ancien secrétaire général de la préfecture d'Alger chargé de la police, Paul Teitgen, il a publié intégralement la lettre de démission adressée par celui-ci au Ministre résidant Robert Lacoste le 29 mars 1957 ainsi qu'une photographie d'un document fourni par le même témoin et comptant 3.024 prisonniers qui " manquent " à la date du 2 avril 1957.

               Mais Courrière parlait des 3.994 disparitions enregistrées par Teitgen à la date de sa lettre de démission quelques jours plus tôt. A l'époque je n'ai eu aucun doute sur ce que je lisais.
               Puis en 1971, j'ai lu dans le livre du général Massu, " la vraie bataille d'Alger " un bilan beaucoup plus modeste des pertes infligées par " les forces de l'ordre " aux " rebelles ".

               D'après le général du 20 janvier au 31 mars 1957 (soit à peu près durant la période concernée par le document de Paul Teitgen), la Xe DP (division parachutiste) avait arrêté " 1.827 fellagas ", parmi lesquels environ 200 ont perdu la vie dans l'exécution de leurs missions, au cours :
               - des combats corps à corps, de poursuites, d'évasions, d'accidents divers.
               Plus loin, d'après une note du cabinet du préfet d'Alger datée du début avril, " le nombre des arrestations opérées de janvier à mars s'établit aux alentours de 3.000, chiffre très modeste " et un peu plus loin : " au 1er avril, la liste des assignés à résidence portait 2.375 noms parmi lesquels 400 environ ont été relâchés à l'occasion du Ramadan. "
               Plus loin, le général propose un bilan sur neuf premier mois : " Yacef Saadi a perdu moins d'un millier d'hommes, très probablement le nombre relativement faible de 300 tués, dans l'organisation terroriste de la zone autonome d'Alger. " Les nombres cités par lui étaient à première vue beaucoup plus faibles que ceux mentionnés par Paul Teitgen et Yves Courrière.

               Enfin j'ai lu en 1972, le premier tome des Mémoires annoncées par l'ex colonel Godard, ancien chef d'état-major de la Xème D P du général Massu et chargé par celui-ci de diriger la deuxième phase de la bataille d'Alger à partir de la nouvelle offensive terroriste de juin 1957.
               Décédé prématurément il n'a pas eu le temps d'en publier le tome 1 correspondant à la première phase de cette bataille (janvier-mai 1957) sous le titre les paras dans la ville. Sa lecture n'en était pas moins troublante.
               En effet il réfutait les affirmations de Paul Teitgen, telles que les avait formulées Yves Courrières, en procédant à une lecture attentive du document publié par ce dernier.
               Ce document ne portait pas de titre, à moins que la ligne supérieure ait été coupée pour des raisons de mise en page, mais on pouvait supposer très vraisemblablement qu'il s'agissait d'un bilan des entrées et des sorties du camp de Beni-Messous, où étaient détenues les personnes arrêtées par les forces de l'ordre en attendant qu'il soit statué sur leur sort.

               Le tableau comportait :
               - à gauche la colonne des entrées dans ce camp (à partir du 27 janvier 1957),
               - puis trois colonnes correspondant aux sorties, à savoir celles des libérés, des départs sur Paul Cazelle (camp d'internement situé sur les hauts plateaux du Sud algérois) et des " individus remis aux autorités militaires ou de police ",
               - et enfin à droite l'effectif total constaté dans le camp.

               Le document reproduit sur une seule page était en réalité un montage de deux feuilles, mais on lisait très clairement, écrit à la main en bas de première feuille à gauche, le total des entrées entre le 28 janvier et le 5 mars (2.295) et le bas de la deuxième page du 28 mars au 4 avril avec la récapitulation du total des entrées (811) dans le deuxième page s'ajoutant aux 2.295 de la première, soit 3.106.

               Plus à droite, on lisait les totaux des autres colonnes, à savoir :
               - 1.112 libérés,
               - 1.829 transférés vers Paul Cazelles et
               - 83 " remis aux autorités militaires ou de la police ".

               Encore plus bas se lisait, entouré, le nombre : 3.024 (qui manquent).
               Ainsi le document ne prouvait rien d'autre que l'impossibilité de garder tous les détenus dans le même camp de Beni-Messous.
               Cette réfutation apparemment convaincante m'a profondément troublé.

               J'ai donc saisi l'occasion d'un débat sur la bataille d'Alger organisé le 6 février 1973 à l'École Normale Supérieure par un groupe d'élèves récemment agrégés d'histoire et mettant face à face Paul Teitgen et le colonel Trinquier, (ancien subordonné de Massu) pour essayer d'en avoir le cœur net.
               Ce débat a été minutieusement préparé par les membres du groupe avant la séance plénière et j'ai présidé celle-ci afin de pouvoir poser les questions qui me semblaient les plus importantes. J'attendais beaucoup de ce débat, mais j'ai été déçu par son résultat.
               A trois reprises j'ai interrogé Jean Teitgen sur la signification du document qu'il avait remis à Yves Courrière et sur la valeur de l'interprétation d'Yves Godard.
               Paul Teitgen a répondu à ma première question dès le début de son intervention portant sur son arrivée à Alger le 13 août 1956. :
               " A mon arrivée, à 10 heures du soir, j'apprends que c'est pour la police pour les 5 départements de la région d'Alger ; j'insiste sur ce point, parce que les propos et les chiffres que j'ai annoncé plus tard ne concernent pas seulement, comme on l'a cru, la ville d'Alger. "
               Plus loin il est revenu sur ce sujet : " le colonel Godard a écrit un livre où il reprend le papier que j'ai remis à Yves Courrière et qui était un bilan au moment où je m'en suis allé. Il en ressort 3.024 disparus.
               Le colonel Godard fait une analyse critique du document d'où il apparaît qu'il y a en fait 200 rationnaires de trop. Je précise que le chiffre de 3.024 porte non pas sur les deux mois de la bataille d'Alger mais comptabilise les disparus jusqu'au 1er septembre 1957, date à laquelle j'ai quitté mes fonctions. J'ai démissionné au mois d'avril. On m'a supplié de rester. J'avais dit de grosses choses dans ma lettre de démission, je parlais, je crois des crimes de guerre. Rien ne s'est amélioré, au contraire, et, écœuré, je suis parti. "
               Enfin au terme du débat j'ai demandé : " Quel est, Monsieur Teitgen, l'essentiel du bilan que l'on peut établir de la bataille d'Alger ? "
               Réponse de Monsieur Teitgen :
               " près de 24.000 arrêtés, du moins autant que nous étions renseignés ".

               Réponse du colonel Trinquier : " excusez-moi d'intervenir. Il y avait dans l'organisation du FLN 7.500 personnes.
               Mais sitôt qu'on l'arrêtait, il était remplacé. Pour démolir un poste il fallait parfois arrêter 3 ou 4 personnes successivement. "
               Je reprends alors plus directement : " Dans son livre Massu fait état de 1.000 morts tout au plus et peut-être 300 seulement … "
               Le colonel Trinquier répond que " la bataille d'Alger aurait pu être plus sanglante ", mais qu'elle ne l'avait pas été, contrairement aux méthodes employées par le pouvoir gaullistes contre les Algérois en 1962.
               Et Paul Teitgen réplique : " votre système a été efficace mais cette bataille ne débouchait sur aucun projet politique. "

               En fin de compte, j'ai été très déçu parce que Paul Teitgen semblait bien au courant de la critique d'Yves Godard, il ne lui avait fourni aucune réponse globalement cohérente.
               J'ai tenté une dernière fois d'obtenir de lui une réponse plus claire, mais il s'est contenté de se démarquer de la version d'Yves Courrière en me répondant, si j'avais bonne mémoire, " il n'a rien compris ! "
               Pour ma part j'en ai conclu que la réfutation d'Yves Godard n'avait pas été réfutée sur l'essentiel, et restait donc valable, comme je l'ai écrit dans mon premier article sur l'historiographie de la guerre d'Algérie publié dans l'annuaire de l'Afrique du Nord 1976.
               Mais je regrette de ne pas avoir insisté davantage en écrivant à Paul Teitgen pour lui faire part de mon insatisfaction persistante.
               Avait-il vraiment lu la réfutation d'Yves Godard ? Je n'en suis plus si sûr.
               En tous cas, ce fut pour moi l'occasion inattendue de faire mon apprentissage de la méthode historique.
L'apprentissage de la méthode historique (suite)

               Par la suite je n'ai plus écrit sur ce sujet pendant près d'un quart de siècle parce que l'affaire me semblait malgré tout assez claire, bien que j'aie été assez surpris de voir Pierre Vidal-Naquet (qui avait assisté au débat du 6 février 1973) ne pas en tirer la même conclusion que moi.
               Mais à partir de 1997, j'ai jugé utile de marteler le clou parce que je commençais à me demander si cette affaire était aussi connue qu'elle aurait dû l'être.
               J'ai donc rappelé le manque de fiabilité du bilan de la bataille d'Alger souvent cité comme incontestable, d'abord dans :
               - l'histoire en 1997, puis dans Alger 1940, une ville en guerre, en 1999
               - et enfin lors du colloque la guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire en novembre 2002.

               Mais à ma grande surprise, j'ai enregistré des réactions négatives de mes aînés Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier.
               Ce dernier publia notamment en 2002 dans son grand livre histoire intérieure du FLN, un passage où il reprenait sans aucune distance critique la version du premier, accompagnée d'une note : " entretien avec Pierre Vidal-Naquet " ; pour celui-ci, ces 3.024 personnes ne sont en aucun cas les assignés à résidence au camp de Beni Messous qui auraient seulement quitté ce camp comme veut le croire et le faire croire Guy Pervillé (1954-1958 : les batailles d'Alger ; Alger 1954-1962).
               Pervillé omet de dire que, dans le document qu'il cite, les 3.024 comptabilisés sont ceux " qui manquent " (mention manuscrite soulignée dans le document reproduit par Courrière Yves, la guerre d'Algérie, le temps des léopards.) Courrière parle lui de 3.994 disparitions. Paul Aussaresses (services spéciaux, Perrin 2001), l'a tout récemment confirmé lors de son procès.

               La lecture de cette note m'a profondément surpris et quelque peu choqué parce que Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier semblaient considérer la parole de Paul Teitgen (mort en 1991) comme une preuve suffisante, sans chercher à vérifier ou à démentir la réfutation d'Yves Godard dont ils ne parlaient même pas, comme si elle n'avait jamais existé ou s'ils n'en avaient jamais entendu parler.
               Et pourtant l'identification du document par celui-ci à un état des entrées et sorties du camp de Beni Messous était plus que vraisemblable.
               L'ouverture de ce camp à la date du 28 janvier 1957 sous la responsabilité du commissaire Ceccaldi-Raynaud est un fait clairement attesté par le général Massu et par le colonel Trinquier.

               Y avait-il au moins des faits nouveaux dans des témoignages ou documents récemment révélés ? Celui de Paul Aussaresses ne me semble pas indiscutable : s'il accepte le nombre de 3.021 disparitions sans aucune gêne, est-ce pour autant une preuve suffisante de sa part ?
               Dans son livre il explique tout simplement que la colonne " libérés " signifiait " liquidés " mais n'est-ce pas un camouflage beaucoup trop simple pour être vrai ? Et même si cela était vrai, cela ne ferait que 1.112 disparus sur les 3.024 prétendus. L'ancien directeur du centre d'internement de Beni Messous, le commissaire de police Ceccaldi-Reynaud a reconnu avoir libéré des internés non recensés en surnombre, mais cela ne prouve pas leur disparition.

               Paul Teitgen lui-même a cité les convois vers Paul Cazelle et est allé y voir les assignés, comme il l'a indiqué dans sa lettre de démission du 26 mars 1957 et dans son rapport du 1er septembre 1957.
               Il y a néanmoins des éléments nouveaux qui méritent examen dans les thèses récentes de Sylvie Thénault et de Raphaëlle Branche.

               La première cite la rapide augmentation des effectifs de détenus dans les centres de transit et de tri, enregistrés à partir d'août 1957 par l'armée de terre et conclut : " C'est dans ce contexte que des disparitions massives ont pu se produire.
               Paul Teitgen en a dénombré 3.024 sur les 24.000 dossiers d'assignations à résidence qu'il a établis ". Elle ajoute en note : " Yves Courrière qui parle de 3.994 disparitions à la fin du mois de mars 1957, au moment où Paul Teitgen donne sa démission à Robert Lacoste, démission refusée, commet deux erreurs.
               Paul Teitgen a toujours cité fidèlement le nombre de 3.024 disparus et il n'a jamais dit que les disparus correspondaient au seul premier trimestre de l'année 1957 ".

               Plus loin elle évoque l'action du procureur général d'Alger Jean Reliquet pour contrôler les arrestations et leurs suites. Utilisant la presse, il en a compté 3.000 du 14 février au 15 mars 1957 parmi lesquels :
               - 39 personnes qui ont été présentées au parquet,
               - 75 " écroués ", et
               - 48 " suspects " abattus.


               Les fréquentes et souvent inexpliquées, les disparitions de personnes appréhendées par les forces de l'ordre.
               A l'appui de ses dires, le procureur général l'estimation que lui a communiquée Paul Teitgen à la fin de l'année 1957 : " En les évaluant à 3.000 je ne suis pas en dessus de la vérité. "
               Cette information est nouvelle et d'une importance capitale car c'est la première mention d'une estimation des disparitions de Paul Teitgen proche de celle qu'il a toujours soutenue par la suite.

               Quant à Raphaëlle Branche, elle a présenté dans sa thèse un chapitre entier sur la bataille d'Alger. On y trouve notamment cité un rapport de Paul Teitgen qui estimait à 2.200 le nombre de personnes détenues par les parachutistes au début d'Avril 1957, au moment même où il est censé avoir recensé 3.018 disparitions suivant le document reproduit par Yves Courrière.
               Et surtout une insistance sur l'arrêté du 11 avril 1957 qui a enfin légalisé l'existence des centres de transit et de tri et provoqué une forte augmentation du nombre d'assignations à résidence.
               Elle donne comme bilan final un total de 24.000 arrêtés d'assignation à résidence signés par Paul Teitgen, dont 13.000 ont été suivis d'un dossier d'assignation en centre d'hébergement et " 3.024 ont correspondu en fait à des disparitions " nombre confirmés par le rapport déjà cité du procureur général Reliquet au Garde des Sceaux le 18 décembre 1957.

               Mais ne faut-il pas distinguer clairement les. 3.000 disparus par Paul Teitgen et par Jean Reliquet tout à la fin de 1957 (et apparemment dans le cadre des cinq départements de la grande région algéroise) et les 3.024 personnes ayant été arrêtées à Alger entre le 28 janvier et le 2 avril 1957, au lieu de continuer à prétendre contre toute vraisemblance que ces 3.024 arrestations en un peu plus de deux mois suffisent à prouver le même nombre de disparitions en un an ?
               Au terme de cette étude, il me parait évident que le document reproduit par Yves Courrière ne peut pas être la preuve de ce qu'il est censé prouver
               Si donc le fait allégué est vrai, il convient de lui rechercher enfin une démonstration qui tienne debout.

               En tout cas, un historien ne doit pas admettre l'argument d'autorité, ni faire une confiance aveugle aux " bons "' témoins et rejeter les autres sans les écouter.

               J'ai prononcé cet exposé le 13 janvier 2004 à l'Institut d'histoire du temps présent devant le groupe de recherche " répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial " et je remercie tous ceux qui m'ont écouté et m'ont donné l'impression que mes arguments avaient porté, notamment ses responsables Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche. Le débat qui a suivi mon exposé ne m'a pas déçu.
               Il a été marqué par la participation d'Emmanuelle Chartier, petite fille de Paul Teitgen qui consacre ses recherches historiques à son grand-père.
               Celle-ci a confirmé qu'il n'avait pas pu emporter ni conserver presque aucun document relevant de son activité en Algérie, parce qu'après avoir changé de poste au gouvernement général après sa démission en septembre 1957, il avait été brutalement expulsé par les militaires après le coup d'État du 13 mai 1958.

               Le document remis par celui-ci à Yves Courrière était le seul qui lui restât, et il est d'autant plus regrettable que toutes les tentatives de le réclamer au célèbre journaliste soient restées sans résultat.
               Ces informations très précieuses ne font que renforcer ma conclusion.

Guy Pervillé. Historien

               Ce texte est la rédaction tardive d'un exposé que j'ai prononcé le 13 janvier 2004 devant le groupe de recherche " répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial du XIXe siècle ", dirigé par Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche à l'institut d'histoire du temps présent.
               PS : Un fait nouveau très important a été révélé par le livre de François Malye et Benjamin Stora, François Mitterrand et la guerre d'Algérie (Paris Calmann-Lévy octobre 2010).
               A la page 239 il est question d'une discussion orageuse le 2 avril 1957, à la commission de la justice de l'Assemblée nationale, entre le ministre de la justice François Mitterrand et le ministre de l'Algérie Robert Lacoste.
               Le premier nommé jette de l'huile sur le feu en évoquant devant les parlementaires le chiffre des disparus de la bataille d'Alger. C'est Robert Lacoste, furieux qui le soir même l'apprend à Jean Reliquet lors d'une conversation téléphonique.

               Celui-ci écrit également dans son journal que les deux hommes se seraient accrochés sur ce chiffre lors de l'un conseil des ministres :
               - " mon procureur général signale la disparition de 900 musulmans dit froidement François Mitterrand,
               Robert Lacoste, fou de rage lui répond : votre procureur général n'y connaît rien ! Ce ne sont pas 900 personnes qui ont disparu mais 3.000 !

               François Mitterrand ajuste le tir : " Cela prouve que Monsieur Reliquet n'est pas porté à l'exagération. " Cela prouve aussi que l'estimation le plus souvent citée du bilan de la bataille d'Alger ne vient pas de ses informations et qu'il faudrait savoir si le bilan cité par le ministre résidant en Algérie dans un accès de colère concernant seulement Alger ou toute l'Algérie. L'enquête doit donc être reprise à zéro.
Guy Pervillé. Historien.
               


Deux foetus dans un placenta
Envoyer par Mme Eliane


       Un jour, au coeur d'un placenta, un foetus demande à l'autre :
       "Est-ce que tu crois en la vie après l'accouchement, toi ?
       - Hein ? Evidemment ! s'exclame son collègue. Il y a bien quelque chose après l'accouchement ! Peut-être que nous sommes là pour nous préparer à ce qui nous attend plus tard...
       - Ridicule ! rétorque le premier. Il n'y a pas de vie après l'accouchement ! A quoi ça pourrait bien ressembler ?
       - Je ne sais pas... avoue le second, mais il fera plus jour là-bas qu'ici ! Peut-être que nous marcherons avec nos jambes, et mangerons avec nos bouches...
       - Peut-être aussi que nous aurons d'autres sens, que nous ne sommes pas encore à même de comprendre..."

       Le premier foetus s'esclaffe :
       "C'est tout simplement absurde ! Marcher, c'est impossible. Et manger avec une bouche ? C'est de la pure folie ! Le cordon ombilical nous fournit les nutriments et tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Mais ce cordon est court. Donc, logiquement, la vie après l'accouchement, ça ne passe pas !
       - Oh, mais je pense vraiment qu'il y a quelque chose, insiste le second. Peut-être que c'est différent de ce qu'on connaît ici. Peut-être que nous n'aurons plus besoin de ce cordon physique.
       - Quoi ? Mais c'est du grand n'importe quoi, là ! Et d'ailleurs, s'il y a vraiment une vie après l'accouchement, pourquoi personne n'est-il jamais revenu de là-bas ? L'accouchement, c'est la fin de la vie, et après la naissance, il n'y a qu'obscurité, silence et oubli. Ca ne nous amènera à rien."
       Le second foetus n'est pas du tout convaincu.
       "Eh bien, réplique-t-il, je ne sais pas... Nous rencontrerons sûrement Maman, et elle s'occupera de nous...

       - Maman ? Tu crois en Maman, toi ? ricane le premier foetus. Alors celle-là, c'est la meilleure ! Mais dis-moi - si Maman existe, où est-elle maintenant ?
       - Elle est tout autour de nous. Nous sommes entourés par Maman de toutes parts. Nous faisons partie d'elle. C'est en elle que nous vivons. Sans elle, le monde n'existerait pas ; il ne pourrait exister.
       - Moi, rétorque le premier, je ne la vois pas. Donc, logiquement parlant, elle n'existe pas.
       - Tu sais, soupire le second. Parfois, quand on se tait et s'efface, quand on se concentre et écoute... on peut percevoir sa présence. et entendre sa voix aimante, qui nous parle de là-haut."

       Voilà peut-être l'une des plus belles représentations du concept de Dieu...
                  



Réponse au livre de Pierre Daum : 
Envoi de M. Christian Graille
Ni valise, ni cercueil, les Pieds-noirs
restés en Algérie après l'indépendance.

               Ce livre est paru quelque mois après celui de Jean-Jacques Jordi, un silence d'État, les disparus civils européens de la guerre d'Algérie et il semble avoir eu beaucoup plus de succès " à gauche " que le livre précédent en a obtenu de ce côté, si tant est que cette formule politique ait un sens.
              En effet Pierre Daum qui écrit le plus souvent dans Libération, se veut un journaliste de gauche et il a montré dans deux articles qu'il avait auparavant publié dans le Monde diplomatique sur le même sujet que son point de vue est essentiellement politique : il estimait en effet que les deux seuls historiens ayant travaillé sur les causes du départ massif des Français d'Algérie, Jean Monneret et Jean-Jacques Jordi avaient en commun d'être tous les deux non seulement nés en Algérie, mais idéologiquement marqués par la défense des Pieds noirs, considérés comme les éternelles victimes :
              - du Front de Libération Nationale (FLN),
              - des " Arabes,
              - du général De Gaulle,
              - des médias etc.


