N° 105
Avril

http://piednoir.net

Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Avril 2011
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
http://www.seybouse.info/
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Cet Ecusson de Bône a été généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
Les derniers Numéros : 97, 98, 99, 100, 101,102, 103,104,
  LA NATURE  
Par : ???
EDITO

   C'EST LE PRINTEMPS   

    Chers Amis,

     C'est l'équinoxe de printemps, le jour où nous sommes tous égaux devant le soleil et la durée du jour est égale à la durée de la nuit sur tous les points de notre Terre qui détermine ce jour de l'égalité ! En 2011 le printemps a commencé le 20 mars à 22h20 (heure de France).
    Le printemps s'écrivait au XIIIème siècle printans, mot composé de prins et tans, du latin primus tempus : c'est le premier temps, c'est à dire la première saison.

     Le printemps est la saison marquant le renouveau de la nature. Il se caractérise en général par un radoucissement du temps avec le début de la fonte des neiges, le bourgeonnement des arbres, la floraison des plus belles fleurs, le réveil des animaux hibernants et le retour des animaux migrateurs. Il se différencie par une alternance de pluie et de journées ensoleillées.
    Les oiseaux se remettent à chanter. L'activité reprends devant les ruches, les abeilles vont renter le pollen.

     Nous pourrions continuer longtemps à relater le merveilleux du printemps.
    Mais le Printemps politique et humain, que nous laisse voir le monde actuel, bouge avec le printemps arabe.

     L'étincelle a jailli en Tunisie en décembre 2010 avant d'enflammer l'Egypte, la Libye. Désormais, le mécontentement gagne d'autres pays arabes l'un après l'autre. Les appels à manifester lancés via Internet se multiplient. Et la presse du Machrek et du Maghreb n'hésite plus à rendre compte de cette colère qui gronde dans presque tous les pays arabes.
    Chômage, famine, corruption, tyrannie, esclavage... Tous les maux qui révoltent les peuples sont bien présents dans ces pays ou royaumes, affirment les journaux et les sites des opposants de tous bords, malgré l'apartheid médiatique que tentent d'imposer certains dirigeants.
    La majorité des médias arabes souvent financés par les pétrodollars deviennent muets lorsqu'il s'agit de couvrir les révoltes secouant ces pays, déplore le directeur du quotidien pan-arabe Al-Quds al-Arabi.
    Au lieu de répondre aux aspirations de la population pour les réformes, les régimes soignent leur image médiatique, tout en réprimant leurs opposants.
    Face à toute la contestation, ces pays sortent le bâton ou la carotte. Une main de fer dans un gant de velours ?
    Face aux manifestants, les régimes de certains pays sont aux abois et le bruit de bottes résonne. Les armées imposent le couvre-feu. Les forces armées et policières investissent les villes. La plupart du temps, les manifestations sont réprimées avec brutalité. Les bains de sang se poursuivent.

     Tandis que dans d'autres pays, alors que les mouvements de protestation ne faiblissent pas, que des réformes politiques sont exigées de façon de plus en plus pressante et dans la crainte de voir leur pays déstabilisé par la montée de la contestation, ceux-ci annoncent de nouvelles mesures pour calmer la rue : Des réformes constitutionnelles ; la levée imminente de l'état d'urgence ; la libération de prisonniers politiques ; la baisse provisoire de certaines taxes sur les produits de premières urgence. En somme tout cela ne sont que des mesurettes afin de gagner du temps en espérant que les peuples se rendorment.
    Attention, la jeunesse est sur Internet avec Facebook, ce qu'elle aspire avant tout c'est à la liberté totale ; c'est à l'entrée dans le monde moderne donc occidental ; c'est l'accès aux richesses produites et qui ne servent que les oligarchies ; c'est le droit à la démocratie et à l'égalité universelle que doit leur assurer le printemps.

     Que fait l'Europe face aux cris du monde arabe ?
    Elles ont des réactions inappropriées qui sont la marque de démocraties usées et apeurées, paralysées par la fausse dépendance énergétique et des intérêts économiques intéressés de certains dirigeants. Jusqu'à présent, il était de bon ton d'aduler les dictateurs : cette politique a tellement contaminé tant et si bien nos gouvernants qu'ils ne savent ni que dire et que faire. Voilà qui est purement et simplement scandaleux car notre sensibilité démocratique est totalement émoussée. Le scandaleux vote " front républicain " des élections cantonales française ce dimanche 27 mars en est une démonstration éclatante.

     Les dirigeants européens savent que les transitions démocratiques sont toujours imprévisibles et délicates. Ils devraient transmettre notre expérience aux pays embarqués dans de tels processus, même s'il faut faire très attention aux objectifs et des rapports de force.
    En France surtout, la grande majorité des politiques attachés au renouvellement de leur investiture ; une bonne partie des élites avec leur politiquement correct ; des associations de défense des droits de certains hommes ; tous sont empêtrés dans les mensonges et les mythes qu'ils ont eux-mêmes alimentés en les transformant en lois contre d'autres hommes et auxquels ils ont fini par croire. Le mythe de l'unité du monde arabe et plus généralement de l'islam, qui revient à nier les énormes différences entre nous et les cultures des pays concernés. Le mythe de l'incompatibilité des civilisations, qui, réduit nos identités à la seule religion sans tenir compte des progrès et combats menés par nos ancêtres pour aboutir à notre civilisation occidentale.

     Peu importe que l'immigration soit la conséquence de la situation dans laquelle les despotes maintiennent leurs peuples. Peu importe que l'islamisme et le terrorisme servent d'alibi à la perpétuation de ces régimes criminels.
    La réaction de l'Europe trahit l'état de délabrement de notre démocratie. Ces citoyens, si souvent perçus depuis ici comme des parias, luttent pour la liberté alors même que nos démocraties reculent chaque jour un peu plus : du même coup, ils nous font apparaître sous notre vrai visage. Ceux qui nous gouvernent ne se rendent pas compte du malaise profond qui parcourt la France et l'Europe. Comme un boomerang, cette grave situation malsaine finira par leur éclater le visage à défaut de cervelle car les mêmes maux produiront les mêmes effets.

     N'en doutons pas, la prochaine étape de la révolution secouera la France et certainement l'Europe par ricochet. Chez nous aussi les jeunes utilisent Internet. Espérons que ce soit un nouveau printemps et pas un automne prématuré.

     Pour finir quelques vers de Théophile GAUTIER (1811-1872), tirés de :


" Premier sourire du printemps "

Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

Jean Pierre Bartolini          

        Diobône,
        A tchao.


   LE CIMETIERE DE BÔNE   
DES NOUVELLES RECUES ..
Subject: destruction du cimetiere
    Allo, ci joins le message d'un ami algérien qui me demande de garder son nom secret. Il me previent de la destruction du cimetiere. je joins son message. et les photos qu'il y a joint.
    Salem,
    Je t'ai envoyé les photos du cimetière de BONE, afin tu puisses contacter les associations des cimetières Français en Algérie du péril que vont subir les tombes suite à la réalisation des bâtiments (privé) sur un terrain de remblais. Il y aurait un glissement du terrain, déviation du cours d'eau vers le cimetière (catastrophe), le rejet des eaux usées, et les sacs des poubelles etc...
    Enfin s'il y a un moyen de stopper les travaux une fois pour toute et de planter des arbustes ou autres. Il faut contacter le consul ou l'ambassade pour faire quelque chose auprés des autorités algériennes (Ils ne le savent pas, car il y a une bande de corrompus à Annaba).
    Les Russes l'ont fait à Annaba et ont obtenu gain de cause suite à la construction d'une tour prés de leur consulat, bien que le promoteur a le permis de construire.
    J'espère que tu m'as compris et c'est entre nous tout ça. B... de Annaba. Harkati.
    NB : Les terrassements ont été entamés depuis 4 mois, mais j'ai oublié de te le dire. J'ai d'autres photos.











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Le message ci-dessus je l'ai reçu plus d'une centaine de fois,
cela prouve qu'Internet marche très bien pour relayer des infos.
Ne pouvant répondre individuellement,
j'ai répondu collectivement par le message ci-dessous.

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    Bonjour chers Compatriotes

    Depuis quelques jours je suis submergé de messages concernant notre cimetière de Bône avec des photos datant d'octobre 2010, et des demandes d'intervention ou des écrits "non constructifs".
    Ce spectacle des photos est désolant, je le conçois car c'était prévisible et j'étais au courant d'une partie.
    A notre dernier voyage, déjà des travaux commençaient à se faire jour derrière le cimetière dans la partie soit disant où un glissement de terrain avait eu lieu en 2002/2003. D'ailleurs comment peut-on donner le permis de construire pour un grand bâtiment administratif si ce terrain est si instable ??? Pourquoi le Consulat de France n'a pas déposé un recours pour mise en danger du cimetière ? Pourquoi les associations si promptes à taper sur le bénévole qui a voulu faire quelque chose pour le cimetière, ne se sont pas préoccuper de ce grave problème ?
    Pourquoi ? Pourquoi ? On pourrait continuer longtemps.

    Ce terrain, depuis 2005, servait de terrain de football aux jeunes du quartier des Beni Ramassés et quand ils avaient connu le projet de la mairie, ils avaient manifestés. Ils en ont subi une répression. Cela aurait du quand même éveiller les sens du Consulat et des associations qui s'en disent responsables et intéressées par le devenir du cimetière. Tout ce joli monde a sûrement préféré les belles réceptions plutôt que les discussions fermes et constructives.

    A la suite de ce soit disant "glissement" de terrain qui faisait partie du cimetière, 5 Carrés ont été rasés et rendus à la ville sans contrepartie.
    Dans ce terrain il y a encore des ossements dont certains sont sous les fondations du mur construit en 2004/2005. Contrairement à ce qui a été affirmé par le Consulat de France et l'association hébergée dans ce consulat, tous les ossements n'ont pas été rapportés dans les autres Carrés du cimetière. 5 Carrés, cela en fait des morts, où sont-ils ? Mon grand père paternel, entre autres, y est encore. Jamais je n'ai pu obtenir la liste complète des défunts transférés et leurs lieux précis. Pourquoi ? Parce que tout simplement, le travail a été mal conduit, mal répertorié, mal exécuté. Peut-être que même il y a eu des choix pour hâter et bâcler le travail.
    Même si l'on doit reconnaître que la tâche était ardue, ça fait mal.
    Est-ce digne de la France ?
    Est-ce digne de ceux qui en étaient chargés ?

    Comment peut-on accepter une construction sur ce qui reste de nos ancêtres ? Où est le respect du aux morts ! En théorie les musulmans ne doivent pas construire là où il y a des ossements. Le savent-ils ?
    Un jardin public aurait été mieux approprié, plus respectueux et en plus il aurait absorbé les eaux pluviales avec des canalisations appropriées.
    J'avais eu cette discussion (entre autres) avec l'ancien Maire de Bône lorsque les relations étaient en bon termes avant qu'elles ne se dégradent suite à mon implication directe dans les affaires du cimetière et qui n'a pas du tout enchanté les associations In Mémoriam et de Bônois d'Aix en Provence qui ont fait que le Maire de Bône et le Consul français, M. Martin, m'ont déclaré "persona non grata" dans leurs bureaux.
    Les questions des clôtures, des abords extérieurs, de la protection, de l'entretien, des réparations, de la numérisation des registres et plans, etc, étaient à l'ordre du jour et aurait pu être résolues, si cela n'avait pas créer de jalousies néfastes. De là à supposer qu'il ne fallait surtout pas toucher au business de certains, y aurait-il un pas à franchir ?
    Je ne veux même pas y réfléchir.
    Même lorsque j'ai mis des photos et vidéos en ligne j'ai eu des retours de bâtons, car il ne fallait pas montrer l'état du cimetière et tout ce qui s'y passe. C'est pour cela que pendant un certain temps j'avais supprimé le site du cimetière.

    Lorsque avec des amis, nous avons aidé et mis en place un entrepreneur compétent pour la réparation et l'entretien du cimetière, là aussi j'ai reçu des "gentils coups de bâtons", des associations, du Consul en place à cette époque, et de l'ancien maire de Bône. Ces deux derniers qui n'avaient pas apprécié que je fasse respecter la loi en cassant le "monopole" de ceux qui travaillaient dans le cimetière sous leurs ordres et faisant obtenir l'autorisation d'y travailler à notre jeune entrepreneur. C'est vrai que dans ces pays les gens se battent contre la corruption quotidienne et que le monde entier applaudit actuellement alors qu'il fermait les yeux auparavant.

    J'ai fait assez de publicité pour inciter les Bônois à faire réparer et à entretenir les tombes, qui restent à leurs charges comme dans tous les pays civilisés. A part les amis, des voyages que j'ai organisé, qui ont fait ces actions, combien d'autres bônois l'ont fait, très peu. Et pourtant cela aurait permis aux autorités de prendre plus de considérations envers notre cimetière qui est surtout abandonné par les bônois eux-même.
    Alors qu'on ne me parle pas d'accords d'Evian qui n'ont pas été respectés, cela tout le monde le sait et il ne sert à rien d'y pleurer dessus.
    Les faits sont là et les seuls qui peuvent vraiment agir sont les bônois eux-même. D'abord en se prenant en charge seuls et ensuite avoir une vraie organisation bénévole avec un statut juridique capable d'accomplir l'immense travail qui reste à faire. Car à l'heure actuelle, les organisations qui s'en occupent ont montré leurs "limites" pour être poli.

    Je ne connais pas le nouveau Consul de France, avec ce qui m'a été rapporté, il parait être plus attentif. Peut-être y aurait-il un moyen de faire quelque chose. Voici les coordonnées. Si vous téléphonez, ne parlez qu'au Consul ou au Vice-Consul, sinon vous risquez d'être dirigés vers l'Association In Mémoriam. A vous de voir.
    Consulat français de Bône, Adresse : 1, rue Gouta Sebti, 23000 Annaba
    Tél. : 00 (213) 38 86 05 83 (lignes groupées)
    Télécopie : 00 (213) 38 86 05 94

    Personnellement et actuellement, je ne compte pas encore m'impliquer directement et physiquement sans avoir vu bouger un mouvement de masse bônoise.

    Maintenant si vous avez des idées constructives à faire passer, je me ferai un plaisir de le faire sur la Seybouse. D'ailleurs je mettrai ce message sur le prochain N° avec les photos et d'autres choses au cas où j'en recevrai.

    Sur ce message, je n'ai pas mis tous les noms des destinataires en clair car certains m'ont envoyé des messages divers, et même si je n'approuve pas tous leurs écrits, je tenais à leur répondre utilement en éclairant des lanternes sans que cela puisse polluer ceux qui s'inquiètent vraiment et qui ont certainement des intentions louables.

    Très amicalement
    Bien à vous

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Sur plus de cent adresses qui ont reçu mon message, une seule personne a répondu après avoir elle-même reçu le message ci-dessous.
Cela prouve que si Internet marche très bien pour relayer des infos, il ne suscite pas d'enthousiasme lorsque l'on met les gens devant des responsabilités qu'ils devraient enfourchées pout tenter de faire quelque chose.

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Subject: destruction du cimetiere
    Salut, je ne sais pas d'où tu tiens ces informations erronées, la partie où l'on vois le commencement de travaux a été restituée à la commune.
    Il y a plusieurs années (environ 10 ans) le cimetière a été redimensionné suite à des glissements de terrain, cette parcelle constituait une extension prévue il y a une cinquantaine d’années.
    Il ni a eu environ que 150 tombes occupées qui ont été déplacées, toutes les autres sépultures été vides et en ruine, les cercueils trouvés ont été inventoriés et regroupés (liste et emplacement des regroupements à la disposition des visiteurs chez le concierge ou bien en s'adressant à l'association "IN MEMORIAM") dans des caveaux inoccupés dans la partie restante avec apposition de plaques indiquant l’identité des personnes ainsi que leur ancienne position quand cela a été possible
    Et un mur d'enceinte (que l'on distingue en bas des travaux) a été construit par l’embrassade de France et par la mairie de Bone - nouvelle délimitations et mur que tu a dut voir lors de ta visite -- les travaux qui ont débutés sont destinés à l'implantation de bâtiments administratifs du ministère de la justice (aucun particulier).
    Demande à ton informateur de mieux se renseigner avant de provoquer une revolution.
    Meilleurs souvenirs, XXX
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Bien sur, je dois apporter des précisions sur ce message ci-dessus.
    Dans la réponse de M. X (le correspondant de Bône), on doit constater que ce que j'ai dit est la vérité.
    Le terrain a bien été restitué, mais il ne dit pas comment, donc sans contrepartie et garantie.

     Il maintien "glissement de terrain", mais concrètement il n'y a pas de preuves. Seulement des tombes qui ont glissées suite à des écoulements d'eau, qui seraient volontaires, dans le cimetière par le chemin des crêtes. Il fallait justifier la restitution du terrain et aux yeux "des profanateurs intéressés", quelques tombes ne représentaient pas grand chose. 5 Carrés d'environs 400 tombes soit 2000 tombes dont certaines contenaient plusieurs corps (carrés 5, 6, 7, 8 et 9). On peut regarder sur le site du cimetière où sont situés ces Carrés et tout le terrain qui a été restitué. Je dois signaler que lors de ce fameux glissement de terrain, la route des Crêtes ainsi que les clôtures hautes et coté Béni Ramassés n'ont subi aucun dommage, bizarre tout de même !!!

     Ils ont déplacé 150 tombes, soit 13% et ils en sont fiers car le reste faisait parti de la bagatelle, environ 1850 tombes qui n'auront même pas droit à un ossuaire et qui se trouvent enfouies sur le terrain.

     Bâtiment administratif de la justice, donc un gros bâtiment avec parkings et annexes qui devraient accentuer la fragilité du terrain si tant soit peu il l'était pour justifier la destruction de tombes et la restitution de terrain. Est-ce que la Justice doit se contenter de cette simple justification pour condamner des morts à l'oubli obligatoire.

     Tombes inventoriées et liste déposée chez le gardien !!! Simplement un petit cahier que le gardien s'est fait pour repérer certains noms qu'il a pu relever et sans garantie ou certification. Donc merci au gardien pour cette initiative personnelle. M. X aussi avait un cahier de noms et même un petit fichier informatique où il y a beaucoup d'erreurs.

     Cercueils regroupés dans des caveaux vides avec les noms !!! Au jour d'aujourd'hui, je mets au défi de trouver au minimum 150 noms inscrits sur cette dizaine de caveaux le long du mur d'enceinte .

     Non l'informateur ne ment pas. Je ne le connais même pas, et la déviation du cours d'eau est volontaire pour recommencer la même opération de destruction en provoquant un autre faux glissement de terrain. Cela a marché une fois, donc ils pensent qu'ils peuvent recommencer avec la bénédiction des Associations ou l'aveuglement du Consulat !!!!
    OUI le danger existe et il est très grand.
    M. X membre très actif d'In Mémoriam devrait éviter de cautionner tout cela en disant certaines contre-vérités. Pourquoi le fait-il ? La haine pour les Pieds-Noirs serait-elle si profonde ?
    En tout cas, à moi il me l'a fait ressentir et devant témoins.

     En diffusant la réponse de M.X et mes réponses aux lecteurs de la Seybouse et en enlèvant les noms des interlocuteurs, j'espère que cela incitera peut-être certains à s'engager dans une action commune car je ne suis pas et ne veux pas être le messie.


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LE MUTILE N° 192, 8 mai 1921

LA PREMIERE HIRONDELLE

        J'ai vu la première hirondelle
        Du gai printemps c'est le retour !
        Elle arrivait à tire d'ailes,
        La messagère des amours !

        J'ai vu la première hirondelle
        C'est l'annonce du renouveau,
        Dis moi, petite jouvencelle,
        D'où viens-tu cher petit oiseau !

        J'ai vu la première hirondelle
        Bientôt ses sœurs seront là-bas,
        En France, elles reverront celle
        Que j'aimerai jusqu'au trépas !

LE RETOUR DE L'HIRONDELLE

        J'attends ma petite hirondelle,
        A qui je parlai l'an dernier...
        Où peut-être être et que fait-elle ?
        Pour sembler ainsi m'oublier ?

        J'attends ma petite hirondelle,
        Comme elle tarde à revenir...
        Que l'attente est longue et cruelle...
        Va-t-elle encore se souvenir ?

        Enfin ! Voilà mon hirondelle,
        Je la voie volant dans les cieux,
        A son vieux nid toujours fidèle,
        Elle s'en va d'un air joyeux !

" L. LARDINOIS 8/04/1921 ".              
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CONTE EN SABIR
Par Kaddour

LI CORBEAU Y LI ROSSIGNOL
[FABLE IMITÉE DE LA FONTAINE]

             On corbeau, grand volor, canaille, saloperi !
             Qui mangi li zoizeau, li cailles, ii bardri,
             Son mangi to c'qui a, dans le bled ousqui riste
             Li zomme y son fachi, li zenfant y son triste.
             Quisqui cit one village, qui n'a pas di mousique
             Di zoizeau, Qui n'a rian,
             Qui çoui là qui son fir li mostique, li djelbaun ! (1)
             On matin cit corbeau, y trappe on rossignol ;
             Ci loui là y son por, y fir pas son mariol,
             Y plore, y loui di :
             - " Lisse moi mon zami
             Rigarde comm'ji soui migre … Barc' qui tojor ji chante !
             Acoute, j'ti diras, one bil zestoire
             Nicolas, Sojéfine ; le père la Victoire. "
             (Qui répond li corbeau), " cit gens ji conni pas "
             " Ah ! Ma moi, j'connis bian ;
             Sojéfine cit one femme, la Victoire on Sultan,
             Acoute, mon zami, acoute cit chanson
             Tot li monde y ma dit, qui son trovi tri bon. "
             Li corbeau gran malin, dit " J'en a la coliq ;
             
             Quis qui cit, mon ami, ji soui crivi la faim,
             Quand ji vo bor mangi, ti vo fir la mousique ?"
             Ji fir bor li soltan. - Quand li soltan viendra
             Ti chante quis qui vodra
             Mime josqu'à domain !
             Ma, moi bisoin ji mange. Toi, on autre, cit pareille. "


MORALE

             Li ventre qui yana fain, yana pas di zorille.

(1) Les mouches.
 

AVENIR DE L'EST
Extraits des chroniques
du Journal de Bône, Constantine, Guelma
Source BNF       
CLOAQUE

           Par la voie de votre honorable journal; je viens, monsieur le rédacteur, signaler ce qui de Droit; l'état de malpropreté dans lequel se trouve la place qui est située à. la partie sud du marcher arabe et faisant face au Café du Palmier, côte de la rue Gambetta.
           Cette place, principalement quand il pleut, n'est plus qu'un véritable cloaque d'eau boueuse, dégageant une odeur nauséabonde par suite du va et vient des individus qui fréquentent cette place - et quels individus - et de jets d'eaux sales ayant servi aux gargotiers de l'endroit à laver leur vaisselle et leur poisson (des chats et chiens de mer qu'ils traînent à l'aide d'une corde, depuis la poissonnerie).
           Quand il fait beau, c'est une autre histoire on voit, ici, accroupis sur des nattes crasseuses, des kabyles, pour la plupart qui n'ont pas crainte de laisser voir leurs formes aux .petites fillettes, même aux grandes, qui viennent acheter des dattes, oranges ou autres fruits. Plus loin, c'en est d'autres qui se font raser les cheveux; répandant de cette façon à terre, toute la progéniture qu'ils possèdent. Plus loin encore, on volt le tébib en train de poser des ventouses à ses coreligionnaires.
           Et dire que depuis le 1er janvier, jusqu'à la Saint. Sylvestre, ceci se passe sous l'œil plus que bienveillant de dame police, sans que cette dernière veuille y mettre le holà.
           Je vous demande donc, monsieur le rédacteur, si vous pensez comme moi :
      1) Que le Service de la Voirie fasse jeter deux ou trois tombereaux de caillasse et de gravier sur la place dont il est question plus haut pour sauvegarder la salubrité publique.
      2) Que le Service de la Police, chargé de protéger nos jeunes contre les spectacles immoraux de la rue, se montre, à l'avenir, d'une sévérité à toute épreuve envers les délinquants qui contreviendraient aux arrêtés municipaux.
           F. G.

EMBELLISSEMENTS

           Le Zéramna, sous le titre : Embellissements, raconte comment on s'y prend, à Philippeville, pour transporter un arbre d'un endroit à un autre.
           Ce petit entrefilet, qui met en .relief, une fois de plus, les beautés de l'ad-mi-nis-tra-tion, mérite d'être reproduit.
           " Le palmier qui s'élevait au milieu du faubourg vient d'être arraché pour être transplanté à côté du théâtre. Ses racines iront chercher de la fraîcheur et pomper de la sève contre l'urinoir situé à deux mètres de lui.
           L'opération ne s'est pas effectuée sans peine. Un Ingénieur des Ponts et Chaussées, un conducteur, un agent voyer, un délégué de la commune, le chef jardinier, un entrepreneur, deux surveillants de travaux, dirigeaient quatre terrassiers auxquels ils donnaient chacun les indications savantes et les plus variées.
           L'addition, en chiffres ronds, se monte à cinq cents francs.
           Il faut payer pour être belle... "

?o?-?o?-?o?-?o?



  LA CAROUBE :                        
LES BALS - LES JEUX  

par M. Charles Ciantar


Bal à la Paillote


L’orchestre de la Paillote, Marcel Tarento,
Lucien Balestrière, Draguasti


Photo Annie Camilleri
de G à D 2ème, Marcel Tarento Clarinette, Batteur Draguatsi, Accordéon Lucien Balestrière, Jules Fournier, José Bonnett


Boum devant le cabanon Ciantar
A gauche avec le bébé (André) René Dibatista, Annie Méloni et Paul Ciantar, A.Marie Albanèze, Adeline Paloqui.

Il faut avoir aussi une pensée à Roger Curmi, qui avec son accordéon faisait danser toute la jeunesse de la Caroube et leurs amis sous la tonnelle de la chapelle de Saint Michel.
Sous cette tonnelle se trouve la chapelle de St-Michel Patron de la Caroube. Chaque dimanche,
Une messe y était célébrée pendant les trois mois d’été.


Photos de la tonnelle, au fond le cabanon Dibatista avec deux personnes à la porte

LES JEUX


Les maillonades

Mano Zammit, avec le bonnet Blanc, essaye d’enfoncer sous l’eau Wanda Forté. A droite de face Jean Claude Stella, de dos les têtes, J José Jardino et J C Monticelli
C’était une pratique assez courante. Les plus grands pourchassaient, à la nage, les plus petits. Et parfois s’amusaient à enlever les maillots de bain. Il fallait alors attendre une âme Charitable pour nous porter un autre maillot de préférence ou une serviette. Sans cela on ne pouvait plus aller sur le sable et regagner notre cabanon.
Il y avait les parties de belote. Le foot sur le sable, le volley, la natation, les jeux dans l’eau sur des chambres à air de camion, celles de la Sté Ciantar et Xiberras étaient très prisées, car elles étaient très grandes et avaient beaucoup de rustines. Elles provenaient des roues de cars ou de camions. A quatre ou cinq dessus on essayait de ne pas se faire renverser.
La pétanque en soirée. Parfois le samedi soir, chaque famille recevait des camarades avec qui nous faisions des parties de délivrance, que nous appelions « Alpaou », sur tout le périmètre de la caroube. Les deux équipes faisaient des prisonniers que l’on pouvait délivrer en les touchant. La partie se terminait vers 23 h.

LES PLONGEONS


Du Bateau de Pompéani libraire et éditeur.
Son magasin était sous les arcades à côté de la Mairie

Photo envoyée par M. Kamel d'Annaba.net.free.fr
Photo envoyée par M. Kamel http://annaba.net.free.fr/html/caroube5.htm

A LA GROTTE

Il y avait trois paliers pour plonger de la grotte.
Le troisième était le plus difficile car il n’était pas en face du chenal.
Les spécialistes de ce niveau étaient Mano Zammit et J.José Jardino qui sautaient à la « Goumba » du niveau trois.