              Peu importait que jusqu'ici le second de ces historiens ait été considéré comme plutôt " à gauche " (contrairement au premier) : le livre qu'il venait de publier suffisait apparemment à le ranger dans la même catégorie droitière que celui-ci, sans qu'il soit nécessaire de citer et de discuter un seul de ses arguments.
              Or cette manière de raisonner relève de la polémique politique, mais elle est tout à fait étrangère à l'histoire, pour laquelle la seule question importante est de savoir si les arguments sur lesquels ces deux auteurs fondent leurs conclusions sont valables ou non.
              Pierre Daum ne ressentait même pas le besoin d'une telle discussion, puisque les Algériens avaient politiquement raison, et qu'il lui suffisait donc d'aller en Algérie demander aux Algériens quelle était la vérité politique pour la connaître. Ainsi sa manière de raisonner était aux antipodes de celle des historiens.

              J'en étais là de mes réflexions au début de cette année quand j'ai lu le livre de Pierre Daum.
              Celui-ci se compose de trois parties différentes, de taille croissante :
              - La préface de Benjamin Stora (dont je ne rendrai pas compte ici),
              - puis l'introduction de Pierre Daum et sa première partie intitulée " la valise ou le cercueil, à l'épreuve des faits "
              - et enfin la deuxième partie : témoignages de quinze Pieds-noirs restés en Algérie après 1962.

              Cette deuxième partie a sans doute l'intérêt d'une étude de micro-histoire qu'il ne faut pas confondre avec la grande histoire.
              Je répondrai seulement à la première partie dans laquelle l'auteur présente un travail de recherche et de réflexion plus neuf que ce que je m'attendais à lire, mais qui est malheureusement faussée par une accumulation d'erreurs de raisonnement que je devrai mettre en évidence.
              Je le ferai néanmoins avec mesure parce que Pierre Daum qui m'avait téléphoné, il y a quelques années, me cite très souvent, soit pour appuyer sa propre démonstration, soit pour exprimer sa désapprobation et son incompréhension, et parce que je lui suis reconnaissant d'avoir résisté à la tentation de la polémique (ce qui n'est pas un mérite négligeable, car cela ne va malheureusement pas de soi pour tout le monde.)

              La recherche de Pierre Daum, qui s'étend de la page 23 à la page 103 de son livre est, je dois le répéter, un travail sincère et digne d'attention, mais celui-ci n'est malheureusement pas convaincant, et ses conclusions ne peuvent donc pas être acceptées.
              Pour le démontrer je procéderai suivant la méthode classique : reconnaître d'abord en quoi la démonstration de l'auteur comporte des éléments valables, puis mettre en évidence les erreurs de raisonnement qui compromettent la validité des conclusions qu'il nous propose.
              Qu'on veuille bien m'excuser de ne pas citer tous les points sur lesquels ce qu'il a écrit n'est pas critiquable.

              Quelques éléments valables.
              Pierre Daum a raison de chercher à établir les faits en citant de bons auteurs et en s'efforçant de critiquer et d'améliorer leurs conclusions comme il le fait dans les pages 39 à 46.
              Mais le tableau statistique qu'il propose à la page 44 pose problème car il donne l'impression générale d'une inexorable diminution de la population française en Algérie qui ne concorde pas du tout avec ce qu'il entend démontrer.
              Et pourtant nous avons trouvé ailleurs des arguments qui paraissent justifier son intuition d'une stabilisation momentanée de la population française restant en Algérie au début de 1963.

              En effet selon la thèse consacrée par Éric Kocher Marboeuf à Jean Marcel Jeanneney, premier ambassadeur de France à Alger, " une enquête de la gendarmerie estimait la population française restée en Algérie à 266.000 personnes au 13 septembre 1962 mais le 20 septembre une deuxième enquête confirmée par les consuls, ramena ce nombre à 188.000, ordre de grandeur confirmé par les consulats ".
              Cette estimation était donc très nettement en dessous de celle que cite Pierre Daum pour la fin de 1962 : 218.735 personnes.
              Mais dans les premiers mois de 1963, suivant des notes prises par Alain Peyrefitte dans les conseils des ministres, il est bien question d'une stabilisation de la population française restant en Algérie et même d'un début de retour partiel.

              Après le conseil du 24 janvier 1963 le général exprima un jugement optimiste sur la situation de l'Algérie : " les dernières semaines ont révélé aux Algériens combien l'Algérie avait besoin de la France ; ils commencent à comprendre. Et puis il en est des colères nationales comme de toutes les passions, elles retombent avec le temps.
              Le fanatisme algérien qui s'était déchaîné contre nous est en train de disparaître. " Ainsi " la coopération franco-algérienne a un grand avenir et il reviendra des Français en Algérie " : les coopérants, qui viendront avec une valise et seront prêts à repartir aussitôt.

              Au conseil du 30 janvier, le secrétaire d'État à la coopération, Jean de Broglie donna un compte rendu très encourageant sur son récent voyage en Algérie et il réussit à séduire le général en lui disant ce qu'il désirait entendre.
              Après le conseil, celui-ci en tira les leçons devant Alain Peyrefitte : la stabilisation de la population française restée sur place, avec un solde positif des retours, était " un exemple dont les perspectives peuvent dépasser de loin les rapports de la France et de l'Algérie pour devenir un modèle de relations entre le monde occidental et les pays " sous-développés ".
              Et au conseil du 20 février Broglie présenta une dizaine de conventions franco-algériennes qui " préparent le retour en Algérie de nombreuses entreprises françaises ".

              Mais cet optimisme ne dura pas longtemps puisque dès le 20 mars 1963, la protestation de l'Algérie contre la nouvelle explosion atomique française au Sahara et le nouveau décret sur les biens vacants pris en rétorsion par le gouvernement algérien déchaînèrent la colère du général.
              Et même si cette colère retomba vite, dans les conseils suivants les ministres se montrèrent pessimistes.
              Le 3 avril, celui des rapatriés, François Missoffe, s'inquiéta du retour probable de " 100.000 rapatriés de plus qui étaient retournés en Algérie cet hiver " et le 17 avril, Broglie prévoyait " une crise économique, doublée du départ des derniers Français d'Algérie ".

              Ainsi, il ne faut pas exagérer l'importance de cette brève phrase de stabilisation dans une évolution marquée par une tendance générale à l'effondrement de la population française restant en Algérie, ce que montre bien le tableau de la page 44.
              Comment donc expliquer cette fuite massive de ceux qu'on se mit à appeler en 1962 des " rapatriés " ?
              C'est ce que Pierre Daum s'efforce de faire mais il le fait en commettant de graves erreurs de raisonnement qui vouent sa tentative à l'échec.

              Un enchaînement d'erreurs de raisonnement
              D'abord il confond le discours public du FLN sur l'égalité des droits offerte à tous les habitants de l'Algérie quelque que soit leur origine avec la réalité du nationalisme arabo-musulman qui s'est imposé en 1962.
              En effet, il est vrai que les articles de la version d'El Moudjahid, organe officiel du FLN de 1956 à 1962 et de nombreux discours ou interviews accordées à des journalistes étrangers n'ont pas cessé de compromettre une égalité totale à tous ceux qui, parmi les habitants de l'Algérie, voudraient bien accepter et assumer la nationalité et la citoyenneté algériennes.
              Ce fut le cas notamment de la plate-forme du congrès de la Soummam, adopté à la fin de l'été 1956 par les chefs de l'intérieur.

              Mais Pierre Daum omet de signaler que ces prises de positions, dues en grande partie à l'initiative du chef politique d'Alger Abane Ramdane, furent contestées dès les mois suivants par Ahmed Ben Bella au nom de la doctrine traditionnelle du nationalisme algérien arabo-musulman : " Je me permets de vous demander fraternellement de surseoir à la publication de ces décisions jusqu'à ce qu'une confrontation des points de vue de tous les frères habilités à cet effet soit faite. En effet :
              - ni les frères de l'Oranie,
              - ni ceux du Constantinois, autres que ceux du Nord Constantinois moins Souk-Ahras,
              - ni ceux de l'extérieur qui ont attendu patiemment huit jours à Rome d'abord et quinze jours à Tripoli ensuite le signal promis par Hansen (Abane) pour rentrer au pays n'ont participé à l'élaboration d'un travail si capital que ses décisions remettent en cause des points doctrinaux aussi fondamentaux que celui du caractère islamique de nos futures institutions politiques entre autres. "


              Abane ayant fini par être assassiné au Maroc à la fin de décembre 1957 sur l'ordre de son collègue Boussouf, et Ben Bella ayant joué un rôle majeur dans la rédaction du programme de Tripoli adopté par le C N R A (Conseil National de la Révolution Algérienne) en mai 1962, il n'est donc pas étonnant que la référence à l'Islam ait été rajoutée à ce programme et que le code de la nationalité adopté par l'Assemblée nationale constituante du 13 mars 1963 ait fait de l'appartenance héréditaire à cette religion le critère fondamental de la nationalité algérienne par " origine ", alors que tous les Algériens non musulmans devaient la demander " par acquisition ", contrairement aux promesses d'Abane.

              Ce fait et les protestations des députés non musulmans que Pierre Daum rappelle à juste titre étaient la conséquence d'un conflit entre deux conceptions politiques opposées dont il ne semble pas être conscient. Mais la position d'Abane était bien une innovation qui ne réussit pas à s'imposer.

              De plus Pierre Daum confond le discours de propagande du FLN spécialement destiné :
              - aux intellectuels,
              - journalistes et
              - hommes politiques occidentaux, avec la réalité des pratiques de l'ALN.

              Il écrit en effet : l'imaginaire envahi par les terribles images de cadavres produites pendant la guerre d'Algérie, on a du mal à réaliser la distinction profonde que la plupart des dirigeants du FLN ont toujours faite entre l'appareil répressif colonial :
              - l'armée, la police, et
              - la justice française, ainsi que leurs relais musulmans,
              - les caïds et gardes champêtres et
              - la population européenne et juive installée en Algérie.


              Cette phrase d'une étonnante naïveté inverse complètement la perspective qui doit être celle d'un historien.
              En effet, son auteur ne cite que des déclarations de propagande sans se soucier de connaître le comportement réel de l'ALN dont les chefs détenaient la véritable autorité sur tout le FLN-ALN.
              Il est trop facile de croire que toutes les victimes du terrorisme algérien étaient des " colonialistes " ou des " traîtres " qui méritaient d'être " exécutés " ou " abattus " comme des bêtes nuisibles.

              Même si les chefs de FLN-ALN ont rappelé à plusieurs reprises qu'il fallait limiter l'usage de la violence, notamment envers les civils européens, ce fait même prouve que le problème se posait.
              Les meurtres des civils européens, contraires aux consignes données le 1er novembre 1954, se sont en effet multipliés à partir de mai 1955 et ont montré leur atroce réalité lors de l'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord Constantinois.
              Cette violence extrême fut discutée à l'initiative d'Abane Ramdane par le congrès de la Soummam, mais elle fut excusée au nom de ses effets positifs sur l'essor de la Révolution algérienne à tel point que le 20 août devint une date anniversaire de bonne augure et finalement une fête nationale.

              Plus tard d'anciens maquisards ayant repris leurs études à l'université d'Alger théorisèrent le concept de stratégie " race contre race ".
              D'autre part, Abane lui-même avait menacé les Français en février 1956 de riposter à l'exécution des patriotes condamnées à mort par des attentats contre la population civile française, et il tint parole quand les premières exécutions eurent lieu à Alger le 19 juin 1956.
              Les attentats qui vengèrent les deux premiers condamnés exécutés provoquèrent à leur tour l'attentat " contre-terroriste " de la rue de Thèbes, qui a son tour fut vengé par les attentats à la bombe du 30 septembre 1956 dans des lieux publics fréquentés par les Algérois européens.
              Ainsi, dès cette date, le choix avait été fait de considérer n'importe quel Français présent en Algérie comme collectivement responsable de la répression colonialiste, ce qui démentait clairement toutes les promesses faites à ceux d'entre eux qui avaient accepté de se considérer comme des Algériens à part entière, solidaires de leur peuple en lutte contre le colonialisme.

              Il n'est donc pas difficile de trouver des exemples d'ordres donnés dans ce sens, contrairement à toutes les belles déclarations que cite Pierre Daum.
              Après le tract de juin 1956 cité plus haut, citons encore cette phrase d'un médecin algérien sur l'adjoint du chef de l'ALN d'Oran en 1956-1957 : " Il est à l'origine de plusieurs attentats perpétrés à la grenade en septembre 1956 à Oran ainsi que de l'exécution d'une quinzaine de personnes par les hommes de ses groupes auxquels il avait donné l'ordre d'abattre tout Européen se trouvant à leur portée ".
              Et Charles Robert Augeron a cité un tract de la willaya II (Nord Constantinois) daté d'octobre 1960, ordonnant à ses fedayin :
              - d'abattre les Européens sans distinction,
              - de déposer les bombes dans les salles de cinéma, les bals, les cafés et les bâtiments publics.


              La presse française d'Algérie était d'ailleurs remplie de nouvelles d'attentats aveugles qui ne donnent pas du tout l'impression d'actes de justice visant des criminels identifiés comme tels, ce qui confirment de nombreuses publications algériennes postérieures.
              Dans ces conditions les célèbres phrases de Frantz Fanon tirées de son livre posthume les damnés de la terre (paru en septembre 1961) : " pour le colonisé la vie ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colon, le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. ", que Pierre Daum semble me reprocher d'avoir pris au sérieux ne sont nullement les propos d'un esprit enfiévré ; j'y vois plutôt une tentative de justifier l'injustifiable de la part d'un homme qui, en tant que médecin et propagandiste du FLN était bien conscient que la violence terroriste illimitée avait une dimension pathologique indéniable.

              Dans ces conditions, peut-on croire que le FLN croyait vraiment à la possibilité de laisser vivre en Algérie la plupart de ses habitants bénéficiant de la vraie citoyenneté française et qu'il le souhaitait ?
              Les déclarations officielles citées par Pierre Daum sont clairement démenties par celles de témoins très qualifiés.
              Mohammed Harbi, proche collaborateur du vice-président du GPRA Belkacem Krim écrit dans ses mémoires qu'il lui avait proposé ses réflexions sur ce sujet dans un rapport daté du 5 décembre 1959 : " le problème des Français d'Algérie reste le plus épineux. Il nous faut dire avec courage que nous n'avons pas toujours abordé cette question sans passion.

              Dans les faits nous avons sous-estimé l'obstacle que leur regroupement derrière les colons présentait pour une solution conforme aux aspirations de notre peuple.
              Reconnaître cette erreur est une nécessité.
              L'attitude qui consiste à opposer aux slogans des colons l'offre du choix entre la nationalité française et la nationalité algérienne ne permet pas, à elle seule, d'opérer les différenciations possibles au sein de la communauté européenne.
              Notre action dans les villes doit être réorientée de façon à permettre une action politique en profondeur dans les milieux français d'Algérie.
              Leurs garanties quant à leur sort dans une Algérie libre doivent être données aujourd'hui mais pas seulement en paroles. "

              Et après la semaine des barricades (fin janvier 1960) son inquiétude s'accrut encore : " La direction du FLN ne s'interrogeait pas sur la politique qui avait favorisé la prépondérance du lobby ultra et sa fusion avec l'armée française, et se contentait d'envisager, dans ses déclarations la question que posait l'existence de la minorité européenne. Les positions extrémistes des ultra européens et l'absence de sérieux du triumvirat sur des problèmes qui engageaient l'avenir de l'Algérie firent que, pour la première fois, je me suis mis à douter de la coexistence entre Algériens et Européens. Cette coexistence ne semblait préoccuper qu'une mince frange de mes compatriotes, des citadins, en général, anciens membres :
              - du MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques),
              - de l'UDMA (union démocratique du manifeste algérien) et
              - du PCA. (parti communiste algérien).

              Tout conspirait contre elle. "

              Quant au journaliste Jean Daniel, Français juif algérien espérant une solution négociée entre la France et le FLN, il eut l'occasion de poser la question aux deux membres de la délégation envoyée à Melun par le GPRA en juin 1960, en voyageant dans le même avion qu'eux de Tunis à Paris : " J'ai demandé à Mohammed Benyahia s'il avait la liberté de me répondre franchement sur une question essentielle. Y avait-il, lui ai-je demandé un avenir quelconque dans une Algérie indépendante pour les Juifs algériens et pour les Européens d'Algérie ? "

              Il est resté longtemps silencieux. Après quoi il m'a dit que le pendule était allé trop loin d'un seul côté et pendant trop longtemps et que le retour du pendule se ferait avec la même continuité et la même violence en faveur de l'arabo-islamisme.
              " Nous ne pourrons pas l'empêcher disait-il et il ajoutait, pour être honnête avec moi, qu'il ne pensait pas que ce serait souhaitable de l'empêcher.
              Je lui ai parlé de la plate-forme de la Soummam et des appels aux Juifs et aux Européens. " Nous ferons tout pour être fidèles à ces appels et, s'il y est répondu, pour tenir nos promesses. Mais je parle à titre personnel à un ami que je ne veux pas laisser dans l'illusion : je n'y crois pas. "

              Puis Ahmed Boumendjel lui dit que " Benyahia me faisait revenir de loin, il était aussi dans ce cas. Mais il fallait s'y résigner : le peuple algérien était profondément musulman et essentiellement rural.
              Il n'y avait aucune prédisposition révolutionnaire. Nous avons à l'entraîner pour le mettre en branle. A l'entraîner, et nos frères ajoutent : à le terroriser. Il faut que notre terreur soit supérieure à toutes les autres, celle de l'État français et celle des autres partis algériens. La terreur est le fait initial des révolutionnaires " a conclu Benyahia en venant se rasseoir.
              Et Jean Daniel exprime ensuite sa " consternation " devant les confidences que lui fit Belkacem Krim sur les méthodes utilisées contre les frères,
              - traîtres, collaborateurs, déserteurs : selon Krim, à la fin de la guerre, sur le fameux million de " chouhada " (martyrs au sens politique et religieux), il fallait bien compter deux cent mille à trois cent mille victimes du fait de la sainte terreur révolutionnaire.
              Krim se rengorgeait et tirait fierté de tels exploits.
              Ce qui semble confirmer la déclaration que le même personnage aurait faite en 1959 à une revue yougoslave : " Une nouvelle recrue, avant d'être qualifiée pour servir dans l'armée, doit assassiner au moins un colonialiste ou un traître connu.
              Un assassinat marque la fin de la période d'essai pour chaque candidat à l'ALN.
              Ces réalités clairement assumées contrastent fortement avec l'idéalisme naïf de Pierre Daum.

              Dans ces conditions, les engagements pris par le FLN dans les accords d'Évian avaient-ils une chance d'être respectés et de rendre possible la coexistence durable entre les deux populations vivant en Algérie souhaitée par les négociateurs français ?
              J'ai rappelé plus d'une fois les indéniables responsabilités de l'OAS dans l'échec de ces accords et Pierre Daum ne manque pas de me citer à ce sujet.
              Mais il faut citer également deux faits importants imputables au FLN :
              - la vague d'enlèvements sans précédent qui a frappé la population autour d'Alger et d'Oran à partir du 17 avril 1962, et
              - le programme de Tripoli adopté sans débat par le CNRA en mai 1962.


              En ce qui concerne le premier de ces faits, clairement établis par les livres de Jean Monneret et de Jean-Jacques Jordi, Pierre Daum le reconnaît honnêtement dans les pages 60 et 61 de son livre.
              Mais il le qualifie aussitôt après d'une manière stupéfiante : " Force est de constater que ces chiffres se révèlent peu élevés ".
              Un tel jugement serait admissible pour qualifier le nombre des victimes civiles du FLN dans la population métropolitaine de 1954 à 1962 qui serait suivant les sources de 71 ou de 152 personnes. Mais qualifier les pertes de la population civile d'Algérie qui se comptent par milliers :
              - 2.788 tués,
              - 7.541 blessés et
              - 375 disparus du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962, auxquels il faut ajouter plus de 3.000 enlevés dont près de 1.700 n'ont pas été retrouvés vivants jusqu'à la fin de l'année 1962 c'est faire preuve d'une inconscience inimaginable.

              Faut-il rappeler à Pierre Daum que la population française d'Algérie était d'environ un million d'habitants en mars 1962, quand celle de la métropole s'élevait officiellement à 46,5 millions d'habitants ?
              Si les nombres qu'il a lui-même cités lui paraissent " peu élevés ", qu'il les multiplie par 46,5 pour voir à quel ordre de grandeur correspondrait le même pourcentage des pertes dans la population de la métropole !

              D'autre part, Pierre Daum affirme à plusieurs reprises, en citant les témoignages de ses informateurs, que ces enlèvements n'ont eu qu'un temps et que " dès septembre 1962, le sentiment de sécurité devint total ".
              C'est sans doute le souvenir que ce passé a laissé dans la mémoire du petit nombre de témoins qu'il a interrogés en Algérie mais ce n'est pas du tout ce qu'attestent les archives.
              En effet, selon la thèse d'Éric Kocher Marbœuf, les disparus encore vivants ont été libérés à Alger dès que le gouvernement de Ben Bella voulut affirmer son autorité et satisfaire les demandes pressantes de l'ambassadeur de France mais dans le reste du pays le retour à l'ordre fut beaucoup moins rapide.

              Le 19 novembre 1962 un conseiller du ministre Louis Joxe rappela l'urgence d'obtenir la libération de 47 Européens incarcérés depuis juillet dans un camp de la willaya VI à M'doukal près de Sétif.
              Une note de l'ambassade préparatoire aux entretiens franco-algériens du 4 décembre estimait devoir créditer, en dehors de ce dernier cas, les officiels algériens d'une réelle bonne volonté pour résoudre les cas d'enlèvement ou d'assassinat, mais croyait qu'ils étaient totalement dépassés par des éléments incontrôlés relevant du droit commun.
              D'autre part, des enlèvements continuaient, moins nombreux et le plus souvent temporaires, mais l'ambassade en compta encore 367 du 1er janvier au 30 septembre 1963.