à la goumba

de tête Charles Ciantar


Roland Camilleri


Charles Ciantar

les jeux


Photo JC Stella
Forte François Jacky Pétroni sur Mr Stella Vincent, Nesci Yves, Paloqui Adeline, Forte Xavier, Stella J. Jacques.


Photo JC Stella
Forte Xavier, Pani Claude, Mr Stella, Jacky Pétroni et Forte François


Photo
De G à D : JC Zammit, Mano Zammit,
Gérard Stella, Jean Bernard Pétroni

La Pétanque


Jean Jacques STELLA, Photo J. C Stella


DE G à D: Mr Ferrari, J. Jacques Stella,


Photos J.C Stella
Les mêmes avec en plus à droite Fernand Pétroni
Jacky Pétroni, Pierre Dibatista, Mr Stella Vincent


J. Jacques Stella, Photo J C Stella

Le fortin avec la piste de danse pour la fête de la St Michel. Elle servait aussi de plateau de Gym.
En effet pendant un certain temps, le matin de très bonne heure vers 6 h, Jacky Pétroni prenait
Tous les gamins volontaires pour faire les mouvements après l’échauffement. Ensuite nous allions nous baigner soit à la grotte, soit sur la plage.

L’OCB


L’EQUIPE DE FOOT DE LA CAROUBE


ciantar.charles@wanadoo.fr


THÉÂTRE
Envoyé par Mme Colette Lévy


L’HOMME QUI AIMAIT
LES FEMMES



Cette petite pièce satirique est purement imaginaire… Elle met en scène un homme politique d’âge mur et coquin qui n’hésitait pas à aborder courtoisement des jeunes femmes dans les endroits les plus divers .., en leur demandant de l’appeler à son Cabinet. Vous souriez ! Comme je vous comprends ! Alors sourions tous ensemble !

Cette pièce comporte trois actes : La rencontre – La concurrence – La déclaration.
Les comédiens sont au nombre de 4 : Francis (le sexagénaire) – Françoise -Juliette - et Julien (le Pieds-Noirs).
La scène se passe à la terrasse d’une brasserie parisienne par un beau matin de mai….

ACTE  I : LA RENCONTRE  (entre Francis - Françoise et les autres ….)

Francis : « Bonjour, charmante demoiselle pouvez-vous me dire l’heure s’il vous plait ? « 

Françoise : « Ah ! Bonjour Monsieur, exactement midi pile »

Francis : « Permettez-moi cette question : vous venez souvent vous attabler à cette  Brasserie, comment vous appelez-vous charmante demoiselle ? »

Françoise : « Je m’appelle Françoise, mais je viens assez souvent à cette Brasserie « l’Excelsior », d’autant que j’attends mon ami Julien »

Francis : « Moi c’est Francis et je vous aurais bien invitée au restaurant, ce soir, ainsi donnez-moi votre n° de portable et je vous appellerai … c’est promis ! Et tout comme vous d’ailleurs, j’attends une amie Juliette, une jolie  brunette aux yeux de braise.  »

ACTE II – LA CONCURRENCE

Françoise : « En fait je n’ai pas de portable ! Mais que fait Julien, toujours en retard ! Ce beau brun ! »

Francis : « L’on ne vous a jamais dit que vous étiez drôlement charmante avec vos beaux cheveux blonds ondulés et votre regard bleuté ! »

Françoise : « Mais vous me charmez et que dois-je comprendre ? Vous aimez les femmes, je crois ! »

Francis : « C’est bien vrai je sais reconnaître ce qui est beau ! »

Françoise : « Ah ! Ce Julien est toujours en retard mais il est tellement sympathique ce Pieds-Noirs »

Francis : « Je peux en dire autant de Juliette, une fille bien sympa. Et bien plus jeune, car en fait, je n’aime que les jeunes ! Allez savoir pourquoi ? »

Françoise : « C’est bien ce que je pense, vous êtes un drôle de numéro ! »

Francis : « Ah ! Je vous l’accorde ! Mais je le sais ! Un très bon numéro d’ailleurs ! » 

Entre temps, Julien arrive et gare sa vespa à l’angle de la Brasserie …

ACTE III – LA DECLARATION

Francis, évidemment se moque de Julien ….

Francis : « Ah ! C’est ça ce Julien ? Ce tchapakan, ac la vespa ! Il te fait le charme et depuis quand oualou ! »

Françoise : « Mon dieu que vous êtes drôle, non seulement vous êtes jaloux ! Mais vous parlez pataouète ! »

Francis : « Ah ! J’ai oublié de vous dire que mon beau-frère est Pieds-Noirs ! »

Françoise : « Tiens donc, je commence à mieux comprendre ! »

Francis : « Mais je reconnais qu’il est beau et jeune c’est vrai.. maiscela ne me fait pas peur ! »

Françoise : « C’est vrai que vous n’êtes pas mal pour votre âge… , vous ne paraissez pas avoir Francis : 6O ans ! »

Francis : « Mais enfin ! L’on est toujours jeune quand on aime !!! »

Julien : « Bonjour, bonjour, alors la zize comment ça va ? Zotch ! Tu fréquentes les vieux maintenant ! »

Françoise : « Ne faites pas attention Francis, il est d’un naturel vous savez, il me plait tel qu’il est ! »

Francis : « Ravi de vous connaître mais je constate que vous êtes un peu jaloux ? Comment est-ce possible ? »

Julien : « Vous me comprenez  bien entention ! Quand je rencontre une fille et qu’elle est déjà en compagnie, de loin ma parole ! Je croyais que vous étiez son père ! »

Francis : « Soyez rassuré à présent, car j’attends également une jeune amie Juliette que j’ai rencontrée l’autre soir, dans une librairie de Saint-Germain des Près ! D’ailleurs elle arriveJuliette ! »

Juliette : « Bonjour tout le monde ! Quelle surprise je croyais te trouver tout seul cher Francis ! »

Francis : « Ah ! Mais parfois des circonstances font que … alors je te présente mes nouveaux amis »

Juliette : « Ils sont bien charmants tes nouveaux jeunes amis ! Mais nous attendons encore quelqu’un peut-être ? »

Francis : « Ah ! Tu me fais penser que je dois appeler Josette, tu sais la jolie fille que j’ai rencontrée l’autre fois sur les Quai de la Seine, près des bouquinistes  … »

Juliette : « Ah ! Non mais tu ne vas pas me dire que tu vas l’inviter elle aussi ? » 

Julien : « Zotch ! Et pourquoi pas ? Elle est comment cette Josette ? »

Francis : « C'est-à-dire que Josette, est une beauté brune des îles ….elle vient de la Martinique, et j’adore sa cambrure.. Et son accent exotique !»

Françoise : « Mais regarde-le celui-là, avec Francis ils font vraiment la paire ! »

Julien : « Fais entention ! Françoise comment tu me parles, car tu sais que je n’ai qu’une parole ! Parole d’honneur » 

Juliette : « Alors, Francis tu l’appelles ou quoi ta Josette « chaloupée »

Françoise : « Dis-moi Julien, ça veut dire quoi au juste - je n’ai qu’une parole ? Parole d’honneur »

Julien : « Alors tu veux vraiment un dessin, fais pas tant de necks devant tes copains … car quand nous sommes seuls toi et moi ? Tu roucoules si bien, tu ondules si bien, que tu connais mes sentiments  ! »

Francis : « Ah ! Si vous parlez alors de sentiments … il va falloir s’expliquer ! »

Juliette : « Au fait, c’est vrai que penser d’un homme comme toi qui me courtises voilà près de 6 mois déjà ! »

Francis : «   Ah ! Je reconnais que tu es ma préférée Juliette « 

Juliette : « Mais je suis ta préférée pour quoi exactement ? »

Francis : «  Alors, tu veux la vérité ! Je dois reconnaître que j’ai des sentiments pour toi ! »

Julien : «  Entre nous, voilà comment on disait chez moi « j’ai un gros paquet d’estime pour toi ! »

Françoise : « Dis donc l’ami  très cher, ne deviens pas … ou plutôt garde …ou bien ne dis plus rien ! »

Julien : « Comment ça ! Puisque tu veux la vérité vraie, je te la dis : « je t’aime sincèrement Françoise »

Françoise : « Ah ! Enfin les mots pour le dire que notre amour est sincère … »

Francis : « Bon ! Si nous allions déjeuner à présent, je vous invite tous pour célébrer la joie de nous connaître »

Françoise : « Dites--moi Francis, répondez ou réponds au moins à ton portable ? » 

Francis : «  Ah ! Michelle… comment vas-tu depuis le temps ! Toujours célibataire ? Moi je suis fiancé avec une charmante Parisienne « Juliette » que je te présenterai, si tu le veux, à notre prochaine rencontre.. allez ! Bye »

Juliette : « Tu crois qu’un jour tu seras capable de changer ? Toi ! Les astres nous le diront ! »

Et, tousnos amis se lèvent et se dirigent vers le restaurant d’en face « LaPotinière ».

F I N

Avec toute mon amitié bônoise Colette LEVY.

 Http://www.amisdebone.com


   Réflexion d'un algérien
de souche nommé "BYLOU"    
Envoyé par Gilles

50 ans sont passés et où en est-on ?


          Je n’ai pas eu le plaisir ou le déplaisir de vivre la période coloniale ou l’Algérie était française, française de par ces gens qui sont venus faire de ce pays, le plus beau du monde !!!!

          Il aurait pu l’être sans les calculs de politiques pourris qui ont obéit à un phénomène de mode : la décolonisation !

          Il est vrai que les soldats français n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère mais les arabes voulaient défendre cette terre …
          Mais au fait, ces arabes, qu’ont-ils fait contre les Turcs ?
          Ahhh c’étaient des musulmans, ils avaient le droit de nous entuber !!!!
          Quelle hypocrisie !!!

          Il est vrai qu’il y avait deux communautés dans ce pays, pardon trois ( j’ai oublié les juifs qui étaient là bien avant tout le monde ) et qui vivaient en parfaite harmonie.

          Rien ne distinguait le juif de l’arabe si ce n’est la prière.

          Depuis tout gosse on m’a bassiné l’esprit avec les idéologies indépendantistes, nos héros étaient les plus beaux, les plus forts etc … mais …. mais … mais …

          J’aurai voulu connaitre la version des PN, pas des français ou des algériens mais celle des PN !!!!!

          Eux aussi ont perdu leur identité, ils n’étaient pas français, ils étaient aussi algériens que moi, ils ont vécu ici, ils sont morts ici, ils ont bossé ici, ils ont fait ce pays et quoi qu’en disent nos dirigeants actuels, ce sont eux qui ont fait l’Algérie !!!!
          Indépendance !!!!!

          Oui je suis fier d’être indépendant mais ces PN, quelqu’un leur a-t-il demandé leur avis ?

          Qui sont les chiens qui les ont mis dehors ?

          Qui les ont assassinés pour leur voler leurs biens et qui aujourd’hui se vantent d’habiter tel ou tel quartier, telle ou telle maison volée, oui du vol !!!l

          Le PN a sué pour bâtir sa maison et qu’on arrête de nous faire croire que tous les PN étaient de riches colons et que tous les arabes étaient à leur service !!!!!

          Mes parents étaient fonctionnaires d’un état et n’ont jamais été au service de quiconque !!!!

          A l’indépendance, des gueux ont envahi les villes, ils se terraient comme des rats et attendaient de tomber sur de pauvres PN sans défense pour les assassiner et les voler !!!
          Ah que c’est courageux !!!!

          Abattre un couple d’enseignants qui venait inculquer des rudiments de scolarité à des petits arabes dans je ne sais quel coin perdu du bled : un acte révolutionnaire !!!!!!!!

          De la lâcheté plutôt !!!!!

          Certes, des arabes sont tombés au champ d’honneur, les armes à la main mais à ce jour ils doivent de retourner dans leurs tombes, ils ont donné leur vie pour que ce pays tombe entre d’autres mains mais ceci est une autre histoire !

          Je voudrai que les gars de ma génération ne voient plus les PN comme des envahisseurs mais comme des gens qui ne demandaient qu’à travailler pour bien vivre !

          Je parle de ces PN chassés par Bonaparte et qui ont été débarqués en Algérie sans rien en poche,

          Ils ont bossé pour manger, il y avait de tout, des artisans, des fermiers, des gens normaux et on leur a dit : c’est votre pays !!!!!

          Certes l’armée française et ses paras et ses héros avait un sale boulot à faire et elle l’a fait, et entre elle et le FLN c’était un cercle vicieux…mais combien de PN étaient dans l’armée française, et finalement, elle défendait son pays !!!!! tout comme nous dans les années 90, on a combattu les barbus islamistes qui pourtant étaient chez eux !!!!

          L’Algérie ne s’est jamais relevée d’avoir injustement chassé les PN, à ce jour on dit encore : "ya hasrah ki kanet frança !!!!!!!!"

          Alors arrêtons et regrettons, pas moi mais mes ascendants, d’avoir chassé hors de chez eux des PN, non pas des français mais des algériens peut être plus algériens que je ne le suis !

          Une indépendance négociée politiquement aurait pu exister mais c’était sans compter avec les egypchiens (oui je sais il n’y a pas de H) et les syriens et leur désir de nation arabe.
          Qu’ont fait les arabes à ce jour ?

          Plusieurs politiciens ont proposé cette solution mais on les a taxés de traitres !!!!

          On aurait pu faire comme en Afrique du sud, oppresseur et oppressé, main dans la main pour construire et bâtir une puissance mais non, on a préféré se démerder tout seul et voilà le résultat !
          Une pensée pour les harkis :

          J’ai tellement entendu de choses, j’ai tellement vu de films……sur les harkis que je ne pense pas qu’ils méritent ce que les algériens leur ont fait en 1962 mais pire, ce que l’état français leur a fait !

          Ils ont choisi leur camp avant 1962 mais c’était quoi leur camp ?
          Ils étaient français non ?

          Jusqu’en 62 nous étions tous français (je suis né avant 62), ils combattaient ceux qu’on appelait à l’époque «des rebelles», ils défendaient ce qu’ils croyaient être «leur patrie», il est vrai que beaucoup d’entre eux faisaient leur travail avec beaucoup de zèle mais bon, nos «combattants» étaient logés à la même enseigne.

          On leur reproche d’avoir travaillé avec la France !!!!!!

          Alors pourquoi ce désir ardent d’avoir la nationalité française de nos jours ?

          Pourquoi ces queues de supplications auprès de l’ambassade de France ?

          Pourquoi profiter d’un visa touristique pour prendre racine dans ce pays que vous détestez soit disant ? Aaaaaaaaaaah vous aimez la France ?
          Comme eux.
          Vous voulez être français ?
          Comme eux.
          Bref vous voulez être harkis !!!!!!!!!!

          Notre cher président les a traités de collabos !!!!!!

          Quel grand et gros mot venant de sa bouche, lui qui n’a jamais tiré une balle contre un militaire français !!

          Personnellement, ils ne m’ont rien fait ces harkis…le seul membre de ma famille décédé durant les événements a été tué par le grand FLN, c’est vous dire ..

          Beaucoup de harkis se sont engagés parce qu’ils crevaient de faim ….
          Tout simplement !

          La France les a eu, elle les a abandonnés sans armes à la horde sauvage, cette horde composée de musulmans …

          En islam on dit : el moussamah karim ce qui veut dire : celui qui pardonne est préféré auprès de Dieu ;

          Les pieds noirs et les harkis sont les pauvres victimes de politicards dépassés.
          Au lieu de chasser ces pauvres gens (oui je dis bien "pauvres"), mes ascendants auraient mieux fait de pardonner et tourner la page et se tourner vers un avenir qui s’annonçait radieux ….

          Mais non, on préfère leur refuser le visa pour venir chez eux et pendant ce temps là, on continue d’envahir la France avec des visas touristiques.

          Respectez ces gens qui n’ont fait que servir leur patrie comme vous l’avez fait face aux islamistes qui étaient aussi algériens que vous !
          Décidément les idées avancent chez quelques uns …

          Même si ce n'est qu'un signe marginal ça méritait d'être souligné et c'est réconfortant !

 

FILM « LE RAVIN ROUGE »
Tiré du livre d’ANNE CAZAL

Ravin rouge le film



COMMUNIQUE STRICTEMENT PERSONNEL D’ANNE CAZAL

Chers compatriotes, chers amis,

        Une association vient d’être créée… Une de plus, direz-vous… Alors, non, je vous rassure : pour vous, à cause de la confiance que vous m’avez témoignée, je me suis personnellement investie dans cette association qui n’a qu’une seule mission, des plus honorables, et qui s’autodétruira après l’avoir accomplie. C’est en cela qu’elle est différente, éphémère, émouvante, inimitable, et cependant lourde de tous les espoirs que vous avez exprimés de voir un jour, sur les écrans, projeter, à travers le film RAVIN ROUGE, cette Histoire que vous avez vécue et qui n’a cessé de vous hanter, de vous fasciner, de vous tarauder comme un fer rouge dans une plaie ouverte…

        Propriétaire des droits moraux et de reproduction de mon ouvrage, je prends l’engagement de veiller consciencieusement et scrupuleusement à ce que les fonds réunis par la collecte ne soient utilisés que pour l’objet pour lequel vous les avez versés : l’élaboration d’un scénario qui proclamera la vérité sur notre Histoire, scénario sur lequel j’ai déjà commencé à travailler, avec des professionnels.


        Cette Histoire, la vôtre, celle du paradis dont on vous a chassés, celle d’Alger, cette ville que nous avons bâtie comme un théâtre antique autour d’une scène où se produit à longueur d’année une mer turquoise enrichie de fragiles nuances d’améthyste, celle du vent, qui, chez nous, brode continuellement, les vagues en lourds écrins d’écume, celle des printemps qui explosent en une seule nuit embaumant l’air des parfums d’herbes séchées au vent du Sud, celle des couchers de soleil incandescents allumant au creux des vagues des scories de métal en feu, celle de la tiédeur sensuelle des soirs d’été, des parfums de figue, de raisin, d’orange, tous ces décors enfouis en vous, tout juste assez précis pour laisser place au rêve, cette Histoire, encore palpitante, encore déchirante, qui vous obsède toujours, j’ai essayé de vous la rendre, il y a quelques années, en écrivant Le ravin rouge, une chronique romancée, à travers des personnages et des faits dans lesquels vous vous êtes tous reconnus…

        Notre illustre compatriote, Albert Camus, a écrit :« La tâche d’un chroniqueur est de dire : « ceci est arrivé » lorsqu’il sait que cela est véritablement arrivé et que cela a intéressé la vie de tout un peuple. Il se trouvera alors des milliers de témoins qui estimeront, dans leur cœur la vérité de ce qu’il a dit… ». Et, peu de temps après la parution de cet ouvrage, c’est bien ce miracle que j’ai constaté, et qui a motivé mon engagement total pour le rétablissement de la vérité historique, votre vérité, notre vérité !

        Car, chers témoins, vous avez magnifiquement témoigné en faveur de ce livre… J’ai conservé pieusement vos milliers de lettres… Après l’avoir lu, vous vous êtes levés pour confirmer à qui voulait l’entendre que ce chroniqueur là, à travers ses personnages à la fois emblématiques et réels, brisait le mur de la désinformation et clamait, criait, hurlait la vérité !

        Parmi les premiers commentaires reçus, je garde, comme une relique, celui du Général Jouhaud, notre Général, qui écrivait :« Toutes les joies et toutes les douleurs exprimées dans cet ouvrage ont été ressenties dans mon vécu. Si un jour cette saga était portée à l’écran, peut-être serions-nous, enfin, compris… ».

        Porter cet ouvrage à l’écran me paraissait un rêve inaccessible dans ce pays qui a pris le mensonge pour raison d’Etat. Joseph Hattab-Pacha, lui, y croyait… Et le temps, cette éternelle complainte qui défie les joies ou les peines des hommes, a passé… De petites satisfactions, en trop rares victoires, l’équipe de VERITAS a avancé, unie et solidaire, sur le chemin tracé sans jamais en dévier jusqu’à ce que la Dame à la faux nous enlève notre mentor, puis, surmontant avec peine cette douloureuse épreuve, en continuant, encore aujourd’hui, à mettre nos pas dans les siens

        De temps en temps, au comble de l’exaspération, devant les déviances de certains historiens, ou hommes d’Etat, je leur offrais un exemplaire de ce livre, vite rejeté comme une fiction… Combien m’ont répondu ? Combien m’ont dit avoir été émus par nos malheurs ? Deux hommes d’Etat et un historien…
        Là-bas, de l’autre côté de la mer, tout s’est inversé : les villes que nous avions fondées se sont délabrées, les vergers sont redevenus marécages et les champs de blé sont redevenus paysages de pierre, là-bas, la mutation du monde s’élabore actuellement sur des champs de ruines, tandis qu’ici, dans ce pays où la mémoire des hommes continue de se déliter dans le marasme ambiant, grâce à la ténacité et au courage de Michel Ximénès, cousin de Joseph Hattab-Pacha – bon sang ne saurait mentir – j’ai eu la joie d’apprendre que la mise en images de notre tragédie n’était pas un rêve irréalisable.

        Trois courageux pionniers se sont lancés dans cette grande aventure… Pour riposter à une fiction cinématographique qui écorche dangereusement la réalité des faits – je ne citerai que les films « Indigènes » et «hors la loi » – ces trois mécènes ont mené, dans la ferveur, le projet de pouvoir exprimer par l’image, et à travers les personnages du RAVIN ROUGE, la tragédie de tout un peuple, ceci, en montrant simplement, comme dans l’ouvrage, ce qui était authentique dans nos épreuves, sans haine, sans crainte, sans esprit revendicatif, dans le plus strict apolitisme et sans aucun favoritisme…

        Une collecte a été organisée par nos trois fondateurs, avec l’aide d’une association mémorielle existante, et, grâce à l’unité de tous nos groupements, toutes nos associations, toutes nos amicales, et nombre de nos compatriotes, que je ne remercierai jamais assez de leur aide, le même miracle s’est reproduit…

        Par centaines, voire par milliers peut-être, retrouvant notre union sacrée pour ce projet, vous avez répondu, et vous continuez à répondre, à l’appel que je vous ai lancé… Vous avez recommencé à m’écrire et vous m’avez, à nouveau, revigorée, enthousiasmée et bouleversée…

        Quel autre mot pourrait traduire l’intensité de l’émotion qui s’est emparée de moi à la lecture de vos lettres, lesquelles recommencent à m’arriver, chaque jour, comme une source d’eau fraîche, désaltérante pour l’assoiffée de morale, de justice et de vérité que je suis…

        Car, mes frères d’infortune, mes compatriotes, ma famille de cœur, vous non plus n’avez rien oublié, et vous l’avez prouvé en participant généreusement à la collecte engagée par nos trois amis, allant même, selon l’organisme collecteur, bien qu’il ne nous ait pas encore transmis vos dons, au-delà de toutes nos espérances…

        L’écriture de cet ouvrage est un jeu avec l’Histoire. Les personnages en renforcent la trame mais, impuissants, ils sont emportés dans une tourmente destructrice qui annihile tout sur son passage » avait indiqué un article de presse… Mais qu’est-ce que l’Histoire ? Seulement la chronique des entreprises humaines, et pour ceux qui cessent d’entreprendre et se contentent de subir, il n’y a plus d’Histoire possible, il n’y a plus qu’un chantier de décombres au milieu duquel gisent ensemble, fracassées, tout ce qui avait le plus d’importance pour nous : les notions de solidarité, de patriotisme, de civisme et de fraternité…

        Voilà pourquoi, pour vous, pour notre mémoire commune, nous avons recommencé à entreprendre, et notre entreprise, cette nouvelle association, RAVIN ROUGE LE FILM est née. Voilà pourquoi, aussi, à la demande des trois initiateurs de ce projet, j’ai accepté d’en prendre la présidence, avec, à mes côtés, M. Pierre Descaves que vous connaissez tous pour son passé et ses qualités… Je ressens son aide et son soutien comme un honneur, et nous sommes dix, maintenant, qui œuvrons déjà, avec l’aide de professionnels compétents, pour élaborer un scénario puissant, émouvant, bouleversant qui sera la réserve d’or de notre communauté.


Car, vous le savez bien, l’argent n’a de valeur que tant qu’une réserve d’or, entassée dans les coffres d’une banque, lui sert de symbole. Notre réserve d’or à nous, ce sera ce scénario, pour lequel nous avons tous cotisé, et nous avons commencé à réaliser avec l’aide des meilleurs, ce scénario dont nous ne confierons la production qu’au meilleur car ne négligeons pas la puissance de l’image : C’est un film, à travers une fiction, « Autant en emporte le vent… », remarquablement bien réalisé, avec référence à l’Histoire, qui a rendu aux sudistes américains l’estime de leurs concitoyens.

        Merci de m’avoir fait confiance et soyez assurés que je me battrais encore de toutes mes forces pour faire connaître à tous la vérité sur la tragédie que nous avons vécue.

        Je veux, et vous le voulez avec moi, je le sais, que la France cesse de nous considérer comme des schismatiques alors que nous sommes des victimes… La vérité, notre vérité, est infiniment et manifestement plus belle, plus noble et plus humaine que toutes les fabulations de nos contempteurs. Le jour où, à travers les personnages du RAVIN ROUGE, cette vérité sera projetée sur les écrans, ceux qui nous diffament, aujourd’hui, en seront incontestablement ébranlés, et finiront par s’y rallier…

        Alors viendra, pour l’association RAVIN ROUGE LE FILM, le temps de se dissoudre dans la satisfaction du devoir accompli parce que NOUS AURONS, ENFIN, ETE COMPRIS !

QUE DIEU NOUS AIDE !

                                                                                                                          Anne CAZAL

Aujourd’hui, vous n’avez plus qu’un seul interlocuteur qui vous informera
Au fur et à mesure de l’avancement du projet, il vous renseignera,
et continuera à recevoir vos lettres et vos dons.

Ravin rouge le film !

Siège social : Résidence Le Grand Large Caravelle 1
7 de la plage
06800 CAGNES SUR MER

CEUX QUI N’ONT PAS ENCORE LU,
OU QUI SOUHAITERAIENT RELIRE LE RAVIN ROUGE,
Peuvent le commander à Anne CAZAL – B.P. 28 – 31620 FRONTON
Dédicacé sur demande, au prix de 26 € port compris

 

HISTOIRE DES ÉTABLISSEMENTS
ET DU COMMERCE FRANÇAIS
DANS L'AFRIQUE BARBARESQUE
                                    (1560-1793)                                   (N°6)

(Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc)
PAR Paul MASSON (1903)
Professeur d'Histoire et de Géographie économique
à l'université D'Aix-Marseille.