              Quant au programme de Tripoli, adopté sans vrai débat par le CNRA réuni dans la capitale de la Libye en mai 1962, Pierre Daum le mentionne et il en cite même deux passages particulièrement sévères contre le néo-colonialisme français et contre le statut privilégié qu'il prétendait conserver aux Français d'Algérie : " l'écrasante majorité des Français d'Algérie en raison même de leur mentalité colonialiste et de leur racisme ne seront pas en mesure de se mettre utilement au service de l'État algérien ". Mais il explique ces jugements par le déchaînement de l'OAS non désavoué par la très grande majorité des Français d'Algérie et croit pouvoir affirmer que ce passage " va être systématiquement contredit par toutes les déclarations des dirigeants de l'Algérie indépendante, le président Ben Bella en tête. "

              Il cite même le témoignage de Lakhdar Ben Tobbal, ministre d'État du GPRA ayant participé aux dernières négociations du Lugrin puis d'Évian en février et mars 1962, pour attester que le FLN souhaitait garder une grande partie des Français d'Algérie dans le pays ; j'ai même dit à Joxe : " nous avons besoin de certains Français qui doivent rester chez nous ! Nous le revendiquons ! Parce qu'ils ont l'expérience que nous n'avons pas, nous avons besoin de leur aide, mais pas de gros colons ".
              A l'époque nous avons tous deux estimé à 600.000 ceux qui resteraient. Le président Boumediene a dit la même chose au président Giscard d'Estaing lors de sa visite officielle à Alger en 1975 : " Jamais nous n'aurions cru que les Français puissent partir " répétait Boumediene

              Et il l'a dit aussi à des industriels français " Cette guerre avec la France nous a coûté très cher, elle nous a coûté 60.000 spécialistes Français d'Algérie qui nous manquent cruellement aujourd'hui pour faire décoller notre pays sur le plan économique. "
              En effet le réalisme économique recommandait aux Algériens de ne pas provoquer la ruine de leur pays dont les Européens étaient les principaux :
              - entrepreneurs, cadres et contribuables.
              Et pourtant le comportement du FLN depuis le 1er novembre 1954 avait très largement ignoré les considérations économiques en considérant que l'Algérie était un pays riche appauvri par l'exploitation coloniale à laquelle il suffirait de mettre fin pour lui rendre sa richesse.

              Le programme de Tripoli, si l'on ne se contente pas d'en faire deux citations, n'apparaît pas comme un texte purement conjoncturel : il fut au contraire le document de référence fixant les grandes lignes de la politique de l'Algérie pour les années suivantes, sous Ben Bella puis sous Boumediene
              Même si ce programme fut le résultat d'une difficile synthèse entre plusieurs tendances le consensus s'établit très vite sur la signification des accords d'Evian, définis comme une plate-forme néo-colonialiste et un frein à la révolution selon Mohammed Harbi, membre de la commission de préparation de ce programme.
              Pour réduire " la prépondérance écrasante " des Européens ce programme préconisait des "réformes de structures applicables à tous les citoyens sans distinction d'origine " qui auraient l'avantage de ne pas paraître discriminatoires tout en aboutissant de facto à leur inclusion (à quelques exceptions près).

              Et une annexe secrète indiquait : " Tout en exploitant les acquis positifs des accords d'Évian, l'Algérie doit préparer les conditions :
              - politiques, économiques, sociales et militaires qui nous permettent tout d'abord de limiter les effets négatifs de ces accords, puis de les diminuer, enfin de les liquider. "
              En effet, l'attitude des dirigeants algériens quant au maintien en Algérie de la masse de la population " pied noire " n'était pas favorable à cette perspective.

              Cela fut reconnu par les chefs des deux tendances qui s'opposèrent durant la crise de l'été 1962. D'un côté, le vainqueur, Ben Bella a dit : " Je ne pouvais concevoir une Algérie avec 1.500.000 (sic) Pieds noirs ".
              De l'autre l'ancien président du GPRA Algérie (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) Ben Khedda, s'est félicité que " la révolution ait réussi à déloger du territoire nationale un million d'Européens, seigneurs du pays ".
              L'historien Mohammed Harbi a confirmé que les deux factions rivales de l'été 1962 voulaient l'élimination totale des Européens.

              Le général De Gaulle a dit le 1er octobre 1963 devant Alain Peyrefitte : " Après sept ans et demi de guerre, après surtout que l'OAS s'est conduite comme elle l'a fait, avec l'appui d la masse des Pieds noirs (il répète ces mots), il est inévitable que ce mouvement de départ des colons se précipite. Ben Bella lui-même a toujours répété que la coopération entre la France et l'Algérie supposait d'abord le départ des Pieds noirs et l'arrivée de techniciens français venus avec leurs valises, mais estimant n'avoir aucun droit sur le pays. On ne peut pas l'accuser d'avoir changé d'avis. "
              Et il l'a répété à Ben Bella en mars 1964 en le recevant au château de Champs : " Vous avez voulu que tous les Pieds noirs prennent leurs valises en les menaçant du cercueil ".
              Peut-on rêver un démenti plus complet à la thèse que Pierre Daum s'est efforcé de démontrer ?

              Cela ne veut pas dire que les dirigeants de la Révolution algérienne aient délibérément décidé d'expulser la masse des Français d'Algérie : aucun document actuellement disponible ne permet de l'affirmer.
              Mais ils n'ont rien fait pour les rassurer et pour leur faire oublier par des actes tangibles qu'ils avaient été traités pendant sept ans (à part quelques exceptions individuelles) comme des ennemis indésirables sur le sol algérien et le comportement de l'OAS n'a fait qu'exacerber en réaction cette tendance déjà bien établie.
              Si l'on veut trouver un exemple de décolonisation ayant délibérément évité de provoquer la fuite de la minorité colonisatrice, il ne se trouve pas en Algérie mais en Afrique du Sud.
              La politologue Laetitia Bucaille a méthodiquement comparé ces deux modèles opposés de la décolonisation dans son livre le pardon et la rancœur Algérie /France, Afrique du Sud : peut-on enterrer la guerre ?
              Sa lecture est recommandable pour qui veut comprendre à quelles conditions ce qui semblait impossible en Algérie a, jusqu'à présent été réussi en Afrique du Sud.

Guy Pervillé. Historien

              Sur les quinze témoins rencontrés par Pierre Daum cinq sont restés en Algérie jusqu'à aujourd'hui. C'est peu et il est contestable de critiquer le cinéaste Jean-Pierre LLedo sans lui donner un droit de réponse.
              Jean-Robert Henry, dans son catalogue de l'exposition l'Algérie et la France, destins et imaginaires croisés (centre des archives d'outre-mer, Aix en Provence, mais 2003.) a signalé que les dirigeants de la willaya II (Nord Constantinois) avaient consciencieusement pratiqué ce qu'ils ont appelé la " stratégie race contre race " le 20 août 1955.
              Selon le récit d'Yves Courrière, Abane et Ben M'hidi rédigèrent un tract menaçant : " Pour chaque maquisard guillotiné, cent Français seront abattus sans distinction ".
              Les groupes armés de fedayin auraient reçus l'ordre suivant : " Descendez n'importe quel Européen de dix-huit à cinquante-quatre ans.
              - Pas de femmes, pas d'enfants, pas de vieux. "
              Il avait été très clair dans son intervention au CNRA de Tripoli, selon l'historien nord américain Jeffrey James Byrne qui a consulté les archives du GPRA et du CNRA aux archives nationales d'Alger : lors du CNRA de Tripoli le discours de Ben Bella était beaucoup plus clair sur ce point que le texte du programme lui-même.
              Il explique au CNRA que " nous ne pouvons pas écrire dans un texte semblable que nous allons dénoncer les accords (…) Toutes les conditions pour faire partir les Français et pour créer les conditions de révision des accords y seront prévues ". Compte rendu de la conférence de Tripoli, 29 mai 1962, pp 26-29 dossier 12.2 CNRA, ANA. Cité par J.J. Byrne, " négociation perpétuelle, De Gaulle et le FLN 1961-1968 ", in De Gaulle et l'Algérie 1943-1969, Sous-Directeur, Maurice Vaïsse, Paris, Armand Collin, 2012 p 303.



SANTA CRUZ 2022
Envoyé par Annie Bouhier.

        - Il n'y a pas eu beaucoup de monde.

        -Certains pieds-noirs sont décédés, d'autres trop âgés ne peuvent plus se déplacer pour aller à Nimes et certains enfants n'ont rien à foutre de l'Algérie et n'accompagnent pas leurs parents âgés à Nimes.

        -Certains pieds-noirs n'osent plus y aller vu l'emplacement de la vierge.

        -Bientôt les vrais pieds-noirs auront disparus......

         FAIT DU SOIR Santa Cruz et son pèlerinage : célébration d'un ancien temps ? - Objectif Gard

Annie Bouhier.



Libérons l'Histoire, retrouvons la France.
Envoi de M. Christian Graille

               Voici un bref inventaire de quelques mensonges ramassés au sujet de la loi du 23 février 2005. Patrick Louis.

                Le 23 février 2005, les députés avaient voté une loi " portant reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés.
                Ainsi dans l'article I il était stipulé que la nation exprimait sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui avaient participé à l'œuvre accomplie par la France :
                - dans les anciens départements d'Algérie,
                - au Maroc,
                - en Tunisie et
                - en Indochine
                - ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. "


                C'était donc une loi qui portait sur la mémoire que les Français devaient conserver des évènements et sur la reconnaissance que la France entendait exprimer envers trois ou quatre générations de Français pour l'œuvre qu'ils avaient accompli outre-mer.
                L'article 5 protégeait les Harkis et les supplétifs contre :
                - les insultes, injures,
                - éructations de haine dont ils étaient agonis depuis plus de quarante ans

                Ainsi étaient interdit toute injure ou diffamation commises envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de Harki, d'anciens membres de formations supplétives ou assimilées et toute apologie des crimes commis contre les Harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Évian ".

                Puisque la Nation exprimait sa reconnaissance aux rapatriés et aux Harkis, il était naturel que l'école et les institutions d'enseignement soit mises à contribution et participent, elles aussi à la renaissance voulue par le législateur.
                C'est d'autant plus urgent que la quasi-totalité des manuels scolaires prennent le parti opposé et, au lieu d'enseigner une histoire équilibrée, ils invectivent ceux " qui ont participé à l'œuvre accomplie. "
                Voici ce que raconte un livre d'histoire de classe de 4e :
                " La politique impérialiste menée par les États européens à la fin du XIXe siècle parvient à briser les résistances des populations indigènes.

                Même si différents types de colonies sont mis en place, l'exploitation de leurs richesses par la Métropole est systématique. Cette volonté de dominer une partie du monde toujours plus grande entraine des affrontements entre Européens ".
                Cette prose :
                - extrémiste, radicale, mensongère,
                - nécessite au minimum un retour à la mesure.

                C'est ce que proposait la loi du 23 février 2005. Dans ce contexte l'article 4 était cohérent et justifié. Le voici : " Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.
                Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issue de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
                La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée ".
                La loi était :
                - mesurée, juste, équilibrée
                D'ailleurs le vote n'avait soulevé aucune difficulté.

                Or pendant plusieurs mois les médias et les organismes politiques s'acharnaient sur cette loi :
                - la caricaturant, la déformant,
                - multipliant les mensonges les plus odieux.

                Le premier mensonge consistait à déformer le texte même de la loi.

                L'article 4 portait " le rôle positif de la présence des Français outre-mer ".
                Historiquement et personne ne peut le contester, pendant plus d'un siècle, les Français ont construit :
                - des écoles, des hôpitaux, des routes, des voies ferrées,
                - des réseaux de téléphone et d'électricité etc. là où il n'y avait rien.

                Pourtant le journal Le Monde, dans un éditorial écrivait : " La loi très controversée du 23 février 2005 faisait obligation aux programmes scolaires de reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer, en clair de la colonisation, fait l'objet de critiques croissantes ".

                Le mensonge était dans " en clair " : les mots " présence française " sont traduits par " colonisation ".
                Cette trahison fausse ce qui écrit. Elle n'éclaire pas, elle obscurcit.
                Il existe autant de différence entre " présence française " et " colonisation " qu'entre " démocratie " et " socialisme national " (hitlérien).

                Que la France ait constitué un empire entre 1830 et 1962 est un fait. Que cet empire ait été colonial, comme l'ont été l'Empire russe ou comme l'est la Chine (au Tibet ou ailleurs), cela est moins sûr.
                Pour qu'il y ait colonisation il faut des colons, c'est-à-dire des fractions d'une population (française, russe, chinoise, etc.) transportées dans un pays où :
                - elles s'installent, font souche,
                - mettent en valeur des terres qu'elles se sont appropriées, ou des friches.

                Le nombre exact de Français qui se sont installés en Afrique du Nord entre 1830 et 1962 n'a pas dû dépasser un million ou un million et demi de personnes, quatre fois moins que de Musulmans établis en France depuis trente ans, dix fois moins que de Chinois établis au Turkestan chinois (pays des Ouïgours) ou au seul Tibet.
                Le seul pays où il semble que le transport de populations françaises ou européennes se soit apparenté à une colonisation a été l'Algérie mais sans que jamais les autochtones aient été submergés par des vagues de migrants.

L'Algérie était la France.

                Personne ne s'indigne des transports massifs de Chinois au Tibet ou au Xin Kiang ; pourtant là ils submergent les populations autochtones.
                Il y a eu, outre-mer " une présence française " : des hommes, femmes, enfants, vieillards qui ont vécu dans ces pays, les ont mis en valeur etc.
                Rendre hommage à ces Français n'a rien de criminel.
                S'ils avaient été arabes, ou Musulmans, ou Noirs " le Monde " chanterait leurs louanges. C'est parce qu'ils sont Français qu'ils sont couverts de mépris.
                Ce journal croit qu'il est le quotidien de l'élite.
                Pour " le Monde ", l'élite, ce sont des crânes vides que l'on bourre aux mensonges.

                L'autre mensonge consiste à laisser croire que l'histoire enseignée dans :
                - les collèges, les lycées, les universités
                est :
                - impartial, neutre, objectif.
                Il suffit de consulter les manuels scolaires pour constater qu'ils répètent à propos de la présence française outre-mer les mêmes délires à sens unique que ceux qu'ils diffusaient naguère sur l'URSS et ses satellites. Chez ces derniers tout était :
                - beau, blanc, pur, bien
                alors
                - qu'en France, à l'Ouest ou en Occident,
                tout était :
                - sale, noir, bête.

                Ces exposés doctrinaux sont dangereux pour l'histoire en tant que discipline parce qu'ils nient les faits, et pour les élèves, à qui est asséné un mode de pensée qui se réduit à des vitupérations haineuses.
                On en constate les effets désastreux dans la vie publique, laquelle se résume de plus en plus souvent à une surenchère accusatoire, comme si l'école ne formait plus que des procureurs dont la seule raison d'être est d'inculper la France.

                La loi du 23 février 2005 s'adresse aux professeurs qui sont des fonctionnaires et qui méconnaissent ce qu'est l'instruction publique.
                Celle-ci, outre le souci de vérité qui l'anime (sinon la vérité, du moins une présentation non diabolique des faits) est publique : elle se fait au vu et au su de tout le monde par des maîtres compétents et impartiaux (ce que ne sont pas les auteurs des manuels d'histoire) et sous le contrôle de la puissance publique (les élus du peuple).
                Nous sommes en démocratie, pas en URSS ou en Arabie : l'instruction publique à pour but aussi la diffusion de la démocratie, l'une et l'autre se nourrissant de faits établis et dégénérant sous l'effet de ressentiments haineux.
                Rien n'autorise les idéologues léninistes, même certifiés en histoire, de se croire seuls autorisés à dire la vérité et à refuser à des élus le droit de juger d'un programme d'instruction publique.

                Le troisième mensonge, et celui qui dépasse les bornes, consiste à interdire aux Français de se prononcer sur leur propre histoire.
                C'est ce qu'assène, Sabeg, richissime homme d'affaire d'origine algérienne dans le " Figaro " du 4 février 2006.
                Citons-le : " Imposée par la force, achevée dans la douleur, la présence française en Afrique du Nord n'était pas désirée et n'avait pas lieu d'être. Elle ne peut pas faire l'objet d'une pesée en termes d'aspect " positifs " ou " négatifs ".
                C'est une curieuse habitude que d'estimer les bienfaits d'une situation déjà en elle-même illégitime.

                Remplaçons dans ce paragraphe l'adjectif " française " par " algérienne " ou par " islamique ", le complément de lieu " en Afrique du Nord " par " en France " et les imparfaits " était " ou " avait " par les présents " est " ou " a ".
                Voici ce que cela donne :
                Imposée par la forme, achevée dans la douleur, la présence algérienne ou islamique en France n'est pas désirée et n'a pas lieu d'être. Elle ne peut pas faire l'objet d'une pesée en termes d'aspects " positifs ou négatifs. "


                C'est une curieuse habitude que d'estimer les bienfaits d'une situation déjà en elle-même " illégitime " C'est du racisme.
                Sabeg jouit pourtant des bienfaits de la France où il n'hésite pas à vivre, ne serait-ce que pour se mettre chaque année quelques milliards dans les poches.
                Ces trois types de mensonges prouvent, s'il en était besoin, que ceux qui ont critiqué cette loi :
                - le Monde, Sabeg, les profs léninistes ou tiers-mondialistes,
                - n'ont que faire de l'histoire, que, pourtant certains d'entre eux enseignent, et encore moins de la France, qu'ils maltraitent comme si elle était une fille publique et que leur seule ambition est de conserver le pouvoir indu de contrôle et de falsification qu'ils ont sur les jeunes esprits et sur les symboles de la France.

Jean-Gérard Lapacherie.


Le dernier exposé de Daniel Lefeuvre (2013)
Envoi de M. Christian Graille

               Invité pour la deuxième fois par le Cercle Algérianiste de Bordeaux, Daniel Lefeuvre paraissait ce jour-là en pleine forme et il a fait preuve d'un grand dynamisme. Il a commencé son exposé intitulé " le cercueil et la valise " en indiquant sa volonté de répondre très fermement au livre de Pierre Daum publié en 2012 sous le titre " ni valise, ni cercueil, les Pieds Noir restés en Algérie après l'indépendance ".
               En tout cas plus fermement que je l'avais fait moi-même dans ma critique réponse au livre de Pierre Daum. Il a trouvé en effet, dit-il, avec son sens habituel de la provocation, Guy Pervillé trop indulgent en ce qui concerne la question de l'honnêteté de Pierre Daum.

               Il rappelle d'abord que ce livre a pour origine un article du même titre, paru dans le Monde diplomatique en mai 2008 qui fut suivi d'un débat à l'Hôtel de ville de Paris pour aboutir enfin à un livre orné d'une préface demandée à Benjamin Stora. Ce livre exprime dans sa première partie l'idée qu'il y aurait en France un tabou sur les vraies conditions du retour des rapatriés.
               D'après son auteur, tout aurait été possible le 19 mars 1962, s'il n'y avait pas eu le terrorisme de l'OAS visant à faire échouer le cessez-le-feu et l'application des accords d'Évian.
               Il cite en guise de preuves de nombreuses déclarations du GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) favorables au maintien des Européens en Algérie, et affirme que 200.000 Pieds-Noirs, soit un cinquième de leur nombre total seraient restés dans le pays après l'indépendance.

               Benjamin Stora dit la même chose dans sa préface : les rapatriés ont toujours cherché à faire croire que le risque pour leur vie était la principale cause de leur départ.
               Le général De Gaulle ne disait rien d'autre dans ses Mémoires d'espoir en 1970.
               Il n'y a rien de nouveau dans la thèse soutenue par Pierre Daum.
               L'enjeu est de faire porter sur l'OAS ou sur le racisme des français d'Algérie la responsabilité entière de l'exode, pour exonérer le FLN de toute responsabilité.

               Un chiffre est mis en avant : 200.000 Français sont restés en Algérie après l'indépendance. En guise de preuve quinze témoignages de Français d'Algérie restés plus ou moins longtemps dans le pays après l'indépendance, ce qui est peu.
               Mais cette affirmation est-elle fondée sur des archives ?
               Il y a des déclarations publiques mais il faut tenir compte des pratiques réelles.

               L'OAS a pris forme au printemps 1961 en Espagne mais elle n'est devenue vraiment active en Algérie contre la population musulmane qu'à partir de février-mars 1962 ce qui a provoqué les représailles du FLN.
               L'OAS n'a pas voulu chasser les Français d'Algérie, bien au contraire, elle a voulu endiguer, empêcher leur départ.
               C'est seulement le 21 mai 1962 qu'elle a levé son interdiction de départ pour les femmes et les enfants ; puis en juin 1962, elle est passée à " la terre brûlée ".
               Le départ des Français fut alors encouragé, puis ordonné.
               Mais les départs massifs avaient commencé dès la fin avril, à cause des enlèvements déclenchés par le FLN un mois après le cessez-le-feu d'Évian.
               La responsabilité de l'OAS dans leur exode est donc très secondaire, voire marginale, estimait Daniel Lefeuvre.

               Mais il faut aussi rappeler la chronologie du départ des Français d'Algérie.
               Il y avait déjà eu plus de 160.000 départs avant 1962, et 336.300 de janvier à avril. Pour trouver le début du " rapatriement " il faut remonter à 1945 (" onde de choc " du soulèvement du Constantinois) : on vit alors le repli des centres les plus isolés vers les villes et un début de départ vers la Métropole.
               Le 26 août 1946, une petite annonce d'un cabinet immobilier d'Agen fut publiée dans l'écho d'Alger…
               Mais le premier mouvement important des départs commença en 1955, avec l'aggravation du terrorisme du FLN (notamment après le 20 août 1955).

               Il est vrai que l'on peut citer tout au long de la guerre de nombreuses déclarations rassurantes mais le programme de Tripoli adopté par le FLN en juin 1962, et tenu secret jusqu'en septembre 1962 ne cachait pas la volonté de provoquer le départ de la population européenne par des mesures " socialistes " d'expropriation.
               Il faut y ajouter des menaces contre les Juifs à partir de 1948, et des attentats contre les commerces juifs à partir de 1955, même si à Évian, en mai et juin 1961, Ahmed Francis revendiquait les juifs algériens comme compatriotes.

               Les pertes de la population européenne civile entre le 1er novembre 1954 et la fin 1962 ont été d'environ 6.000 Français d'Algérie, ce qui correspondrait, en respectant la même proportion de la population totale, à un nombre situé entre 280.000 à 300.000 morts en métropole !
               1962 fut une année noire, car la moitié des pertes totales furent subies après le cessez-le-feu du 19 mars. Et les tués sans enlèvement préalable n'ont pas été recensés.

               Dès l'été 1961, le délégué général du gouvernement en Algérie, Jean Morin avait perdu ses illusions : il constatait le " caractère xénophobe des manifestations musulmanes des 1er et 5 juillet 1961 ", et signalait que les Français d'Algérie " ne croyaient plus en la parole du chef de l'État ".
               Ceux-ci sont donc partie en 1962 parce qu'ils ne pouvaient plus rester et qu'ils en avaient conscience.
               A ce sujet Daniel Lefeuvre rappela son intervention au colloque de la compagnie French Lines " sur la mémoire maritime des rapatriés d'Algérie " (Marseille 18-19 septembre 2008), intitulée " les Français d'Algérie : décider de partir ", où il osa parler d'épuration ethnique, scandalisant ainsi le journaliste vedette de Télérama, Thierry Leclère.
               Il rappela aussi les citations effroyables tirées du livre posthume de l'intellectuel propagandiste du FLN Frantz Fanon, les damnés de la terre (1961).

               Quant aux 200.000 Européens qui seraient restés en Algérie à la fin de 1962, ce nombre repose sur les statistiques métropolitaines et résulte d'une soustraction entre la population européenne d'Algérie et le nombre de rapatriés arrivés en Métropole. Mais parmi ces 200.000 personnes restées en Algérie il n'y aurait eu que 150.000 Français car il ne faut pas oublier les départs vers l'outre-mer et vers l'étranger.
               Il y avait en effet en Algérie 50.000 étrangers, dont 30.000 Espagnols, mais aussi des Anglais, des Américains etc.
               - Il y eu 10.000 départs vers l'Argentine,
               - 10.000 Juifs algériens partirent vers Israël.
               - Au total il y aurait eu 60.000 ou 70.000 départs vers l'étranger.


               Selon l'ambassade de France à Alger, ils seraient restés 180.000 Français en Algérie en décembre 1962 parmi lesquels 15.000 enseignants dont 10.000 coopérants (la plupart venus de métropole).
               D'autre part, il ne faut pas oublier que de nombreux fonctionnaires, et même des employés de banque étaient interdits de sortie ou avaient été obligés par le gouvernement français de rejoindre leur poste en Algérie.
               Enfin il est faux que le gouvernement algérien de Ben Bella ait voulu le retour ou tout simplement le maintien sur place des Français encore présents : il est passé très rapidement " de la confiscation d'entreprises vacantes à la spoliation d'entreprises actives. "

               Ainsi, Daniel Lefeuvre concluait sa démonstration en invitant ses auditeurs à choisir entre les deux interprétations : le journaliste Pierre Daum serait soit incompétent, soit malhonnête.
               Sur l'invitation du président du Cercle algérianiste de Bordeaux, Bernard Létrange, j'ai répondu à l'interpellation initiale de Daniel Lefeuvre, sans m'émouvoir de son ton volontairement provocateur.
               Tout en étant d'accord avec lui sur le fond, comme je l'ai prouvé dans ma réponse à Pierre Daum, j'ai volontairement préféré répondre à celui-ci sur un ton modéré, ce qui n'a rien changé à la sévérité de ma conclusion.

               J'ai choisi cette attitude pour souligner ostensiblement la différence entre le ton acceptable de Pierre Daum qui m'a critiqué à tort mais sans manque aux règles élémentaires de la courtoisie, et celui de Thierry Leclère qui nous a l'un et l'autre (Daniel Lefeuvre et moi) en des termes incontestablement diffamatoires dans le numéro n° 3167 de Télérama (du 25 septembre au 1er octobre).
               Et c'est pourquoi, en cette occasion qui fut malheureusement notre dernière rencontre, j'ai pu donner à Daniel Lefeuvre l'impression d'une indulgence excessive sans qu'il m'en tienne rigueur.
               Je rends compte d'après mes notes du dernier exposé de Daniel Lefeuvre, intitulés " les cercueils et la valise " que j'ai écouté au Cercle algérianiste de Bordeaux le samedi 6 avril 2013.
Guy Pervillé . Historien


PORTAGES
De Jacques Grieu


     
               Un joli port de tête est d'aspect qui fascine
                Et qui n'a rien à voir avec le porte-mine.
                Port payé ou port du ne pourront rien y faire
                Et aucun "droit de port" n'achète ce mystère.

                L'âne qui vous porte est mieux que cheval qui s'emporte.
                Le vrai poids d'un fardeau dépend de qui le porte :
                La bourrique est petite et porte bien le poids !
                Bien des porte-drapeaux pourraient dire pourquoi...

                Souvent le port du voile est une porte ouverte
                Pour railler qui le porte en moqueries expertes.
                Mais le port à voiliers n'en est pas pour autant
                Un mauvais "port d'attache" aimé des mécréants.

                Le plus gros porte-avions est pour ceux qui guerroient.
                Ce qu'un porte-paroles est à un porte-voix.
                Comme le porte-plume est au contestataire
                Ce que le portefeuille est au parlementaire.

                Mettre "clef sous la porte" est souvent mauvais signe
                Mettant en "porte-à-faux" tous ceux qui s'y résignent.
                Les portes de secours ne sont pas évidentes
                Mais... les porte-bonheurs restent partout en vente !

                Trop bien fermer la porte : on la donne en pâture !
                Porte qu'on laisse ouverte est porte la plus sûre.
                "La nuit porte conseil" est dicton de valeur
                Mais la superstition... porte toujours malheur!

Jacques Grieu                  



Le péril étranger.
Envoi de M. Christian Graille


               Avant tout, nous tenons à rendre un public hommage à l'élément étranger implanté sur le sol algérien pour les qualités d'endurance, de sobriété qu'il a mise au service de la colonisation :
               - Les Espagnols dans la province d'Oran,
               - les Italiens dans la province de Constantine,
               - Espagnols et Italiens dans la province d'Alger ont contribué pour une large part au développement de notre admirable possession nord-africaine
               - L'agriculture a trouvé en eux de précieux auxiliaires.


               Entraînés de par leur propre origine à une existence de privations et de labeurs, ils ont :
               - vaincu la fièvre, bravé le soleil,
               - défriché les plus impénétrables " brousses ",
               - couché sur la dure au milieu des lentisques et des asphodèles jusqu'au jour où la terre déblayée de ses plantes parasites les aidait à vivre moins misérablement.

               Ces pionniers, après nos colons français qui furent au début de la conquête de vrais soldats laboureurs, " la pioche d'une main, le fusil de l'autre " ont droit à toute notre sympathie, à toute notre sollicitude et nous ne les leur avons jamais marchandées tant qu'ils s'en sont tenus à leur rôle de travailleurs actifs.
               Mais les évènements que nous avons relatés ont eu pour conséquence de nous montrer le danger d'une hospitalité trop large.

               Jusqu'en 1889, on ne comptait guère en Algérie qu'avec le péril juif, provenant en partie d'une prépondérance électorale, que les Israélites réalisaient en influences économiques au mieux de leurs intérêts.
               L'étranger vivait en bonne intelligence avec le Français, collaborait à l'œuvre de la prospérité algérienne. Il était de toute justice que le Gouvernement de la République reconnût ses mérites.
               Mais dans l'aveuglement de sa gratitude, il dépassa le but en votant la loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation.
               M. Lenormand expose en termes précis, dans un intéressant ouvrage sur la crise algérienne, les dispositions toutes spéciales de cette loi.

               Qu'est-ce cette loi du 26 juin 1889 dont l'application provoque tant de crainte ? dit-il. Elle vise la nationalité et en cette matière notre colonie africaine a toujours profité d'un régime spécial.
               Il reposait en dernier lieu sur les dispositions organiques du sénatus-consulte du 14 juillet 1865 exécutés suivant le décret du 21 avril 1866 portant règlement d'administration publique.
               Tandis qu'en France, il faut pour pouvoir obtenir la naturalisation justifier d'une résidence non interrompue pendant dix années, en Algérie, l'étranger après trois ans de résidence peut être admis sur sa demande à jouir des droits du citoyen français. Le temps qu'il a passé dans la colonie, sous les drapeaux, compte dans la durée de la résidence légale.

               Encore fallait-il sous ce régime que l'étranger, pour devenir citoyen français en fit la demande formelle : après avoir été instruite par les autorités locales, elle était transmise par la voie hiérarchique au Garde des Sceaux.
               Celui-ci en prononçait, soit le rejet, soit l'ajournement ou provoquait du Président de la République un décret individuel conférant au postulant, qui devait être majeur, la naturalisation qu'il sollicitait.
               Si simplifiée que fut cette procédure, la plupart du temps faite gratuitement, elle offrait pourtant quelques garanties : l'étranger devait fournir des pièces et certificats, subir une enquête, s'intéresser au succès de la demande qu'il avait pris la résolution de formuler.

               Survient alors la loi du 26 juin 1889 applicable à l'Algérie. En apparence elle n'apporte aucune modification essentielle aux dispositions précédentes qui restent en vigueur pour tous les étrangers ayant atteint leur majorité avant la promulgation de la loi nouvelle. En réalité elle fait subir au statut des étrangers une transformation radicale.

               Elle déclare Français :
               1° Tout individu né en France de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue.
               2° Tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y est né. Ainsi pour ces deux catégories d'individus la disposition est absolue : ils n'ont en aucune manière la faculté de décliner la nationalité française.
               - Ce jeune homme né en Algérie, de parents légalement inconnus et non musulmans est nécessairement Français.
               - de même cet autre né de père et de mère espagnols ou italiens, mais natifs d'Algérie, à moins qu'il ne perde cette qualité en acquérant sur sa demande une nationalité étrangère ou en portant les armes contre la France.
               - Enfin aux termes de la même loi est encore déclaré français tout individu né en France d'un père étranger et domicilié en France à l'époque de sa majorité, à moins que dans l'année qui suit sa majorité telle qu'elle est réglée par la loi française, il n'ait décliné la qualité de français et prouvé qu'il a conservé la nationalité de ses parents par une attestation en due forme de son gouvernement... et qu'il n'ait en outre produit, s'il y a lieu, un certificat constatant qu'il a répondu à l'appel sous les drapeaux, conformément à la loi militaire de son pays, sauf les exceptions prévues aux traités.

               De même des jeunes gens nés à Sidi-Bel-Abbès de père allemand et de mère espagnole ou à Bône de père italien et de mère maltaise domiciliés en Algérie n'ont plus à solliciter leur naturalisation : il leur suffit de ne pas décliner la qualité de Français pour obtenir l'exercice de tous les droits civils et politiques attachés au titre de citoyen dans notre pays.

               Ils n'ont même pas besoin d'accomplir une année de service militaire ; il leur suffit de passer le conseil de révision. Ils peuvent à la fois impropres au service et indignes au point de vue moral, ils n'en sont pas moins immédiatement citoyens français.
               Ils réunissent toutes les conditions légales voulues pour être électeurs et éligibles.

               On ne devrait pas tarder à s'apercevoir que c'était une faute d'avoir accordé si facilement la naturalisation à des milliers d'individus d'une mentalité en tous points différente de la nôtre et M. Havard, conseiller général d'Oran en signalait le danger dès 1895.
               Mais il ne fut pas écouté par ses collègues qui escomptaient les suffrages de ces néo-français au renouvellement de leur mandat.
               La presse parisienne et algérienne, au contraire se préoccupa de la situation et fut presque unanime à reconnaître la nécessité de la révision de la loi de 89.
               " Si on laisse aller les choses, disait le journal à la date du 4 avril 97, dans un temps qui n'est pas éloigné, il n'y aura en apparence presque plus d'étrangers en Algérie. C'est peut-être à ce moment-là que la question étrangère se posera dans toute son acuité. "

               La presse ne fut pas seule à constater le péril d'un encombrement cosmopolite sous la bannière française. Des corps d'élus :
               - les conseils municipaux d'Alger,
               - de Constantine
               - et le conseil supérieur jetèrent le cri d'alarme.

               Dans sa séance du 17 mai 96, le conseil supérieur adopta un vœu tendant à ce que : 1° la loi du 26 juin 1889 fut modifiée de façon à permettre deux naturalisations, la première n'entraînant pas la jouissance des droits civiques et politiques ;
               2° les demandes de naturalisation ne fussent accueillies que si elles étaient justifiées par des services exceptionnels rendus au pays.
               M. Zeys, dont le lumineux rapport, fit suivre ce vœu de considérations qui ne soulevèrent aucune contestation de la part de ses collègues de la haute assemblée algérienne.
               " Il arrivera, plus tôt qu'on ne le pense, écrivait-il, que le nombre de ces concitoyens artificiels l'emportera sur celui des Français d'origine, qu'ils auront sur certains points la majorité dans les corps élus, qu'ils y feront la loi et qu'ainsi ils auront, par la force des choses, des droits supérieurs aux nôtres.

               Loin de moi la pensée de faire ici le procès de la population étrangère toute entière ; il s'y trouve des gens :
               - paisibles, travailleurs,
               - reconnaissants de l'accueil qu'ils ont reçu en Algérie.
               Mais laissons-leur la liberté d'exprimer ces sentiments, en sollicitant une naturalisation que nos lois d'exception rendent déjà si facile.
               Ne fabriquons pas des citoyens français qui ne nous doivent rien puisque nous les avons incorporés d'office à nous et dont la patriotisme est au moins douteux puisqu'ils n'ont jamais eu à l'affirmer.
               - Ne sont-ils pas devenus Français par une abstention qu'ils peuvent toujours imputer à une ignorance de la loi ?
               - Dans l'hypothèse d'un conflit européen, il est permis de se demander pour qui seraient leur sympathie.
               - il nécessaire d'ajouter que toute les nations ont leurs " outlaws " (hors la loi) qui, rejetés de leur sein, vont se glisser dans un milieu nouveau, où leur passé n'est pas connu ?
               - L'Algérie est-elle privilégiée au point d'être à l'abri de ces acquisitions peu désirables ?
               - Si bonne garde que l'on fasse de nos ports, n'avons-nous pas admis dans notre troupeau un grand nombre de ces brebis galeuses ?

               Notre générosité légendaire, nous commande-t-elle de décerner, par la seule force de la loi, des diplômes de citoyens français aux enfants de ces immigrants qui :
               - remplissent nos écoles,
               - encombrent nos hôpitaux au détriment de nos concitoyens
               - qui menacent d'envahir les collèges électoraux et jusqu'aux fonctions publiques ?
               La naturalisation sollicitée, précédée d'une enquête sérieuse échappe à ces critiques ; celui qui la réclame donne, par cela même, des gages de sincérité ; elle crée des citoyens utiles, honorables et par suite au lieu d'être une charge pour la colonie, elle en augmente les forces vives et la richesse.

               Votre commission insiste donc fort très vivement pour que la loi du 26 juin 1889 en tant au moins qu'elle a modifié l'article 3 du code civil ne soit plus applicable où son maintien constitue un véritable péril national.
               Quant à la naturalisation proprement dite, le vœu que nous examinons conclut à ce qu'elle ne soit plus conférée que si elle est justifiée par des services exceptionnels rendus au pays.
               Nous ne pouvons pas nous associer à cette idée. L'Algérie a besoin de bras ; si elle les trouve dans les contrées trans-méditerranéennes, son intérêt, d'accord avec ses traditions de large hospitalité, commande de les accueillir.

               Mais nous prions monsieur le gouverneur général de maintenir et d'accentuer encore, si faire se peut, les instructions qu'il a données :
               1° pour que les arrivages maritimes soient surveillées avec une sollicitude constante,
               2° pour que les demandes de naturalisation soient instruites avec un soin scrupuleux,
               3° pour que ces demandes ne soient pas accueillies que dans le cas où les impétrants sont dignes du titre de citoyen français
               Dans ses études algériennes l'auteur rappelle que M. Samary, lors de l'interpellation sur les " troubles de 1808, " reconnaissait que le remède principal à, la situation critique de la colonie, c'était la réforme complète de notre législation sur les naturalisations. "

               Déjà le député d'Alger de la dernière législature comprenait que les élections du 8 mai se feraient sous le coup de la " terreur exotique " machiavéliquement organisée par Régis.
               Max commençait à canaliser les bas instincts de ces " outlaws " dont parlait M. Zeys dans son rapport, pour les diriger vers un but qu'il eut l'habileté de dissimuler longtemps aux regards des plus clairvoyants.
               Il allait donc à l'encontre du sentiment si français exprimé par les premières assemblées algériennes.
               Mais que lui importait de rompre en visière avec la sainte tradition du patriotisme dans l'instant où il réalisait ses projets de dictature, il développait ainsi à côté, du péril juif qu'il ne combattait pas, le péril plus grand encore de l'étranger.

               Les Espagnols, les Italiens qui n'ont rien de nous-mêmes, quoiqu'en disent les inventeurs de la race latine, se ruèrent aux trousses du néo-français Milano avec cet empressement irréfléchi des impulsifs et mirent en lui leur espoir d'être un jour les seuls et les vrais maîtres de la colonie, comme ils croyaient être aux heures d'émeute les vrais et les seuls maîtres de la rue.
               A bien considérer les choses, il y a peut-être lieu de se féliciter d'avoir eu les " troubles " puisque nous leur devons de connaître les dispositions de la population cosmopolite à l'égard de la métropole et de la République.
               Les tendances séparatistes des coupe-jarret qui, durant deux années, prêchèrent la révolte, n'ont heureusement pas eu d'effet, mais il appartient au gouvernement de calmer la crise où se débat l'Algérie en retirant aux agitateurs le droit de s'immiscer dans nos affaires.

               La naturalisation qui résulte de la loi de 80 est une naturalisation automatique, de sorte que des étrangers deviennent français sans préalable préparation.
               Le sénatus-consulte de 65 avait du moins cette supériorité de ne délivrer la qualité de citoyen français qu'après enquête, tandis que la loi de 89 confère ce titre annuellement à des milliers :
               - d'Espagnols, d'Italiens, de Maltais
               qui n'en demeurent pas moins :
               - Maltais, Italiens, Espagnols.
               Ce procédé mécanique ne saurait substituer en effet une autre âme à la leur.

               Il n'est rien de plus brutal, mais aussi de plus éloquent qu'une statistique.
               Or si nous consultons des recensements officiels publiés en 86, nous voyons qu'en vingt années 1.253 Espagnols et 1.671 Italiens ont sollicité leur naturalisation.

               En 1886, il y avait en Algérie 144.530 Espagnols, 82 seulement sont devenus citoyens français et sur 44.315 Italiens 203 ont réclamé ce titre pour se conformer aux exigences des traités de navigation.
               Il n'y avait donc de leur part aucun enthousiasme pour l'adoption de notre régime ultra-libéral. Ils conservaient leurs mœurs et leurs coutumes et demeuraient fidèles à leur patrie d'origine. Dire que ce sentiment est blâmable serait évidemment excessif.
               Nous ne pouvons d'autre part nous réjouir de si peu d'empressement dans la manifestation d'une légitime reconnaissance.
               Venus après nous en Algérie, les étrangers ont bénéficié de nos premiers labeurs et n'ont eu qu'à s'installer, au prix de bien des déboires encore il est vrai, sur ce sol si héroïquement conquis par les armes françaises.

               A l'abri de la misère dans cette belle Algérie, ils n'en restent pas moins attachés à :
               - leurs coutumes, à leur langue,
               - à leur pays et depuis 1856 forment des groupements distincts comme les Juifs et les Arabes.

               Il y a là un phénomène à la fois physiologique et psychologique, car sur cette terre d'Afrique, ils ne sauraient avoir l'illusion d'un exil.
               - Ne retrouvent-ils pas le soleil de l'Espagne et de l'Italie sous un ciel plus immuablement bleu ?
               - La sonorité de leur patois ne frappe-t-elle pas leurs oreilles quand ils débarquent sur le rivage africain ?
               - Et en plus de cette réédition de la patrie absente n'ont-ils pas la certitude de trouver auprès de leurs compatriotes déjà établis un accueil que ne reçoit jamais un Français de France ?
               - Comment pourraient-ils ne pas adopter ce pays à quelques centaines de kilomètres du leur ?


               Plus prêts que nous-mêmes de notre Métropole, ils se refusent à reconnaître notre prépondérance et nourrissent assez souvent contre nous un sentiment de jalousie que les années de vie commune n'ont pas entièrement amoindri.
               Les exceptions sont heureusement nombreuses à cette loi de rancune qui régit les étrangers dans leurs quotidiennes relations avec nous.
               Rancune moins contre qualité de Français que contre celle de maîtres de l'Algérie. Pour dissimuler leur jeu et se ménager une transition qui leur laisse l'illusion sinon d'être toujours :
               - Espagnols, Italiens ou Maltais,
               - du moins de ne pas être davantage citoyens français, ils se disent Algériens.


               Les Algériens certes sont un fort intéressant composé de qualités et de défauts, ce qui d'ailleurs est bien humain, mais de qualités et de défauts à eux propres qui empruntent aux origines les plus diverses des oppositions spéciales et les distinguent effectivement de :
               - vrais Bourguignons, de vrais Catalans, de vrais florentins.
               Il se forme une mentalité spéciale qui rappelle de loin celle de leurs compatriotes de la mère-patrie. Et c'est là le caractère essentiel de cette population née dans notre possession africaine.
               Il s'algérianise, dit-on d'un homme qui s'affranchit de certains préjugés de clocher.
               Cela signifie-t-il qu'il soit français ? Non, il conserve son tribut personnel.
               Toutefois, il subit par esprit d'imitation et très inconsciemment d'ailleurs, l'inévitable influence du milieu.

               Nous ne pouvons l'en empêcher, mais nous devons le plus souvent hélas ! Déplorer cette assimilation rétrograde.
               La loi de 1880 est une des causes principales de cet état de choses car en augmentant la famille française sous le prétexte qu'elle se mourait, d'unités aussi disparates, elle a favorisé le développement d'ambition illégitimes et créé des dissensions où n'avait cessé de régner la concorde.
               Quand des rivalités s'établissent entre peuples d'origines différentes établis sur une même terre, il y a tout à craindre de ces passions heurtées.
               Les troubles récents en sont une preuve manifeste.
               Ceux que nous avons adoptés nous subissent, interversion fatale des rôles due à la négligence des gouvernements défunts.

               La gloire de la France n'eut-elle pas été :
               - d'implanter ses traditions sur le sol algérien,
               - De les faire respecter d'abord puis de les étendre aux aborigènes et aux étrangers
               - d'en faire apprécier l'essence généreuse,
               - d'épandre à flots par des procédés plus spirituels que temporels une prépondérance qui eut empêché la naissance d'instincts séparatistes ?