DEUXIÈME PARTIE
(1635-1690) LE COMMERCE FRANÇAIS ET
LES GUERRES CONTRE LES BARBARESQUES

CHAPITRE IV
LES COMPAGNIES DU BASTION
ET DU CAP NÈGRE (1633-1670)

            Quels qu'aient été les efforts de Richelieu et de ses auxiliaires, Guise, Sanson Napollon, Razilly, pour donner de la solidité aux établissements et au commerce français en Barbarie, il fallut attendre plus d'un demi-siècle encore avant qu'on pût en recueillir les fruits.
            Pendant cette période, nos relations avec les Barbaresques, le plus souvent hostiles, passèrent par une série de heurts, de changements inattendus, qu'il faut attribuer autant au manque de suite de la politique française qu'à la turbulence de ses adversaires. L'esprit des croisades avait paru se réveiller sous Louis XIII ; Savary de Brèves et le P. Joseph ne furent que les représentants les plus connus de cette nouvelle tendance. Pendant tout le XVIIème siècle, les faiseurs de projets ne cessèrent de prêcher la guerre contre le Turc. Ce n'était pas surtout le zèle religieux qui les inspirait. Les progrès de la décadence de la puissance turque frappaient de plus en plus les regards ; il fallait abandonner une alliance inutile, car notre commerce n'était plus privilégié dans le Levant, et prendre une part active à la destruction des ennemis du nom chrétien pour pouvoir revendiquer une part de leurs dépouilles. Quant aux Barbaresques, on se pénétra peu à peu de l'idée qu'il était impossible d'entretenir avec eux des relations pacifiques et que le commerce de la Méditerranée n'aurait jamais de tranquillité, tant qu'on ne les aurait pas détruits ou réduits à l'impuissance.
            C'était voir juste, mais cette politique nouvelle ne fut malheureusement jamais poursuivie avec vigueur. A l'époque de Richelieu et de Mazarin, la marine française étant insuffisante et occupée d'ailleurs contre les Espagnols, ses démonstrations contre les Algériens ne pouvaient que les irriter, sans leur faire beaucoup de mal. Plus tard, Colbert et Seignelay disposèrent d'une marine puissante ; ils purent songer à détruire les repaires des corsaires ; mais les nécessités de la politique de Louis XIV ne leur permirent pas de consacrer à une entreprise, plus difficile qu'ils ne l'imaginaient, assez d'argent, ni de forces, ni de temps. Ainsi, jusqu'en 1690, les démonstrations navales alternèrent avec les négociations. Ne pouvant pas ruiner la puissance des corsaires, on ne sut pas se décider à vivre en paix avec eux.

            De leur côté, les Barbaresques étaient alors à l'apogée de leur puissance ; ils possédaient la marine la plus formidable de la Méditerranée.
            Les reïs, ou Capitaines corsaires, maîtres du gouvernement à Alger, à Tunis, à Tripoli, à Salé, à Tétouan, qu'ils faisaient vivre par leurs prises, étaient peu disposés à observer les traités signés avec les puissances chrétiennes. Il leur était même matériellement impossible de les maintenir tous, puisque c'eût été décréter leur propre ruine. Il fallait donc éviter autant que possible de leur fournir des prétextes de rupture. La sagesse consistait à observer soi-même scrupuleusement les traités, à ne pas se montrer trop exigeant au sujet des violations inévitables commises par les corsaires, à assurer le maintien des traités par des démonstrations navales qui leur imposaient, flattaient leur amour-propre, et leur apportaient des cadeaux qu'ils appréciaient par dessus tout. Les croisières, les bombardements, le mauvais vouloir évident des ministres du roi à leur égard, les irritèrent sans cesse sans les effrayer et exposèrent les Français à leurs coups, plus souvent que les Anglais ou les Hollandais. Ainsi, pendant soixante ans, les compagnies et les marchands français vécurent dans l'insécurité et subirent continuellement le contrecoup des ruptures de paix ou des brouilles entre la France et les Barbaresques.

            En 1633, les Génois essayèrent de profiter du désarroi causé par la disparition subite de Sanson Napollon. Le 11 juin, les Tunisiens prirent une galère de Gênes, chargée de 300 soldats, qui avait ordre d'aller prendre et brûler le Bastion. Il ne semble pas que les établissements français aient été menacés d'autres attaques, mais la mort du capitaine eut des conséquences funestes pour eux. Son influence personnelle était si grande que la colonie française, qu'il avait portée jusqu'à 800 habitants, n'en comprenait plus que 400, un an après sa mort. Lui disparu, les relations se gâtèrent, en effet, aussitôt entre la France et les Algériens. Le traité de 1628 n'était observé, ni d'un côté, ni de l'autre et Napollon avait préparé un échange d'esclaves pour lequel le P. Dan, de la Trinité, devait se rendre en Barbarie. Dès que la nouvelle de la mort du capitaine fut connue, le roi a fit incontinent subroger à cette commission le sieur Sanson Lepage, premier héraut d'armes de France, du titre de Bourgogne, homme qui savait également bien et la langue et les affaires de Turquie ". Sanson Lepage n'était pas seulement chargé de négocier un échange d'esclaves, mais aussi de remplacer Napollon à la tête du Bastion (1).

            Par cette nomination, le cardinal avait tenu à affirmer de nouveau la souveraineté du roi sur le Bastion, en présence des prétentions des agents du duc de Guise et des héritiers de Sanson Napollon. Treize jours seulement après la mort de celui-ci, Gazille, son parent, qui avait " toujours eu l'administration générale de tout le négoce du Bastion ", écrivait à l'évêque de Saint-Malo que le marquis de Regusse, gendre de Napollon, l'envoyait au Bastion " pour le conserver à S. M. ". Il annonçait qu'il s'embarquait le lendemain même, 24 mai. Gazille et Regusse étaient d'ailleurs complètement d'accord avec les gens du duc de Guise. Ils s'entendirent avec ceux-ci pour envoyer à la Cour un sieur de Bermond, chargé de " supplier S. E. de vouloir commettre la continuation du gouvernement du Bastion aux héritiers de Sanson ; c'était une chose très juste, puisqu'il avait employé avec la vie tout ce qu'il avait de vaillant au monde pour sa construction. " De Bermond devait donc solliciter des lettres patentes au nom de Gazille pour la charge de capitaine. Mais la décision du cardinal fut vite prise ; dès le mois de juillet, il faisait expédier par Bouthillier des lettres à Gazille et à Jacques Massey, dit Santos, agent du Bastion à Alger, pour leur annoncer la nomination de Sanson Lepage et leur ordonner de lui obéir.

            Les gens du duc de Guise, n'ayant pas réussi à faire nommer un gouverneur qui fût leur homme, cherchèrent, du moins, à rester les maîtres du commerce des Concessions. Par un acte passé par devant notaire, à Marseille, le 18 novembre 1833, Pierre du Gay, secrétaire du duc, en vertu d'une procuration spéciale, constitua " Claude Luguet, marchand bourgeois de la ville de Marseille, procureur général desdits sieurs duc et duchesse de Guyse, pour l'intendance et direction des affaires dudit Bastion et du négoce d'icelui (2). "

            Cependant, des conseillers hardis ne se faisaient pas faute de pousser le cardinal à profiter de l'occasion pour enlever même les bénéfices du négoce à Guise et aux Marseillais qu'il employait pour l'exploiter. L'un d'eux, dans un mémoire du 29 décembre 1633, indiquait la procédure à employer :

            " Ce qui est à faire maintenant à tout cela pour le service du roi et de Mgr le Cardinal, c'est mettre le négoce en sa puissance… L'un et l'autre est facile, pourvu que celui qui aura la charge de cette affaire soit un homme à S. E. par inclination ou par intérêt… de bon esprit... pour donner ici de bons avis et modestes, pour n'effaroucher point les Marseillais de delà, qui appartiennent à ceux qui sont à Marseille intéressés en ce trafic, et adroit et avisé, pour s'insinuer en leurs esprits et les disposer doucement à reconnaître qu'ils trouveront leur avantage avec Mgr, aussi bien et mieux qu'ils ne l'ont avec ceux qui les emploient…
            Il faut d'abord qu'il s'établisse bien avec les Turcs… Étant bien établi avec les Turcs et sûr de ce côté, ce qui sera dans peu de mois, lors il peut parler d'entrer avec eux en part du négoce du Bastion et autres places du royaume d'Alger, puis s'y étant établi le faire seul.

            Pour cette année, il se faut contenter d'y entrer en part ; la raison est que la moisson est déjà faite de delà; les blés pour la plupart portés au Bastion et partant au compte de l'ancienne compagnie et payés de ses deniers, en quoi on ne peut entrer en part avec justice.

            Mais il y a à acheter des cires et des cuirs, en quoi celui qu'on enverra peut, s'il a de l'argent, entrer en la part qu'il voudra, mais, à mon avis, le plus doucement et le plus avec leur consentement qu'il pourra commencer sera le meilleur. L'année prochaine, il pourra prendre tout le négoce du blé, s'il a de l'argent pour l'acheter, en quoi il n'y a point de risques car on le vient quérir de Marseille à plus de 100 pour cent de profit, ou vous lui envoyez avec plus de gain encore. Pour le corail, après qu'il se sera assuré de ceux qui y travaillent, leur ayant fait connaître qu'ils ne perdent rien au change de maître, il pourra en peu de temps les faire travailler pour lui comme ils faisaient pour la compagnie.
            Que si, dès cette heure, il veut à son arrivée prendre tout le négoce à sa main et en chasser les autres, je crains que ce ne soit ajouter un grand trouble à celui qui y est déjà par la mort de Napollon, donner sujet à quelques méchants d'avertir les Turcs du dessein qu'on a pour l'avenir. "

            Dans ces derniers mots, l'auteur du Mémoire faisait allusion aux projets de conquête, en vue desquels le cardinal attachait surtout du prix au Bastion, et il les rappelait plus loin : " Pour les places, qui est ce qui importe le plus et peut un jour être de plus de gloire là S. E., importante au service du roi et avantageuse à la religion, il faut, faisant bâtir des logements ou magasins, tirer des murailles en ligne de fortification. Pour tout cela, il faut beaucoup de flegme et de prudence que les Provençaux n'ont pas ordinairement, et de la fidélité, laquelle est bien rare entre eux. " (3)
            Le cardinal ne voulut pas ou ne put pas suivre les conseils qu'on lui donnait, et la Compagnie marseillaise au service du duc de Guise (4) resta en possession du commerce des établissements français.
            La mission de Sanson Lepage, nouveau capitaine du Bastion, est, d'ailleurs, fort mal connue. Il s'embarqua pour Alger, accompagné du P. Dan, le 12 juillet 1634 ; il échoua dans sa négociation pour la rédemption des esclaves et, après avoir visité le Bastion et les autres établissements français, il était de retour à Marseille le 9 octobre. On le perd complètement de vue pendant les années suivantes et on ne connaît pas davantage ce qui se passa dans les Concessions.

            Cependant les hostilités avaient recommencé entre les Français et les Algériens. Richelieu avait résolu d'intimider les corsaires en organisant contre eux des croisières. La Gazette de France, qui naissait alors, signalait les exploits des capitaines français. En 1637, le cardinal crut pouvoir essayer une nouvelle négociation. Sourdis, qui commandait l'escadre française dans la Méditerranée, reçut pour instructions d'envoyer à Alger quelques-uns de ses bâtiments pour appuyer Sanson Lepage, chargé d'aller faire un nouveau traité. Mais les Algériens étaient irrités par les croisières, les menées de l'agent du Bastion à Alger, Jacques Masser, dit Saut, contribuèrent à entretenir leurs mauvaises dispositions. Si l'on en croyait la correspondance du consul Piou, c'est à lui seul qu'il faudrait attribuer l'échec de Sanson Lepage et la catastrophe qui en résulta. Sanson Lepage était à peine arrivé en rade d'Alger, que Piou lui écrivait, le 27 novembre : " Ce billet en particulier sera pour vous donner avis que, par les menées du sieur Saut, j'ai été empêché d'aller à bord... Vous recevrez pour avis d'être réservé avec le sieur Saut, car je vous donne parole qu'il fait ce qu'il peut pour empêcher vos bons desseins et répète partout et publiquement qu'il n'est pas raisonnable que les Turcs donnent les Français sans argent. " " Le public veut la paix avec la France, ajoutait-il le 6 décembre, il n'y en a que quelques-uns qui sont intéressés et poussés par cet homme de bien qui résistent. ". Ces accusations sont malheureusement confirmées par l'un des officiers des bâtiments du Roi, le chevalier du Parc Martel. Il écrivait à Sourdis, en janvier 1638, que les Algériens auraient fait la paix " si ce n'eût été un perfide et déloyal qui porte l'habit de chrétien, mais son âme est tout à fait turque, appelé Saut, qui est celui qui faisait les affaires du Bastion, qui s'opposa méchamment par des brigues…, si bien qu'il leur persuada, et par présents qu'il fit, que l'on ne devait leur donner d'otages pour M.Sanson " (5).

            Ainsi, au milieu des conjonctures les plus graves, les rivalités entre les résidents d'Alger et la compagnie du Bastion persistaient plus vives que jamais. En flattant les Algériens et en empêchant la paix, l'ancien lieutenant de Sanson Napollon comptait sans doute mieux assurer à sa compagnie le monopole du commerce de la Régence.
            Mais ce fut, au contraire, pour elle et pour lui que ses intrigues eurent des conséquences funestes. Le 27 novembre, Sanson avait fait parvenir au pacha les demandes du roi ; le 29, aucune réponse n'étant arrivée et le temps devenant mauvais, M. de Mantin, commandant des vaisseaux du Roi qui l'accompagnaient, quitta la rade d'Alger en arborant la bannière rouge, signal de guerre. L'irritation des Algériens fut portée à son comble en apprenant qu'au moment même où il venait pour négocier, M. de Chasteluz, officier du vice-amiral de Mantin, avait pris deux de leurs bâtiments chargés de blé, dont l'un appartenait à Ali Bitchnin, le capitaine général des galères (6). Dans le premier moment d'effervescence, le Divan résolut de se venger en détruisant de nouveau le Bastion.

            Dans leurs explosions de colère, les Algériens ne manquaient pas d'énumérer tous leurs griefs, et il est curieux de voir qu'ils invoquèrent alors, comme l'un des principaux, l'exportation clandestine des blés par la Compagnie. C'est ce qu'ils exposèrent au Consul, mandé devant le divan, pour justifier l'exécution qu'ils méditaient.
            " Après un gros conflit, écrivait Piou à Marseille, ils me demandèrent si, quand ils avaient donné le Bastion aux Français, c'était pour sortir le blé ou le corail. Je me défendis là-dessus que je n'étais ici pour le Bastion et qu'il y avait un homme particulier pour cela... Et l'ayant fait venir, lui firent la même proposition ; mais ne sachant que répondre, la rumeur fut grande et courûmes fortune lui et moi d'être brûlés ".

            Le divan décida donc (8 décembre 1637) que la paix était rompue, que les Établissements français seraient détruits et ne pourraient jamais être reconstruits, " que le premier qui en parlerait perdrait la vie ". Ali Bitchnin fut chargé d'exécuter la sentence et partit " avec toutes les galères et quelques vaisseaux ". Le 13 décembre, il aborda au Bastion sans avoir fait connaître la mission dont il était chargé. Le gouverneur le reçut sans défiance, ignorant ce qui s'était passé à Alger ; il n'eût pu d'ailleurs opposer de résistance. Aussitôt Bitchnin s'empara des marchandises et des habitants, enleva les portes et les fenêtres du Bastion, et, après avoir pillé et ruiné les petits forts de la Calle et du cap de Rose, ramena à Alger 317 esclaves, dont les uns furent vendus et les autres répartis sur les galères. Les Français d'Alger et le Consul ne furent pas extraordinairement fâchés de la catastrophe.
            Celui-ci concluait ainsi philosophiquement le récit qu'il adressait à Marseille : " Et voilà en quoi sont aujourd'hui les affaires en ce pays ; que, s'il n'y avait que le Bastion qui en pâtisse ce serait peu de chose ; car leur agent, qui est ici, a fait tout ce qu'il a pu pour empêcher que M. Sanson, au nom du roi, ne fit point de paix avec cette milice. Il a cru de bien faire, mais tout le mal leur tombe dessus (7) ". D'après le P. Dan, les Algériens, en s'emparant du Bastion, n'auraient pas simplement obéi à leur ressentiment : ils redoutaient un retour de l'escadre française sur leurs côtes pour l'année suivante et ils voulurent lui enlever une base de ravitaillement. Bien qu'aucun document n'en fasse mention, il est certain que l'établissement du Cap Nègre fut abandonné par les Français, sinon détruit par les Tunisiens, à la même époque. Une lettre de 1640 nous apprend que ceux-ci y avaient pris et fait esclaves le patron Honoré Turrel et ses gens, au nombre d'une vingtaine.

            Ce nouveau désastre ne découragea ni les associés de la Compagnie du Bastion, ni le duc de Guise. L'un d'eux, de Cocquiel, dans la lettre même où il annonçait au duc la catastrophe, lui parlait de son espoir de pouvoir redresser le Bastion si les vaisseaux du roi venaient devant Alger. " Ce qu'étant, ajoutait-il, il sera nécessaire que V. G. s'emploie pour qu'elle en demeure toujours le maître, pour se rembourser des sommes qu'elle y a avancées et fait avancer ".
            Les gros bénéfices réalisés faisaient oublier les risques courus. Il y a abondance de blé, écrivait encore Cocquiel, " on serait promptement restauré de la perte soufferte ". Guise lui répondit de faire diligence pour obtenir la restitution de ce qui avait été pris, en même temps qu'il lui envoyait des lettres pour les Puissances, mais celles-ci ne voulaient pas permettre le rétablissement du Bastion sans qu'on signât un nouveau traité de paix (8).

            Les difficultés de la guerre de Trente ans, et la présence de la flotte espagnole sur nos côtes, ne permirent pas à Richelieu de tirer vengeance des Algériens. Heureusement que l'année 1638 fut doublement funeste pour ceux-ci, et que des événements inattendus les firent bientôt repentir de leur précipitation. D'un côté, les Vénitiens firent subir un véritable désastre à la flotte barbaresque, unie à celle du sultan, dans le port de la Velone (Avlona). En même temps, une formidable insurrection des tribus orientales de la régence éclata, en partie à cause de la destruction du bastion. En chassant les Français, on avait ruiné le commerce de ces tribus qui, contrairement aux Algériens, avaient toujours été favorables aux établissements des compagnies marseillaises. Le chef des Hanencha, Khaled ben Ali, suzerain de toute la région où se trouvaient le Bastion et ses dépendances, ne consentit, en 1639, à faire sa soumission qu'à condition que les Concessions françaises seraient rétablies, parce que c'était grâce à la vente avantageuse de leurs denrées qu'ils pouvaient payer la lezma due au divan. Du reste, les Algériens eux-mêmes avaient perdu, à la destruction du Bastion, la ressource précieuse des 16,000 doubles qui leur étaient dus en vertu de la convention de 1628. Ainsi, sans aucun effort de la part de la France, leurs dispositions étaient redevenues pacifiques dès le milieu de 1638.

            Cocquiel insistait sur les facilités d'une négociation dans sa lettre au duc de Guise, du 22 septembre : " V. G. a donné avis que les vaisseaux du roi doivent venir ici en bref et que Mer le comte d'Arcour, qui commande l'armée, devait venir en personne... Si lesdits vaisseaux viennent, Mgr le comte fera ce qu'il voudra, l'on lui rendra les chrétiens et rétablira le Bastion et fera une paix à des conditions aussi honorables qu'il se puisse faire ; tout dépend que l'armée vienne, qu'en tel cas V. G. aura tout consentement et le Bastion sera rétabli bien plus ferme qu'il n'a jamais été : j'y emploierai tous mes soins, le négoce sera promptement en son premier état et l'on tirera d'abord grand bénéfice. V. G. doit savoir ce qui rend maintenant ce peuple plus doux, c'est la perte de leurs galères et la guerre que leur font encore les Mores, qui sont partout rebelles et particulièrement Morad bey qui est à Constantine ".

            Mais les vaisseaux du roi ne vinrent pas, et, malgré les dispositions toujours favorables manifestées par les Algériens, aucune négociation ne fut engagée. Les rivalités très vives entre ceux qui convoitaient la propriété et la jouissance du Bastion durent contribuer à en retarder l'ouverture. Luguet, le chef de la compagnie formée par le duc de Guise, étant mort en 1639, Sanson Lepage crut pouvoir profiter de la circonstance pour en constituer une nouvelle. Lorsqu'il avait été question d'envoyer d'Harcourt à Alger, Sanson avait voulu " mener au voyage... le sieur Francisque et le sieur Lebar pour les mettre audit Bastion si on traitait une paix. "

            Cocquiel et le fils de Luguet avaient traversé ses desseins en allant trouver M. de Chavigny, qui leur avait promis la préférence. Cocquiel écrivait de Lyon, à ce sujet, au duc de Guise, le 7 septembre 1639 ; " S'il ne va point d'armée en Alger, le sieur Sanson ne saurait rien faire et je pourrai, ayant la permission dudit seigneur de Chavigny faire puis l'affaire en y allant seulement avec une barque, puisque tous les amis que nous avons en Alger me marquent que j'y aille et que l'on rétablira le Bastion. V. G. m'obligera de me faire écrire si elle aura agréable que je continue cette poursuite que je ne fais que pour son service et pour, dans l'affaire, trouver partie des remboursements de ce que M. Luguet y a avancé et pour quoi nous lui avons prêté l'argent. M. Picquet m'écrit de Marseille qu'il a envoyé à V. G. copie de la lettre que ceux d'Alger écrivent de nouveau au roi, par laquelle il verra toujours leur bonne volonté. Il sera bon que V. G. fasse aussi écrire au sieur Santo de traverser ceux qui voudront traiter de ladite affaire, qui ne seront de sa part et qu'il croie ce que moi et le fils de M. Luguet lui écriront... "

            Sans perdre de temps, après s'être assuré des appuis à la Cour, Cocquiel vint à Marseille où Sanson Lepage " avait traité avec beaucoup de personnes pour dresser une compagnie... et cherchait à vendre la peau de l'ours avant que de la tenir. " Il fut assez habile pour le faire renoncer à son projet et même pour le gagner, si bien que, moyennant une somme d'argent, Lepage promit de faire donner à Cocquiel, Luguet et à leurs associés, des ordres du roi pour rétablir le Bastion. D'ailleurs, Cocquiel était sur ses gardes : " Si ledit Sanson, écrivait-il à Mme de Guise, le 18 octobre 1639, ne fait ce qu'il faut, j'ai mis l'affaire en état que nous la ferons sans lui. "

            En effet, peu après, l'ancienne compagnie reçut l'autorisation d'entamer de nouvelles négociations et Bouthillier envoya à Cocquiel des instructions précises à ce sujet. Celui-ci annonçait bientôt au duc de Guise le succès complet de sa mission : " Je me suis donné l'honneur d'écrire à V. G., de Marseille, que le roi m'avait honoré de la commission de traiter ici la paix, délivrance des chrétiens et rétablissement du Bastion... J'ai, avec l'aide de Dieu, en partie réussi...
            Je pars avec les gens du Bastion pour retourner faire notre établissement qui est aux mêmes conditions que ci-devant, et la paix que j'ai traitée est aussi plus avantageuse que n'avait fait feu M. Sanson Napollon, puisque ces gens ont consenti de rendre premiers des esclaves), et que tous les Turcs, pris sur les galères d'Espagne et de Gènes, restent... V. G. sait très bien que toutes les négociations de ce pays ne se font pas sans grandes dépenses, nous les avons néanmoins ménagées le mieux qu'il n été possible, en quoi la diligence et crédit de M. Santo et M Rua a servi beaucoup. Nous n'avons maintenant besoin que de quelques bonnes années de négoce pour se redresser de cela. "

            Cocquiel était, en effet, parvenu à signer, le 7 juillet 1640, un nouveau traité de paix en seize articles, ainsi qu'une convention en 23 articles pour le rétablissement du Bastion (9). Elle confirmait, dans ses grandes lignes, celle de 1628 ; il faut cependant y relever quelques articles qui la modifiaient ou la précisaient.

            " Ledit Cocquiel nous paiera, tant pour la ferme des terres qu'il possèdera que pour lesdits négoces du Cole et Bône, la somme de 34.000 doubles (10) chaque année, savoir 24.000 doubles ès mains du hacha pour la paie des soldats et 10.000 doubles au trésor de la Casbah.
            " Lui sera permis de bâtir auxdites places de bastion Massacarès et cap Roze pour se défendre des galères d'Espagne et des frégates de Sardaigne, Majorque et Minorque, et pour pouvoir défendre les navires des musulmans, se retirant dans lesdits ports pour le mauvais temps ou pour des ennemis, comme aussi pour se défendre contre les Maures rebelles.

            " Lui sera permis de bâtir ou louer aux lieux de Bône et du Cole, maison, magasin, four et moulin pour loger ses gens, pour y négocier et retirer les coraux que ses gens pêcheront et autres choses.

            " Ne seront ses agents, ni ses mariniers des barques et bateaux, obligés à prendre du pain, de la nabe du Cole ni du bazar bachi, et le feront eux-mêmes dans leur four, sans que personne les y puisse empêcher et pourront prendre toutes sortes de vivres et rafraîchissements pour leur nécessité de même que les habitués de la ville et au même prix, sans que l'on puisse faire monopole sur eux.

            " Et d'autant que dans les ports de Bône et du Cole quelques uns s'émancipent sous prétexte de porter en Alger, de vendre des cires, laines et cuirs, aux patrons des barques et brigantins de Tunis, Gerbins et autres, qui se portent au contraire à Tabarque ou à Tunis, ou même audit Alger, où ils les vendent dans le port aux vaisseaux livournais, seront faites très expresses défenses à toutes sortes de personnes de faire semblable négoce....

            " Ne sera permis à aucune personne de la nabe de Bône et du Cole, ni autre marchand, de faire aucun desdits négoces, ni moins le faire sous le nom d'autres.

            " Et d'autant que, tant à Bône qu'au Cole, l'on avait, du temps de M. Sanson, introduit beaucoup de nouvelles coutumes, il est fait expresses défenses de ne prendre autre chose que ce que l'on avait accoutumé donner du temps que les Anglais avaient les échelles (11) et ne paiera aussi les droits des marchandises au Caïd que comme on faisait audit temps des Anglais.

            " Ne pourra être contraint par le Caïd ni l'anube de prendre des truchements pour faire son négoce, n'en ayant point de besoin.

            " Quand le Bastion aura besoin de prendre dans lesdites échelles de Bône et du Cole des cargaisons, olives, huile, fromage, beurre et autres vivres, ne leur pourra être refusé en payant, aussi ayant besoin des biscuits en nécessité leur sera donné en payant jusque que la nécessité sera passée.

            " Arrivant différends entre les François et nous et que cela causât rupture de notre part, n'en seront lesdits du Bastion en aucune façon responsables et tous ceux qui parleront de rompre ledit Bastion seront obligés de payer les 34.000 doubles tous les ans, qui se paient tant au bacha qu'au trésor de la Casbah, afin que la paie des soldats n'en reçoive aucun intérêt. "
            La convention de 1640 parait, au premier abord, moins favorable parce qu'elle exigeait une redevance plus forte que celle de 1628 ; en réalité elle témoignait d'un grand désir de conciliation de la part des Algériens. Les précautions y étaient accumulées pour éviter aux Français les avanies et, par le dernier article, le divan avait voulu se prémunir lui-même contre le danger d'un moment d'emportement. Il faut remarquer que le commerce des grains restait toujours interdit et, même, les fournitures de biscuit ne pouvaient être faites aux Français qu'en cas de nécessité et qu'autant que la nécessité durerait. La convention de 1640 faisait aussi, pour la première fois, une distinction très nette entre le Bastion, la Calle, et cap Roze, terres mises en possession de de Cocquiel, où il pourrait élever des fortifications, et les ports de Bône et de Collo, dont il obtenait seulement le commerce exclusif et où il ne devrait avoir que des logements et magasins.

            De Cocquiel, eu signant la paix, promit au nom du roi la délivrance de 36 Turcs esclaves à Toulon et de 20 autres qui étaient sur les galères. Grâce à une confiance qui n'était pas dans les habitudes des Algériens et qui témoigne de leur empressement, il reçut immédiatement les Français qui avaient été pris dans les Concessions, en 1637, et s'en alla avec eux les réoccuper (12). Mais il avait outrepassé ses instructions en n'attendant pas la ratification du traité et de la convention qu'il venait de signer. Or, Richelieu ne trouva pas tous les articles du traité à son gré et les envoya avec ses annotations (13) à Sourdis, charges de terminer la négociation. Le duc de Guise venait de mourir à Florence en 1640. Son fils, Henri de Lorraine, ennemi déclaré de Richelieu, se jeta dans le parti du comte de Soissons et allait être bientôt condamné à mort par contumace en 1641 (14). Ces circonstances ne furent sans doute pas étrangères à l'attitude du cardinal qui désirait ne pas laisser le Bastion entre les mains d'un de ses adversaires. Sourdis, trop occupé par les opérations navales contre les Espagnols, délégua ses pouvoirs à son lieutenant, le vice-amiral de Montigny, qui devait agir de concert avec de Cocquiel. Mais de Montigny, envoyé à Alger à la fin, d'octobre, ne put rien conclure avant l'arrivée de la mauvaise saison. Pendant ce temps, Luguet demandait qu'on remit entre ses mains les 36 Turcs dont son associé, de Cocquiel, avait promis la délivrance. Richelieu craignit, en désavouant celui-ci, de provoquer une nouvelle rupture et s'en remit à Sourdis du soin d'étudier, à Marseille, même la situation et de prendre une décision.

            Dans une conférence tenue en présence du cardinal, à Lyon, le 26 avril 1641, " il fut résolu tout d'une voix que le roi ne pouvait avec sûreté ni honneur ratifier le traité fait par le sieur Cocquiel " ; mais, par pitié pour les Français qu'il avait laissés en otage à Alger, et pour ceux qu'il avait emmenés au Bastion, Sourdis décida de donner satisfaction aux Algériens, " afin de pouvoir donner le temps audit Cocquiel de faire ses efforts pour faire le traité général conforme à la dignité de S. M. "

            " Si ceux d'Alger ne veulent en sortir à l'amiable, avait écrit Richelieu, il faut se résoudre dans l'été qui vient de leur faire faire de force. " Cependant M. de Montmeillan, que Sourdis envoya à Alger, ne fit rien et il semble qu'en définitive Richelieu finit par ratifier tels quels les traités faits par de Cocquiel (15).

            Les mêmes agents avaient été chargés de négocier à Tunis en même temps qu'à Alger. Entre autres réclamations, ils devaient demander que les Français pussent s'établir de nouveau au cap Nègre.
            Dans les instructions remises à de Cocquiel, le 2 décembre 1639, il était dit que le dey Osta Morat était très bien disposé pour la paix, mais, dans le projet qu'il avait envoyé, il se rencontrait trois difficultés : " la troisième est que Morat dey ne parle point dans son projet de remettre au cap Nègre et autres lieux du royaume de Tunis les Français comme il y a eu ci-devant, pour rétablir le même commerce qu'ils y faisaient autrefois, de quoi il faut convenir, autrement cette paix ne serait pas fort fructueuse aux sujets du roi. " (16). Dans une lettre aux consuls de Marseille, Marc David, envoyé en mission par la ville, parlait aussi des bonnes dispositions du bey, qui avait invité l'ancien gouverneur du Bastion, Sanson Lepage, à le venir voir pour lui remettre des esclaves, peut-être de ceux qui avaient été pris au cap Nègre (17). Cocquiel occupé à Alger et au Bastion ne semble pas être allé à Tunis ; de Montigny devait passer droit à Tunis (18) avant d'aller à Alger dans l'automne de 1640 ; on ne sait ce qu'il y fit.

            Mais Richelieu ne perdait pas de vue le Cap Nègre, car les instructions que reçut M. de Montmeillan, en avril 1641, renfermaient ceci : " Le roi demande trois choses... la troisième, que le Cap Nègre soit remis entre les mains du roi comme il a été autrefois, afin d'avoir avec eux le commerce libre de blés, de chevaux, cires, cuirs, la pêche du corail et toutes autres marchandises (19) ". La mission de Montmeillan ne nous est pas mieux connue que les précédentes, mais elle n'aboutit à rien. Ces échecs répétés sont d'autant moins compréhensibles que les Marseillais se montraient alors très satisfaits des bonnes dispositions du dey Ahmed, successeur d'Osta Morat depuis 1640.
            Il est vrai que les Tunisiens, bien mieux disposés que les Algériens en faveur du commerce, furent toujours beaucoup moins portés à aliéner une portion de leur territoire. L'influence des marchands marseillais, considérable à Tunis, devait plutôt s'employer à les mettre en défiance contre une Compagnie qui leur aurait fait concurrence.

            Ainsi, malgré les négociations et les croisières. Richelieu mourut laissant compromise l'oeuvre de Sanson Napollon : la paix avec les Barbaresques était précaire et le Cap Nègre restait inoccupé. Mazarin ne put pas continuer les croisières et ne reprit pas les négociations.

            Cependant, tous les hommes qui avaient dirigé les affaires du Bastion avaient disparu, les uns après les autres. Avec Richelieu étaient tombés du pouvoir Bouthillier et Chavigny : le nouveau duc de Guise était rentré en grâce auprès de la régente Anne d'Autriche, en 1643, mais il n'était demeuré en France que jusqu'en 1644. Parti pour Rome, puis préoccupé par son expédition de Naples où il fut fait prisonnier par les Espagnols, il ne devait revenir qu'en l654. Enfin, de Cocquiel, qui commandait au Bastion depuis 1640, mourut probablement en 1643. Ce concours de circonstances encouragea Mathieu Picquet, l'un des anciens agents du duc de Guise et des principaux associés de la Compagnie, à s'affranchir de toutes obligations envers le duc et à garder pour lui les bénéfices du Bastion.

            Dans les intrigues compliquées ourdies par lui, on trouve la main du comte de Brienne, secrétaire d'État des affaires étrangères, qui avait dans son département les affaires du Levant et n'était guère scrupuleux pour chercher à retirer de sa charge toutes sortes de bénéfices (20). Picquet fit d'abord pourvoir de la charge de capitaine du Bastion le sieur de Chefdeville par lettres patentes du 8 décembre 1644. Bientôt, Chefdeville lui-même proposa à Brienne de céder sa charge à Picquet, moyennant une rente de 3000 livres que celui-ci s'engageait à lui payer. Picquet fut, en effet, nommé capitaine du Bastion et obtint même la survivance de la charge pour son fils (21).
            Déjà, en 1640, son frère Pierre, agent du Bastion à Alger, avait été choisi par le propriétaire, de Vias, pour gérer son consulat dans cette ville. Assuré de la protection du comte de Brienne qui était intéressé à ses entreprises, Picquet jouissait, en Barbarie, d'une situation exceptionnelle qu'il put transmettre à son fils à sa mort.

            Pour prévenir les revendications possibles de la famille de Guise, Brienne prétendit se substituer complètement à elle comme propriétaire du Bastion. En 1653, il passa un contrat avec l'arrière petit-fils de Thomas de Lenche, qui lui cédait tous ses droits de propriétaire moyennent 3.000 livres de rente, rachetables par la somme de 60.000 livres, payables quand bon lui semblerait, par l'acquéreur ou ses héritiers.
            Dans ce contrat, le sieur de Lenche n'oubliait pas celui qu'avait passé son père avec le défunt duc de Guise en 1619, mais il soutenait que le duc n'avait jamais rien payé du prix du bail et il cédait au comte de Brienne tout ce qui pouvait lui être dû par les héritiers du duc.

            Au milieu de toutes ces intrigues, les affaires du Bastion ne prospéraient pas. Les circonstances ne favorisèrent pas beaucoup la Compagnie, car les Algériens firent beaucoup de mal à notre commerce pendant cette période et, sans doute, ses transactions se ressentirent de leurs mauvaises dispositions. Cependant Colbert, alors au service de Mazarin, s'intéressait déjà aux entreprises maritimes. On a de lui une curieuse lettre adressée au cardinal, où il lui conseillait de prendre intérêt dans différentes entreprises maritimes. Son frère, " chargé d'examiner, sans se découvrir, tout ce qui pourrait être fait du côté du Levant ", avait conféré " avec tous les trafiquants de Marseille " et lui envoyait deux propositions, l'une au sujet du commerce du Levant, l'autre, " beaucoup meilleure, plus faisable et plus avantageuse, pour celui de la Barbarie.

            Le Bastion de France et terres qui en dépendent, disait Colbert, appartiennent en propre à un pauvre gentilhomme de Provence, nommé Alphonse de Lanches, seigneur de Moissac (22), qui a tous les titres et enseignements pour rendre son droit incontestable. Il a été dépossédé il y a quelques années et, à présent, le sieur Picquet, marchand de Lyon, jouit dudit Bastion, en vertu d'un simple brevet du roi qui lui a été donné par M. le comte de Brienne auquel on dit qu'il donne 4.000 livres de pension par an ; et comme elles sont très mal payées présentement, on pourrait se rendre maître dudit Bastion :

            Soit en faisant proposer la même pension au sieur de Brienne, sous le nom de quelque autre marchand que votre Éminence pourrait appuyer de sa recommandation, en donnant toutes les expéditions nécessaires, tant pour déposséder ledit Picquet, que pour entrer en jouissance paisible dudit Bastion ce qui serait très facile; Soit en traitant avec ledit de Moissac de son droit, ou pour prendre il ferme, ou de la propriété, et faisant ensuite mettre ses titres entre les mains d'un maître des requêtes et donner arrêt au conseil d'en haut pour la dépossession dudit Picquet ;

            Soit en demandant au roi ledit Bastion pour votre Éminence, sous son nom ou sous quelque autre, comme elle jugera pour le mieux ; à quoi il n'y a point de difficulté, puisque le roi est en possession de ce droit, Picquet jouissant en vertu de son brevet.

            Ayant la possession du Bastion par l'un de ces trois moyens, on établira une compagnie de deux personnes d'intelligence et de probité, l'une à Marseille, l'autre à Lyon, pour la réception et le débit de toutes les marchandises avec un fonds de 200.000 livres comptant. Le profit reviendrait au moins à 50 %, par an, comme on le fera voir par le mémoire des prix des marchandises sur les lieux, des frais et de la valeur d'icelles en France, qui sera envoyé à votre Éminence, au cas qu'elle agrée cette proposition. Votre Éminence pourrait entrer, ou sous son nom, ou sous le nom de mon frère, pour un tiers ou pour moitié. Outre la propriété du Bastion, il lui serait fait une pension assez considérable par la compagnie ; et comme ce trafic est fort limité, en quatre ou cinq ans de temps on pourrait être rembourse de son principal (23).

            Mazarin n'employa aucun des trois moyens que lui indiquait Colbert, sans trop de scrupule, pour déposséder Picquet, puisque celui-ci resta au Bastion, mais peut-être le cardinal prit-il intérêt dans la compagnie de celui-ci : il résulte d'un état de ses biens, dressé en 1658, qu'il perdait alors 600.000 livres pour avoir commandité diverses compagnies de commerce (24).

            Cette même année fut marquée pour les Concessions d'Afrique par une nouvelle catastrophe : le Bastion fut abandonné par le gouverneur Thomas Picquet, qui s'enfuit laissant un passif de 300.000 livres (25). Il est difficile de dire s'il fut plus malheureux que malhonnête.
            Un passage des mémoires de d'Arvieux, très au courant des affaires de Barbarie, semble plaider en sa faveur et rejeter la responsabilité sur son entourage : " Ce nouveau gouverneur, dit-il, n'ayant pas avec lui des gens assez fidèles pour seconder ses bonnes intentions et sa bonne conduite, ne demeura pas longtemps sans se trouver engagé dans de grandes dettes avec les habitants d'Alger dont il avait emprunté des sommes considérables pour son commerce, à change lunaire, de 2 et 3 %, par mois. Le dey le menaça de le faire maltraiter, ce qui l'obligea, à la fin, de s'embarquer avec sa garnison et tous les effets du Bastion et de se retirer en France ". (26)

            Mais Picquet, en se retirant, commit un acte inqualifiable. Sans se soucier des malheurs qu'il pouvait attirer sur nos résidents à Alger, il enleva 70 à 80 indigènes de la Calle et alla les vendre à Livourne pour les galères de Toscane.

            Picquet essaya d'expliquer sa conduite dans une lettre qu'il adressait de Livourne à la Chambre de Commerce, le 20 novembre 1838 :

            " L'ignorance ou la malice de quelques-uns pourrait bien avancer qu'en quittant le Bastion j'en ai emporté des richesses; mais il me sera toujours très aisé de faire paraître le contraire. Alors que la rupture du Bastion commença d'arriver, je fus tellement abandonné des barques qui étaient dans notre port de la Calle et même encore de toutes les personnes que j'avais dans le Bastion qu'il me fut impossible d'embarquer quoique ce fût, ni de l'artillerie de la place, ni des marchandises qui étaient dans les magasins.... On ne peut donc pas dire qu'il me reste du Bastion que 7 Turcs et 46 Mores.... Je ne me suis chargé de ces Turcs et de ces Moires que pour retirer 5 ou 6 chrétiens qui étaient à mon service en diverses échelles du royaume d'Alger.... et pour moyenner encore, si je le pouvais, le rétablissement du Bastion que je crois plus facile par cet accident que jamais il ne l'a été. Si j'ai vendu quelques-uns d'iceux, je ne l'ai fait que par nécessité, n'ayant pas eu d'ailleurs pour satisfaire aux grandes dépenses qu'il m'a fallu faire pour la subsistance de près de 250 personnes qu'il m'a longtemps fallu nourrir.

            Cette justification ne fut pas admise à Marseille ; après examen de sa conduite, la Chambre de Commerce, dans sa séance du 3 mars 1659, déclara que Picquet était seul coupable et responsable des malheurs survenus. Il parait cependant que Picquet put rentrer en France, et y vivre tranquille: il osa même ajouter à son nom celui de la Calle.

            L'inquiétude avait été pourtant très vive à Marseille; les hostilités venaient de reprendre plus vives avec les Algériens ; déjà, le chevalier de Clerville et le commandeur Paul préludaient par des reconnaissances sur la côte algérienne à l'expédition de Djidjelli. L'acte de Picquet pouvait amener de terribles représailles contre les Français, résidents à Alger. Le P. Barreau, consul, fut en effet mis en prison, mais il ne parait pas que le Bastion ait été détruit de nouveau (27). Saint Vincent de Paul s employa si bien à la Cour que les Arabes enlevés furent rachetés et rapatriés. Pour couvrir cette dépense, la Chambre de Commerce de Marseille dut voter une somme de 2000 piastres (28).

            Les Marseillais n'avaient été ni effrayés, ni découragés. Dès le début de 1650, une autre compagnie se formait et Louis XIV, pour faciliter son établissement au Bastion, écrivait au pacha d'Alger, Ibrahim : " Ayant pourvu de la charge de gouverneur et consul du Bastion de France en Barbarie le sieur Louis Campou, écuyer de notre ville de Marseille, pour rétablir cette place en son négoce, nous avons bien voulu vous écrire la présente, pour vous dire que vous nous ferez plaisir très agréable de le favoriser de votre autorité et protection (29) ". Cependant, le Marseillais Campou ne put pas profiter de son initiative, car le duc Henri de Guise se souvint alors de ses droits, ou plutôt profita de la fuite de Picquet pour les faire valoir. Il obtint deux arrêts du Conseil, du 21 et du 28 juillet 1659, le rétablissant dans la propriété du Bastion et choisit pour le représenter en Barbarie Jacques d'Heureux, commandant de la galère patronne (30).

            Malgré l'intervention du duc de Guise, le Bastion resta inoccupé en 1650. D'ailleurs, il semble bien que des influences hostiles, peut-être celle de Brienne, travaillaient en dessous à l'empêcher de profiter des arrêts rendus en sa faveur. Ce sont peut- être ces influences qui décidèrent Mazarin, en 1661, à envoyer à Alger Pierre de Romignac, un de ses gentilshommes. Romignac, chargé de ramener les Turcs et Maures, enlevés par Picquet, avait en outre une mission mal définie ; il devait négocier, sans compromettre le nom du roi, car on hésitait, dans le Conseil, pour savoir si l'on devait adopter vis-à-vis des Barbaresques une politique de paix ou de guerre. Romignac fut " accueilli avec toute la civilité et la courtoisie possible et après avoir été régalé durant 27 jours dans Alger " fut assez heureux pour signer avec les Puissances, le 9 février 1661, une nouvelle convention, relative au Bastion, en 26 articles dont quelques uns seulement sont à signaler pour leur nouveauté :

            " Toutes les dettes de Picquet et de ses devanciers seront entièrement amorties ou supprimées en sorte qu'on ne puisse jamais faire aucune demande, ni recherche pour quelque sujet et prétexte que ce soit.

            " Toutes sortes de personnes, de quelque nation que ce soit, qui seront au service dudit Bastion ou sur les vaisseaux et barques qui y iront et viendront, seront privilégiées comme les mêmes Français et ne pourront être faits esclaves attendu que l'on ne peut se passer de telles nations étrangères, tant pour la pêche du corail qu'autrement.

            " Et à cause que dans les échelles de Bonne l'on a introduit de nouvelles coutumes et dépenses. ... on réglera les dépenses, savoir la lisme du caïd qui est de 250 piastres par mois, moyennant quoi il n'en supportera point d'autre, ni grande, ni petite, pour quelque prétexte et occasion que ce soit, même on supprimera les prétentions des galères et de leurs officiers.

            " On réglera les lismes des Maures des environs du Bastion comme du temps de Sanson et quiconque contreviendra au présent article sera puni exemplairement et, pour cet effet, sera ordonné au bey (de Constantine) ou à tout autre commandant dans la terre de l'exécuter et faire valoir au besoin Sera défendu audit bey d'aller au Bastion ni lui ni les siens sans ordre de la douane et ce par écrit.

            " L'agent du Bastion ne pourra être obligé de donner au bey ou autre commandant dans la terre en cas qu'il vint au Bastion poudre, ni pain, biscuit, avoine, orge, ou autres munitions et provisions, tant de guerre que de bouche.

            " Ayant connu par expérience l'intégrité et les mérites du sieur de Romignac l'avons choisi et choisissons, lui avons donné et donnons par ces présentes signées de notre main et scellées du sceau de nos armes le gouvernement du Bastion de France et toutes ses dépendances pour en jouir à l'avenir lui et les siens ". (31)

            Cette convention était plus avantageuse que celle de 1640, car elle n'exigeait que la même redevance de 34.000 doubles d'or et la Compagnie était garantie contre les avanies par une série de nouveaux articles. Les autres reproduisaient textuellement les clauses de 1640, entre autres celle qui condamnait ceux qui parleraient de détruire le Bastion à payer les 34.000 doubles d'or.

            Mais l'acte de 1661 ne reçut aucun commencement d'exécution.
            Dans une note, rédigée sous l'inspiration de de Lionne et de Brienne, il était dit: " S. M. jugera s'il lui plait des intérêts que M. de Guise y peut avoir à cause de ses prétentions sur le Bastion de France et le sieur de Romignac exécutera de bonne foi tout ce qui lui sera ordonné à ce sujet. "

            L'auteur d'un mémoire de 1667, ancien commis principal du comte de Brienne, bien placé pour être informé, écrit que le traité de 661 ne fut pas approuvé parce que le roi avait d'autres desseins contre Alger (32). Sans doute que la politique de guerre à outrance contre les Barbaresques, suivie bientôt après par Colbert, avait prévalu dans le conseil.
            Cependant, une nouvelle compagnie avait été fondée à Marseille par les frères Michel et Roland Fréjus, neveux d'un ancien marchand d'Alger, qui allaient jouer un grand rôle les années suivantes dans les affaires de Barbarie. La compagnie obtint la permission d'entreprendre l'exploitation du Bastion et d'y envoyer Roland Fréjus, avec le titre de lieutenant, pour commander en l'absence de Jacques d'Heureux qui conservait la charge de " gouverneur capitaine et consul pour le roi auxdits lieux.

            Les droits du roi et du duc de Guise étaient donc à la fois réservés. Celui-ci, d'ailleurs, finit par s'entendre avec la nouvelle compagnie et fit avec elle un bail de dix-huit ans, par lequel il lui abandonnait la jouissance du Bastion, tandis que le roi, par lettres patentes du 12 mars 1663, reconnaissait cet accord et permettait à Michel et Roland Fréjus " de faire réparations… à leurs frais et dépens, même de rétablir, faire et continuer seuls privativement à tous autres le commerce et négoce… en la manière qu'il avait été fait par le passé par ceux qui en avaient eu le droit ".

            Malgré les démarches du consul d'Alger, le P. Dubourdieu, le divan refusa d'accueillir les nouveaux concessionnaires. On lui répondit même que ses fonctions étaient étrangères à cette affaire du Bastion et qu'il n'avait pas à s'en occuper. Pourtant, en mars 1664, le consul écrivait que les Turcs étaient disposés à traiter avec les représentants du duc de Guise.

            Cependant, au milieu des négociations, une autre compagnie rivale s'était formée et avait obtenu une nouvelle décision du roi en sa faveur. Les lettres patentes du 6 juillet 1664 accordèrent à Charles Pourcelet, sieur de Mosny, son représentant, la commission de " lieutenant au gouvernement, capitainerie et consulat du Bastion " donnée l'année précédente à Roland Fréjus. Le préambule arguait que, depuis la délivrance des lettres du 12 mars 1663, on n'avait " vu aucune exécution d'icelles ni le moindre progrès et avènement de la part de Fréjus (33) ; " c'était lui accorder bien peu de répit. En réalité, Roland Fréjus n'était pas resté inactif: il était encore en train de négocier à Alger en janvier 1664 (34). Il semble que la constitution de cette nouvelle compagnie était due à une influence hostile aux Guise. Le duc Henri venait en effet de mourir. en 1664, sans laisser de postérité.
            L'héritier de ses droits, Joseph-Louis de Lorraine, duc de Joyeuse son neveu, qui prit le nom de duc de Guise, était un enfant ; il ne restait pour soutenir les droits de la famille que la tutrice du jeune duc, sa tante Marie de Lorraine, connue sous le nom de Mademoiselle de Guise.

            Quelques mois après, cependant, les Fréjus prenaient leur revanche. ils venaient de constituer une autre société pour faire des établissements à Albouzème, sur la côte nord du Maroc et obtenu un privilège exclusif, à perpétuité, par arrêt du conseil du 4 novembre 1664 En 1065, il y eut fusion entre leurs associés des compagnies d'Albouzème et du Bastion; la nouvelle association, au capital de 300.000 livres, se proposait de monopoliser le commerce de tous les pays barbaresques depuis le détroit de Gibraltar, et un arrêt du conseil reconnut à la nouvelle compagnie d'Albouzème a les mêmes honneurs, pouvoirs, privilèges accordés aux compagnies des Indes (35). "

            Mais il était dit que cette nouvelle combinaison ne devait pas non plus réussir. De nouveau, pendant ces négociations, la politique de guerre vis-à-vis des barbaresques avait prévalu dans les conseils du roi. C'était l'époque des croisières du chevalier Paul, suivies bientôt de la malheureuse expédition de Djidjelli. Louis XIV résolut, en 1664, de s'emparer d'une position sur la côte d'Afrique. Ce projet avait été mûri par Mazarin ; il voulait suivre l'exemple de Ximenès s'emparant d'Oran et le chevalier de Clerville avait été chargé de reconnaître le littoral. Il fut successivement question de Stora, Bougie et Bône. Enfin, on se décida pour Djidjelli où les officiers de marine les plus distingués, entre autres Duquesne, pensaient qu'on pourrait, à peu de frais, établir un excellent port pour les bâtiments chargés de surveiller les corsaires et de leur faire une chasse continuelle (36).
            L'échec de l'expédition fit revenir Colbert à des idées pacifiques. La paix signée, le 17 mai 1666, par M. de Trubert, vint permettre enfin la réoccupation des Concessions (37).

            De même qu'en 1628 le Bastion avait été accordé par le Divan à Napollon en reconnaissance de ses services, ce fut pour avoir été mêlé aux négociations de la paix qu'un négociant de Marseille obtint du dey la faveur de le relever, s'il en faut croire d'Arvieux qui fut mêlé à tous ces évènements : " Le sieur Jacques Arnaud, de Gap en Dauphiné et établi à Marseille, s'étant trouvé dans ce temps-là à Alger travailla beaucoup à la conclusion de cette grande affaire (la paix). Il fit plusieurs voyages d'Alger en France pour ajuster des différends réciproques des deux nations et cela lui acquit l'estime de M. Colbert, qui lui trouva beaucoup d'esprit de pénétration et de droiture... Le dey voulut donner en cette occasion des preuves de reconnaissance au sieur Arnaud. Il lui permit en son nom de rétablir le commerce du Bastion et de ses dépendances et les murailles que les Maures avalent abattues après la fuite du sieur Piquet. Il fallait donc réparer tous les bâtiments et les murailles, il fallait pourvoir le fort d'artillerie, de munitions de guerre et de bouche, y mettre une garnison convenable et faire un fonds pour rétablir le commerce dans son ancien état. M. Arnaud n'était pas assez riche pour entreprendre seul ce grand établissement... Il obtint permission du dey de passer en France pour faire une compagnie et il l'eut bientôt faite (38). "

            Arnaud se trouva donc en concurrence avec les frères Fréjus. Il n'eut pas de peine à l'emporter et l'arrêt du conseil du 2 septembre 1666, en déboutant les Fréjus de leurs prétentions, concéda le privilège du Bastion à Arnaud et à ses associés, les anciens intéressés dans la compagnie de Pourcelet, rivale de celle des Fréjus. L'arrêt leur accordait, comme auparavant aux frères Fréjus, toutes les autorisations nécessaires pour transporter autant de soldats, matelots et mariniers, que bon leur semblerait et en même temps toutes les choses nécessaires à leur subsistance et entretien (39).

            Les nouveaux associés consolidèrent bientôt leur situation en faisant un accord avec la maison de Guise. " Le 27 novembre 1666, mademoiselle de Guise, en son nom et comme tutrice de M. le duc de Guise et de Joyeuse son neveu, fit un bail par devant notaire, dudit Bastion au nommé Barroye, sous le cautionnement de Christophe et François Maillet, Pierre Crouzat, Claude Mouvry et Jacques Arnault, pour 29 ans. " Enfin Arnaud garantit la tranquille jouissance des Concessions à la Compagnie en signant avec le divan d'Alger, le 24 octobre 1667, une nouvelle convention.

            Ce n'étaient plus des Marseillais qui avaient fourni le capital de la Compagnie de 1666, mais de riches partisans ; un revers de fortune les obligea de l'abandonner en 1668 ; cependant Arnaud réussit à la reconstituer. " Elle fut composée du sieur Jacques le Maçon de la Fontaine, contrôleur général des gabelles de France, du sieur Alexandre de Vasé, seigneur de Lalo, conseiller au Parlement de Grenoble, et du sieur Jacob de la Font, sieur de la Tour des Champs, de Lyon. Tous ces gens étaient sages et fort riches, mais tous trois de la religion prétendue réformée. Ils passèrent l'acte de société, en réglèrent les fonds et demeurèrent d'accord que le sieur Arnaud passerait au Bastion en qualité de gouverneur. Le sieur de la Font s'établit à Marseille en qualité de directeur pour la correspondance des affaires que le sieur Arnaud ferait au Bastion. M. de la Fontaine demeura à Paris aussi en qualité de directeur (40). " Un nouveau bail fut passé le 8 août 1668 par Mlle de Guise, avec Jacques Arnaud, pour le même délai de 29 ans, " aux conditions entre autres de payer 2.400 livres au gouverneur et à mademoiselle de Guise 3.000 livres, pour chacune des quatre premières années du bail et, pour les vingt-cinq autres, 6.000 livres par an, et de faire société avec personnes solvables qui s'obligeraient solidairement avec lui ". Le même jour, par un autre acte, Arnaud s'engagea à fournir au duc de Guise deux chevaux barbes par an.