               Voilà où réside le mal, dans le désir d'une autonomie excessive, qu'on aurait comprise si elle n'eut été qu'économique, mais à laquelle l'imprudence loi de 1880 donnait un caractère purement politique, ce qui serait la négation de notre virilité, de nos droits et de nos espérances.

               Ce qui était motivé pour Cuba, ce qui l'est actuellement pour le Transvaal situés à de considérables distances de la vieille Europe ne saurait l'être pour l'Algérie en relations quotidiennes avec la métropole.
               Implantés depuis des siècles sur le sol dont ils défendaient la neutralité, les Cubains et les Boers avaient des droits sur lui que n'eurent jamais, et qu'ils n'ont pas, les " étrangers " de notre colonie africaine.
               Ces derniers ne peuvent pas, en vertu de la proximité de leur pays réciproques, se considérer comme livrés au hasard d'une lutte pour la vie en des contrées antipodiques.

               Il leur reste, avec le souvenir du hameau, du village ou de la ville natale, des tendances qui se perpétuent dans le milieu si favorable de leur entretien qu'est l'Algérie.
               Il est donc impossible qu'on s'impersonnalise, mais non pas qu'un contact des races autochtones et des milieux hétérogènes, on n'atténue sa mentalité première. C'est précisément de cette modification que résulte le désir de séparatismes.

               Elles n'étaient plus, à vrai dire, entièrement calabraises ou madrilènes. Elles tenaient des deux quant aux défauts et devenaient algériennes sans avoir au même degré les qualités que nous reconnaissons à nos vaillants coloniaux.
               Il y eût une perversion de goûts telle qu'une confusion s'établit entre les origines et que le cosmopolitisme algérien de constitua en ligue contre les Français.
               Devions-nous laisser s'accomplir les projets des bandes mercenaires qui ont terrorisé le pays ?
               Et nos angoisses patriotiques n'étaient-elles pas grandement motivées ?
               Prévenir un danger c'est lui faire face.

               Cet ouvrage n'a pas d'autre but. Le péril étranger est le plus redoutable de ceux qui menacent notre belle colonie, mais c'est aussi celui qui a le moins sa raison d'être. Nous avons accueilli sans contrôle des centaines de mille :
               - Italiens, Maltais ou Espagnols,
               - alors que nous ne comptons que 49.840 Israélites et, trop optimistes en nos prévisions, nous n'avons nullement veillé aux tendances de ces diverses races.

               Or, elles pactisent aujourd'hui entre elles pour nous subjuguer.
               La question juive n'est plus qu'un mythe, c'est la question française qui est enjeu.

               Et des journaux créés en vue de faire de l'antisémitisme, vivent de sémitisme pour lutter contre nos nationaux.
               Sans estime ni respect pour le gouvernement hospitalier qui les protège et prend soin de leur avenir, les bandes exotiques complotent contre la République et déprécient ses institutions.

               L'ennemi commun, c'est le Français, on ne saurait se le dissimuler davantage.
               Le mouvement tournant que les meneurs ont fait opérer aux troupes étrangères n'avait d'autre but que de nous attaquer de biais pour nous surprendre et semer la terreur dans nos rangs.
               Cette solidarité des étrangers contre nous se manifeste journellement et rien n'a été tenté encore pour arrêter leur déplorable influence. C'est une honte, car le pays stagne dans l'attente de décisions qui s'imposent et de piétiner par trop longtemps sur place, on finit par reculer.

               La véritable conquête économique de l'Algérie n'a commencé qu'en 1856 mais le décret de 70 et la loi de 80 l'ont fait dévier de son évolution progressiste, de sorte qu'elle subit maintenant l'autre loi, si funeste, des rétrogradations.
               Que le parlement s'inspire bien de ces tristes vérités et qu'il remédie à ce mal durant qu'il en est temps encore.
               C'est plus qu'une prière de la part de tous ceux qui aiment la France, c'est une supplication. Le danger est d'autant plus imminent qu'aux peuples latins se joint l'Angleterre pour l'exploitation industrielle de notre colonie.

               Nous connaissons son rôle jésuitique en Kabylie et ses mains-mises sur les phosphates du département de Constantine.
               Il est une autre branche à laquelle, si l'on y prend garde, elle s'attachera sous peu, celle de l'exploitation de l'alfa.
               Le bulletin des Renseignements Généraux de l'Algérie a signalé ce danger.
               Les insulaires auraient l'intention de créer des manufactures de papier d'alfa pour la colonie qui en consomme 6.500 tonnes tous les ans. L'important, dit un journal français est que la chose soit pratique.
               Et il y a des chances pour qu'elle le soit, puisque les Anglais la trouvent telle.

               Dès lors, pourquoi laisserions-nous drainer par des étrangers un argent qui représente pour nous une richesse future considérable ?
               En effet, si ce sont des industriels anglais qui s'installent pour la transformation sur place de l'alfa, il est permis d'affirmer que l'élément français n'entrera dans leur personnel que pour une faible proportion ; nous verrons arriver avec eux, toute une flottille de leurs compatriotes, qui se mettront au travail pendant que les nôtres continueront à chômer.
               En second lieu, les grands consommateurs trouvant à réaliser des économies sur le transport, s'adresseront, à qualité égale, à la fabrication anglaise et ce sont les maisons de France qui devront rayer de leurs papiers les 6.500 tonnes qu'elle renvoyait jusqu'alors en Algérie.
               Enfin les bénéfices réalisés par l'entreprise prendront tout droit le chemin de l'Angleterre et il n'en restera ici que le strict nécessaire aux besoins matériels de nos concurrents.
               N'est-ce pas de notre part une inertie coupable ? Nous laisserons-nous déposséder une à une de nos chances de prospérité ? La veulerie apparente de l'administration française fait le jeu de nos concurrents qui amassent fortune où nous trouvons misère.

               Si nous faisions, en effet, le dénombrement des capitalistes :
               - Espagnols, Maltais, Italiens, Juifs,
               - nous serions stupéfaits de voir combien de nos nationaux figurent au bas de cette échelle sociale de la propriété.


               Il y a donc là un vice, une anomalie qui résultent principalement des imprudentes décisions de 70 et de 89.
               C'est surtout depuis cette dernière date que nous avons assisté à de nombreux conflits locaux d'abord entre Français d'origines et Français naturalisés, puis à des soulèvements qui eussent dégénéré en émeutes sans intervention de la force armée. L'antisémitisme était l'étiquette qui couvrait la marchandise. C'est plus nous que les Juifs qu'on cherchait à atteindre, et la preuve évidente en est dans les compromissions quotidiennes des meneurs avec Israël et les ignobles campagnes de presse contre les seuls bons et loyaux républicains.
               " Au cri de France aux Français ! " Des foules bigarrées de nationalités, de véritables kaléidoscopes humains où toutes les péninsules étaient représentées insultaient de sincères patriotes, suivant en cela les ordres de Régis, mais avec d'autant moins de difficulté qu'ils y était poussés par leur instinct :
               - de jalousie, de rancune, de haine.

               Natures incultes en partie, rebelles à notre éducation, les naturalisés conservent précieusement les préjugés de leur race et se refusent à s'affranchir des liens de l'ignorance.
               Ainsi paralysés dans un essor qui les eût rendus plus humains, plus justes, plus assimilables, ils ne peuvent s'assujettir au joug, peu pesant d'ailleurs, de notre enseignement.
               Sans être aussi pessimiste que M. Lenormand, nous avons toutefois constaté, comme lui, qu'à l'exception de quelques sujets d'élite, les enfants d'étrangers sont en effet désespérants :
               - Violents, malpropres, dit-il,
               - quémandeurs rapaces de fournitures scolaires et de vêtements donnés par la commune,
               - impolis, groupés entre eux et
               - parlant obstinément leur langue maternelle,
               - très fréquemment absents, ils retardent les progrès de leurs camarades sans s'assimiler l'enseignement qui leur est si libéralement donné.
               - Écoliers peut-être, élèves non pas,
               - ils traversent bruyamment nos classes,
               - coûtent à l'État beaucoup d'argent,
               - à leurs maîtres beaucoup de peine,
               - prennent la place des Français qu'on refuse de recevoir, et sous l'influence de leurs mères et de leurs camarades restent comme devant :
               - ignorants, superstitieux, hautains et surtout étrangers.


               Ils succombent sous le poids d'une hérédité d'ignorance plusieurs fois séculaire et fuient instinctivement l'étude, le travail intellectuel.
               Cette répugnance est telle, qu'il faut renoncer à donner aux étrangers même cette légère teinte de francisation reçue après cette vaque traversée de l'école ; la plupart ne veulent même pas s'y faire inscrire et arrivent au régiment ne sachant ni lire ni écrire.
               Rien ne met plus vivement en lumière la gravité du péril étranger que cette résistance des Espagnols et des Italiens à un rapprochement par l'école, le seul efficace et profond.

               Cette répulsion instinctive pour l'enseignement qu'on reçoit à l'école est des plus caractéristiques. Elle explique sans les excuser, les dissentiments qui existent entre les deux catégories de Français d'origine naturalisés.
               Si l'on tient compte d'autre part que la naissance sur le territoire algérien constitue un fait matériel et involontaire qui ne saurait répondre de bons sentiments envers notre nation, quel espoir pouvons-nous caresser d'une assimilation rêvée par les imprudents législateurs de 1889 ? Quand le seul sénatus-consulte de 65 était en vigueur, la bonne harmonie régnait dans toute la colonie.

               La loi de 80, en éveillant des ambitions, a créé au contraire l'agitation dont elle souffre. Cette agitation n'est pas seulement le produit d'une différence ;
               - de vues, d'éducation, e mentalité mais aussi
               - de la jalousie des naturalisés pour les maîtres de l'Algérie.

               Nous ne saurions trop le répéter : venus après la conquête, n'ayant en rien collaboré à l'héroïque campagne d'Afrique, ils ont assurément beaucoup aidé à la mise en valeur du sol, alors toutefois que les plus gros périls étaient conjurés.
               Attirés par l'appât du gain, ils ont abandonné leur patrie de misère et se sont abattus sur l'hospitalière colonie française.
               - Laborieux et économes,
               - entraînés aux privations par une hérédité de dénuement,
               - ils ont culbuté les difficultés de la première heure et depuis, grâce à la coupable incurie de la métropole, ils se considèrent comme les principaux ayant droits de l'Afrique du Nord.

               Il ne faut pas s'y tromper. Le " nouveau débarqué " mal vu des algériens n'est :
               - ni l'Espagnol, ni le Maltais, ni l'Italien,
               - c'est le Français. Eh ! bien, nous devons réagir conte ce courant qui entraînerait de jour en jour, l'Algérie plus loin de notre zone d'influence.

L'Algérie française de 1884 à nos jours (1884-1900).
Augustin Casteran. Édition 1900.


Pour en finir avec les Pieds-Noirs
Envoi de M. Christian Graille

         Qu'on se rassure, mon intention n'est pas de prêcher une guerre d'extermination contre ceux de nos compatriotes qu'on appelle " les Pieds-Noirs " mais seulement pour accréditation générale et sans examen d'une idée fausse, suivant laquelle les Français d'Algérie se seraient toujours appelés ainsi.
         C'est d'ailleurs à quelques-uns d'entre eux que j'ai l'idée de cette communication et c'est la plupart de mes arguments.
         J'y ajoute une motivation particulière : le devoir qu'ont les historiens de refuser de croire aveuglément les idées reçues et de ne rien affirmer sans en avoir vérifié l'exactitude.

         Refusant la dictature du " on dit " et du " chacun sait que " je vais poser et tenter de répondre aux questions suivantes :
         - Quand, où, comment et
         - pourquoi l'expression " pied-noir " a-t-elle pris le sens que tout le monde lui connaît aujourd'hui ?

         Le sens commun répond que ce sont les Algériens autochtones qui ont donné ce nom aux soldats ou aux colons français arrivés en Algérie en 1830 parce qu'ils étaient chaussés de chaussures ou de bottes noires.
         Cette vulgate a été consacrée par le professeur André Lanly dans son ouvrage de référence sur le Français d'Afrique du Nord.
         Mais elle a inspiré un commentaire sceptique à l'historien algérois Xavier Yacono, qui constatait, la diversité, voire la contradiction des explications invoquées : beaucoup tiennent pour " les souliers noirs des premiers Européens par opposition aux pieds nus des populations indigènes ou à leurs babouches, qui ont attiré l'attention des populations du pays.
         D'autres préfèrent invoquer les brodequins noirs des soldats de l'armée d'Afrique, très différents, bien sûr, des mocassins rouges portés par les réguliers d'Abd-el-Kader.
         Ceux qui songent aux travaux de la terre parlent des jambes et des pieds des colons devenus noirs en défrichant les zones marécageuses ou par suite du foulage du raisin aux pieds. "

         Il remarquait alors que " si l'expression avait pour origine les populations arabes ou berbères, on ne voit pas comment, ne parlant pas le français à l'époque elles l'auraient imaginée, alors surtout qu'elles avaient le mot " roumi " rappelant l'occupation romaine. "
         Et il imaginait d'autres explications également concevables : " ce seraient les soldats du contingent métropolitain, férus de romans type " western " dans lesquels on parle de la tribu indienne des " Pied- noirs " qui, trouvant aux recrues d'Algérie une mentalité de cow-boy les auraient appelés ainsi, mais en toute logique ce sont les " indigènes " qui en l'occurrence auraient dû être assimilés aux Indiens. C'est peut-être, autre supposition ce qu'auraient fait d'authentiques blackfeet (Pieds-noirs) américains en débarquant au Maroc en 1942 mais aucun document ne vient étayer cette hypothèse. "
         Xavier Yacono soulignait ainsi, avec son humour habituel, l'arbitraire et l'artifice des explications généralement admises sans la moindre preuve historiquement vérifiable.

         En effet, ces explications sont aussi invérifiables qu'invraisemblables. Invérifiables parce qu'il aurait fallu pour les vérifier ou les infirmer passer au crible tous les écrits sur l'Algérie rédigés depuis 1830, tâche surhumaine que nul n'a songé à entreprendre.
         Invraisemblables parce qu'elles ignorent la véritable histoire de la conquête et de la colonisation de l'Algérie.
         Ce ne sont pas les pieds-noirs qui l'on conquise, mais l'armée française, et les civils qu'elle y protégeait étaient alors antimilitaristes.
         La population civile immigrée d'Europe est restée longtemps divisée entre une légère majorité d'étrangers :
         - Espagnols, Italiens, Maltais, Suisses, Allemands et une minorité de Français d'origine (venant le plus souvent des départements du Midi méditerranéen et de l'Est).

         C'est l'application à l'Algérie de la loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation automatique des enfants d'étrangers nés en territoire français qui a dissipé la crainte du " péril étranger " en absorbant les nouvelles générations dans un nouveau " peuple algérien " de nationalité française (mais qui se définissait alors en s'opposant au peuple français de France, voire en rêvant d'un Algérie libre.)
         D'autre part, les Juifs originaires d'Algérie n'étaient pas considérés comme une partie de ce " peuple algérien " mais comme " des Arabes de confession israélite " : leur élévation à la citoyenneté française par le décret Crémieux d'octobre 1870 avait été violemment contestée par un puissant mouvement " antijuif " au temps de l'affaire Dreyfus, puis dans les années 1930, avant d'être annulée par le régime de Vichy en octobre 1940 et par le général Giraud de nouveau en mars 1943.
         C'est seulement après l'annulation de l'abrogation du décret Crémieux, décidé en novembre 1943 par le Comité français de libération nationale présidé par le général De Gaulle, que les juifs algériens ont été définitivement intégrés dans le peuple français d'Algérie au point que le chanteur Gaston Ghanassia (alias Enrico Macias), juif de Constantine, est devenu le plus célèbre de ces personnages emblématiques.

         Il existe pourtant un fait établi concernant la présence d'un " Piednoir " dans l'armée d'Afrique débarqué à Sidi-Ferruch le 14 juin 1930.
         Selon un lecteur de la revue l'Algérianiste le premier pied-noir à mettre le pied en Algérie s'appelait Jean-Baptiste Piednoir, né à Ambrières (Mayenne), Sergent au 48e de ligne, il est mort de maladie le 2 août de la même année.
         Ce lecteur précise qu'il y a encore quarante-trois Piednoirs dans l'annuaire téléphonique de la Mayenne. En effet une rapide recherche sur internet par le moteur de recherche de Google permet de constater que le nom Piednoir est très bien représenté dans ce département, au moins depuis le début du XVIIe siècle, et largement répandu dans le bassin hydraulique de la Loire, au Nord jusqu'en Normandie, au Sud jusqu'à Niort, à l'Est jusqu'à l'Yonne.
         Mais ces régions naturellement tournées vers l'Atlantique ont relativement peu contribué au peuplement français de l'Algérie et le malheureux sergent Piednoir n'a pas eu le temps d'y faire souche.

         Cet épisode ne peut donc nous fournir une explication valable. Mais il nous invite à réfléchir sur l'origine de ce patronyme et à envisager la possibilité que le même processus ait pu se répéter en Algérie.
         Or les généalogistes qui se sont interrogés sur l'étymologie du nom Piednoir ont estimé qu'il signifiait vraisemblablement " pieds sales ", soit que ses titulaires aient été empêchés de les laver par leur vie misérable de va-nu-pieds, soit que leurs conditions de travail les aient exposés constamment à la poussière ou à une autre cause de saleté.

         Cette étymologie donne une certaine vraisemblance à l'explication de l'expression " pied noir " proposée en 1972 par le dictionnaire Paul Robert (qui en était lui-même un) : Pied noir ; nom donnée plaisamment aux Européens fixés en Afrique du Nord (et spécifiquement en Algérie) depuis plusieurs générations (ou même simplement depuis quelques années).
         Remarque : cette expression s'est d'abord appliquée aux indigènes, par allusion aux pieds nus des Arabes du bled.
         Les éditions suivantes précisent que, selon Germaine Tillon dès 1901 les chauffeurs indigènes pieds nus dans le charbon des soutes de la Marine auraient été appelés " Pieds noirs ".

         En 1917 on aurait également désigné de la sorte les Arabes d'Algérie dans les tranchées. Cette explication est-elle plus sûre que celles qui sont habituellement invoquées ? Elle est en tout cas plus vraisemblable et attestée par des exemples vérifiables.
         J'ai moi-même trouvé dans le n°3 de l'hebdomadaire La Défense, publié à Alger en février 1934, un article intitulé " un geste révoltant " qui dénonçait le racisme colonial en énumérant toute la litanie des injures racistes anti-arabes : Pied noir y figurait en bonne place à côté de " bicot " sur ce qui ne laisse aucun doute sur son sens.

         L'auteur d'un article disponible sur un site internet spécialisé, créé par Jacques Torrès, rapporte que son oncle Norbert, disait avoir entendu parler pour la première fois pendant la guerre 39-45, en France de " travail Pied noir " de la même façon que nous, nous parlons de " travail arabe ". Enfin Monsieur Jean Courajou, lecteur de l'Algérianiste et membre du cercle algérianiste de Bordeaux indique avoir entendu en 1951-1952 l'un de ses collègues marocains s'appliquer à lui-même l'expression Pied noir en ne le faisant pas du tout pour se parer du nom comme d'une décoration, mais tout au contraire dans un sens péjoratif dans un moment de déprime. Pourtant même si l'on peut considérer ce sens comme suffisamment attesté, il reste à expliquer le passage à celui que nous connaissons aujourd'hui.

         Des témoignages bien datés et aux auteurs bien identifiés peuvent-ils nous mettre sur la voie ?
         Xavier Yacono en avait fourni plusieurs mais qui paraissent obscurcir davantage le problème.
         Il rapportait que " au printemps de 1955, le commandant Paul Marty, des affaires indigènes, alors l'état-major de la 4e division à Oujda, relève cette locution prononcée par un lieutenant de la coloniale né au Sénégal, qui lui apprend que les camarades fraîchement débarqués désignaient ainsi, sans méchanceté, les blancs d'Afrique noire. " Mais le Maroc pouvait revendiquer aussi la paternité de l'expression puisque Emmanuel Roblès se souvient qu'en 1937, à Casablanca dans le quartier du Maârif on appelait Pied noir les nouveaux immigrants :
         - du Portugal, du Sud de l'Espagne et aussi de l'Oranie qui arrivaient les pieds plein de poussière.
         Et enfin, l'Oranais Henri Chemoulli, ancien prisonnier de guerre, se souvient très bien avoir été abordé dans son stalag, au début de 1942 par un Européen de Tunisie, René Fonck, l'interpellant en lui disant : " Tu es un Pied noir ? " Terme qu'il appliquait à l'ensemble des Européens d'Afrique du Nord et que notre ami venait de découvrir. Ainsi, l'expression aurait déjà été employée en Afrique avant et après la deuxième guerre mondiale, pour désigner diverses catégories d'Européens.

         Comment expliquer la coexistence de ces deux sens logiquement contradictoire ?
         Et comment savoir lequel était le plus répandu ?
         On pourrait répondre à la première question que l'expression, n'étant pas un nom ethnique par nature aurait pu désigner aussi bien les indigènes que les colonisateurs qui partageaient le même pays et un même genre de vie, comme les noms " blédard " et " broussard ".
         Il serait imprudent de répondre à la seconde, d'autant plus que de nombreuses personnes déclarent n'avoir entendu parler de Pieds noirs que très tardivement.