            La nouvelle Compagnie ne se contenta pas des privilèges accordés aux précédentes et à Arnaud lui-même en 1666. Elle demanda que le monopole exclusif du commerce lui fût accordé dans toute la Barbarie, comme il avait été reconnu aux Fréjus en 1665 ; que toutes personnes pussent s'intéresser, sans déroger, à leur Compagnie ; que tous les intéressés jouissent du droit de bourgeoisie à Marseille ; que leurs bâtiments fussent exempts de l'impôt du cottimo payé à Marseille par tous les bâtiments français qui revenaient du Levant ou de la Barbarie.

            Mais, à ce moment, surgit une nouvelle compétition pour la possession du Bastion. Colbert ne rêvait alors que grandes Compagnies.
            Il réussit enfin, en 1670, à constituer une Compagnie du Levant, malgré le mauvais vouloir des Marseillais qui étaient en possession de ce commerce, et il songea à concentrer entre ses mains tout le commerce de la Méditerranée. L'acte de société de la Compagnie du Levant, en date du 10 juin 1670, était même beaucoup plus ambitieux : " Reconnaissons nous être associés, comme de fait nous nous associons, par ces présentes, pour faire le commerce de la mer Méditerranée, échelles du Levant, côtes d'Italie, d'Espagne et d'Afrique, mer Noire et mer Rouge, îles françaises d'Amérique et autres lieux que la Compagnie jugera à propos. "

            En présence des représentations des Marseillais et des Lyonnais, Colbert n'avait pas osé donner à la Compagnie le monopole du commerce dans les échelles du Levant ; cependant, c'est ce monopole absolu qu'il lui concéda non seulement pour les concessions d'Afrique, mais pour toute la Barbarie. Son excuse était que les armateurs marseillais n'avaient pas encore pu donner un développement sérieux à ce commerce, comme à celui du Levant. Pour ne pas paraître innover, Colbert, dans l'arrêt du Conseil du 1er juillet 1670 qui établissait ce monopole, eut recours à un curieux subterfuge : Il prétendit substituer la Compagnie du Levant aux frères Fréjus qui avaient obtenu ce privilège en 1665, sans faire aucune allusion aux deux Compagnies Arnaud déjà substituées à ceux-ci depuis 1665, comme si Arnaud n'avait pas occupé effectivement les Concessions en 1670 (41).

            Les Marseillais ne tardèrent pas à protester contre la concession d'un monopole aussi exorbitant. On lit, en effet, dans les cahiers et mémoires adressés par la Chambre de commerce au roi, le 13 août 1670 : La Compagnie du Bastion de France a surpris un arrêt en votre conseil grandement préjudiciable au commerce... Toutes les autres compagnies à l'instar desquelles celle d'aujourd'hui a été établie n'ont jamais pensé d'exclure les Français de négocier et trafiquer en Barbarie, laquelle prohibition n'ayant été que pour le Bastion, la Calle, Cap de Rose, le Collo et Bône qui sont sous la dépendance du Bastion. "

            D'un autre côté, Arnaud et ses associés, en possession du Bastion, revendiquèrent énergiquement leurs droits et triomphèrent des prétentions de la Compagnie du Levant, comme Arnaud l'avait déjà emporté sur les Fréjus, en 1665. L'arrêt du conseil, du 1er juillet 1670, ne reçut aucune exécution, sauf pour le commerce d'Albouzème dont la Compagnie du Levant garda la concession.

            Mais la Compagnie Arnaud n'obtint pas les privilèges exceptionnels qu'elle avait sollicités ; l'arrêt définitif du 15 janvier 1671, qui régla sa situation, ne lui reconnut que le monopole habituel du commerce du Bastion ; il ne lui accorda pas non plus l'exemption du cottimo, réduit cependant à la moitié pour ses navires, ni la jouissance du droit de bourgeoisie à Marseille (42.). Les Marseillais tenaient trop à leurs privilèges pour qu'on pût songer à les accorder à des étrangers, sans soulever de nouveau de vives protestations. La Compagnie Arnaud n'avait pas eu à subir les mêmes tribulations à Alger : à deux reprises, en avril 1669 et le 21 mars 1670, le divan d'Alger lui avait confirmé les privilèges accordés par la convention de 1667.

            Presque en même temps, en Tunisie, le cap Nègre était réoccupé.
            Depuis les négociations infructueuses de 1640-41, il semble qu'aucune tentative n'avait été faite avec l'appui du gouvernement pour en obtenir de nouveau la concession. Cependant un passage des Mémoires de d'Arvieux nous apprend que, antérieurement à 1665, un sieur Rinier, " à la tête de quelques particuliers ses associés ", avait fait longtemps le commerce du cap Nègre et cela de façon si avantageuse qu'il " excita la jalousie de beaucoup d'autres qui souhaitaient ardemment d'avoir part dans ses profits et qui surent si bien représenter leurs raisons au ministre qu'il résolut de remettre ce commerce à une compagnie plus nombreuse. " La guerre, ajoute d'Arvieux, C'est-à-dire, sans doute, les croisières du commandeur Paul et de Beaufort entre 1660 et 1665, avait interrompu ce commerce si utile et si nécessaire.

            A la suite du traité de paix signé par Beaufort à Tunis, le 25 novembre 1665, il y eut une négociation à Tunis au sujet du cap Nègre, conduite par M. Dumolin, écuyer de la reine, et le chevalier d'Arvieux (43). Colbert, on l'a vu plus haut, était alors tout entier à ses projets de compagnies exclusives, aussi n'est-on pas étonné de trouver un projet de compagnie exclusive pour le commerce de Tunis, rédigé par Dumolin : " Le sieur Dumolin, lit-on dans ce mémoire, s'étant pleinement informé des marchands qui résident il y a longtemps sur le pays, a trouvé qu'il était plus à propos d'établir une compagnie pour laquelle il fera le traité avec les principaux de Tunis, sous le bon plaisir de S. M. Par ce même traité, la compagnie sera obligée de faire venir les marchandises de France auxquelles dès à présent on mettra un prix fixe comme aussi aux marchandises que l'on tirera de Barbarie sans qu'à l'avenir on puisse les augmenter ni diminuer. "
            On aurait payé 20.000 piastres annuellement aux Puissances pour leur faire favoriser ce commerce.

            On se borna à négocier une convention relative au cap Nègre et à constituer une compagnie pour l'exploiter. Le traité du cap Nègre du 2 août 1666, comprenait 14 articles et accordait les privilèges suivants :

            La Compagnie obtenait le privilège du commerce exclusif du cap Nègre " privativement à tous Français sans restriction " Tout négoce qui se faisait auparavant avec les marchands francs établis à Tabarka sera entièrement transporté à la Compagnie des Français et, pour empêcher qu'on continue directement ou indirectement avec les susdits marchands, il sera ordonné par les beys tel nombre de cavaliers et fantassins qu'il sera nécessaire pour l'interdire absolument. Si, malgré ces précautions, on s'apercevait que le commerce se fit clandestinement, il sera permis aux Français de diminuer 6000 piastres des 35000 dont on parlera ci-après.... Il a encore été conclu que les Français ne pourront acheter des cuirs et des cires que de ceux qui étaient accoutumés de les vendre à Tabarka

            " Tous les principaux ou chefs des Arabes qui sont accoutumés de vendre le blé, l'orge, les pois chiches, les fèves et autres légumes aux Génois de Tabarka seront obligés de venir vendre toutes ces choses et autres marchandises aux Français du cap Nègre au prix courant, sans pouvoir rien exiger davantage.
            Et en cas que les gens du pays n'exécutent pas ce traité exactement, les Beys y enverront des soldats qui les y contraindront.

            " Les marchandises achetées, tant dans le ressort de Tabarka que du cap Nègre, ne paieront aucune douane ni droit. Celles vendues à Tunis par la Compagnie y payeront 10 % et celles achetées à Tunis, la douane ordinaire de Tunis.

            " La Compagnie pourra entretenir tel nombre de bateaux et de chaloupes ou coralines quelle jugera nécessaire pour la pêche du corail. Plusieurs articles concernaient les constructions a établir au cap Nègre :

            " Les Français feront réparer les maisons, magasins et autres bâtiments dont leurs prédécesseurs jouissaient, sans les agrandir ni diminuer.... Ils les environneront d'une muraille de huit pieds arabes de hauteur et de trois palmes d'épaisseur. Encore que lesdits bâtiments ne suffisent pas pour le commerce, il leur sera permis de faire trois autres magasins près des anciens et de la thème figure et grandeur, comme aussi de faire rétablir le lieu destiné pour la chapelle, qui y était auparavant et d'y faire l'exercice de leur religion, mais sans faire dans leurs susdits lieux et murailles aucuns créneaux, embrasures, ni autre chose ayant apparence de forteresse, sur lesdits maisons, mais seulement des meurtrières dans le mur de clôture et quatre guérites aux angles pour contenir chacune deux hommes qui fassent la garde et qui se puissent défendre des voleurs.
            On est aussi convenu que la tour qui est sur la hauteur du cap, où on tient une garde, sera réparée aux dépens de la Compagnie pour s'y réfugier dans un besoin avec ses effets, sans qu'on en puisse être empêché par la garde qui y résidera, qui aura ordre de défendre les personnes et les effets.

            " Et quand les Français voudront blanchir leurs maisons, réparer leurs terrains et leurs magasins, il leur sera permis de faire des fours à chaux autant qu'il leur sera nécessaire, comme aussi de faire un moulin à vent et un appentis pour y construire deux fours à cuire leur pain et le biscuit des soldats de la garde. "

            Il faut remarquer qu'il n'y a pas là de concession de souveraineté comme pour le Bastion ; il n'était pas non plus permis aux Français de se fortifier. En cas de danger, ils lie pouvaient se réfugier que dans une tour gardée par une garnison tunisienne. Les Tunisiens devaient toujours se montrer plus jaloux de leur autorité que les Algériens, parce que ceux-ci n'avaient concédé qu'un territoire fort mal soumis à leur gouvernement.

            En retour de ces avantages, la Compagnie devait payer des lismes : " Il a été convenu que la Compagnie ferait compter tous les ans à Murat et Méhémet beys 35000 piastres qui seront partagés en cette manière, savoir : 12000 au pacha pour la paie des janissaires, 2000 au dey, 13000 pour la solde et l'entretien de la milice ordonnée pour la sûreté des lieux de commerce, 3000 pour les grands et chefs des Arabes (44). "

            Le traité était fait pour 20 années " après lesquelles il serait renouvelé et ratifié de part et d'autre. " Il parait au premier abord moins avantageux que ceux que les Algériens accordaient aux Compagnies du Bastion, puisque, pour des privilèges moindres, les Français du cap Nègre, soumis à la garde gênante d'une milice tunisienne, devaient payer des lismes au moins cinq fois plus fortes (45). Mais, ces usines une fois payées, la Compagnie du cap Nègre n'avait pas à satisfaire à d'autres exigences, tandis qu'en dehors des 34000 doubles à payer aux Algériens, celle du Bastion était obligée à des redevances envers le bey de Constantine, le caïd de Bône, l'aga de Collo et d'autres chefs locaux, sans compter qu'aucune milice ne la protégeait contre leurs exigences arbitraires. En outre, la Compagnie du cap Nègre jouissait d'un avantage capital : la traite des grains, blé et orge surtout, était comprise dans soit monopole, tandis que pendant longtemps celles dit Bastion devaient continuer à dépenser annuellement de grosses sommes d'argent pour obtenir des puissances d'Alger et des chefs locaux la tolérance d'un trafic qui leur avait été toujours interdit.

            La convention de 1666 fut aussitôt suivie de la constitution d'une compagnie du cap Nègre, mais, contrairement à ce qui se passait ordinairement pour le Bastion, le négociateur d'Arvieux ne fut pas mis à la tête du comptoir. Un Marseillais cependant, bien vu des Tunisiens, s'était fait agréer d'eux comme directeur du cap Nègre et un article spécial de la convention l'imposait à la Compagnie : " Il sera commis pour commander aux susdits lieux le sieur Emmanuel Payen, de Marseille, qui, sachant très bien la langue arabe, aura soin de faire donner satisfaction aux gens du pays qui apporteront leurs denrées ; la Compagnie lui donnera tous les ans 1000 piastres pour son entretien. "

            Bonnassieux croit à tort qu'en vertu de l'arrêt dit 13 janvier 1671, cité plus haut, l'exploitation du cap Nègre fut confiée à la compagnie Arnaud. C'est en vertu d'une formule ancienne que le cap Nègre est compté dans cet arrêt parmi les dépendances du Bastion, mais un autre passage du même document dit expressément : " Il est à observer qu'ensuite d'un traité fait avec le divan de Tunis il s'est formé depuis quatre ans une nouvelle compagnie autorisée par le roi pour le commerce et la pêche du corail dudit cap Nègre. Plus tard, Dusault demandera au ministre de relever l'échelle du cap Nègre abandonnée par les concessionnaires de 1666 ".

            Chaque fois que les Français se retrouvaient est possession des Concessions d'Afrique, en bonnes relations avec les Barbaresques, avec la perspective de faire avec eux un fructueux commerce, ils songeaient invariablement à s'en assurer le monopole et on voyait remettre en avant le projet de chasser les Génois de Tabarque. Cette fois-ci donc, comme en 1633, il fut question d'une expédition contre cette île. Un mémoire adressé à Colbert, en octobre 1670, en montrait la nécessité. " La paix, disait-on au ministre, étant faite entre la France et les royaumes de Tunis et d'Alger il n'y a plus qu'à profiter de l'utilité qu'on peut en tirer. Pour y parvenir, il parait à ceux qui connaissent cette grande étendue de côte, qu'il ne faudrait y avoir qu'une bonne habitation et que l'île de Tabarque est l'endroit le plus propre pour cet effet. " Il ne semble pas que ce mémoire ait fait impression sur le ministre. Si l'affaire était tentante, il y avait bien lieu d'être prudent puisqu'on pouvait à la fois risquer, par une brouille avec les Tunisiens, de perdre les avantages obtenus en 1666, et d'avoir des complications à la fois avec les Génois et avec le roi d'Espagne, souverain nominal de l'île.

            Ainsi, depuis la mort de Sanson Napollon, et surtout depuis la fuite de Picquet en 1659, les compétitions n'avaient cessé d'être très vives pour la possession des Concessions. On s'étonnerait de ces ardentes rivalités dans des circonstances où les relations avec les Barbaresques rendaient leur exploitation fort précaire, si on ne savait les bénéfices énormes que quelques campagnes de traite des grains permettaient aux compagnies de réaliser.

            En 1670, les compétitions paraissaient terminées et, d'un autre côté, après trente ans de relations hostiles, sans qu'il y ait eu jamais guerre déclarée officiellement, la paix avec la France paraissait solidement établie à Tunis et à Alger en 1670. Malheureusement, Colbert n'avait abandonné qu'à contrecoeur, forcé par les besoins de la politique de Louis XIV, ses projets de destruction des Barbaresques (46). Aussi, dans leurs relations avec eux, dans les contestations sans cesse renaissantes au sujet de l'exécution des traités, il montra toujours beaucoup de raideur et de mauvais vouloir. En attendant qu'il provoquât ainsi la rupture de la paix et les fameux bombardements de Duquesne et de d'Estrées, les compagnies du Bastion et du cap Nègre allaient trouver les Barbaresques de plus en plus mal disposés à leur égard. C'est en vain qu'en 1670 elles espéraient voir commencer une ère de tranquillité, de trafic paisible et prospère.

(1) Lettre du roi aux viguier, consuls et habitants de Marseille du 9 décembre 1633 : Nous envoyons présentement le capitaine Sanson Lepage en Barbarie pour commander au Bastion de France, comme faisait le défunt capitaine Sanson Napollon. Arch. de la Chambre de Comm. AA, 508.
(2) Arrêt du conseil du 28 juillet 1639. Aff. étrang. Mém. et doc. Alger, r. XII, fol. 122. Du Gay est appelé ici Duguet. - Au sujet de Luguet et de ses démêlés avec les députés du commerce de Marseille, voir mon Hist. du Comm. du Levant, 58-59.
(3) Mém. sur le commerce de Barbarie. Arch. nat. marine, B7, 49, p. 123-129. - Cf. Bib1. nat. mss. fr. 16164, fol. 209-212 : " Mém. au cardinal pour lui faire voir... que lui seul doit se rendre maître du trafic... "
(4) En 1635, Luguet s'associa pour l'exploitation du Bastion avec Thomas Piquet, négociant de Lyon, qui avait longtemps séjourné à Alger, et J.-B. de Cocquiel, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, et les fit agréer du duc de Guise comme étant gens de bien. Jusqu'à la démolition du Bastion, en 1637, ils rendirent compte a au sieur duc de Guyse comme propriétaire, tant en recette que dépense du négoce et commerce du Bastion. " Aff. étr. Mém. et doc. Alger. T. XII, fol. 122.
(5) Il demandait que Saut fût obligé de venir se justifier en France. - Correspond. de Sourdis u, p. 402-12. - On est un peu étonné, au premier abord, de voir le consul Piou adresser à Sanson Lepage, capitaine du Bastion, des accusations contre son principal agent : Lepage, à son premier passage à Alger, en 1634, avait logé chez Saut, dans la maison du Bastion, et non chez le consul. (P. Dan, p. 43) Mais Saut était l'agent du duc de Guise et celui-ci avait sans doute vu d'un mauvais oeil la nomination par le Roi de Sanson Lepage à la tête du Bastion.
(6) Voir, pour ces faits, de Grammont, Hist. d'Alger, p. 184-186. Ali Bitchnin était un renégat italien, le Piccinino. Les Pères Rédempteurs l'appellent aussi Pichinin, Bichelingue
(7) Lettre à M. de Vias. propriétaire du Consulat, à Marseille, déc. 1637. Corresp. de Sourdis. T. II. p. 108-109. - Cf. P. Dan . p. 55-56. - M. de la Primaudaie dit (p. 31) que le gouverneur Sanson Lepage parvint à se sauver à Tabarka. Sanson Lepage n'était plus gouverneur du Bastion ou, du moins, c'était un sieur de Serre qui y commandait, on ne sait à quel titre. Voir la longue lettre écrite d'Alger au duc de Guise par de Cocquiel, un des principaux associés de la Compagnie, dans laquelle il raconte la démolition (1er fevr. 1638) : " M. de Serre laissa prendre tout ce qui était au Bastion et toutes les personnes et lui, je ne sais par quel stratagème, se sauva la nuit par terre ". Bibl. nat. Mélanges Clairambault. T. 383. fol. 19-21.
     D'après le préambule de l'arrêt du Conseil du 21 juillet 1639, la destruction de 1637 " arriva par la malice et mauvaise foi " de Luguet et Piquet. " comme il se justifie par le procès-verbal sur ce fait audit Alger, par devant le consul des Français, à la requête du nommé Massey en qualité de procureur et agent dudit sieur duc de Guyse en la ville d'Alger . Aff. étrang. Mém. et doc. Alger. T. XII. fol. 120. Il parait, en effet, que Luguet avait négligé d'envoyer l'argent nécessaire au paiement des lismes. (Ibid. fol. 109). Ce dernier document a déjà été utilisé par M. Boutin, p. 325.
(8) Lettres du 1er févr. et du 15 mars 1638. Mélanges Clairambault, t. CCCLXXXIII, fol. 19-21 et 47-48. De Cocquiel insistait pour que le duc veillât au maintien de ses droits : " V. G. aura fait diligence pour qu'en cas de paix la place lui soit conservée pour prendre ses remboursements ". Le duc de Guise continuait à commanditer la Compagnie ; Cocquiel lui demandait de trouver 10,000 piastres " pour établir puissamment l'affaire ".
(9) Articles du traité fait pour le bastion de France Massacarés, dit la calle de Roze, échelle de Bône et du Cole, fait avec le bacha et divan d'Alger.... par J.-B de Cocquiel, l'an 1640 et le 7 juillet, Correspondance de Sourdis, t. II. p. 420-14. Une copie de ce traité se trouve aux Affaires étrangères. Mém. et doc. Alger. t. II. fol. 101-104. Deux autres sont aux Archives nationales marine. B7. 49 et 520. - M. Boutin a fait avec soin l'analyse de la convention (p. 327-31). mais il semble la confondre avec le traité de paix (p. 326).
(10) D'après l'évaluation fournie par le traité de 1628. les 34.000 doubles équivalaient à 21.000 livres environ.
(11) Aucun document ne nous renseigne sur cette occupation des Anglais dont il est bien difficile de préciser la date.
(12) Corresp. de Sourdis, t. II. p. 431. Ordre du cardinal, de janv. 1641. - Cf. P. Dan, p. 56 : Ce bastion ainsi ruiné demeura en cet état et tous ceux qui y avaient été pris jusqu'au 7 juillet 1640.
(13) V. Arch. nat. marine. B7, 49, un texte du traité de 1640 avec des annotations. p. 97-103.
(14) Le roi écrivit à la duchesse de Guise, le 10 novembre 1610, une lettre de condoléances : Il était bien fiché que la mauvaise conduite de son fils aîné l'empêchât de lui donner les marques de sa bonté. Mélanges Clairambault, t. CCCLXXXIV, fol. 176. - Le jeune duc obtint d'ailleurs sa grâce en 1643.
(15) Ces faits un peu embrouillés ont donné lieu jusqu'ici à une série de confusions. - V. pour tout cela, Corresp. de Sourdis, t. II, p. 414-35. Instructions à de Cocquiel. Lettres de Richelieu, t. VI, p. 631.
(16) Plantet, Tunis, n° 158. - Cf. Mémoire des choses que demande de Cocquiel pour traiter la paix avec ceux de Tunis, redresser le cap Nègre et y rétablir le commerce. 1641. Arch. nat. marine, B7, 49, fol. 395. - Lettre de de Cocquiel à Richelieu du 31 janv. 1640. - Mémoire des choses que demande de Cocquiel pour faire subsister les établissements qu'il a faits du Bastion de France, traiter la paix avec ceux de Tunis, redresser le cap Nègre et y rétablir le commerce, 1641. Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, t. VIII, fol. 66 et 89 Les Instructions se trouvent aux fol. 56-61 ; M. Boutin les a résumées (p. 367-68).
(17) Lettre du 1er janvier 1640. Plantet, Tunis, nos 66 et 89. Les instructions se trouvent au fol. 60.
(18) V. Commission de Sourdis à Montiguy. En rade de Porto Vecchio, 13 octobre 1640. Corresp. de Sourdis, t. II, p. 429-430.
(19) Corresp de Sourdis, t. II. p. 442. Autres documents relatifs à cette mission. p. 435-142. Publiés aussi par Plantet. N° 173, 174, 175.
(20) Voir à ce sujet mon Histoire du commerce du Levant, p. î7 et suiv.
(21) Aff. étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 115 et 120. - Dès 1643, Picquet avait demandé directement à Chavigny, encore secrétaire d'État, les provisions de gouverneur. Ibid. fol. 106. - Luguet brouillé avec lui n'était plus sou associé. - On trouve aux Archives nationales (marine, B7, 49) l'indication de la pièce suivante : Provisions de capitaine et consul du Bastion... en faveur de Mathieu Picquet au lieu et place de J. B. du Cocquiel (décédé). 1660. Cette date est évidemment une erreur. Le fils de Mathieu devait s'appeler Thomas Picquet Une pièce du 26 novembre 1645, publiée par de Grammont (Rev. Africaine 1891, p. 97-108), est signée Pierre Picquet consul d'Alger. Celui-ci pouvait n'être que le parent de Mathieu. Ces Picquet, de Lyon, étaient parents de François Picquet, consul d'Alep (1652-1660), l'un des consuls les plus remarquables que nous ayons eus dans le Levant au XVIIe siècle, mort évêque et vicaire apostolique. V. Les Consulats du Levant, fasc. III, p. 9-11.
(22) C'est le dernier document où il soit question des droits de la famille de Lenche.
(23) lettres, instructions et mém. de Colbert. Tome I, pièce 88. Lettre à Mazarin du 13 octobre 1652. Il est à remarquer que Colbert ne fait aucune allusion au duc de Guise.
     - Cf. Arch. nat. marine, B7, 49, p. 144 : " Mémoire pour faire voir que le Bastion de France appartient de droit à S.M. qui pourvoit de la charge de gouverneur et capitaine et que par ce moyen les ennemis de la couronne n'ont aucun droit d'y aller faire aucun trafic ", 15 juin 1658. Le même mémoire est aux aff. étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 114-115. Autre mémoire en faveur du duc de Guise. Ibid. fol. 107-110.
(24) P. Clément. Colbert. T. I. p. 50-52. - Bonnassieux, qui cite ce passage, impute à tort à l'impuissance des Marseillais l'échec des Compagnies du Bastion. Il s'appuie très abusivement sur une lettre de l'intendant des galères Arnoul à Colbert où il est question de la répugnance des Marseillais à former une grande Compagnie du Levant. (Depping. Corresp. adm. T. III, p. 403-404).
(25) L'arrêt du Conseil du 21 juillet 1659 dit 300.000 piastres. Aff. étrang. Mém. et doc. Alger. T. XII. fol. 120.
(26) D'Arvieux. Mémoires T. V, p. 61. - Cf. Gazette de France, 1658, p. 1086. Marseille, le 29 octobre 1658 : " Le sieur Picquet, sachant que le gouverneur d'Alger devait envoyer 1000 h. pour le contraindre à payer le tribut qu'il lui rendait tous les ans ou l'enlever avec son équipage, fit armer ceux qui pêchaient le corail… Il eut le temps, après avoir mis le feu partout, de rentrer à Livourne sur une de ces barques. Les autres sont arrivés ici le 25 avec 150 soldats ou marins qui racontent qu'on est parti si précipitamment qu'on a laissé à terre les canons et le blé ".
(27) Lettre du P. Barreau, 28 septembre 1659. Arch. de la Chambre AA, 464. - Il se borne à dire que les Puissances dépêchèrent deux frégates, l'une à Bône l'autre à Calle pour amener à Alger les sieurs Estrasse et Granger, sans doute acquits de la Compagnie. Il est question dans cette lettre d'une avanie faite à un capitaine ; Barreau conteste que l'affaire du Bastion en ait été la cause.
(28) Délibération du 21 octobre 1600. - Voir au sujet de l'affaire Picquet une série de délibérations de 1658-60. BB, 1, fol. 782-860. BB, 2, 29 décembre 1661. - Cf. Plantet. Alger, p. 56, note 1.
(29) Plantet. Alger, p. 56. - V. Aff. étrang. Alger : Lettres patentes du 24 mai 1659, en faveur de Louis Campou. - Plantet, Tunis, p. 229, note 1 dit, d'après Féraud : Depuis la mort de Napollon, les concessions avaient été successivement exploitées par plusieurs marchands de Marseille, Seré, Brunet associé de Gazille, Luguet, de Cocquiel, Sanson Lepage, Chefdeville, Piquet et Campou. Il ne faut voir là que les noms d'associés de la Compagnie à la tête de laquelle avaient été les agents du duc de Guise puis les Picquet.
(30) V. Provisions du gouvernement du Bastion en date du 21 juillet 1659 " à plein confiants de la personne de notre bien aimé Jacques d'Heureux commandant notre galère patronne... et en agréant la nomination qui nous a été faite par notre très cher et très aimé cousin le duc de Guise, prince de Joinville... propriétaire du bastion de France et lieux en dépendant, nous lui avons donné et octroyé et par ces présentes donnons et octroyons la charge de gouverneur capitaine et consul dudit Bastion ". Aff. étrang. Mém. et doc. Alger. t. XII. fol. 124. - Cf. Ibid. fol. 136 et Arch. nat. marine. B7. 49. p. 547- 48 : Arrêt du Conseil du 21 juillet 1659, en faveur du gouverneur du Bastion. " Sur ce qui a été représenté au roi que les désordres qui sont ci devant arrivés au Bastion et tout nouvellement lorsque le capitaine et consul a été obligé de le quitter ont été causés par le manque de discipline d'obéissance et d'autorité suffisante pour ranger chacun en son devoir et que plusieurs capitaines et patrons... vont faire des chargements et négoces dans les lieux, ports et places dépendantes dudit Bastion sans le congé du consul, notamment aux lieux dits Torrounx et Giger qui sont des ports lieux déserts où on porte des marchandises de contrebande qui favorisent les corsaires qui vont contre les chrétiens. S. M. en son conseil a donné et donne pouvoir au sieur J. d'H... et à ceux qui lui succéderont de muleter amendes, faire mettre en prison et au carcan ceux qui délinqueront... et pour les plus rands crimes faire enfermer et envoyer les prisonniers en France… fait très expresses inhibitions et défenses à tous capitaines et patrons d'aller faire aucun chargement ou négoce au Bastion et lieux en dépendance sans exprès congé et permission du gouverneur et consul, à peine de confiscation de leurs bâtiments et marchandises, la moitié à S. M. et l'autre au Gouverneur consul ".
(31) L'existence de ce traité n'a encore été signalée par personne. M. Boutin n'en parle pas. La copie en est conservée aux Arch. de la Chambre de Commerce. CC, 152 Articles accordés par illustre et magnifique seigneur Baba Romadan, gouverneur et le divan d'Alger à Pierre de Romignac, chevalier, seigneur de Muratet, pour le rétablissement du Bastion de France, Mascaretz dit la Calle, cap de Roze, échelles de Bonne et du Collo et autres places dépendantes dudit Bastion pour y négocier en laines, cuirs, cires et autres marchandises comme par le passé et faire la pêche du corail depuis le Collo jusques à cap Roux. Ce traité se trouve aussi aux Arch. coloniales. Carton Cie de Commerce n° 16. Le nom de l'auteur du traité est écrit Ici Rominhac. Une autre copie existe aux Arch. nat. marine, B7, 520. - Au sujet de la mission de Romignac. V. Aff. Etrang Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 89-91.
(32) L'auteur de ce mémoire résume l'histoire du Bastion jusqu'en 1666. Bibl. nat mss. fr. 18595, p. 67-92.
(33) Arch. nat. marine. B7, 49. fol. 178-180. La pièce est datée par erreur de 1663.
     - Les principaux associés de cette compagnie étaient les sieurs Denis, Langlois, Christophe et François Maillet. Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, t. V, fol. 43.
(34) Delib. de la Chambre de commerce de M. du 4 janvier 1664. BB. 2.
(35) Le préambule de l'arrêt rappelait la création des compagnies des Indes et la nécessité des compagnies : " Sur quoi nos bien amés Michel et Roland Fréjus et leurs associés nous auraient proposé d'entreprendre le négoce et commerce d'Albouzème dans le pays de Mauritanie, dit présentement Barbarie, au-delà du détroit de Gibraltar sur la mer Méditerranée dépendant du royaume de Fez, ensemble dans celui de Maroc, d'Alger, de Tunis et Tripoli, Bastion et places en dépendantes… sans aucun en excepter, s'il nous plaisait leur accorder, à l'instar des compagnies des Indes orientales et occidentales, le privilège de pouvoir faire seuls le commerce desdits lieux… même révoquer les privilèges qui auraient été ci-devant accordés pour raison du commerce en tout ou partie desdits lieux et en interprétant et néanmoins confirmant l'arrêt du 4 novembre dernier donné sur le commerce d'Albouzème le rendre commun entre eux et leurs associés pour ne faire qu'une seule et unique compagnie… afin que son établissement étant aussi ferme et authentique que celui desdites compagnies des Indes, personne ne puisse à l'avenir… déposséder ladite compagnie… à quoi nous avons incliné d'autant plus volontiers qu'outre les dépenses prodigieuses que cet établissement doit coûter à la compagnie, elle a encore beaucoup de difficultés et de périls à surmonter " Arch. nat. marine. B7, 49, p. 189-198. Ibid. p. 211-223 : Actes de société accordés entre MM. les intéressés en la compagnie l'Albouzème et Bastion de France (art. 5 : Les affaires seront régies à Paris par MM. Martel, d'Aliez et Daniel Prondre qui y travailleront comme directeurs). Cf. Aff. étrang. ém. et doc. Afr., t. V, fol. 36-42. - Lettres patentes d'octobre 1665 en faveur de Michel et Roland Fréjus. Ibid. fol. 32-35 ; Arch. colon. Cartons compagnie de commerce, n.16, et Arch. nat. marine. B7, 49, p. 236-41.
(36) E.Watbled. Expédition du duc de Beaufort contre Djidjelli. Revue afric. 1873, p. 215-231.
(37) Voir pour ces faits de Grammont. Hist. d'Alger, p. 203-218 - Plantet, Alger, p. 59-60. - V. au sujet de ce traité plusieurs pièces. Biblioth. nat. mss. Ve Colbert, 483, fol 537-50. - Le mss. fr. 17857 de la Bibl. nat. renferme non seulement le texte de ce traité fol. 570), mais celui de la plupart des traités conclus avec les Barbaresques au XVIIe siècle . - Lettres de Colbert, t. VI. p. 452 et suiv. Projet de traité pour Alger, 9 mai 1666.
(38) d'Arvieux. Mém. T. V. f. 62.83. Arnaud était le beau-frère d'un Estelle, membre d'une famille qui a joué un grand rôle en Barbarie (V. p. 47 et chap. 7 et 8).
(39) V. cet arrêt aux arch. des aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, t. V, fol. 4346.Langlois, Maillet et consorts restent les associés d'Arnaud et Tetiler ou Telier qui avaient signé à Alger le traité du 21 juin 1666. - Cf. Arch. nat. marine B7, 49, p. 261-69. Le titre mis à cette pièce est faux. Les erreurs abondent d'ailleurs dans ce recueil de copie.
(40) d'Arvieux. T. V. p. 63. - Un arrêt du Conseil, de 1678, appelle le sieur de Lalo Alexandre de Vèze. D'Arvieux place cette reconstitution de la Compagnie en 1670, mais c'est par un acte du 2 août 1668 que " Testier, Langlois, Maillet et compagnie délaissèrent et abandonnèrent le commerce du Bastion au sieur Arnault et associés " : arrêt du 15 janv. 1671. Arch. colon. Carton Comp. de commerce n° 16.
(41) " Le roi s'étant fait représenter l'arrêt rendu en son conseil le 4 novembre 1664 et lettres patentes expédiées en exécution d'icelles au mois d'octobre suivant, pour l'établissement du commerce d'Albouzème et Bastion de France en faveur de Michel et Rolland Fréjus frères et Compagnie, ensemble l'arrêt du conseil... du présent mois, par lequel en conséquence de l'abandonnement fait du commerce par les Intéressés en icelui, S. M. a résolu et annulé pour l'avenir la société faite entre eux le 27 septembre 1665. Et Sad. M. ayant été informée par les sieurs directeurs de la Compagnie du Levant que l'établissement dudit commerce d'Albuzème et Bastion de France est fort avantageux à Sad. M…, et que par le seul défaut de connaissance et de conduite des particuliers qui ont ci-devant entrepris ledit commerce, il n'a produit jusqu'à présent les grands profits qu'on en doit attendre.... ce qui aurait porté les intéressés au commerce du Levant à entreprendre celui d'Albouzème et du Bastion de France.... S. M. étant en son Conseil, a subrogé et subroge les intéressés au commerce du Levant au lieu et place des sieurs Fréjus et associés avec pouvoir et facilité de faire le commerce au lieu des Albouzèmes en la côte de Mauritanie et autres lieux circonvoisins aux mêmes droits.... portés par l'arrêt du 4 novembre 1664 et lettres-patentes d'octobre 1665... ". Arch. nation. marine. B7, 489, fol. 367-68. - Cf. Lettres de Colbert, t. III, p. 306.
(42) Conformément à une clause habituelle, ces privilèges étaient accordés " à la charge par lesdits Arnault, Lafont et Compagnie d'envoyer tous les ans à S. M. par forme de redevance douze des plus beaux chevaux barbes, lesquels ils seront tenus de délivrer ou faire délivrer en la ville de Marseille à la fin de chacune année de leur jouissance. " Arc. colon. cart. Cie de commerce n° 16.
(43) Ce personnage curieux appartenait à une famille savoyarde, établie à Marseille. Son père avait été l'un des agents du Bastion à l'époque de Sanson Napollon. Lui-même avait résidé longtemps dans le Levant. On l'avait signalé à Colbert comme connaissant à fond la langue et les moeurs des Turcs ; le ministre l'apprécia, se servit de ses conseils et l'employa à différentes missions, à Tunis en 1666, à Constantinople en 1671-72, à Alger en 1674-75 ; il fut ensuite consul à Alep, de 1680 à 1685 Il avait rédigé à la demande de Colbert un dictionnaire turc. Il avait été un moment à la mode à la Cour et avait aidé Molière à régler le divertissement turc du Bourgeois gentilhomme. M. Plantet (Alger. Introduction, p. XL-XLI) le juge d'une façon très injuste et le portrait qu'il en fait n'est qu'une caricature. Son échec dans sa mission à Alger est très bien expliqué par lui-même.
     L'éditeur de ses Mémoires, le dominicain Labat, exagère sans doute quand il écrit dans sa préface : " Le chevalier d'Arvieux avait un mérite si distingué, un génie si supérieur, des connaissances si étendues, un goût si délicat pour les sciences et pour les arts, une facilité si extraordinaire pour les langues et une probité si reconnue de tout le monde qu'il n'y avait personne à la Cour, à la ville, ... dans les pays étrangers même les plus éloignés... qui ne l'estimassent infiniment et qui n'entretinssent avec lui un commerce de lettres et d'amitiés. " Mais il est certain que d'Arvieux était aussi estimé à la Cour qu'à Marseille ; ses Mémoires sont une source des plus précieuses pour l'histoire du commerce du Levant et de Barbarie par l'abondance, la variété et la sûreté de leurs renseignements. V. la notice sur d'Arvieux dans les Consulats du Levant, fasc, III, p. 13-15.
(44) Le texte du traité se trouve dans les Mémoires de d'Arvieux III, p. 551-556.
     - Il a été publié par Plantet. Tunis, n° 244. - Il est signé par d'Arvieux et les deux beys, chefs de la milice, pouvoir rival du dey. L'article VI disait que la Convention devait être ratifiée d'un côté par le duc de Beaufort, de l'autre par le pacha, dey et divan de Tunis.
     - M. Boutin (p. 371-77) a analysé le traité de 1606.
(45) Il est difficile d'évaluer cette somme de 35000 piastres en monnaie de France, puisque nous ne savons pas de quelles piastres il s'agissait. Mais la piastre valait toujours au moins 3 livres. La redevance fixée dépassait donc certainement 100.000 livres.
(46) On songeait en 1670, à rompre avec les Turcs. Plus tard, les projets de croisade se succédèrent nombreux. V. mon Histoire du commerce du Levant, p. 218, note 2. - Cf un mémoire intitulé : Moyens faciles pour ruiner la Barbarie et accroître le commerce, 1671. Aff. étrang. Tunis. (Il y est question de fortifier l'île de la Galite voisine de Tabarque).