         Pour tenter d'y voir plus clair, il faut changer de méthode, c'est-à-dire prendre le problème par la fin, pour remonter du connu vers l'inconnu.
         Depuis quand les Français d'Algérie ou d'Afrique du Nord sont-ils généralement connus sous le nom de Pieds noirs ?
         Certains estiment, comme l'historien rapatrié d'Algérie Jacques Jordi que c'est " en 1962 qui a créé les Pieds noirs et non 1830. "
         Faut-il en conclure que ce nom a été imposé par les métropolitains aux rapatriés qui ne le connaissaient pas auparavant ?
         C'était l'avis d'un lecteur de l'Algérianiste, Edmond Renier : " Faut-il préciser qu'avant juillet 1962, cette appellation Pied-noir n'avait jamais été employée pour désigner les Européens d'Algérie ? "
         Même l'OAS, pour :
         - ses fanions, ses imprimés, ses cachets n'a pas utilisé les deux Pieds noir pour emblème.
         Chose qu'elle n'aurait pas manqué de faire si, à l'époque, cet emblème et le terme Pied-noir avaient été connus.
         Mais il fut aussitôt contredit par un autre lecteur Michel Sanchez : " Je suis parti de ma belle ville d'Oran, contraint et forcé comme tout le monde, le 23 juin 1962, j'avais 17 ans et demi.
         Quelques semaines auparavant, sachant que j'allais partir, j'avais découpé des pieds que j'avais peints en noir. Mes copains et moi avons pris des photos avec ces Pieds noirs en premier plan .Donc, à Oran au moins, ce terme existait avant 1962 et nous en étions et en sommes toujours fiers. "

         Et paradoxalement il s'était contredit lui-même en indiquant dans sa lettre : Dans les années 1957-1958, un groupe d'habitués du bar l'Otomatic avait demandé à Jack Romolli, tailleur-chemisier rue Michelet à Alger, de faire fabriquer des boutons de manchettes, ronds à chaînettes, illustrés de deux Pieds-noirs sur fond blanc et liseré vert.
         Les insignes de boutonnières vendus en France en juin 1962 étaient la fidèle reproduction des boutons de manchettes vendus par Jack Romolli.

         Un autre lecteur Jacques Canton-Debat, indiqua que la reproduction graphique des Pieds-noirs avait fait l'objet, vers 1957-1958, d'un dépôt en bonne et due forme, effectué par la réputée bijouterie Arthur Bertrand, spécialiste de la fabrication d'ordres et de médailles à Paris et que Monsieur Arthur Bertrand était venu à Alger se plaindre de nombreuses reproductions illicites non sanctionnées mais avait fini par comprendre pourquoi dans le contexte si particulier de l'époque, aucune sanction n'avait été prise.

         Et un troisième lecteur précisa que les boutons de manchettes vendus par Jack Romolli provenaient de la maison Arthur Bertrand.
         Ainsi l'existence du symbole et son succès sont bien établis dans le milieu de la guerre d'Algérie.

         Le témoignage de Jean Couranjou permet de remonter encore plus haut avant le début de la guerre :
         " J'étais élève en 1953 et 1956 à l'Ecole nationale d'agriculture d'Alger (Maison Carrée). Dès la rentrée de 1853 la minorité de " Pieds-noirs " que nous étions fut désignée sous ce terme par le reste de la promotion composée d'une majorité de " Patos " (métropolitains).
         Aussi lors du voyage d'études, en mai-juin 1954 je me mis en devoir d'arborer le 30 mai 1954 un fanion que j'avais fait confectionner par ma mère lors des vacances de Pâques.
         La représentation différente de celle à laquelle nous sommes accoutumés en était un pied avec sa cheville, le tout vu de profil.

         Je sortis ce fanion de derrière les fagots au moment du passage de la borne limitant les départements d'Alger et d'Oran ; les Oranais avaient fait arrêter le car en ce lieu pour fêter l'entrée en Oranie ce qui fut normalement " torpillé " par Algérois et Constantinois. Mais tous se rassemblèrent sous la bannière Pied-noir.
         Deux faits importants sont ainsi établis : l'existence de cette appellation collective dès 1953 et son origine, apparemment métropolitaine.

         Mais un dernier témoignage permet de remonter encore plus haut, celui d'Eric Guerrier, dont l'article en finir avec les Pieds-Noirs m'a inspiré l'idée et le titre de la présente communication. Celui-ci croit pouvoir dire précisément d'où provient cette appellation.
         En effet, j'en ai, directement et sur le terrain, vécu :
         - la naissance, la diffusion et la transposition.
         " Né à Alger où j'ai passé mon enfance, j'ai habité à Casablanca entre 1951 et 1956, tout en poursuivant mes études supérieures à Alger à partir d'octobre 1953.
         Or il se trouve que l'appellation est née au Maroc et justement à Casablanca en 12952. Elle a d'abord été diffusée par la presse locale, relayée par la presse métropolitaine, puis elle a été transposée en Algérie à partir de 1954-1955, avant d'être étendue à toute l'Afrique du Nord dans les années soixante. "

         Il raconte que fin 1952 début 1953 des attentats frappèrent principalement Casablanca provoquant des manifestations contre le terrorisme et le projet d'indépendance.
         Après l'une des plus violentes de ces manifestations, un quotidien marocain, au moins (le petit marocain ou la dépêche marocaine) a publié à la une, en gros plan, quelque chose comme les Pieds-noirs passent à l'attaque ! Avec photos des manifestants les plus " enragés. "

         D'après lui ces Pieds-noirs étaient une bande de jeunes, celle du quartier populaire du Maârif " la plus nombreuse, la mieux organisée et très remuante pour ne pas dire plus ".
         Elle aurait emprunté son nom aux Indiens Pieds noirs, popularisés par les westerns qui avaient beaucoup de succès à l'époque. Puis il continua son récit :
         " A la suite des quotidiens marocains c'est l'hebdomadaire l'Express qui a repris et lancé le terme de Pied noir pour désigner de façon péjorative, les petits blancs du Maroc qui s'opposaient à l'indépendance.
         Cette extension péjorative fut très fortement ressentie au Maroc et notamment à Casablanca comme une espèce de mépris envers la population européenne du Maroc.

         Avec ce génie propre aux peuples méditerranéens, la réaction fut immédiate : d'abord toutes les bandes des autres quartiers s'identifièrent aux Pieds-noirs du Maârif, se parant du nom comme d'une décoration. Et la mode s'étendit à toute la jeunesse.
         J'étais un élève bien " élevé " du lycée Lyautey et je me souviens parfaitement comment nous nous sommes mis à nous entre appeler Pieds-noirs.
         C'était le genre de défi par le langage qui plaît à cet âge. Sans doute en remontant des enfants aux parents, l'appellation s'est rapidement répandue dans toute la population européenne du Maroc. Même les couches les plus fortunées et les moins concernées finirent par adopter le surnom avec une sorte de fierté provocatrice. "

         Ce témoignage très précis a l'avantage de pouvoir être facilement vérifié ou infirmé, comme son auteur est le premier à le demander aux historiens.
         On y trouve une inexactitude manifeste : les attentats terroristes ont commencé à frapper les Européens de Casablanca à la fin de 1953 (bombe du 24 décembre au marché central) et non de 1952.

         Mais des troubles très graves avaient déjà eu lieu en décembre 1952 (émeutes et répression des carrières centrales) et en novembre 1951 (émeutes au Maârif lors du boycott des élections aux chambres consultatives marocaines).
         Il constitue le chaînon manquant entre le témoignage d'Émmanuel Roblès attestant l'emploi du mot Pied-noir au Maârif en 1934 (la divergence sur l'origine du mot n'était pas une contradiction fondamentale) et celui de Jean Couranjou concernant l'Algérie en 1953-1954.

         Sous réserves de recherches futures, nous avons désormais, grâce aux lecteurs de l'Algérianiste la première reconstitution vraisemblable et convaincante de l'apparition du nom Pied-noir dans son sens actuel.
         Il reste à expliquer la prodigieuse fortune de ce sobriquet bizarre, ressenti comme dérisoire plus ou moins péjoratif par les Français de la métropole mais assumé fièrement par ceux d'Afrique du Nord (et particulièrement d'Algérie).

         L'explication doit partir du fait que les futurs Pieds-noirs s'étaient d'abord appelés " Algériens " en définissant ce nom comme celui d'un peuple nouveau, né de la fusion des " races " européennes en Algérie à la fin du XIXe siècle (exalté notamment par les romans de Louis Bertrand), pour se distinguer des Français de France (appelés Francaouis ou Patos).

         Puis entre les deux guerres s'était formé, à l'initiative de Robert Randau et de Jean Pomier un mouvement littéraire appelé l'Algérianisme, destiné à créer une littérature algérienne, exprimant une conscience algérienne commune à tous les écrivains algériens, quelques soient leurs origines.
         Mais celui-ci s'était heurté à la concurrence d'une autre acceptation du mot algérien qui l'identifiait à la majorité indigène musulmane de la population du pays. Ce nouveau sens apparaît très vite en métropole à la suite du début de l'immigration massive de travailleurs algériens, accélérée par la Grande Guerre.

         C'est pourquoi les Français de France commencèrent à se demander qui étaient les vrais " Algériens " comme le prouve ce dialogue entre un étudiant d'Alger et une étudiante métropolitaine lors du congrès de l'UNEF en 1922 :
         - " Ainsi vous êtes algérien …mais fils de Français n'est-ce pas ?
         - Bien sûr ! Tous les Algériens sont des fils de Français, les autres sont des indigènes ! "


         Après la deuxième guerre mondiale, Jean Pomier constatait avec regret que beaucoup de nos concitoyens, fils de Français d'origine, éprouvent quelques scrupules à se dire Algériens.
         D'abord pour ne pas risquer d'être confondus avec les " indigènes " expatriés en métropole au moment où les rubriques criminelles des journaux parisiens dénonçaient fréquemment en majuscules accablantes des attentats ou des mauvais coups dont les auteurs ou les complices étaient des " Nord Africains ", péjorativement qualifiés de " sidis " et à défaut d'Algériens.
         Mais surtout parce que le mot est trop connoté par les usages politiques qui en avaient été faits.

         Par les représentants de la Résistance métropolitaine siégeant à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger en 1943 et 1944 qui dénonçaient la mentalité réactionnaire des élus " algériens " nostalgiques de Vichy ; et surtout par les partisans d'un nationalisme algérien, qu'il fut fondé sur l'identité musulmane de la population majoritaire (le PPA de Messali Hadj et l'association des oulémas) ou sur la loi démocratique de la majorité (l'UDMA de Ferhat Abbas, et le PCA).

         Jean Pomier proposa en vain de le réhabiliter et lui redonnant son sens le plus pur : le vœu d'unité et la volonté d'être d'un peuple en instance de soi.

         Après la fin de la guerre le nom " Algérien " devint de plus en plus suspect, en dépit des efforts du " libéral " Jacques Chevallier ".
         Puis la revendication d'un État national algérien indépendant par l'insurrection du FLN acheva de rendre insupportable son ambiguïté.

         Les anciens " Algériens " pouvaient alors se proclamer Français comme ils l'avaient toujours fait pour se distinguer des Arabes et pour revendiquer contre eux la solidarité de leurs compatriotes de France.

         L'écrivain kabyle Mouloud Ferraoun a tourné en dérision ce double langage dans son roman les chemins qui montent : " C'est nous les Algériens disent-ils aux Français de France. L'Algérie, c'est nous. Voyez ce que nous avons fait
         Remerciez-nous Messieurs de France et ne vous avisez pas de nous juger.

         Malheureusement ils ne tiennent pas le même langage avec nous. Dès que nous leur disons que nous sommes Algériens nous aussi ils nous rétorquent : Vous en êtes, c'est bon. Tas d'indigènes que supposez-vous ? Nous sommes Français nous. Arrière et garde à vous ! Vous voulez nous f…. à la mer, bande d'infidèles et d'ingrats. Mère patrie, du secours. "
         Mais le nom de Français ne suffisait pas à lui seul pour signifier que ces Français-là avaient l'Algérie pour terre natale, et qu'ils ne pourraient pas être " rapatriés " dans la métropole sans se sentir expatriés alors que les Français de France pouvaient se résigner à renoncer à l'Algérie pour se débarrasser d'un fardeau très lourd à porter.

         Le nom de Pied-noir arriva donc au bon moment. Pour exprimer l'identité collective d'un peuple doublement minoritaire qui se sentait menacé d'un choix tragique entre " la valise ou le cercueil ".
         Mais aussi pour faciliter le relâchement des liens de solidarité entre les Français de France et des compatriotes de plus en plus embarrassants, en les faisant passer pour une peuplade étrange aux origines incertaines.

         En tout cas le symbole convenait très bien à une communauté de déracinés qui aurait voulu pouvoir emporter leur patrie à la semelle de leurs souliers.

         Cet exposé a été présenté pour la première fois au colloque les mots de la décolonisation, tenu à l'université de Bordeaux III les 22, 23 et 24 janvier 2004 dont les actes n'ont malheureusement pas été publiés.

         PS : (25 novembre 2017). Jean Monneret m'a signalé un fait important : La publication en 1957 d'un roman intitulé " les Pieds-noirs " premier exemplaire d'un livre portant ce titre, par Georges Damitio (Toulouse 1924, Biarritz 1994).

         Cet auteur est plus connu en tant qu'athlète, spécialiste du saut en hauteur et en longueur, ayant participé aux jeux olympiques de 1848 et de 1952.

         Mais son roman publié en 1957 par les éditions Albin Michel, est vraisemblablement inspiré par une expérience vécue dans le corps expéditionnaire français qui débarqua le 15 août 1944 sur les côtes de Provence et remonta jusqu'en Alsace et en Allemagne.

         De plus Jean Monneret m'a envoyé des photocopies du livre de Michel de la Varde (pseudonyme de Maurice Gabé) intitulé " Casablanca, ville d'émeutes " publié par les éditions André Martel en septembre 1955 et qui emploie le mot " Pied-noir à plusieurs reprises. Ce livre paraît bien confirmer le témoignage d'Éric Guerrier sur l'origine de ce mot.

Guy Pervillé, historien.



PHOTOS de CONSTANTINE
Envoyé par diverses personnes
PALAIS DU BEY

























LE RHUMEL











Conclusion
Chères amies, chers amis,
Envoi de M. Christian Graille

         Lorsque, voici plus d'une décennie, nous fûmes une poignée à participer à la création du Cercle Algérianiste de la Région Centre Val de Loire, nos buts et nos espoirs étaient clairs :
         - convivialité
         - réhabilitation de la vérité sur notre passé et celui de nos ancêtres,
         - Partage de réunions amicales et fraternelles,
         - désir de vous informer,
         - lutte contre une certaine désinformation,


         Nous avons, donc, tenté d'évoquer avec enthousiasme et pudeur : - nos bourgs - nos villages - nos vallées - nos plages - nos forêts, en fait l'univers clos au sein duquel nous vivions très souvent heureux.
         Nous avons puisé dans les abysses ce riche et tumultueux passé, textes et documents divers, en nous laissant guider par l'honnêteté, la spontanéité et la passion. : - colonisation - Portraits - chroniques - personnages célèbres ou truculents - artisans - commerçants - faits divers et scènes de vie quotidiennes - us et coutumes, - poèmes - politique - éducation - économie - agriculture - médecine - culture - arts, ont été les thèmes que nous avons privilégiés.

         Nos envois, près de 700 concernant la colonisation de l'Algérie se terminent. Nous espérons que certains de ces articles :
         - ont retenu votre attention,
         - ont répondu à votre attente,
         - ont participé à votre soif d'informations.

         Certes leur qualité rédactionnelle fût inégale mais nous souhaitions vous proposer un large éventail de textes afin de vous donner un éclairage plus appuyé sur cette " drôle d'aventure africaine ".

         Notre seul but fut de vous informer, certes, en vous faisant découvrir certains aspects de la conquête, mais aussi de vous divertir. - Avons-nous réussi dans notre mission ? Vous seuls en êtes les juges

         Chacune et chacun d'entre nous possèdent (souvent sans en avoir pris conscience ou sans en mesurer l'importance) de réels trésors aussi divers qu'essentiels et fondamentaux :
         - livres, documents familiaux, souvenirs, chroniques, journaux etc.
         Il serait bien agréable de les partager ensemble !
         Si vous nous les confiez, provisoirement, nous en ferons l'analyse et vous livrerons les résultats de nos travaux.

         Le tableau de l'Algérie que nous avons tracé, n'est pas exhaustif mais seuls :
         - Le plaisir, l'honnêteté, la spontanéité et la passion nous ont guidés.
         Nous nous sommes aperçus, au fil de nos découvertes, que la conquête de cette contrée avait été : - longue, délicate, complexe, périlleuse, incertaine, dérangeante aussi, superficielle, peut-être.
         Sachez que notre travail fut mené avec :
         - le sérieux, l'honnêteté morale et intellectuelle qui conviennent sans que nos études ne fussent en aucun cas ni orientées, ni militantes. Nous ne nous sommes tout simplement laissés emportés par une foultitude d'articles et de textes découverts, au fil du temps, avec un plaisir non dissimulé que nous avons tenté de vous faire partager.

         Nos amis de Centre de Documentation Historique sur L'Algérie (CDHA) nous ayant ouvert leurs portes en nous accueillant amicalement et spontanément dans leurs rangs, nous avons donc décidé de leur confier la totalité de nos modestes archives.
         Qu'il nous soit, donc, permis de chaleureusement remercier Madame Lenzini et Monsieur Gibergues de leur précieux concours.
         Nous avons aussi tissé des liens avec les revues nationales de l'algérianiste et de l'écho de l'Oranie en leur proposant articles et recensions d'ouvrages.
         Actuellement nous avons élargi notre participation aux Echos d'Alger et à la revue de la Seybouse (Bône).

         Quelques amis nous ont accompagnés dans notre modeste aventure :
         - Les Présidents des Cercle Algérianistes de Lyon et Poitiers,
         - des représentants du C D H A,
         - quelques responsables d'associations et
         - des amis, et nous nous félicitons.


         Une foi inaltérable nous animant, nous avons continué, modestement mais contre vents et marées :
         - dans le respect, l'écoute et la compréhension de toutes et de tous à défendre une histoire au sein de laquelle les responsables ne sont point ceux auxquels l'on pense et auxquels l'on croit.

Réflexions

         C'est la Restauration qui fut à l'origine de l'expédition d'Alger, mais peu de citoyens, en Métropole, ne souhaitaient faire de l'Algérie une terre française.
         Rien ne fut clairement décidé après le choix subjectif (que certains ont qualifié d'hasardeux) fait de la conquête et aucune ébauche d'élaboration de l'organisation future du pays ne fut étudiée.
         La Restauration eut cependant le mérite d'envoyer des troupes en Algérie, la Monarchie de Juillet celui de les y maintenir.

         On nomma de façon trop nombreuse et trop rapide :
         - les Commandants Militaires,
         - les Gouverneurs Généraux,
         - les Résidents Généraux dès février 1956 enfin,
         - les Délégués Généraux dès décembre 1958.

         Au total 61 investitures en 132 ans de présence française.

         Chacun s'ingénia à occulter ou à détruire ce que le prédécesseur avait si patiemment et difficilement commencé à concevoir.
         Les mesures prises quelques mois auparavant étaient balayées comme un fétu de paille car tout était accompli dans :
         - la précipitation, l'improvisation, la légèreté et l'incompétence parfois.
         Fallait-il s'engager :
         - sur le principe d'une occupation restreinte ?
         - d'une colonisation libre ?
         - D'une colonisation officielle ?
         - D'un fragile équilibre entre les deux systèmes ?

         On était donc en droit de se poser la question et de connaître le système de colonisation que la France souhaitait mettre en place.

         Bien des ouvrages ont été écrits sur la guerre d'Algérie et ce très large éventail a permis à de multiples sensibilités et opinions d'y avoir été abondamment :
         - exprimées, commentées, décrites, analysées, décryptées.
         Très nombreux sont celles et ceux qui gardent à tout jamais, cette indélébile blessure, résultats des douloureux évènements vécus durant ces huit atroces années de guerre vécues dans la crainte et dans la peur de novembre 1954 à juin 1962.
         Nous n'avons pas cru, quant à nous, devoir aborder cette page de l'histoire de France ô combien tragique mais, au contraire, jeter un regard plus lointain et moins partial, plus apaisé, peut-être, en faisant revivre ce passé déjà lointain, oublié ou inconnu de cette province.
         C'est pourquoi nous avons fait le choix de voyager dans le passé des ancêtres d'une majorité d'entre nous.

         Nombreux furent ces voyageurs qui, durant le XIXe siècle et le début du XXe parcoururent l'Algérie à la recherche et à la découverte :
         - de sensations nouvelles, de mythiques et merveilleux paysages,
         - d'exotisme, d'aventures, de dépaysement.

         Ils ont, fort heureusement laissé à la postérité les récits de leurs périples et livrés leurs intéressantes impressions.
         D'autres ouvrages furent réalisés dans les domaines :
         - historiques, économiques, éducatifs, politiques,
         - sociaux, médicaux, culturels, artistiques.

         Chroniques générales ou personnelles, nombreux ouvrages de portée officielle et historique nous permettent aujourd'hui de puiser dans ce riche passé, de le réhabiliter afin de ne point le voir cheminer dans les troubles méandres de l'Histoire avant de disparaître.
         Nous nous sommes livrés à un important, enrichissant et passionnant travail :
         - de recherches, d'analyses d'ouvrages,
         - d'articles publiés surtout au cours du XIXe siècle, d'études,
         - d'exploitation de documents, et ce, afin d'en extraire la quintessence.


         L'objectif avait pour principale ambition de faire revivre certaines périodes de ce riche mais tumultueux passé en tentant de transmettre aux générations futures cette œuvre française de colonisation, tant décriée et trop souvent étudiée de façon : superficielle, fragmentaire, mensongère, partiale, partielle, partisane.

         Nous avons pris grand plaisir à effectuer ces nombreuses recherches. - Troubles - tourments - joies et peines - deuils - espoirs - déceptions - désillusions, tous ces sentiments ont parcouru et bousculé nos cœurs et nos âmes et bouleversé nos consciences.

         Il est encore temps mais bientôt le souffle va nous manquer.
         Je remercie chaleureusement :
         - Jacquin-Picquot,
         - Rose Marie Curie-Nodin,
         - Josette Zévaco-Fromageot,
         - Éliane Messire,
         - Jacqueline Zevacot,
         - Pierrette Geix-Paicheler,
         - Jean-Marie Martinez,
         - Georges Zérafa,

         - Madame Tournier qui fut notre doyenne,
         - Eva Fournier,
         - Henri Aracil
,
Tous trois hélas disparus.

         En conclusion, citons quelques mots d'Albert Camus qui résume bien la flamme et la passion qui nous ont toujours animés dans cette quête de découvertes de connaissances. " Cette Algérie, disait-il, ce pays est sans leçon ; il ne promet ni ne fait entrevoir. Il se contente de donner mais à profusion. Il est tout entier livré aux yeux et on le connaît dès l'instant où on en jouit. "

Bien à vous, Très cordialement.
Christian Graille



Au revoir à l'Algérie d'hier,
terre de passions et de contestations.
Envoi de M. Christian Graille

         Chères lectrices, chers lecteurs de la Seybouse,
         Durant quatre ans et demi, vous avez lu 680 documents concernant la colonisation de l'Algérie. Je n'en réjouis et vous félicite de votre patience et de votre compréhension.
         Aujourd'hui, cependant, le voyage en terre algérienne prend fin.
         Lorsque je me suis lancé dans cette aventure (car cela est fut réellement une) je n'avais aucun plan de recherches et de travaux préétablis. Ce fut au hasard de mes découvertes, et surtout lors de la lecture de nombreux ouvrages, que j'ai opéré une première sélection, puis effectué des choix.

         Depuis longtemps, une idée avait lentement cheminé, celle du désir d'aller à la découverte de la presse Algérienne de la colonisation, principalement celle du XIXe siècle, afin d'y découvrir des articles susceptibles d'aiguiser ma soif de connaissances et de curiosités.
         Mon choix a certes été arbitraire mais j'ai tenté, sans y parvenir peut-être, de présenter une palette aussi représentative que possible de la diversité offerte par ces publications effectuées dans les trois départements d'origine :
         - d'Alger, de Constantine, et d'Oran.

         Á cette époque, les textes étaient :
         - plus acerbes, plus critiques, plus incisifs, plus ardents, plus exaltants,
         - plus riches, plus variées en informations, plus partisanes
         - plus passionnelles, moins consensuelles
         - que ce morne et triste spectacle auquel nous assistons aujourd'hui dans une presse pressée, en manque d'inspiration et de réflexion et qui, surtout, a oublié qu'un journaliste, tel un enseignant, doit être l'un des acteurs de la diffusion de la langue française…


         Cette immersion dans le passé fut, pour moi, la source de bien des richesses qui s'en dégageaient et un plaisir que je ne puis expliquer par des mots.
         J'espère, cependant, qu'au fil du temps ces envois ont :
         - suscité votre intérêt,
         - retenu votre attention,
         - répondu à vos attentes,
         - correspondu à vos souhaits d'informations et de découvertes.


         J'ai surtout tenté et veillé de présenter un éventail aussi large que possible d'évènements qui, au fil du temps, se sont déroulés dans cette Algérie perdue (sans prétendre à une objectivité à laquelle je ne crois point) en m'efforçant de trouver la voie, ô combien délicate et difficile, d'une honnêteté morale et intellectuelle à laquelle chacune, et chacun d'entre nous aspire mais qui souvent est du domaine du rêve…

         J'ai partiellement essayé de réhabiliter, à la lumière de textes, une histoire décriée, volontairement occultée par de farouches et parfois fanatiques partisans, une histoire souvent enseignée de façon :
         - superficielle, fragmentaire, mensongère, partielle, et partisane.

         Enfin n'oubliez pas :
         - Algéroises, Algérois,
         - Constantinoises, Constantinois,
         - Oranaises, Oranais,
         - Métropolitaines, Métropolitains,
         - que l'aventure dans laquelle je vous ai entraînés est :
         - celle de votre histoire individuelle,
         - de notre histoire collective,
         - de l'histoire de l'Algérie,
         - de l'histoire de la France.

Bonne continuation à toutes et tous et protégez-vous.
Très cordialement.
Christian Graille



BROUTY
Par M. Bernard Donville
                Chers amis,

            Je vais commencer cet épisode par l'observation des personnages que Brouty pouvait rencontrer en particulier à Bab el Oued les commères et les compères.
            Et nous changerons de quartier pour investir celui proche de la Casbah. Brouty fut un de nos rares auteurs à fréquenter la Casbah où il communiquait amicalement avec ses habitants ce qui lui a permis de nous offrir bon nombre de panoramas depuis les terrasses.

            Je poursuis avec Brouty dans ses pérégrinations au coeur d'Alger ce que je retiens comme Alger ,la Bourgeoise comparativement aux quartiers déjà visités et à coté de ses dessins j'ai associé des vues réelles.
            J'espère que vous continuerez à apprécier l'artiste (pas moi mais Brouty!)

            Bonnes lectures
            Amitiés, Bernard
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BROUTY 4

BROUTY 5

A SUIVRE



FLORAISONS

De Jacques Grieu

EFFLORESCENCES

La fleur est un symbole et qui est fort ancien :
Depuis le Moyen-Âge et déjà les romains,
On avait codifié ses significations.
Chaque fleur nous parlait avec ses précisions.

À l'ajonc, la colère, à l'origan la joie,
À l'œillet le caprice, aux centaurées, la foi,
Au buis, le stoïcisme, au muguet le bonheur,
Au crocus l'inquiétude, à l'ixia, le malheur.

Le fenouil, c'est la force et le fuchsia, la grâce,
L'aster est la gaieté, l'achillée, la menace,
L'arum, donne l'ardeur et le gui, la constance,
Le laurier, c'est la gloire et le houx, la défense.

Construire son bonheur, c'est donc faire un bouquet
Avec beaucoup de fleurs choisies sur son trajet.
Certaines resteront toujours inaccessibles ;
Il faut se contenter de celles disponibles.

On veut cueillir très tôt chaque fleur de la vie ;
Ce serait donc la mort qui pousserait ainsi ?
Sans doute les boutons font de belles promesses,
Mais leurs fleurs, il est vrai, en se fanant, nous pressent.

La vie n'est qu'un passage ? Alors sur ce chemin,
Autant semer des fleurs, plutôt que des chagrins…
La fleur de l'âge est bien la période euphorique ;
Viendra l'âge des fleurs, l'âge… nécrologique.

Ainsi allaient nos fleurs du temps de nos enfances ;
Aurait-on oublié toutes leurs… compétences ?
On n'ose plus savoir ce qu'elles prédestinent ?
Et surtout on craindrait qu'elles aient trop d'épines…

Jacques Grieu                  




AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
Gallica : Revue-orient 1848-2 pages 382 à 390
ALGÉRIE.
TENIET-EL-HAD ET SES EAUX MINERALES


         C'est en 1843 qu'il a été pour la première fois question de travaux relatifs à la fondation du poste de Téniet-el-Had.
         Ce point militaire se trouve au sud de la province d'Alger, à l'intersection de différentes vallées du chéliff, et devient ainsi un lieu de passage habituel pour les tribus du Sersou et les bords stériles du Sahara, que l'approvisionnement des grains appelle annuellement dans les plaines cultivées du Tell La position importante de Téniet en fait, en outre, un poste-magasin destiné au ravitaillement des colonnes.

         Situé à environ 70 kilomètres sud de Milianah, ce poste présente, par la blancheur surtout de ses constructions, un cachet de nouveauté et de récente éducation aussi n'y rencontre-t-on pas, comme dans la presque totalité des autres points occupés en Algérie, les vestiges de ces anciens monuments dont les ruines éparses accusent la vétusté séculaire ; le camp est assis sur un mamelon, ayant à sa gauche le village, à sa droite les jardins de la garnison et l'habitation de l'agha de vastes montagnes peu éloignées forment une haute ceinture, qui en rapprochant assez brusquement les limites de l'horizon, contribuent peut-être à donner au centre de Téniet une physionomie légèrement triste et sombre ; toutefois, quoique situé de cette manière, comme au fond d'une coupe, cet avant-poste est fortement battu par les vents, en raison même de l'élévation de son terrain, évaluée, dit-on, à 1,500 mètres au-dessus du niveau de la mer.

         A 2 kilomètres du camp, les montagnes de l'ouest apparaissent couronnées par une magnifique forêt, longue de 16 kilomètres, large de plus de 2 étendues de 3,000 hectares, composée de neuf dixièmes de cèdres ; les cèdres, séculaires en grande partie, sont remarquables, moins par leurs dimensions gigantesques (les plus hauts atteignent 18,20 et même 25 mètres) que par l'aspect de leurs branches touffues et étalées sur des plans parallèles, ce qui les fait comparer assez justement à des étages de feuillage superposés.

         La circonférence de ces végétaux colosses est de 5 à 7 mètres, et l'ombrage que fournissent leurs énormes bras en parasol est vraiment incroyable ; le bois en est excellent, peu noueux, cassant à l'état vert ; il devient dur et résiste très-bien à la pourriture, aussi a-t-il été abondamment exploité pour les constructions de la localité, on a même calculé que rendu à Milianah sous forme de planches, il était d'un prix moins élevé que celui de vente du commerce. Grand nombre de cèdres portent, sur les parties latérales, des excroissances volumineuses, connues sous le nom de loupes, et constituées par des couches ligneuses dont la disposition concentrique donne naissance à des dessins veineux réguliers, très-recherchés des amateurs. Ces tumeurs sont effectivement débitées en feuillets très-minces et destinées au placage de meubles de prix, d'objets variés, auxquels ils donnent une grande valeur. Relativement aux chênes, ceux du nord de la forêt se rapportent au genre quercus suber ; ceux du sud, à l'espèce quercus ballota leurs bois sont également très beaux.

         L'exploitation de cette forêt, sans contredit une des plus remarquables de l'Algérie, s'opère au moyen d'une route entreprise en 1843, ouverte en 1844, développée aujourd'hui sur une longueur de 12 kilomètres à partir du camp.

         Outre cette abondante futaie, il existe près de Téniet, sur la rive droite de l'Oued-Derder, un bois de 12 kilomètres de long et de 8 de large, d'une superficie de 9,000 hectares, formé de chênes blancs à glands doux, de pins d'Alep, de pistachiers, de frênes, etc. Faute de chemins, on ne tire aucun parti de cette forêt, qui renferme d'excellentes ressources pour la charpente, le charronnage, etc.

         Le pays produit de nombreuses variétés de certes, quelques vignes de belle espèce, des figuiers, des lauriers-rosés, une foule de plantes bulbeuses, etc. Le terrain paraît éminemment propice à la culture ; les 500 peupliers et les 400 frênes plantés en 1845 par le 2ème bataillon d'Afrique sont en bonne voie de croissance.
         Dans cette même année, quelques compagnies de ce corps avaient fait ample récolte de paille et d'orge ; les événements de la guerre vinrent alors mettre obstacle aux essais de culture tentés par la commission instituée en décembre 1844 ; des charrues du génie et les bœufs de l'administration avaient été mis à la disposition des travailleurs; il faut espérer que ces premières tentatives seront bientôt renouvelées et poursuivies, car ce n'est qu'en donnant aux colons toutes les facilités possibles pour retirer d'une terre aussi féconde tous les produits qu'elle leur promet, que l'on parviendra à attacher définitivement au sol les familles d'émigrants. Il est de l'intérêt de la mère-patrie d'étendre, aussi loin que possible, l'influence de la colonisation ; et, à cet égard, quoique Téniet soit dans d'excellentes conditions, On y trouve à peine deux ou trois colons véritables, c'est-à-dire vivant principalement des produits de leur travail.

         Cette absence de toute tendance générale à l'exploitation agricole tient à plusieurs causes : d'abord, les concessions de terrains à défricher et à ensemencer sont de date toute récente ; en second lieu, jusqu'à ce jour les travaux de construction du camp n'ont guère appelé â Téniet que des ouvriers; enfin, il faut tenir compte de la protection insuffisante qu'offre aux habitants la position même du village, jeté dans un ravin, à la merci de toutes les attaques ennemies.
         Une circonstance plus favorable au développement de la colonie de Téniet serait peut-être la création d'un nouveau centre de population entre ce point et Milianah ; il y aurait alors plus d'impulsion pour la culture, dont les produits trouveraient de l'écoulement, et plus de sécurité pour les colons. Téniet, d'ailleurs, communique avec le littoral par la route de Milianah et cette voie est plus courte de 54 kilomètres que celle par Blidah pour joindre Alger. Il est vraiment regrettable de voir un aussi beau pays abandonné peu à peu par les familles civiles, aujourd'hui que les travaux du camp sont presque terminés. Voici le tableau de la population mâle de Téniet, depuis sa fondation.

         Au 31 décembre 1844, 88 hommes ; au 31 décembre 1845, 98 hommes ; au 31 décembre 1846, 112 hommes ; au 31 décembre 1847, 55 hommes ; au 31 juin 1848, 42 hommes.
         On rencontre aux environs de Téniet des carrières abondantes de gypse blanc saccharoïde, de pierre à plâtre ordinaire. Les forêts sont parsemées de rochers de grès blanc propre à l'aiguisement et à la construction. L'on prétend que des mines d'ardoises existent à peu de distance du camp, mais que cette espèce aurait l'inconvénient de se réduire en poussière par l'exposition au soleil.

         Le climat est, en général, très-salubre ; la situation élevée de Téniet y rend les chaleurs modérées, et peut seul expliquer comment ce point a été épargné dans l'invasion épidémique des sauterelles, en 1845. Des neiges et des pluies abondantes tombent pendant l'hiver qui commence en octobre pour finir en mars ; cependant il n'est point rare de voir la neige au milieu du mois de mai : le 27 mai de cette année, après une journée excessivement chaude, un orage s'annonça à Téniet par une chute de grêlons volumineux, presque entièrement formés dé noyaux de glace ; le plus gros que j'ai pu recueillir pesait 15 grammes.
         Le printemps est froid jusqu'aux chaleurs de l'été, qui arrivent en juin et cesse à l'approche des pluies et des grands froids de l'hiver. L'automne est si court qu'il n'existe réellement pas ; le climat, du reste, n'offre à proprement parler que deux saisons, celle des froids et des pluies, et celle des chaleurs ; les matinées et les soirées sont généralement d'une température douée dans la belle saison ; au milieu du jour, règne une assez forte chaleur quelquefois mélangée de courants d'air frais.

         Pendant l'année 1847, il y a eu 198 jours beaux ; 87 couverts ; 80 de pluie et de neiges.

         Les quarante-sept jours de pluie appartiennent en presque totalité au semestre hibernal ; il est digne de remarque que sur le continent européen, au contraire, les mois les plus chauds sont les plus pluvieux. Les vents du nord-ouest et du sud-ouest dominent les premiers en hiver, les seconds pendant la belle saison. Dans les quatre premiers mois de l'année, un vent continuel, offrant de brusques alternatives de froid humide et de froid sec, contrarie puissamment le développement de la végétation.
         D'autre part, les promptes variations de température doivent être considérées comme la cause principale de la fréquence et de la mortalité des affections de poitrine dans la zone climatique de Téniet.
         Ainsi, d'après le registre des autopsies, sur un chiffre de cinquante morts, de juin 1845 à 1848 (même mois), il faut compter douze décès pour maladies pulmonaires.
         Quant à ta végétation, il est un fait curieux à signaler, c'est le peu de hauteur qu'atteignent en général les arbres du pays. Faut-il en attribuer la cause à des qualités spéciales peu propres à l'attitude que pourrait donner aux couches d'air (à une certaine élévation) le vent chaud du désert ? En vain l'on objecterait que la hauteur des nombreux plateaux circonvoisins vient en aide à la végétation par l'humidité constante qu'elle appelle sur leurs versants et dans les plaines, par la présence prolongée et la fonte des neiges. Nous ne devons pas oublier que la sécheresse habituelle des vents, dans cette zone, rend plus prompte l'évaporation de la surface du terrain, et prête au sol, en se combinant aux variations brusques de température, un obstacle puissant au développement des grands végétaux.
         Aussi, voyons-nous les indigènes, guidés par l'expérience des siècles, s'efforcer d'établir en permanence le système bienfaisant des irrigations multipliées.

         En résumé, le pays est avec raison réputé salubre ; la statistique de la mortalité générale de Téniet, depuis son occupation, n'aurait aucune valeur par suite de la constante mobilité de sa population civile et militaire.
         Si les enfants s'y sont difficilement élevés jusqu'à ce jour, il faut en chercher la cause principale dans les conditions hygiéniques peu favorables dans lesquelles se sont trouvées les nourrices au début de leur installation dans le pays.

         Le voisinage de hautes et nombreuses montagnes couvertes de neiges une partie de l'année rend les eaux abondantes, soit sous forme de torrents impétueux pendant l'hiver, soit à l'instar de ruisseaux durant la belle saison. La qualité de ces eaux ne laisse rien à désirer.
         Le génie a construit deux fontaines extérieures au camp ; dans l'enceinte de ce dernier, existent deux puits ; les maisons du village en sont abondamment pourvues. À 3 kilomètres du camp, en entrant dans la forêt des cèdres, on trouve plusieurs filets d'eau ferrugineuse, claire, limpide, d'une saveur qui rappelle fortement le goût d'encre. Depuis quelques années, un petit nombre de convalescents vient près de cette fontaine chercher un remède à la faiblesse extrême que déterminent les fièvres intermittentes invétérées et les diarrhées chroniques.
         Les effets de ces eaux minérales sont tellement avantageux, que nous appelons de tous nos vœux le moment où l'on créera près de la source un établissement pour les convalescents analogue à ceux qui ont eu de si grands succès en Algérie. Beaucoup de militaires, que des affections fébriles intestinales propres au climat d'Afrique rappellent chaque jour, soit en France, soit au dépôt de leurs corps, pourraient trouver aux sources minérales de Téniet un secours thérapeutique d'une importance réelle.

         Ils achèveraient leur guérison sans quitter les conditions atmosphériques du pays dans lequel ils se sont acclimatés avec plus ou moins de peine, et rencontreraient de plus, dans les environs pittoresques de Téniet-el-Had, une puissante distraction qui joindrait évidemment à l'action physique des eaux son influence non moins précieuse.
         On pourrait amener les eaux, soit au camp même, soit au village, au moyen d'un aqueduc qui suivrait la courbe de la montagne sur le flanc de laquelle existe la source. La distance à parcourir est minime, et la dépense serait bien compensée par les avantages qu'on en retirerait. N'a-t-on pas, du reste, par un moyen analogue, amené des eaux à Alger de plusieurs lieues de distance ?

         Le poste militaire se divise en trois parties très-distinctes : la première est destinée au campement des convois et des détachements de passage ; la deuxième, moins élevée, renferme à droite les puits, le bois et le fourrage de l'administration, à gauche les ateliers du génie, le parc aux bœufs, les écuries ; la troisième, sur un plan supérieur aux deux précédentes, séparée de la seconde portion par le chemin principal du camp qui aboutit aux deux portes, offre au centre un vaste carré occupé par le pavillon des officiers, par la caserne (à moitié construite), l'hôpital et l'administration des vivres.

         La garnison, qui devait se composer de plusieurs bataillons et escadrons, ne comprend, depuis la décision de 1843, que trois cents hommes d'infanterie, un détachement de spahis, des sections du train des équipages, d'ouvriers d'administrations du génie et de l'artillerie.
         Les constructions militaires sont peut-être trop élevées pour un pays où les tremblements de terre sont assez fréquents, et surtout à Téniet, où la qualité inférieure des matériaux ne permet pas, dit-on, d'obtenir un bon mortier. C'est ainsi que l'an dernier un des magasins des subsistances s'est écroulé. Il y a eu encore d'autres accidents de ce genre.

         L'hôpital militaire, terminé depuis peu est vaste et bien situé ; il possède une assez grande cour plantée d'arbres, contiguë au magasin à poudre; it serait sans doute prudent de placer cet entrepôt dans un endroit plus éloigné. A l'hôpital militaire sont admis les civils et les Arabes : ces derniers le fréquentent peu, parce que, disent-il ! il leur répugne de se trouver isolés au milieu d'hommes d'une autre nation, dont les coutumes, le langage, la manière de voir, etc., diffèrent tant des leurs. Ce motif très-admissible paralyse en grande partie le rôle humain et politique de la médecine française en Algérie.
         Il serait préférable d'établir dans chaque centre de population un vaste local contenant simplement les objets habituels aux Indigènes (nattes, etc.), et destinés à recevoir ceux d'entre eux qui voudraient réclamer les secours de l'art médical. Les Arabes, traités ainsi, auraient plus de confiance dans notre médecine, et, convaincus à la longue de nos intentions philanthropiques à leur égard, ils éprouveraient moins de répugnance à venir dans nos hôpitaux et à se rapprocher de nous.
         Heureuses modifications morales dont la médecine française est appelée à devenir un des plus puissants instruments ! Les dépenses pour la création de ces hôpitaux seraient minimes. Le gouvernement s'étant jusqu'à ce jour chargé de la fourniture gratuite des médicaments, il n'y aurait qu'à attacher à l'hôpital arabe un chirurgien de la localité, un interprète et quelques infirmiers. En envisageant même les choses d'assez près, on ne peut se dissimuler qu'il n'y ait de graves inconvénients à délivrer, comme on le fait journellement, des médicaments à tous les indigènes qui viennent en réclamer. Ceux-ci, en effet, naturellement peu confiants dans nos remèdes, ou bien ne les emploient pas, influencés qu'ils sont, au retour dans la tribu, par leurs prétendus thélibes, ou bien ils usent des médicaments accordés sans discernement et à contre-temps.
         De là, des accidents, plus souvent des insuccès dont les conséquences les plus regrettables sont la perte de confiance dans l'action de ces remèdes, et, qui pis est, la déconsidération qui peut et qui doit en rejaillir sur l'art médical français. Encore ne parlons-nous point de la dissipation des substances non employées ou mal employées. Ainsi, économie évidente, surveillance quotidienne de l'emploi et de l'action des médicaments, intérêt direct pour la science, considération pour les praticiens tels sont les motifs puissants qui conseillent la création des hôpitaux arabes. Ces hôpitaux, qui deviendraient nécessairement des annexes des hôpitaux militaires, mais qui seraient plus particulièrement placés sous la surveillance des chefs des bureaux arabes, recevraient évidemment une influence favorable à la fusion des mœurs.

         Au marché général qui se tient prés du camp les dimanches matin (c'est de là que Téniet tire son nom), accourent de tous côtés de nombreux Arabes apportant des bestiaux, des moutons, des chèvres, de la volaille, des peaux, des grains, des fruits, des tissus de laine, du sel, etc. En1846, le marché a été fréquenté par prés de 9,000 Arabes.
         Il résulte des renseignements qui précédent que Teniet-el-Had pourra devenir un point important pour la colonisation de l'Algérie, si le gouvernement s'occupe d'y favoriser l'établissement de nouveaux immigrants et d'y développer les éléments féconds dont on Vient de présenter le court exposé.
D' E. L. BERTHERAND.
Membre correspondant de la Société orientale.