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A SUIVRE

PHOTOS DE VIE BÔNOISE
Envoyé par M. Daniel Bonicori
Photo Bonicori

Une photo du pensionnat du Sacré-Coeur en 1932
avec Yvette et Rose Marie Pagano

Photo Bonicori Photo Bonicori

Repas d'anciens de l'armée de l'air à Bône vers 1955
(avec Fernand Lesavre qui a déménagé
nombre de bônois et Henri Bonocori )

Photo Bonicori

Un défilé le 8 mai 1957 à bône,
les drapeaux des anciens combattants


HISTOIRE DES VILLES
DE LA PROVINCE DE CONSTANTINE    N° 2
PAR CHARLES FÉRAUD
Interprète principal de l'Armée auprès du Gouverneur général de l'Algérie.

LA CALLE

ET DOCUMENTS POUR SERVIR A L'HISTOIRE
DES ANCIENNES CONCESSIONS
FRANÇAISES D'AFRIQUE.

Au GÉNÉRAL FORGEMOL

Ancien Capitaine Commandant supérieur,
du Cercle de La Calle

TRIBUS DU CERCLE DE LA CALLE

               La partie opposée du promontoire présente une autre baie, que les cartes du siècle dernier désignent sous le nom de Port Canier, et qui était appelé Porto delle Canelle par les corailleurs italiens. Les bâtiments de La Calle et du Bastion, chassés par les vents d'Ouest, y trouvaient un refuge momentané. Le Cheikh de la Mazoule était tenu de veiller à leur sûreté, pendant qu'ils séjournaient dans cette baie. Un ruisseau, remarquable par ses roseaux, d'où lui vient le nom arabe de Oued el-Kçob - le Ruisseau des Roseaux - Canier des Provençaux - qui croissent sur ses rives, coule au fond du havre et forme, sur le bord de la mer, une aiguade d'un abordage aisé.

       Entre Thabraka et Hippo Regius, Ptolémée n'indique aucun lieu ; mais, l'itinéraire d'Antonin signale deux stations : Nalpotes et ad Dianam. Ce dernier point est le Cap Rose. Un temple de Diane, dont quelques débris subsistent encore, s'élevait autrefois sur le sommet du promontoire.
       Après avoir tourné le Cap Rose, nous arrivons à la partie orientale du Golfe de Bône, et, en continuant à suivre le bord de la mer, nous marchons, au S.-O., sur les pentes abruptes du Djebel bou Fahal, et nous arrivons ensuite à un rivage fort bas, parsemé de dunes ; c'est le territoire de la tribu des Oulad Dieb, jusqu'à l'embouchure de la Mafrag, qui marque la limite du Cercle de La Calle.
       Le Cercle comprend deux Kaïdats : celui de l'Oued el-Kébir et celui de Bou Hadjar, ayant ensemble une population d'environ vingt mille âmes.

       Le Kaïdat de l'Oued-el-Kebir se compose des tribus dont voici les noms : Oulad Dieb, - Beni Amar, - Sebâ, Oulad Youb, - Brabtia, - Souarakh, - Lakhdar, - Oulad Arid, - Aouaoucha, - Sebeta et Oulad Ali Achicha.
       Le Kaïdat de Bou Hadjar comprend : Oulad Nacer, Chafi a et Oulad Sidi Bekri, - Chiebna, - Oulad Messaoud.

       Avant d'entrer dans quelques détails sur ces diverses tribus, il convient d'indiquer leur origine. La population primitive des environs de La Calle appartenait aux Berbères Masmouda et Aureba, que les Haouara, autres Berbères venus des environs de Tripoli, subjuguèrent à l'époque des premières invasions musulmanes. On sait que ces Haouara, alliés aux Arabes Soleïm, ont fondé la puissante tribu des Hannencha, qui, jusqu'à l'époque moderne, a eu l'omnipotence sur tout le pays frontière depuis La Calle jusqu'au Sud de Tébessa. La branche des Soleïm, dite des Mirdas, que nous retrouvons encore à proximité de La Calle et de Bône sous le nom moderne de Merdès, vint, au XIe siècle, se mêler à la famille Berbère des Oulhassa occupant déjà ce pays.

       Au XVIe siècle, après le renversement de la grande confédération des Chabia, qui occupait la majeure partie de la Tunisie et de la province de Constantine, un bouleversement général se produisit parmi les populations. Chaque groupe prenant les armes pour son compte personnel, choisissait l'emplacement qui lui convenait et s'y installait après en avoir refoulé ceux qui le gênaient, jusqu'à ce qu'il fût chassé lui-même par un voisin plus puissant. Tous ceux qui avaient rempli auprès des Chabia un rôle officiel quelconque furent, après la chute de ces seigneurs religieux autocrates, en butte aux persécutions des populations qui avaient jadis subi leur autorité ; tels sont : les Nehed, les Khoumir et autres groupes des environs de La Calle, d'origine arabe et jadis collecteurs d'impôts, pour le compte des Chabia, dans le Sahara, les Zibans et le Djerid. Traqués comme des bêtes fauves, à cause de la haine que leur ancienne oppression avait inspiré, ils furent forcés d'abandonner le Sud et de se réfugier vers les montagnes du littoral où nous les voyons aujourd'hui complètement mêlés aux anciens habitants Berbères ou Arabes de la première invasion qui, de gré ou de force, les admirent parmi eux.

       Ainsi, les Nehed, que nos compatriotes du Bastion de France appelaient jadis les Nadis, appartiennent à la grande tribu Arabe de ce nom, qui, en passant en Afrique, au XIe siècle, laissa en Arabie plusieurs de ses branches, où on les retrouve encore sous le nom de Nahad.
       Je ne sais si les Khoumir ont également laissé des frères en Orient. Quoi qu'il en soit, ces groupes de nomades, forcés d'adopter la vie sédentaire, en s'installant dans la région montagneuse, durent se morceler. Chaque chef de famille devint le chef d'un groupe distinct, auquel il donna son nom patronymique, et c'est ainsi que se formèrent les tribus du Cercle de La Calle et de leurs voisines, aujourd'hui en territoire Tunisien, désignées collectivement sous le nom générique de Nehed, mais connues sous les noms distinctifs de Oulad Dieb, Beni Amar et autres que j'ai indiqués ci-dessus.
       Chose étrange, la langue arabe, quoique considérablement atteinte dans sa pureté, a prévalu et s'est conservée parmi les Nehed ; mais, au contact des montagnards, ils ont fini par adopter leurs mœurs rudes et leurs coutumes sauvages. Nous verrons, bientôt, leurs relations avec la Compagnie d'Afrique et le caractère particulier des différents groupes.

       Aux Khoumir, nous trouvons une grande pauvreté, un patois plus rude encore que celui des Nehed ; des manières et des habitudes tellement brutales qu'elles font le sujet des conversations et des épigrammes des Nehed même, car ceux-ci se posent en civilisés, comparativement à leurs voisins d'en haut. Point de justice, point de garanties pour le faible. Dans les tentes, les coutumes accordent tout à l'homme fort, appuyé sur son fusil. De douar à douar, on ne connaît que la force brutale. De religion, il n'en est pas question : on tue, on mange le sanglier. Pour déchiffrer une lettre, il faut assembler une grande réunion ; amour passionné d'une indépendance qui n'a jamais été brisée ; fractionnement par quatre ou cinq tentes ; pays tout de montagnes. Voici ce que Poiret disait, au siècle dernier, en comparant les Nehed aux Khoumir :
       ... Il est d'autres arabes dont la vie est encore bien plus dure et plus misérable. Ce sont ces hordes indomptées qui n'habitent que les lieux inaccessibles. Elles n'ont aucune possession, aucun asile fixe, Si quelquefois elles ensemencent une mince portion de terre, si elles ont des troupeaux, comme elles ne peuvent éviter de se fixer dans les plaines, elles ne tardent pas à être dépouillées. Ces malheureux se retirent alors dans des bois épais et impénétrables, dans les gorges affreuses des montagnes ou dans le creux des rochers. Ils Vivent séparés les uns des autres et sont obligés, pour ainsi dire, à brouter l'herbe des champs. Les fruits sauvages, les racines tendres, les jeunes pousses des plantes leur servent de nourriture. La plupart ont des armes à feu ; c'est le plus précieux héritage qu'un père puisse laisser ses enfants : ils pourraient s'en servir pour la chasse ; mais comme ils ont beaucoup de peine à se procurer de la poudre et du plomb, ils les conservent pour défendre leur liberté.(1). Ils préfèrent l'indépendance et la misère, à un genre de vie plus tranquille et dont ils ne pourraient jouir qu'en se soumettant, comme les autres, au despotisme des Turcs. Ces arabes sont les plus cruels de tous. Je ne serais pas éloigné de croire qu'il n'y ait parmi eux des anthropophages, tant ils sont affamés et avides du sang humain. Personne n'ose pénétrer dans les gorges de leurs montagnes. Les souverains du pays y ont quelques fois conduit des camps, assez considérables, mais ces entreprises n'ont jamais eu de succès. Ou les troupes ont été égorgées dans les défilés, ou lès Arabes se sont dispersés dans l'intérieur de leurs montagnes.
       Quelquefois, ils descendent dans les plaines, ils viennent dépouiller les nations voisines. J'ai rencontré plusieurs de ces arabes : ils sont maigres, décharnés, couverts de lambeaux et dégoûtants par leur malpropreté.

       Cet état extrême de sauvagerie existe encore dans la partie Est des Khoumir. Là, dans les retraites les plus cachées, dans d'épaisses forêts, vit une race qu'on appelle Mogod, qui est une véritable espèce de sauvages. Les Mogod vivent par famille isolée ; l'homme ou plutôt le mâle, la femelle et les petits sont nus, sauf un morceau d'étoffe héréditaire qu'ils portent à la ceinture et qui se renouvelle quelquefois aux dépens du voyageur égaré ou surpris. Pas de tentes; quelques branchages et un vieux lambeau de tissu de tente, noir et crasseux, appendu aux broussailles, composent l'habitation. Quelques chèvres sont toute la richesse.

       On dit d'un Mogod que lorsqu'il veut changer de gîte, il appelle sa femme, siffle son chien et marche jusqu'à ce qu'il trouve un réduit qui lui plaise. Un proverbe local dit aussi : " Celui qui pénètre chez le Mogod y reste. "
       Allusion au sort qu'ils réservent, sans exception, aux gens qui s'avisent de passer chez eux, ou aux marins que la tempête jette sur leurs côtes.
       Chez le Nehed comme chez les Khoumir, le père ou le plus proche parent dispose de la jeune fille et la donne en mariage, sans consulter celle-ci, et moyennant dot ou plutôt achat. Les parents intéressés, de part et d'autre, ayant fait les conventions, on abat une vache et le marché est conclu. C'est là l'acte de mariage. On se reporte toujours dans la suite, à ce jour de la debaha (l'abattage de la vache), pour rappeler les conditions de l'union. La dot moyenne est de 300 francs et de cinq ou six vaches. Mais nous devons ajouter que ces conditions se sont beaucoup modifiées depuis que la domination française est établie dans le Cercle de La Calle ; on y observe, aujourd'hui, les lois en vigueur dans tout le reste de l'Algérie, et les mœurs en ont subi les conséquences en les adoucissant.

       Pour savoir se faire respecter de ces populations remuantes, la Compagnie ne négligeait pas les mesures qui pouvaient effacer aux yeux des indigènes, la différence de croyance et d'origine.
       Il n'existait de Bône à Tabarka qu'une seule mosquée c'était celle que la Compagnie avait fait bâtir sur la plage de La Calle.
       Obligée d'acheter la tranquillité des Nehed et des Khoumir, tribus turbulentes, qu'elle ne songeait pas avec ses cinquante soldats à réduire par la force des armes, elle était convenue de leur payer une Lezma en instruments d'agriculture, et ces mêmes Nehed, de leur côté, s'étaient soumis à payer un léger tribut tantôt au Bey de Constantine, tantôt à celui de Tunis à condition qu'ils les laisseraient librement commercer avec nous.
       Tout n'est donc pas à dédaigner dans l'expérience acquise par nos devanciers et si le Capitaine Berthier, qui occupa La Calle au début de la conquête, se fut écarté de leurs exemples, il n'aurait pas maintenu avec quelques zouaves indigènes et sans la présence d'un seul soldat français, la tranquillité autour de La Calle.

       Au XVIIe siècle, les tribus de La Calle, en en comprenant d'autres telles que les Khoumir, Mazen, O. Ali, Meragna, Ouchtata, Ouarka, O. Sedira, Charen et poussant au Sud jusqu'aux Oulad bou Ranem et Frachich, que la délimitation des frontières a laissées en territoire Tunisien, faisaient partie de la Confédération des Harar, Seigneurs des Hanencha, grands vassaux du Pachalik d'Alger. J'aurai, plus loin, à raconter l'énergie avec laquelle le Chef féodal des Hanencha expulsa les Turcs de Constantine, en 1638, parce qu'ils s'étaient permis de venir, avec leurs corsaires, détruire le Bastion de France, ce qui ruinait le commerce des tribus placées sous son protectorat.
       Un siècle plus tard, quand la domination turque se fut établie plus solidement et qu'elle eût abattu, comme Louis XI, la puissance des grands Seigneurs, elle fit rentrer les tribus de La Calle sous son autorité directe ; mais cette autorité ne fut jamais exercée que sur les tribus de la plaine et par conséquent saisissables. A l'approche des troupes du Bey, le vide se faisait aussitôt, et les populations s'enfuyaient dans les montagnes bravant, là, toute agression. Quand la nécessité les obligeait à sortir de leurs forêts, ils payaient un léger impôt tantôt à Alger, tantôt à Tunis, mais le plus souvent à personne, se disant Algériens ou Tunisiens selon les circonstances.

       Les tribus des Khoumir et des Nehed n'appartenaient, comme disent les Arabes, qu'à Ahl el-R'olb, c'est-à-dire à ceux-là seulement qui avaient la force de, les vaincre. Bou Metir, le dernier Cheikh sous la domination turque, des Oulad Dieb, tribu Nehed que les Beys de Constantine avaient constituée Makhzen pour maintenir en respect les autres Nehed et les Khoumir eux-mêmes, Bou Metir, dis-je, a souvent pénétré dans les montagnes des Khoumir, les a battus et les a forcés à lui payer tribut en signe de soumission. C'est au Souk el-Khemis, chez les Oulad Ali, qu'il allait dresser sa tente pour percevoir cet impôt.
       Il faut observer que toutes ces tribus frontières sont cernées de cordons de montagnes qui leur servaient de refuge ; aussi, selon les circonstances, se jetaient-elles tantôt du côté de Tunis, tantôt du côté d'Alger, laissant généralement un intervalle vide assez grand entre elles et l'autorité qu'ils avaient à redouter; c'est ainsi que les Khoumir, à certains moments, ont reconnu la domination du Cheikh des Oulad Dieb, dont la domination s'est souvent étendue jusqu'à Tabarka.
       Bou Metir saisissait ordinairement l'époque des herbages d'hiver, que ces tribus étaient obligées de venir chercher dans la plaine pour leurs nombreux troupeaux. Il regardait le refus de payement comme une bonne fortune et prétexte à razzias, aussi n'y avait-il pas d'année qu'il ne préparât une course de ce genre tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre pour s'enrichir, Quant aux Tunisiens ils voulurent un jour réduire, eux aussi, ces rudes montagnards, mais ils furent si bien défaits qu'ils n'ont plus osé tenter de se mesurer avec eux. Berbouch, Kahïa du Kef et Bou Nahr, Kahïa de Beja, réunirent leurs forces et se dirigèrent vers leurs pays. Les Khoumir attaquèrent avec vigueur le camp des deux fonctionnaires tunisiens et les mirent dans une déroute complète. Un Marabout de Beja, nommé Semati, extrêmement vénéré dans le pays, sollicité par les deux Kahïa, se rendit chez les Khoumir, demanda aux notables de la tribu de rendre les prisonniers, les chevaux et tous les effets enlevés aux deux colonnes qui avaient été battues.
       Son caractère de Marabout, la réputation dont il jouissait, eurent assez d'influence sur les Khoumir pour les engager à restituer leurs prises, moyennant un assez fort cadeau en argent, mais ils ne firent aucun acte de soumission et jamais depuis n'ont été soumis. Naguères encore une tentative a été faite à l'amiable ; un agent Tunisien s'est présenté chez eux. Que viens-tu faire ici, lui a-t-on dit ?