         Téniet-Et-Had veut dire : Le défilé du marché du dimanche.


Stress hydrique...
Envoyé par M. Louis Aymés ;
Article paru sur LE JOUR D'ALGERIE
Votre quotidien national
29 avril 2022 Par Louisa A. R.


Abdelkrim Chelghoum appelle à l'aménagement des bassins, barrages…: Stress hydrique, une menace réelle pour l'Algérie
 

https://lejourdalgerie.com/abdelkrim-chelghoum-appelle-a-lamenagement -des-bassins-barrages-stress-hydrique-une-menace-reelle-pour-lalgerie/

       Le pays fait face à un stress hydrique important depuis plusieurs années. La baisse de la pluviométrie s'est caractérisée par un faible taux de remplissage des barrages et les capacités de stockage s'avèrent insuffisantes pour alimenter en eau potable l'ensemble du territoire.

       Le stress hydrique est une menace réelle qui va toucher à la sécurité nationale d'un pays, a prévenu Abdelkrim Chelghoum, président du club des risques majeurs et directeur de recherche à l'USTHB.

       Alors que le dessalement de l'eau de mer contribue à pallier la baisse de la pluviométrie, aujourd'hui cette solution semble ne pas répondre à la demande nationale. Les autorités doivent donc trouver d'autres moyens d'y faire face sans pour autant pénaliser les consommateurs, notamment durant la période des grandes chaleurs. Notons que des perturbations importantes en alimentation en eau potable étaient enregistrées depuis l'été passé dans plusieurs villes du pays, notamment la capitale.

       Pour arriver donc à une alimentation régulière de la population en eau potable, la sécurité hydrique passe certainement par le dessalement de l'eau de mer dont les quantités produites actuellement demeurent insuffisantes pour faire face à une demande nationale sans cesse en augmentation. Mais aussi, a ajouté le spécialiste, par la récupération des eaux souterraines et pluviales. Invité de l'émission "Invité de la rédaction " de la Chaîne 3 de la Radio nationale, Chelghoum a estimé qu'"il faut accélérer et parfaire le phénomène de captation des eaux de ruissellement par des retenues collinaires, l'aménagement technique des bassins et des sous-bassins versants, des barrages, des rivières. C'est très important ". " Selon les statistiques de l'année dernière, 32 wilayas ont été inondées. Il y a donc de l'eau qui tombe. Donc on peut capter cette eau ", a-t-il expliqué. C'est pourquoi, toutes les capacités foncières et les conditions appropriées afin d'achever les projets des cinq stations de dessalement d'eau de mer, dont la réalisation avait été programmée lors des précédentes réunions du Conseil des ministres, ont été mobilisées, a-t-il ajouté, rappelant qu'il a toujours été question d'une gestion très pointue des ressources hydriques.

       Le changement climatique a des effets aussi désastreux sur l'économie que sur la société. Certains phénomènes météorologiques ou climatiques extrêmes, notamment la sécheresse, ont été lourds de conséquences sur les populations pauvres ces dernières années. " Les pays pauvres et ceux en voie de développement sont les plus touchés par ce phénomène.

       Malheureusement, les pays qui souffrent ne sont pas la cause de ces changements, puisque c'est les pays développés qui sont les premiers responsables ", expliquait, hier, le président du club des risques majeurs et directeur de recherche à l'USTHB, sur les ondes de la Chaîne 3. Pour lui, " ce phénomène a été identifié en 1830 et l'origine c'était l'Europe avec ses grands pôles industriels qui ont commencé à engendrer l'évolution de ce risque majeur qu'est le réchauffement climatique et le stress hydrique que nous sommes en train de vivre actuellement en Algérie ".
L. A. R.



LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.
             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens de faire des mises à jour et d'ajouter Oued-Zenati, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.
             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Clauzel, Duvivier, Duzerville, Guelaat-Bou-Sba, Guelma, Helliopolis, Herbillon, Kellermann, Millesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Oued-Zenati, Penthièvre, Petit et Randon, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.
POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

    
CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:
http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.
 


NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers


Jardin de la Tabacoop à Annaba

Envoyé par Thiérry
http://lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9035391-de-piscine-a-depotoir


lestrepublicain.com - 17 Jui 2022 Annaba

De piscine à dépotoir

         La piscine de la Tabacoop à proximité du mausolée de Sidi Brahim Bentoumi, autrefois lieu de détente et de villégiature privilégié des annabis est aujourd’hui transformée en un dépotoir repoussant.
         Pourtant les autorités devraient prendre en charge sa restauration et la remettre en service. Il appartient également à ces dernières de revoir un petit peu la gestion des anciens locaux de la Tabacoop dont une partie sert à la vente de boissons alcoolisées, et les magasins qui y font face loués à des particuliers par les gestionnaires de la coopérative.

         La piscine qui disposait d’un tremplin et d’un surveillant de baignade gagnerait à être prise en charge ou à la rigueur la mettre à la disposition d’un club qui dispose d’une section de natation.

         Cette situation est consternante, car il fut un temps où les annabis prenaient un plaisir incommensurable à se rendre à la Tabacoop pour prendre un bol d’air, se promener à travers les allées fleuries, prendre une boisson fraîche ou chaude selon le temps au « Chalet » et parfois prendre un repas dans le majestueux restaurant à la boiserie magnifique.
         Les jours de chaleurs, cette piscine qui était magnifique, leur ouvrait les bras. Son eau claire incitait les promeneurs à y faire trempette. Des douches et autres cabines réservées pour changer ses vêtements se trouvaient à côté. Des familles entières venaient s’y installer et laisser leurs gamins barboter dans la partie qui leur est réservée.
         Malheureusement, on ne peut aujourd’hui que se demander ce que sont devenus ces équipements qui rendaient d’appréciables services à toute la population ?
Ahmed Chabi           


Trafic de voitures à Annaba

Envoyé par Raoul
http://lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9035422-un-reseau-national-demantele


lestrepublicain.com - 19 Jui 2022 Annaba

Un réseau national démantelé

         Un réseau national avec des tentacules vers l’étranger, de voleurs et de trafiquants de documents administratifs de base de véhicules a été démantelé par les éléments du groupement territorial de la gendarmerie nationale d’Annaba.
         C’est ce qui ressort du point de presse organisé avant-hier, samedi 18 juin. Sur une table s’étalait un grand nombre de cartes grises, de polices d’assurance et de permis de conduire. Il y avait même des clés sans doute falsifiées ainsi que des téléphones portables.

         Ce réseau criminel est spécialisé dans la contrebande de véhicules vers les pays voisins. La bande composée de sept individus âgés entre 30 et 65 ans, agissait sur les territoires du Centre et de l’Est du pays.

         Une visite guidée par la capitaine chargée de la communication a permis de constater la présence, dans la fourrière communale, de 16 véhicules de différentes marques ainsi qu’une moto. Comme nous l’avons annoncé en début d’article tous ces véhicules circulaient avec des documents de base falsifiés.
         Les sept trafiquants qui ont été présentés à la presse vont être traduits par-devant un procureur de la République qui va sûrement les déférer par-devant un juge d’instruction. Ce dernier va statuer sur leur sort. L’officière a insisté sur « le travail de qualité effectué par les éléments de la gendarmerie pour mettre fin aux agissements de criminels sans foi ni loi ».
Ahmed Chabi           


Algérie-Russie

Envoyé par Olivier
https://www.tsa-algerie.com/on-en-sait-un- peu-plus-sur-le-futur-partenariat-algerie-russie/

tsa-algerie.com - Par: Rédaction 23 Mai 2022

On en sait un peu plus sur le futur partenariat

          L’Algérie et la Russie discutent d’un « nouveau partenariat stratégique », a indiqué l’ambassadeur algérien à Moscou, en donnant un petit aperçu sur l’élargissement de cette coopération à d’autres domaines. Ainsi, on en sait un peu plus sur ce nouvel accord qui est en préparation entre les deux pays.
          Les relations entre l’Algérie et la Russie, « historiques » et toujours au beau fixe, devraient s’affermir davantage avec la signature prochaine d’un nouvel accord de partenariat stratégique, annoncé lors de la visite à Alger du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le 10 mai dernier.

          Les deux parties s’attellent déjà à la rédaction du nouvel accord, a fait savoir l’ambassadeur d’Algérie en Russie. « Nous discutons d’un projet de partenariat stratégique. L’ancien texte en vigueur date de 2001, c’est-à-dire qu’il a plus de 20 ans (…) Nous préparons maintenant un nouveau texte afin de renforcer de nouveaux domaines de coopération qui n’étaient pas mentionnés dans le texte précédent », déclaré Smaïl Benamara à l’agence de presse russe TASS, en marge du sommet Russie-monde musulman qui s’est tenu du 15 au 21 mai à Kazan (Russie).

          « Il ne s’agit pas seulement d’achats d’armes »

          Il est possible que le nouvel accord soit signé lors de la visite du président algérien en Russie, a indiqué l’ambassadeur d’Algérie à Moscou.
          Lors de sa visite à Alger le 10 mai, M. Lavrov a transmis au président Abdelmadjid Tebboune une invitation de son homologue russe Vladimir Poutine, pour effectuer une visite de travail en Russie. La date de la visite n’a pas été précisée.
          Les deux pays entretiennent des relations historiques et ont une très forte coopération notamment dans le domaine militaire, l’Algérie étant l’un des principaux clients de l’armement russe dans le monde.

          Le déclenchement de la guerre en Ukraine, vis-à-vis de laquelle l’Algérie observe une position de neutralité puisée de ses traditions de non-alignement, n’a pas affecté la relation algéro-russe. A Alger, Sergueï Lavrov a salué en des termes très clairs la position équilibrée de l’Algérie.

          Un nouvel accord de partenariat stratégique devrait donc être signé et la coopération militaire entre les deux pays se poursuivra, a encore fait savoir l’ambassadeur Smaïl Benamara.
          « Les relations (dans le domaine militaro-technique) sont anciennes et profondes », s’est-il félicité. « Il ne s’agit pas seulement d’achats d’armes, mais aussi d’exercices, de coopération, d’échange de données. Bien sûr, cela continuera », a assuré le diplomate algérien.
            


Huile de table :

Envoyé par Marina
https://www.tsa-algerie.com/huile-de-table -fin-de-la-crise-en-algerie/

tsa-algerie.com - par : Ryad Hamadi 19 Juin 2022

Fin de la crise en Algérie ?

           L’huile de table est de nouveau disponible sur les étals en Algérie qui a connu une grave crise de ce produit pendant plusieurs mois.
           Paradoxalement, c’est au moment où des pénuries sont enregistrées dans certains grands pays, comme la France, et des craintes de tensions sur ce produit sont exprimées partout dans le monde à cause de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux gros producteurs et exportateurs de graines oléagineuses, que la crise a pris fin en Algérie.

           Ce qui ne laisse guère de doute quant à l’origine de la pénurie qui aura duré plus d’une année : la spéculation est bien en cause.
           Lorsque, au printemps 2021, l’huile de table subventionnée s’est ajouté à la liste des produits objet de tension depuis le début de la pandémie de covid-19 une année plus tôt, on avait mis en cause le refus des grands grossistes de la distribuer à cause de l’obligation qui leur a été faite de se conformer à la facturation, alors que leur marge bénéficiaire était très faible.

           Mais le problème dépassait cet aspect technique puisque la crise va s’inscrire dans la durée malgré les assurances des autorités et des producteurs.
           Chiffres à l’appui, il a été expliqué que le tissu industriel national produisait largement plus que les besoins du marché, en vain. Les quantités qui arrivaient dans les magasins s’épuisaient sur le champ et au fil des mois, on s’est mis à s’interroger sur la destination de toute l’huile produite.
           En janvier dernier, les unités du groupe Cevital, principal producteur de l’huile de table en Algérie, ont porté leur capacité à son maximum pour produire 1.7 million de litres/jour.
           Les petits stocks constitués par les ménages ne pouvaient absorber de telles quantités sur une longue durée et l’exportation frauduleuse, à un moment évoquée, ne pouvait pas se faire à grande échelle au nez et à la barbe du dispositif de surveillance des frontières.

           Seule la spéculation, pointée du doigt par les plus hautes autorités dès le début et pour toutes les pénuries, pouvait expliquer une telle situation paradoxale.

           Des peines allant jusqu’à la perpétuité
           Le président de la République et le gouvernement ont même évoqué un complot pour déstabiliser le pays en touchant à la disponibilité des produits de base.

           Plusieurs produits ont en effet connu simultanément soit une hausse vertigineuse des prix soit une rareté, comme l’huile, le lait subventionné, la pomme de terre, les fruits et légumes, la sardine, le poulet, en plus de perturbations dans certains services publics comme l’eau et la poste. Et c’était avant les retombées de la guerre en Ukraine.
           Concernant l’huile, la tension a touché uniquement celle de soja, subventionnée. Son prix est plafonné à 125 dinars le litre, 250 dinars la bouteille de 2 litres et 650 dinars le bidon de 5 litres. Les professionnels (restaurants ou producteurs utilisant l’huile comme ingrédients) sont exclus de la subvention en leur interdisant d’acquérir ces formats.
           Il semblerait que les gros spéculateurs aient mis à profit la situation pour revendre aux professionnels et petits artisans des quantités destinées à la vente aux ménages, expliquent des connaisseurs du dossier.
           Quoi qu’il en soit, les autorités ont décidé d’agir avec fermeté contre le phénomène et sont vite passées à l’acte. En décembre dernier, un projet de loi portant lutte contre la spéculation a été adopté.
           Les peines prévues à l’encontre des spéculateurs sont d’une sévérité exemplaire. 20 ans de prison si la spéculation touche des produits de base (céréales, lait, huile, sucre, légumineuses), 30 ans de prison si elle survient dans une situation exceptionnelle (épidémie, catastrophe) et enfin la perpétuité si le crime est commis par un groupe criminel organisé.

           « Ma décision est prise et j’en ai informé le ministre de la Justice, Garde des sceaux : la prochaine réunion du Conseil des ministres verra la présentation d’une loi incriminant les spéculateurs qui encourront une peine de pas moins de 30 ans de prison, qui pourrait aller jusqu’à la perpétuité, voire la peine capitale », avait mis en garde le président Tebboune dès le mois d’octobre au cours d’une rencontre avec la presse.
           Depuis l’entrée en vigueur du nouveau texte, la justice l’a appliquée avec rigueur, prononçant plusieurs lourdes condamnations à l’encontre de spéculateurs pris en flagrant délit.
           Une forte tension sur l’huile de table ou autre produit de base pourrait provoquer des émeutes et plonger le pays dans l’instabilité sociale. C’est sans doute pour ces raisons que le gouvernement a décidé d’agir avec fermeté.

           Quelques mois après, une nette amélioration est constatée dans les prix et la disponibilité de plusieurs produits, comme la pomme de terre et l’huile. Pour l’huile de table, il est disponible dans les magasins.
           D’autres facteurs y ont sûrement contribué, mais cette fermeté sans précédent y est sans doute aussi pour quelque chose. Reste à savoir si ce lourd dispositif sera maintenu et surtout efficace dans la durée dans un pays où la spéculation et l’informel gangrènent les activités commerciales et économiques.
Ryad Hamadi             


Crise avec l’Algérie :

Envoyé par Juliette
https://www.tsa-algerie.com/crise-avec-lalgerie- pourquoi-madrid-a-tort-daccuser-moscou/

  - Par tsa-algerie.com - Par: Ryad Hamadi 12 Juin 2022

Pourquoi Madrid a tort d’accuser Moscou

           Empêtré dans la crise qu’il a lui-même provoquée avec l’Algérie, le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez tente de se dédouaner en interne en donnant à la brouille diplomatique une dimension qu’elle n’a pas.
           Selon la presse espagnole, le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a déclaré à des interlocuteurs espagnols que c’est la Russie qui serait derrière tout cela.

           Albares s’est rendu à Bruxelles pour se plaindre à l’Union européenne des dernières mesures prises par l’Algérie, notamment celle liée à la suspension du commerce extérieur avec l’Espagne, que cette dernière considère comme une violation des dispositions de l’accord d’association.
           Selon un article du journal Ignacio Cembrero publié sur le journal El Confidencial, à son retour de la capitale européenne, le chef de la diplomatie espagnole a fait une « tournée téléphonique » avec des parlementaires de son pays auxquels il a fait savoir qu’il a été « informé » que c’est la Russie qui a « poussé » l’Algérie à « attaquer » l’Espagne, à travers notamment son tissu commercial.
           Albares a cité au cours de ces conversations « nocturnes » la visite à Alger du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en mai, et celle de jeudi dernier du président du Venezuela, Nicolas Maduro.
           Citant des sources proches de ces conversations, El Confidencial ajoute qu’Albares a expliqué à ses interlocuteurs que l’objectif du président russe en agissant ainsi était, « de briser l’Union européenne par le sud, en opposant l’Espagne à l’Italie ».

           L’allusion est aux accords signés en avril avec l’Italie pour l’augmentation des flux de gaz algérien, simultanément à la dégradation des relations entre Alger et Madrid.
           Albares, toujours selon les révélations d’El Confidencial, a sollicité le soutien des autres groupes parlementaires, non pas pour le gouvernement, mais pour les entreprises espagnoles qui se retrouvent pénalisées par la crise.
           Aucune source officielle ne s’est exprimée sur ces propos et le bureau d’information du ministère des Affaires étrangères a refusé de répondre aux questions du même journal.
           Néanmoins, celui-ci a rapporté les avis de plusieurs experts et presque tous ne croient pas un instant que la Russie puisse avoir joué un rôle dans la crise actuelle. Seul Alberto Priego, professeur de relations internationales à l’Université pontificale, estime que « ce que fait la Russie, c’est encercler l’Europe par le sud ».

           « Lecture erronée » et « diplomatie chaotique »

           Mais le même professeur laisse entendre que s’il y a interférence des grandes puissances, il faut d’abord regarder du côté de ce qu’a fait l’Espagne. « Peut-être devrions-nous nous demander si le rapprochement de l’Espagne avec le Maroc ne s’inscrit pas dans une stratégie plus large que nous pourrions appeler la nouvelle doctrine de confinement », analyse-t-il.
           Il reste en effet un fait indéniable : cette crise avec l’Algérie a été provoquée par le gouvernement de Pedro Sanchez par son revirement historique sur la question du Sahara occidental.
           A moins d’avouer qu’il a été manipulé magistralement par Moscou, il ne peut accuser cette dernière d’être l’instigatrice de sa décision annoncée le 18 mars dernier d’appuyer le plan d’autonomie marocain.

           Il y a aussi la doctrine de non-alignement de l’Algérie et son attachement à sa souveraineté et à l’indépendance de sa décision.
           Dans le même article, El Confidencial rapporte les propos d’un « haut responsable de la diplomatie algérienne » : « En tant que pays non aligné qui a conquis son indépendance par la lutte armée, l’Algérie a toujours développé une politique étrangère indépendante et est attachée, avant tout, à l’indépendance de ses décisions politiques inspirées exclusivement par la défense de ses intérêts. »

           Des experts, « certains d’origine algérienne et qui ne sympathisent pas avec son régime politique », reconnaît le journal espagnol, sont aussi sollicités et aucun ne croit à un rôle de la Russie dans ce qui se passe.
           « Je ne suis pas du tout sûr qu’Alger obéisse à Moscou, même s’il y a une convergence d’intérêts ponctuelle », indique par exemple Akram Belkaïd, journaliste algérien établi à Paris. « Je ne pense pas car l’Algérie montre ces derniers temps un certain détachement vis-à-vis de la Russie », explique pour sa part Khadija Mohsen-Finan, professeur à l’université Panthéon Sorbonne à Paris.
           Le chercheur algérien Raouf Farrah désigne plutôt « la lecture erronée » et « la diplomatie chaotique du gouvernement de Pedro Sánchez par rapport au Maghreb » comme étant les causes de la crise et des dernières mesures prises par Alger.

           L’autre point qui affaiblit la thèse de Pedro Sanchez, c’est que l’Algérie a bien accepté d’augmenter ses livraisons de gaz à l’Italie et a affiché sa disponibilité pour lui livrer les quantités dont elle a besoin, alors que ce pays comme toute l’Union européenne cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe.
Ryad Hamadi                 


De M. Pierre Jarrige
Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
    PDF 160A                                                  PDF 161
    PDF 161A                                                  PDF 162
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : jarrige31@orange.fr


Paradoxes
Envoyé par Hugues

    L'inventeur du tapis de course est mort à 54 ans.

    L'inventeur de la gymnastique est mort à l'âge de 57 ans.

    Le champion du monde de bodybuilding est mort à l'âge de 41 ans.

    Le meilleur footballeur du monde, Maradona, est mort à l'âge de 60 ans.

    James Fuller Fixx a contribué à lancer la révolution du fitness en Amérique en popularisant la course à pied.

    Il est mort d'une crise cardiaque pendant son jogging à l'âge de 52 ans.

    MAIS... !?

    L'inventeur de la marque Nutella est décédé à l'âge de 88 ans.

    Le cigarettier Winston est mort à l'âge de 102 ans

    Le découvreur de l'opium est mort dans un tremblement de terre à l'âge de 116 ans.

    L'inventeur de la liqueur Hennessey est mort à l'âge de 98 ans.

    Comment les médecins ont-ils conclu que l'exercice prolonge la vie ?
    Le lapin est toujours en train de sauter en l'air, mais il ne vit que 2 ans et la tortue qui ne fait aucun exercice vit 400 ans.

    Alors, reposez-vous, détendez-vous, restez au frais, mangez, buvez l'apéro et profitez de votre retraite !!!
    A votre santé les amis(es)...



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Notre liberté de penser, de diffuser et d’informer est grandement menacée, et c’est pourquoi je suis obligé de suivre l’exemple de nombre de Webmasters Amis et de diffuser ce petit paragraphe sur mes envois.
« La liberté d’information (FOI) ... est inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946, ainsi que par les Articles 19 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), qui déclarent que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
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