       Nessellek, - Percevoir l'impôt. Eh bien Sellek rohok, sauve ta tête, lui ont répondu les Khoumir en le congédiant sans se fâcher.
       Ceux qui comprennent l'arabe apprécieront la portée du jeu de mots. Ainsi donc les Khoumir, enclavés entre les deux territoires Algérien et Tunisien, continuèrent à vivre indépendants.
       Les Tunisiens, tournant leurs montagnes par le Sud, profitèrent, en 1830, de l'anarchie qui suivit la chute de l'ancien Gouvernement Algérien pour asseoir leur domination sur plusieurs tribus frontières; ils poussaient même leurs prétentions plus loin et auraient fini par l'étendre sur la plus grande partie du territoire actuel du Cercle de La Calle, si l'occupation de ce point par les troupes françaises, en 1836, n'était venue les arrêter.
       Nous reviendrons, ailleurs, sur cette question de limites, voyons maintenant les tribus du Cercle.

       OULAD-DIEB. - Cette tribu occupe le pays situé sur le littoral, à peu prés à mi-chemin entre Bône et La Calle. Le sol, dans sa partie Nord, est couvert de vastes dunes broussailleuses servant au pâturage en hiver. Il se développe, au Sud, en une vaste plaine sablonneuse, que les inondations de l'Oued-el-Kébir transforment presque complètement en marais à l'époque des pluies, et qui, durant l'été, offre d'excellentes prairies naturelles. Ces conditions expliquent l'aisance dont jouissent les Oulad Dieb, qui se livrent, sur une très grande échelle, à l'élève et au commerce du gros bétail, à la culture de tabacs estimés et a des travaux de jardinage assez importants.
       Les massifs forestiers des Oulad-Dieb présentent un peuplement et un caractère fort différents, suivant qu'ils sont situés sur les ressauts de terrain ou dans les parties basses et marécageuses. Ils portent, dans ce dernier cas, le nom générique de Nechaâ, bas-fonds humides ou vaseux.
       Dans la première situation, on trouve surtout le chêne-liège ; dans la seconde, la végétation, très vigoureuse, est formée principalement d'aulnes et de saules, et, accessoirement, de frênes et d'ormes.
       Le merveilleux qui a, ordinairement, la plus grande part dans les origines des tribus, ne fait point défaut à celle des Oulad-Dieb. La tradition nous fournit une légende assez curieuse que le temps et la superstition ont consacrée : A la tête de l'un de ces clans d'Arabes sahariens fugitifs, dont nous avons parlé, était un Chef nommé Tahar.
       Arrivé sur la plage, entre Bône et La Calle, arrêté par la mer et ne pouvant, par conséquent, aller plus loin, Tahar prit possession de ce territoire, dont il expulsa, ou soumit à son autorité, les habitants berbères qui l'occupaient. Afin de perpétuer le commandement dans sa famille et empêcher, dit la légende, qu'il passât dans des mains étrangères, il épousa quatre femmes, espérant avoir d'elles beaucoup d'enfants.

       La fortune avec laquelle il n'était pas encore réconcilié ne tarda pas à le frapper par de nouvelles épreuves. Il eut une douzaine de fils, mais tous, sans exception, mouraient au moment du sevrage ou pendant la dentition. Accablé par tant de calamités, il allait déjà se livrer au désespoir, lorsqu'un jour, à la chasse, il prit vivante la femelle d'un chacal (Diba) et l'emmena à sa tente. Celle-ci devint de jour en jour plus douce et familière. Au bout de quelque temps elle mit bas. Une des quatre femmes de Tahar venait au même moment de donner le jour à un nouveau fils ; celle-ci craignant de le voir mourir comme ses frères, lui fit boire du lait de la femelle du chacal qui s'attacha bientôt à l'enfant au point de délaisser pour lui ses propres petits. Ce fils grandit, prit une grande influence sur les habitants de la tribu ; avec leur aide, il força les populations voisines à vivre en bonne intelligence avec la sienne et il fut nommé Chef de tout le Canton dont les habitants, en reconnaissance des services qu'il avait rendus, prirent le nom de Oulad-Dieb - les enfants du petit chacal - à cause de la manière extraordinaire dont leur maître avait été élevé(2).
       On ne s'attendait guère à trouver, en Algérie; cette parodie de la louve romaine.
       Le Cheikh des Oulad Dieb jouissait d'un pouvoir absolu sur ses administrés, mais il reconnaissait, lui-même, la suzeraineté des Cheikhs des Hanencha, ses puissants voisins. Il avait néanmoins, sous ses ordres, un Makhzen de deux cents cavaliers, un cérémonial et une musique comme les grandes familles féodales du pays en raison du caractère religieux attribué à sa famille. En sa qualité de protecteur de la Compagnie française, le Cheikh des Oulad Dieb figure sur quelques actes anciens sous le titre de Prince de La Calle et plus souvent sous celui de Cheikh de la Mazoule.

       Ce nom de Mazoule, qui va reparaître fréquemment dans cette étude, a une grande importance historique et mérite de fixer immédiatement toute notre attention parce qu'il, explique, à lui seul, la situation de ce que l'on était convenu d'appeler les Concessions françaises d'Afrique.
       Le mot arabe j.jA signifie séparé, détaché, qui fait scission. Or, d'après les renseignements que m'ont fournis les plus anciens habitants du pays, le nom de Mazoule était donné aux localités de La Calle cédées ou plutôt vendues aux Compagnies françaises; nous pourrions traduire l'expression par terrain aliéné(3), c'est-à-dire sur lequel les indigènes n'avaient plus de droits à faire valoir.
       La Compagnie, outre la somme qu'elle donnait, au Dey d'Alger et au Bey de Constantine, lui payait une somme de 6,600 réaux et ce Chef employait une partie de cette somme à solder des hommes qui, sous le nom de Truchemans, veillaient à la sécurité des Établissements français.
       Le Cheikh de la Mazoule, recevait de la Compagnie les droits de cachet ou de joyeux avènement, lors de son entrée en fonctions, et, toutes les fois qu'une construction nouvelle s'élevait à La Calle, le Gouverneur ne manquait pas de lui envoyer un nouveau cadeau.

       Lorsque la Compagnie eût abandonné l'ancien Bastion de France, à, cause de son insalubrité, pour transporter son établissement à La Calle, vers 1677, les Nehed à l'Orient de La Calle, revendiquèrent la possession de ce point ainsi que la somme annuelle qui était donnée précédemment au Cheïkh de la Mazoule. Mais celui-ci ne voulait pas renoncer à ses bénéfices ; dès lors, une guerre assez longue éclata entre les Nehed et leurs frères, les Oulad Dieb, et ne se termina que lorsque les deux partis convinrent que chacun d'eux prendrait la moitié de la somme et cette convention eût son effet jusqu'à la destruction de l'établissement Les Nehed étaient tenus d'employer une partie de cet argent à payer, comme le Cheikh de la Mazoule, des Truchemans mis à la disposition de la Compagnie.

       Malgré le traité qui précède, et à cause de ce traité même, les Oulad Dieb vivaient en état d'hostilité constante avec les Nehed ; la plage de La Calle était souvent le théâtre de rixes à coups de pierre et de bâton entre les deux partis ; aussi les Arabes devaient-ils déposer les armes avant d'y pénétrer. Le puits qui est dans l'intérieur de cette enceinte, était considéré comme un point limite entre les deux tribus ennemies ; le mur, partant du puits et divisant la plage en deux côtés, construit comme nous l'avons dit plus haut, pour retenir les sables, marquait la séparation.
       Les Oulad Dieb qui venaient à La Calle pour commercer, devaient se tenir à l'Ouest de ce mur et les Nehed à l'Est : chacun restait ainsi dans son pays.
       C'est ce qui, à une certaine époque, servit de prétexte pour fixer la limite des Régences d'Alger et de Tunis, au puits ou plutôt au mur qui longe la plage de La Calle. Nous reviendrons, plus loin, sur cette question assez curieuse.

       Mais reprenons, pour le moment, l'histoire de Trad el-Dieb, le nourrisson de la femelle du Chacal. Peyssonnel, voyageur français qui visita La Calle en 1725, raconte ce qui suit à son sujet : Ahmed Ben Belabès, Chef de la Mazoule, aux environs de La Calle, était fils de Belabès et petit-fils de Sidi Trac (Trad). Ce dernier était un Marabout en odeur de sainteté mahométane et qui, depuis sa mort, a fait plusieurs miracles dont voici un des principaux :
       La marmite, dont il se servait pendant sa vie, était en grande vénération ; on venait de tous côtés l'emprunter pour y faire cuire le festin des noces, auxquelles elle donnait un succès heureux. Après les noces, on mettait la marmite hors de la cabane et-elle partait et retournait d'elle-même à la mosquée du saint. Ce miracle était cru et le serait encore, mais, par malheur, un Marabout vivant, aussi grand saint que Sidi Trad mort, ayant emprunté la marmite pour ses noces la garda et oncques on ne la vit plus retourner miraculeusement.
       Le grand saint Sidi Trad habitait dans les montagnes du Tarf, auprès d'une source d'eau chaude, dont les environs sont les meilleurs terrains et les plus fertiles de la contrée.
       Il avait bâti, dans cet endroit, un oratoire ; sur la fin de sa prière, il se mettait une corde au cou, passait le bout de la corde à une pièce de bois, s'y suspendait jusqu'à ce qu'il fût presque étranglé; alors il lâchait la corde, tombait évanoui et restait quelque temps immobile jusqu'à ce qu'il eut repris la respiration. Notez qu'il y avait des Arabes auprès de lui qui lui ôtaient la corde du cou et qui se retiraient, après, pour laisser le Marabout en conférence avec le Prophète Mahomet qui venait le trouver ; quelquefois ils se disputaient ensemble. Il en imposait ainsi, et non seulement il passait pour saint, mais encore il avait par ce moyen le commandement absolu de tout le pays. Les ruses en dévotion sont souvent très utiles et font bouillir la marmite des imposteurs qui les mettent en pratique et qui en imposent ainsi au peuple ignorant et crédule.

       Sidi Trad vivait vers l'an 1680 ; il eût plusieurs enfants desquels Belabès, l'aîné de tous, succéda au Commandement du pays. Celui-ci se maria et eût, d'une négresse, Ahmed ben Belabès dont nous devons parler. Ahmed parut dans sa jeunesse fort brave et remuant.
       Ses oncles conçurent de la jalousie contre lui et son père ne plût faire autre chose que de lui donner un petit douar à commander. Lorsqu'il se vit maître d'un douar, il proposa à ses camarades et amis d'aller en maraude. Il se trouva plusieurs braves qui le suivirent. Ils ne vivaient que des vols qu'ils faisaient sur leurs voisins et tous les jours c'étaient de nouvelles gazies, c'est-à-dire des courses pour enlever des bœufs et des bestiaux. Une vie si douce en apparence, qui les exemptait du travail que les Arabes haïssent extrêmement et qui leur donnait les moyens de vivre aux dépens de qui avait le malheur d'être attaqué, lui attira encore quantité de braves qui se joignirent à lui et qui firent connaître et craindre Ahmed ben Belabès de tous les arabes ses voisins. La jalousie de ses oncles augmenta encore plus et Belabès le père étant mort, le pays et toute la nation de Mazoule furent divisés. Les oncles prétendirent commander ; le neveu le voulait aussi. La guerre s'alluma ; plus de Chef principal, et beaucoup de Chefs particuliers brouillés les uns contre les autres.

       Belabès fut un jour attaqué et surpris près de la rivière de Boubias (sans doute Bougous) par quelques uns de ses oncles ; il reçut, dans le combat, un coup de fusil dans la cuisse. Il ne fi t alors que descendre de cheval et se banda la plaie avec un demi turban qu'il avait, puis, étant remonté avec un courage de lion, feignit d'avoir beaucoup de monde peu éloigné de lui, appela les plus braves et les plus connus, poursuivit ses oncles, les mit en fuite et se sauva par cette ruse, avec très peu de cavaliers, d'un pas où il devait absolument périr, sa mort ayant, été jurée.
       La guerre ne finit point là. Quelque temps après ses parents lui donnèrent encore dessus. Il eut alors le malheur de perdre son frère un des plus braves de sa troupe.

       Ce dernier coup l'obligea à faire la paix ; mais comme il gardait sur le cœur et la mort de son frère et quantité de blessures qu'il avait reçues de ses parents, il fi t si bien qu'il trouva le moyen d'empoisonner deux de ses oncles des principaux de la Mazoule Il arriva quelque temps après que les Maures, sous de mauvais prétextes, firent la guerre aux Français de la Calle et qu'un jour ayant surpris dix Français qui étaient à la chasse, ils en tuèrent cinq et blessèrent les cinq autres. M. de Marie qui commandait alors à La Calle, voulut avoir raison de la mort de ces cinq hommes. Le comptoir avait fait de grosses avances aux Chefs de cette nation pour se la conserver en paix, car elle seule était capable d'empêcher tout le négoce qu'on y faisait.
       Ahmed, ben Belabès avait toujours été ami des chrétiens, car on observe qu'il ne leur a jamais fait de mal ; au contraire, pendant qu'il était brouillé avec eux, un bateau corailleur ayant fait naufrage sur ses côtes, il sauva tout l'équipage et le renvoya à La Calle avec les agrès et les coraux sauvés du naufrage, Belabès vint donc offrir de venger le sang des morts, à condition qu'on le ferait le seul Chef du pays, ce qu'on lui promit.
       M. de Marie envoya de son côté, au Bey de Constantine, demander justice pour la mort des Français et l'on y conclut qu'il fallait faire périr huit des principaux de ces petits Chefs et mettre Belabès à la tête de la nation de la Mazoule pour empêcher les désordres qui suivent la multitude des Chefs et pour la sûreté de la vie des chrétiens. Il s'agissait d'exécuter le projet et de saisir ceux que la politique avait fait condamner, quoique peut-être innocents de la mort des Français.
       Pour y réussir le Bey demanda une somme considérable qu'aucun ne voulût payer du sien. Mais Belabès qui les trahissait tous, les porta à venir emprunter la somme nécessaire, soi-disant que les chrétiens ne la leur refuseraient pas lorsqu'ils la demanderaient tous ensemble.

       Ils furent donc tous à La Calle, et M. de Marie, qui avait ordre de les arrêter, leur chercha une querelle d'Allemand, les fi t d'abord désarmer et, en même temps, environ trois cents Maures qui les avaient suivis. Il emprisonna les Chefs et en fi t donner avis au Khalife du Bey, C'est à cette occasion que l'on a établi l'usage, qui subsiste encore, qu'aucun Maure ne peut entrer avec des armes dans la place de La Calle et du Cap Nègre. Ils sont obligés de laisser jusqu'à leurs couteaux à la porte, sans quoi on leur donne fort bien la bastonnade si ou les trouve armés.
       Le Khalife envoya prendre ces huit Chefs, et, pour recevoir le présent promis pour leurs têtes, il les fi t périr tous les huit, donna le titre de Schick à Belabès qui, se voyant alors Chef absolu, renouvela ses cruautés et l'on compte quatre-vingts de ses parents qu'il a assassinés, empoisonnés ou tués de sa propre main ou par ses satellites. Il a rendu, aujourd'hui, sa Nation très puissante, et gouverne tranquillement et absolument, massacrant qui bon lui semble et mettant les impôts qu'il juge à propos. Il est haï, et, craint des Turcs qui, en outre qu'ils ne peuvent souffrir par politique un Chef puissant et brave, se ressouviennent encore des vols et des pillages que Belabès a faits aux Douars de la plaine de Bône, dont les Turcs sont les Chefs.
       Il reste quelques fils de ses parents assassinés, que le sang de leurs pères révolte et porte à la vengeance. Ils font tous les jours des courses sur la Nation de Belabès. Ils ont tué deux de ses fils et, retirés dans les montagnes, ils chagrinent souvent notre Belabès.

       " Lorsque nous étions avec lui au Tell (Tarf), où je fus herboriser le long du ruisseau d'eau chaude et prés de l'Hermitage de Sidi Trad, Belabès offrait mille piastres au Caïd de Bône pour l'obliger à couper la tête à trois de ses neveux et à deux Chefs qui les avaient reçus et qui les protégeaient. Telle est la politique de ce pays : les Caïds et les Chefs vendent à prix d'argent la tête des hommes et les font mourir sans forme de procès, ni raison apparente. Les Arabes ne se poussent, ne deviennent Chefs et ne se soutiennent que par des voleries, des rapines, des meurtres, des assassinats et des crimes semblables, et l'on est ensuite obligé de ménager et de feindre estimer de semblables coquins dignes des plus affreux supplices, qui sont cependant Princes et maîtres absolus de leurs pays.
       La politique veut que les Français soient amis de Belabès et le soutiennent, parce que tout méchant qu'il est, il entretient la paix dans le pays, étant craint et redouté, et en état de soumettre les autres nations qui voudraient faire tort au commerce et à la tranquillité, des Français établis à La Calle, et, qu'outre cela, en changeant on trouverait peut-être pis. "

       L'abbé Poiret, qui visita La Calle soixante ans après Peyssonnel, c'est-à-dire en 1785, nous fournit sur le même sujet quelques détails assez curieux ; voici l'extrait d'une de ses lettres :
       " Les Maures, qui habitent la Mazoule, vivaient d'abord comme les Nadis (Nehed) leurs voisins, sans lois et sans frein, n'ayant d'autre dépendance qu'un léger tribut qu'ils payaient au Bey de Constantine, Ils faisaient alors beaucoup d'excursions qui troublaient le commerce et portaient le désordre dans les Comptoirs français. Pour se mettre à l'abri de leurs hostilités, la Compagnie fit représenter au Divan d'Alger, que puisqu'elle était lismataire, c'est-à-dire que puisqu'elle payait les droits convenus pour la tranquille possession du pays, il était juste qu'Alger la garantisse des vexations des Maures de la Mazoule.

       Le Divan promit d'y remédier en donnant un Schick (un Chef) à ces différentes nations, qui répondrait de tout le mal que les Maures de la Mazoule feraient à la Compagnie, mais qu'il fallait que la Compagnie fi t les avances nécessaires pour obliger ces nations à se soumettre au pouvoir d'un seul ; qu'il fallait encore assigner à ce Schick certains revenus sur les différents objets de commerce. Tout fut accordé.
       Le Divan donna au Bey de Constantine le droit de nommer un Schick à la Mazoule. Il choisit Belabès, un des principaux du pays, et le mit en possession de sa place à la tête d'un camp considérable. La loi du, Divan était alors que ce Schick ne serait reconnu tel que du consentement du Gouverneur de La Calle ; mais après la mort d'Abdallah, qui succéda à Belabès, le Bey de Constantine s'attribua seul ce droit. Ce premier Schick, après avoir soumis quelques nations rebelles eut un règne assez tranquille.

       Abdallah lui succéda. Ce monstre, élevé et nourri dans le crime, ne signala que par les plus horribles forfaits un règne de plus d'un demi-siècle. Il ne manquait pas de courage, mais c'était celui des Cartouche et des Mandrin. Il ne s'en servait que pour dépouiller ses voisins et se révolter contre le Bey de Constantine, auquel il refusa très souvent de payer tribut. D'une ambition démesurée, il était si jaloux de son autorité que tout ce qui y portait le moindre ombrage était à l'instant sacrifié. Deux de ses frères en furent les malheureuses victimes. Ils vivaient d'abord avec lui dans une union parfaite ; mais Abdallah s'imagina qu'ils avaient intrigué auprès du Bey de Constantine, pour avoir le gouvernement de la Mazoule. Il ne lui en fallut pas davantage pour le déterminer à s'en défaire. Ses frères furent heureusement instruits des projets de ce furieux ; ils s'éloignèrent au plus tôt. Quelque temps après, Abdallah paraissant entièrement revenu de ses soupçons, écrivit à l'un des deux pour l'engager à venir vivre avec lui : il lui jura par tout ce que la religion, le sang et l'amitié ont de plus sacré, qu'il le traiterait comme un frère chéri, et qu'il reconnaissait combien ses soupçons avaient été injustes. Celui-ci, séduit par ces vives protestations, se rendit auprès du Schick son frère : il en fut accueilli avec la plus tendre affection. Tous deux, en s'embrassant, versèrent des larmes de joie. Ce ne furent pendant plusieurs jours que festins et divertissements. Cependant, le frère d'Abdallah ne se livrait qu'avec réserve à la confiance que celui-ci voulait lui inspirer. Il n'osait sortir du douar.
       Abdallah lui en fit un jour de tendres reproches et, à force de caresses, l'engagea à faire une promenade avec lui. Ce frère, trop confiant, se laissa séduire par ces protestations d'amitié. Ils sortent ensemble, suivis de quelques cavaliers ; mais à peine à quelques portées de fusil du douar, Abdallah ordonne de tirer sur lui. Cet infortuné se sauve vers une mosquée, lieu sacré et privilégié, même pour les plus grands crimes. Abdallah, ne respecte plus rien ; il en arrache son frère innocent et le fait massacrer sous ses yeux. Il lui en restait encore un autre, réfugié du côté de Tunis.
       Abdallah fait un voyage dans ce pays. Il lui envoie des présents et l'engage à le venir voir. Celui-ci crut n'avoir rien à craindre en se rendant à ses instances. Il arriva ; mais tandis qu'ils se donnent réciproquement le baiser de paix, Abdallah tire un poignard de dessous son burnous et égorge son frère sur ses propres genoux.
       D'après ces traits de cruauté, vous jugez aisément, mon cher Docteur, tout ce dont ce monstre était capable. Il se baignait dans le sang sans aucun remords ; tout était sacrifié à ses passions. Livré aux plus grands excès de la débauche, il la porta jusqu'à abuser par force de ses propres filles.
       Ayant un jour fait violence à une jeune mauresque qu'il avait attachée à un arbre, sa brutalité satisfaite, il poignarda cette malheureuse de ses propres mains, pour avoir osé résister à ses instances. A. l'âge de quatre-vingts ans, il avait épousé une jeune femme de quinze. Celle-ci interrogée par ses compagnes sur les plaisirs qu'elle pouvait éprouver avec le vieil Abdallah, leur témoigna combien un mari de cet âge la dégoûtait. Malheureusement, elle en est entendue : il sort furieux de sa tente et plonge impitoyablement un poignard dans le sein de cette infortunée qui embrassait ses genoux.

       Presque toujours ses crimes étaient dirigés par une politique des plus fies, quand il se croyait obligé d'y avoir recours. Vous en jugerez par l'anecdote suivante qui m'a été racontée à La Calle. Abdallah joignait à tous ses vices une sordide avarice. Malheur à celui de ses sujets qu'il soupçonnait être riche ! Il fallait ou qu'il déclarât et abandonnât ses richesses, ou qu'il périt sous les coups et dans les plus affreuses tortures. Un des principaux de la Nation avait amassé de grandes richesses par son industrie et son travail. Abdallah les convoita ; mais comme le possesseur était très considéré, il n'osa faire un coup d'éclat. Il lui tendit un piège bien difficile à éviter.
       " Mon ami, lui dit-il, tu sais combien j'ai de confiance en tes conseils ; je t'ai toujours regardé comme mon père et mon meilleur ami. Les Chrétiens de La Calle m'ont trompé dans le commerce ; j'ai eu patience ; mais leur mauvaise foi, leurs injustices augmentent de jour en jour. Ne serais-tu pas d'avis que je les punisse, que je tombe sur leurs troupeaux et que j'arme contre eux les nations voisines ; c'est mon dessein ? "

       Abdallah, entier dans ses volontés, ne consultait jamais les autres, que pour leur ordonner d'être de son avis. Cet Arabe courtisan trouve que rien n'est plus juste que la résolution du Schick. Abdallah ajoute qu'il veut, pour le lendemain, assembler son Conseil et mettre la chose en délibération ; mais, en attendant, il lui ordonne le plus grand secret. Le lendemain, les principaux Arabes se réunissent sous la tente d'Abdallah qui leur tint ce discours :
       " Vous savez tout le bien que nous recevons des Chrétiens de La Calle, et combien ils s'efforcent de rendre le commerce florissant : vous savez par quels serments je me suis engagé à les protéger et à les défendre. Que mérite un homme assez audacieux pour m'engager à violer mes serments et à trahir les Chrétiens ? "
       Tous ensemble répondirent : la mort. Abdallah nomma l'Arabe opulent, qui fut massacré avant d'avoir eu le temps de se justifier.

       Je vous rapporte ces traits, mon cher Docteur, non pas comme ceux d'un simple particulier livré à la scélératesse, mais comme appartenant aux mœurs de la Nation et même comme un titre d'éloges aux yeux de ces barbares.
       Tant de cruautés donnèrent au Schick Abdallah une grande réputation. Il l'augmenta encore et termina une vie pleine d'atrocités par un voyage à la Mecque. Il mourut, à son retour, à moitié chemin, âgé de plus de quatre-vingts ans. On lui dressa une mosquée où il est honoré comme un Saint.
       Abdallah avait deux fils : Ali Bey et El-Bahy. L'aîné, Ali Bey, avait souvent essayé de se défaire de son père, au moins de le chasser de sa place. Il réussit enfin à s'en emparer ; mais ses succès furent de peu de durée. Abdallah reprit sa première autorité, et comme il aimait ce fils rebelle, il se contenta de l'envoyer dans les prisons de La Calle. A son départ pour la Mecque, Abdallah remit son fils au pouvoir du Bey de Constantine et céda toute son autorité à El-Bahy, son second fils.

       Celui-ci, sans mœurs, sans probité, ne se montra pas moins cruel et sanguinaire que son père. Avant la contagion actuelle (la peste), il venait souvent à La Calle, où il s'enivrait avec les soldats et les manœuvres. Sa figure est douce et prévenante, mais son cœur est celui d'un tigre Je ne vous citerai de lui que ce seul trait, pour ne point davantage souiller ma plume par le récit de nouvelles horreurs. Une négresse, esclave d'El-Bahy, s'était abandonnée à un Maure. Elle en était enceinte. El-Bahy en fut instruit : il fit saisir cette infortunée, et ordonna qu'on lui écrasât les mamelles entre deux grosses pierres. Après quoi il lui ouvrit lui-même le ventre. L'on m'a assuré qu'il avait assisté, en riant, à ce spectacle d'horreur. Incrédule par libertinage, il se moque de la loi de Mahomet et se livre tout entier aux excès de la plus infâme débauche. Je l'ai vu, à Bône, après sa disgrâce, continuer le même genre de vie et sans cesse environné de compagnons de son libertinage.

       Cependant Ali Bey, renfermé dans les prisons de Constantine, sollicitait vivement le Bey de cette ville de lui accorder le gouvernement des Maures de la Mazoule, auquel il avait droit par sa naissance. Il appuya cette demande en promettant de payer des tributs bien plus considérables que ceux que payait son frère. Ses offres furent enfin acceptées.
       Le Bey de Constantine, à la tête d'un camp considérable, vint fondre sur le douar d'El-Bahy qui n'eut que Je temps de prendre la fuite. Dès ce montent, Ali Bey fut reconnu pour Schick.
       Ces révolutions arrivèrent peu après mon arrivée en Afrique. Poiret ajoute dans une autre lettre :
       Les contrées que j'habite sont devenues un théâtre sanglant de cruautés et d'horreurs. Ali Bey fait, depuis quelque temps, des excursions fréquentes sur plusieurs hordes Arabes de son voisinage. A la faveur de la nuit, il fond à la tête de ses cavaliers sur les troupeaux et les tentes, en chasse les habitants, s'empare de leurs possessions et emmène en captivité leurs femmes et leurs enfants.

       Ces malheureux, livrés à la brutalité du soldat, sont traités comme des bêtes de somme jusqu'à ce qu'ils soient rachetés par leurs parents ; plusieurs expirent par la disette ou sous les coups, au milieu des gémissements et du désespoir. Ceux qui survivent n'en sont que plus à plaindre...
       Parmi les Nations dépouillées, il s'en est trouvé une, les Beni Selems, qui faisaient un commerce annuel avec la Compagnie. Ces Arabes étaient pauvres, incapables de racheter leurs femmes et leurs enfants; ils ont eu recours, dans cette extrémité, au Gouverneur de La Calle, espérant qu'Ali Bey, déterminé par des intérêts de commerce, aurait quelques égards pour la Compagnie. La négociation a eu lieu, et, moyennant un certain nombre de piastres que l'on offrit à ce Chef, il consentit à rendre la liberté aux Beni Selems.
       Ali Bey était depuis près d'un an privé de ses femmes et de ses enfants, que le Bey de Constantine gardait en otage jusqu'à ce que ce Chef lui eût payé environ 30,000 piastres qu'il lui avait promises pour avoir la libre possession du pays à la place de son frère El-Bahy. Cette somme ayant été acquittée; le Bey de Constantine a renvoyé au Chef de la Mazoule ses femmes et ses enfants. "

       Dans la correspondance du Directeur de La Calle, nous verrons des détails encore plus précis et qui appartiennent à. l'histoire même des anciennes Concessions Seulement, afin de suivre cette famille, nous dirons qu'en 1817, au moment de la reprise de possession de La Calle, par les Français, le Schick de la Mazoule, Metir Ben Ali Bey, venait d'être assassiné par ses parents ; la même année, Mohammed Ben Metir, fils du défunt, était nommé à sa place, C'est celui-ci qui, par ordre de Hussein-Pacha, incendia La Calle, en 1827, Le Gouvernement turc lui avait donné un pouvoir absolu sur ses administrés, on peut en juger par sa justice qui fait encore le sujet des conversations ; il faisait ficher en terre, par un épieu lui traversant la poitrine, tout voleur des montagnards Nehed ou Khoumir qu'il saisissait.

       Lorsque Yousouf prit possession de La Calle, au nom de la France, plusieurs enfants de Ben Metir se trouvaient aux Oulad Dieb et avaient déjà fait leur soumission, Mais ces jeunes gens, malgré les sages conseils de leur tuteur, un certain Ben Djedid, qui avait épousé leur mère aussitôt son veuvage, finirent, les uns et les autres, assez tristement

       Abdallah El-Bahy, le cadet, caractère faible et sans dignité, ne sut pas conserver la fortune que lui avait laissée son père. En 1834, il se rendit à Bône offrir sa soumission au Général D'Uzer, puis, peu de temps après, il alla à Constantine pour faire la même démarche près d'Ahmed Bey, qui lui fi t cadeau d'un cheval et d'un équipement complet.
       Nommé par nous une seconde fois Cheikh des Oulad Dieb, après l'occupation de La Calle, en raison du prestige de sa famille, il fallut le destituer peu de temps après ; son frère aîné, qui avait été fait Officier de Spahis auxiliaires et, dont on était très content, fut presque aussitôt assassiné à la porte de Bône. Abdallah passa aux yeux des Arabes comme l'instigateur de ce crime. Il n'aurait fait, du reste, que suivre l'exemple de ses ancêtres, parmi lesquels on compte plusieurs fratricides. - Le plus jeune frère, Ferhat, qui, avec les Nehed montagnards, se livrait à des incursions fréquentes sur les Tribus soumises qu'il dépouillait, fut pris et gardé en prison ; - il y a longtemps qu'il n'est plus question d'eux dans le pays.

       A 18 kilomètres au Sud-Ouest de La Calle se trouve, aujourd'hui, un groupe de population nommé les Oulad Dieb d'Aïn Khiar. Au moment de la conquête, ce territoire était inoccupé, il avait servi comme apanage ou terrain Makhezen, aux anciens Cheikhs des Oulad Dieb. Nous y installâmes d'abord un détachement de Spahis pour la police du pays, puis, peu après, des gens de toutes les Tribus limitrophes y furent placés et s'y fixèrent définitivement. La fusion de ces éléments hétérogènes est maintenant complète ; il serait difficile, après quarante ans de croisements successifs entre ces familles, de reconnaître les origines des divers habitants ; mais cette circonstance nous rappelle une particularité qui mérite d'être mentionnée. Yousouf avait donc créé, à Aïn Khiar, un poste de Spahis auxiliaires chargé d'assurer la sécurité des environs. Un jour que les hommes inscrits sur les contrôles de cette troupe se présentaient pour toucher leur solde, il en arriva, en même temps, à peu près quatre fois autant d'autres tribus que l'on ne connaissait pas, ayant la prétention d'être payés aussi. Que voulez-vous, leur demanda-t-on ? Être payés pour la paix que nous vous accordons et la protection que nous donnons à vos Chrétiens de La Calle. C'était la coutume de l'ancien Comptoir que nous voulons voir conserver !
       Yousouf leur répondit : " Que la France payait les services qu'on lui rendait, mais n'achetait pas la paix. " La manière énergique dont cette explication fut donnée suffit, et jamais plus on ne souleva de pareilles exigences.

       BÉNI-AMAR. - Cette Tribu est située 26 kilomètres au Sud-Est de La Calle, sur les deux rives de l'Oued El-Kébir. D'après la tradition locale, elle tire son nom d'un Chef d'origine Arabe qui partit du Sud à la tête d'un certain nombre de cavaliers et vint conquérir le pays aujourd'hui occupé par les Beni-Amar ; mais ils reconnaissaient la suprématie des Oulad Dieb. Du reste, leur origine et leurs traditions sont les mêmes, comme branche de la famille des Nehed.

       SEBA. - La Tribu des Seba, dont le territoire occupe toute la plaine comprise entre la mer, les dunes des Oulad Dieb, le grand marais de Mekhaddou et la Mafrag, est d'origine Arabe. D'après les traditions locales, elle tire son nom de sept frères (sebâa) qui vinrent s'installer auprès de la source d'Aïn Saboun, où l'on voit encore leurs sept tombeaux.
       Quoique issus de sept marabouts, les Seba passent pour avoir été très guerriers, et ils ont conservé des habitudes laborieuses qui tranchent avec leur origine religieuse.
       Leur territoire est traversé, de l'Ouest à l'Est, par l'Oued el-Kébir qui déborde souvent en hiver et inonde les trois quarts des terres. Cette circonstance a pour effet de rendre le sol marécageux et malsain en été. La zone Nord, formée des dunes fixes, recouvertes de broussailles, est impropre à la culture ; la partie Sud est essentiellement marécageuse et n'est bonne qu'au pâturage; la zone intermédiaire est seule cultivable, aussi les céréales récoltées ne suffisent-elles pas à l'alimentation des habitants : ils sont obligés d'acheter le complément. Mais ils se livrent à l'élevage du bétail, sur une grande échelle, et cultivent du tabac estimé.

       OULAD YOUB. - Les Oulad Youb, issus d'une Colonie de la Tribu Tunisienne des Djendouba, aujourd'hui encore établie en Tunisie, sont installés depuis une époque très reculée dans le pays qu'ils occupent aujourd'hui, à 19 kilomètres au Sud de La Calle.
       Administrés par un Chef nommé Youb Ben Ali, les émigrants Tunisiens prirent son nom et eurent la sagesse de se maintenir eu paix avec leurs voisins. Ils furent d'abord obligés de reconnaître l'autorité du Chef de la ville du Kef, relevant lui-même de Tunis ; mais bientôt le Cheikh Algérien des environs de La Calle les rangea sous sa domination et, depuis plusieurs siècles, ils font partie de l'Algérie.
       Ils firent leur soumission à la France, eu 1845 ; turbulents d'abord, ils s attirèrent plusieurs châtiments exemplaires. Leur situation sur la ligne frontière explique ces agitations des premiers temps de la conquête. Le territoire des Oulad Youb est entouré, de tous côtés, par des montagnes dont les plus hautes s'étendent vers la Tunisie, les autres s'abaissant dans la direction du Nord. Au milieu se trouve un énorme massif broussailleux qui partage la Tribu en deux parties sous le rapport des terres de culture.
       Vers la Régence, les terres arables sont de meilleure qualité ; celles du côté opposé, enclavées dans l'Oued El Kebir et l'Oued Bougous, sont principalement réservées pour les cultures du printemps et pour les pâturages La majeure partie du sol est couverte de forêts et de broussailles qui offrent des ressources précieuses pour l'élevage des troupeaux. Le commerce des bestiaux y est considérable. Son miel est très recherché. Cette tribu possède, à peu de distance du Bordj du Mexenna, une source d'eaux chaudes de peu d'importance.

       Chez les Oulad Youb existe la famille des Ben HaLim, qui prétend être une branche descendant du Marabout Sidi Trad, ancêtre des Oulad Dieb.

       BRABTIA. Les Brabtia occupent le bord de la mer à l'O. de La Calle. Leur territoire est formé en partie des plaines marécageuses qui reçoivent, en hiver, le trop-plein des lacs Malah, Oubeïra et Tonga. L'autre partie se compose de massifs montagneux généralement recouverts de forêts et de broussailles. Les terres, propres aux céréales, y sont très favorables à la culture du millet, du maïs et du tabac. Des prairies naturelles et le pâturage dans les forêts, permettent aux Brabtia d'élever un grand nombre de bestiaux. Cette population, en majeure partie d'origine Arabe, reconnaissait la suprématie des Oulad Dieb. Les ruines de la vieille Calle ou Bastion de France sont sur son territoire.

       SOUARAKH. - Cette tribu est située à l'extrémité de l'Algérie, à 9 kilomètres de La Calle, sur la frontière de la Régence de Tunis. Comme beaucoup d'autres populations des environs, elle n'était autrefois qu'une fraction de la grande tribu des Nehed Les Souarakh par suite de leur voisinage avec la Tunisie, n'ont pas toujours eu le même sort, ni suivi la même fortune que les autres Nehed. Ainsi, quelques années avant l'occupation française, par suite de la chute du Pacha d'Alger et des embarras du Bey de Constantine qui ne pouvait guère les surveiller, un de leurs Cheikhs voulant régulariser sa position, alla se faire investir par le Bey de Tunis et lui paya une certaine redevance mais ce fut le seul acte de vassalité de la part de ce fonctionnaire et de ses administrés qui se prétendaient indépendants. A l'époque de l'occupation de La Calle, les Souarakh nous firent quelque opposition et tentèrent même divers coups de main contre notre nouveau poste. Ce n'est guère que trois ans après que les notables de la tribu vinrent faire leur soumission définitive entre les mains du Commandant de Mirbek.

       Le territoire des Souarakh est formé, pour sa plus grande partie, du bassin de l'Oued El-Heurg, qui se jette dans le lac Tonga. Le sol, d'une fertilité médiocre, est peu propre à la culture des céréales, mais il convient bien au tabac, au sorgho et au millet. Entre l'Oued El-Heurg et la mer, s'étend une bande sablonneuse, stérile, parsemée çà et là de pitons rocheux et couverts de chétives broussailles. C'est là que se trouvent les principaux terrains de parcours de la tribu. Cette zone s'arrête à la Mecida, rivière canalisée qui sert de déversoir au lac de Tonga, coulant à la mer. Il y existe aussi une source d'eaux chaudes de peu d'importance dite Hammam-Labrek.
       Le pays des Souarakh est très accidenté ; le point le plus remarquable est le Kef d'Oum-Teboul, qui renferme dans son sein de riches mines de plomb argentifère. Ces mines en pleine exploitation par une Compagnie française, sont une source de richesse pour la tribu, qui y trouve une main-d'œuvre permanente et convenablement rétribuée. Une population européenne fixe s'est également installée sur ce point ; elle habite le bel établissement de l'exploitation des Mines et le village constitué par décret du 10 Décembre 1869. Les ruines de l'ancien Établissement de la Compagnie française du Cap Roux ou Seglab, sont sur le territoire des Souarakh.
       Dans la tribu des Souarakh existe une famille dite des Oum-Hani qui, jadis, était au service de la Compagnie française de La Calle, où ils se faisaient employer comme Truchemans. - Le dernier personnage un peu marquant de cette famille, a été Djaballah ben Oum Hani, qui se mit à notre service dès notre arrivée dans le pays. Nommé Kaïd de tout le Cercle, il garda le Commandement jusqu'en 1847.

       Les LAKHDAR et les AOUAOUCHA sont deux petites tribus contiguës l'une à l'autre, situées sur la frontière de Tunis ; la première à 13 kilomètres au S.-E.; la seconde, à 18 kilomètres à l'E. de La Calle. Elles faisaient partie de la grande tribu des Nehed et avaient une existence en quelque sorte commune.
       L'éloignement de cette tribu des centres de l'autorité de l'Algérie et de là Tunisie lui avait permis de conserver une indépendance presque absolue. Elle ne payait des Impôts que lorsqu'on venait les réclamer à la tête d'une colonne de troupes, et encore fallait-il les surprendre dans la plaine ; alors elle les acquittait tantôt au Bey de Tunis, tantôt à celui de Constantine, suivant que la colonne qui parcourait le pays appartenait à l'une ou l'autre des deux régions. Il leur est même arrivé de payer à la fois l'Impôt aux deux Régences dans le courant d'une année.
       Le territoire des deux tribus présente des conditions topographiques à peu près semblables, il est légèrement montagneux ; les vallées et les plaines sont très favorables à la culture des céréales, du maïs, du sorgho, du tabac. Deux rivières, l'Oued Leben et l'Oued El-Hout prennent leur source chez les Aouaoucha et arrosent les deux territoires.
       Les hauteurs sont couvertes de massifs de chênes-lièges. Les deux tribus possèdent chacune des Eaux thermales. Un Marché couvert, très important, existe à Roum-el Souk et se tient le mardi ; il est très fréquenté, même par les Tunisiens. Des ruines Romaines connues sous le nom de Aïn El-Kasser, couvrant une superficie d'au moins un hectare, se voient chez les Aouaoucha. Le lac de Tonga, dont il a déjà été question, est sur le territoire des Lakhdar. Il occupe une superficie de 2,000 hectares environ.

       La tribu des OULAD ARID est de race Arabe et tire son nom d'un certain El-Aridi, originaire de la tribu des Sahari de Bitam dans le Hodna, et dont les habitants émigrent chaque année vers le Tell pour y chercher les pâturages qui, en été, leur font défaut sur les hauts plateaux.
       La tradition rapporte qu'à une époque très reculée, un certain nombre de nomades ayant à leur tête El-Aridi et conduisant de nombreux troupeaux, vinrent camper sur le territoire compris entre le lac de Tonga et le lac Oubéïra.
       L'eau et les forêts qui offrent, en toute saison, d'excellents pâturages devaient exciter la convoitise d'un peuple pasteur par excellence. Aussi les émigrants s'y installèrent-ils sans la moindre opposition de la part des habitants du pays qui, du reste, étaient alors peu nombreux. C'est toujours la tradition des Nehed.

       LES SEBETA sont frères des Oulad Arid. Le territoire de ces deux fractions qui, bien que portant un nom différent, forment une seule tribu, est situé à 6 kil. au Sud de La Calle. Il est traversé de l'Est à l'Ouest par une ligne de hauteurs peu accentuées qui s'abaissent, au Nord, vers les lacs Oubeïra et du Tonga et, au Sud, sur l'Oued El-Kébir.
       Ces hauteurs sont couvertes de forêts qui occupent les trois quarts de la surface de la tribu. Les terres de culture sont disséminées en plusieurs groupes ; elles produisent surtout du tabac.

       Nous voici aux tribus du Kaïdat de Bou Hadjar. La première, celle des Oulad Nacer se compose, d'après la tradition locale, d'une partie des descendants du Marabout Sidi Trad, dont nous avons raconté la merveilleuse histoire en parlant des Oulad Dieb. Il existe sur ce territoire, à l'extrême frontière, une source thermale très abondante qui porte encore le nom de hammam Sidi Trad, et donne 50 litres à la minute.

       On voit, là, des pans de murs qui sont, sans aucun doute, les restes d'un Établissement romain. A leur sortie du sol les eaux sont d'une température d'environ 70 degrés ; refroidies elles sont très potables. Cette eau est fort renommée dans le pays contre les douleurs, les affections de la peau. Elle ne se prend qu'en bains à l'exception du jeudi et du vendredi, jours où, suivant les Indigènes, elle est d'une température insupportable.
       L'Établissement actuel est tout à fait primitif ; il consiste en une sorte de grotte à travers la voûte de laquelle l'eau tombe en douches sur le patient, et un monceau de branchages sur lesquels le malade dûment enveloppé de buissons, s'étend pour prendre des bains de vapeur. A 25 mètres environ, tout près de la rivière, coule, d'une fissure de rocher, une seconde source d'une odeur sulfureuse prononcée, dépôt abondant de soufre et mélangé d'incrustations calcaires. Sa température est de 48° et le débit approximatif de 10 litres à la minute. C'est sur le territoire des Oulad Nacer que l'on rencontre le plus grand nombre d'anciens pressoirs à huile.

       Les CHEBNA, de même que les OULAD MESAOUD n'appartiennent pas au groupe collectif des Nehed qui peuple presque tout le Cercle de La Calle. Du reste, leur arrivée dans ce pays est récente puisqu'elle ne remonte qu'à l'année 1816. A cette, époque, la peste ayant détruit presque totalement la population de la contrée où nous les voyons aujourd'hui, les Chiebna et les O. Messaoud vinrent de la Tunisie et s'y installèrent. Les gens de la CHEFIA et des Oulad Sidi Bekri sont, la plupart, d'origine religieuse et se donnent pour ancêtres des Marabouts qui ont plus ou moins accompli de miracles ; plus fanatiques que leurs voisins ils nous furent longtemps hostiles et ne firent leur soumission que les derniers, profitant des difficultés que présente leur pays accidenté et couvert de forêts.
       Dans la Chefia, au pied du Bou Abed, on trouve une source thermale, avec des vestiges d'Établissement Romain. Cette eau, d'une température de 30 degrés environ, a un débit d'une cinquantaine de litres à la minute, et jouit d'une grande réputation contre la gale, réputation attestée par les nombreux ex-voto qui recouvrent une partie des ruines. Cette source s'appelle indifféremment Hammam Sidi Djab-Allah du nom d'un ancien Kaïd et, plus souvent, par celui de Aïn Naga, nom primitif.

       Dans la Chefia existe une famille connue sous le nom de Ben Abd El-Ouhab qui avait une certaine influence dans cette région. Quand nous parûmes dans le pays, son représentant était El-Hadj Abd El-Ouhab, auquel nous donnâmes le titre de Cheikh. Il passa son Commandement à son fils afin d'accomplir le pèlerinage de la Mecque. A son retour, il partit pour la Kabylie sous le prétexte de s'y faire traiter d'une maladie d'yeux ; en réalité; il ne fi t que s'y livrer à des prédications malveillantes que lui facilitait son titre de Marabout et y pousser à la guerre sainte. Puis il revint dans le Cercle de La Calle au moment de l'insurrection des Beni Salah, dans laquelle il se lança ouvertement en cherchant à entraîner les fractions sur lesquelles il avait quelque influence : Chiebna, O. Nacer, O. Messaoud ; pris les armes à la main, il fut tué en Juillet 1852 et guéri pour toujours du mal d'yeux qui servait d'excuse à ses voyages et de l'envie de se livrer à la propagande insurrectionnelle.

       Nous avons vu le Capitaine Berthier prendre possession des ruines de La Calle et s'y installer au mois de Juillet 1836. Comme je l'ai dit ailleurs, ce pays avait été complètement délaissé depuis 1830, et les Tunisiens avaient cherché à s'y implanter; aussi, deux cavaliers du Bey de Tunis arrivèrent-ils aussitôt pour s'assurer de quelle manière nous occupions ce point. C'étaient les avant-coureurs d'un visiteur plus important, qui, suivi d'une escorte nombreuse, vint visiter M. Berthier sous le prétexte que se trouvant près de lui il avait voulu le saluer. Son but était, avant tout de satisfaire sa curiosité et de voir comment nous prendrions son voyage, mais il voulait aussi intimider par sa présence les Arabes des environs de La Calle, puisqu'il leur défendit de porter leurs denrées au marché en ajoutant même qu'il y avait lâcheté de leur part de laisser occuper ce point important par des Chrétiens, sans tirer un coup de fusil. Ces excitations furent mal reçues par les indigènes ; mais, sans cesse renouvelées, elles produisirent néanmoins un mauvais effet sur les esprits, puisque le 6 Octobre 1837, pendant que le Corps expéditionnaire du Général Danrémont attaquait Constantine, des groupes nombreux, parmi lesquels étaient beaucoup de Tunisiens firent une tentative contre La Calle pour nous en chasser. Malgré l'infériorité des troupes dont disposait M. Berthier, les ennemis furent repoussés, et le calme se rétablit promptement par la nouvelle de la prise de Constantine.
       A partir de cette époque, une petite Colonne mobile sous les ordres du Chef d'Escadrons de très content, rayonna dans le pays pour y étendre notre influence et déjouer les intrigues d'El-Hassenaoui qui, installé chez les Chiebna et à la Chefia, nous suscitait fréquemment des embarras. M. de très content accomplit admirablement sa mission et, par sa politique à la fois sage et énergique obtint, de 1838 à 1839, plusieurs soumissions et fi t respecter aussi bien par les rebelles que par les Tunisiens, le territoire dont la surveillance lui avait été confiée. En 1839, le Général Guingret qui commandait à Bône, fi t une Expédition dans le Cercle de La Calle et châtia quelques tribus rebelles.

       L'année 1840 se passa d'une façon assez tranquille et la paix semblait assurée ; aussi le Capitaine d'État-major Saget recevait-il la mission d'aller faire le levé topographique du Cercle de La Calle. Cet Officier, escorté de douze Spahis, se trouvait à la limite du Cercle en même temps que le Kaïd Mahmoud des Beni Salah, chargé de percevoir l'Impôt dans cette Tribu. A cette époque, les Beni Salah, sans être complètement soumis, reconnaissaient cependant notre autorité, et leurs Cheikhs recevaient le burnous d'investiture des mains du Commandant de Bône. Mais leurs montagnes et leurs forêts étaient toujours un repaire de voleurs où se retiraient tous les récalcitrants du pays Algérien ou Tunisien. Il avait été difficile, jusques-là, d'aller châtier et réduire ces populations farouches. La Tribu, prêchée par deux Marabouts, résolut, en pleine assemblée, d'assassiner l'officier Français ; et ce qui contribua le plus à cette détermination, ce fut la croyance où elle était que les cantines du Capitaine contenaient l'argent de l'Impôt. Pour mettre ce projet à exécution, le Cheikh Ahmed Chaïb offrit à déjeuner, pour le lendemain, au Capitaine et au Kaïd, dans un site délicieux des Oulad Ahmed, couvert d'arbres séculaires. Ils se rendirent l'un et l'autre à cette invitation ; puis, sous prétexte de les mieux traiter, on dispersa les Spahis d'escorte dans plusieurs tentes. A un signal donné, chaque Spahi est désarmé, dépouillé et renvoyé nu. Le Capitaine et le Kaïd sont massacrés.

       Pour venger cet assassinat, le Général Guingret, Commandant à Bône, marcha contre les Oulad Ahmed, au mois de Décembre 1840, avec trois Colonnes, dont les mouvements combinés avaient pour but d'envelopper l'ennemi. La première, sous les ordres du Général Guingret lui même, partit de Bône, fi t à Guelma sa jonction avec les renforts envoyés de Constantine et se dirigea de manière à tourner la montagne des Beni Salah et à les prendre à revers du côté des Hanencha. La deuxième, sous les ordres du Commandant De très content, de La Calle, pénétra, par la plaine, dans le pays ennemi. Enfin, la troisième, chargée d'appuyer les mouvements, se dirigea plus à l'Ouest, par les montagnes des Talha.
       Ces dispositions eurent une réussite complète, les Oulad Ahmed furent sévèrement châtiés. Ali ben Djaballah, l'un des Marabouts qui avait prêché l'assassinat, fut pris et décapité, son Douar entièrement saccagé. Le Cheikh Ahmed Chaïb, son complice, réussit à se sauver chez les Ouchtata Tunisiens, mais plusieurs membres de sa famille, fils, frères ou neveux étaient parmi les morts On retrouva chez lui les dépouilles, les armes et le cachet du Kaïd Mahmoud, ainsi qu'une partie des instruments du malheureux Capitaine Saget(4).

       Beaucoup de fanatiques des Tribus du Cercle de La Calle, qui étaient allés prêter leurs concours aux rebelles des Beni Salah, périrent dans cette affaire et tout le pays resta sous l'impression de la terreur en voyant le rude châtiment infligé aux assassins.
       Au mois de Septembre 1841, le Colonel Senilhes, à la tête d'une petite colonne de 500 hommes, allait camper à Aïn Khiar dans l'intention de réduire les Chiebna toujours insoumis. Parti à 8 heures du soir, il se trouva, après avoir franchi des montagnes très difficiles et à la pointe du jour, en vue du pays ennemi.
       Les Spahis appuyés par de l'Infanterie, marchèrent alors rapidement sur les Douars cherchant à sauver leurs troupeaux, mais qui, après une résistance insignifiante, les abandonnaient. La Colonne campa sur, ce point et y passa la nuit sans être inquiétée. Le lendemain, les Chiebna et les Oulad Messaoud demandaient l'aman et faisaient leur soumission.
       La marche de nos troupes, à travers la Chefia, présenta ensuite des incidents remarquables. La population qui, jusque là, avait échappé à notre autorité, se porta partout au devant de la colonne qu'accompagnaient les Cheikhs des Tribus nouvellement soumises, et les troupes furent par elles rassasiés, au Bivouac, de couscous de Diffa.

       Depuis le châtiment que le Général issus avait infligé aux Beni Salah, Nehed et à leurs alliés, les Khoumir, qui venaient piller nos tribus, le Cercle de La Calle avait été assez calme. Cependant, nos voisins revendiquaient sans cesse telle ou telle partie de notre territoire. En 1842, le Général Randon eût pour mission de s'entendre avec les envoyés du Bey afin de régler la question de frontière, entre nous et la Régence, d'une façon définitive. Mais la mauvaise foi des Cheikhs intéressés empêcha de donner une solution à l'affaire, et la frontière resta, pour nous, ce qu'elle avait été auparavant. Cependant, les Beni Mazen, qui s'étaient reconnus Algériens et nous avaient déjà payé l'Impôt, restèrent en dehors de nos limites. La frontière était continuellement infestée de brigands qui recevaient asile chez nos voisins, et l'état des choses dura jusqu'en Octobre 1844. A cette époque, une partie des Nehed Algériens étaient sous l'autorité d'un Cheikh qui avait jugé à propos d'aller se faire donner un burnous d'investiture à Tunis. Le Cheikh fut sévèrement châtié et ses gens, notamment les Aouaoucha, le désapprouvèrent en nous faisant leur soumission.

       La situation politique se maintenait calme ; des actes de brigandages, seuls, venaient de temps en temps troubler la tranquillité sur la frontière, les coupables trouvant toujours un asile chez nos voisins. Les mines d'Oum Teboul commencèrent alors à être exploitées et les travaux prenaient tous les jours plus de développement ; mais quelques ouvriers et des soldats furent assassinés et il fallut prendre des mesures énergiques pour arrêter ces brigandages suscités par les Souarakh.
       Vers l'automne 1849, le Kahïa du Kef prévint le Commandant supérieur de La Calle, qu'il allait se porter sur la frontière pour châtier quelques tribus qui, bien qu'en Tunisie, n'obéissaient à personne et donnaient asile à tous les bandits.
       Présumant que ce mouvement ferait rentrer chez nous un grand nombre de gens dont nous avions à nous plaindre, le Commandant supérieur se mit à la tête des Nehed de La Calle et saisit 3,000 têtes de bétail envoyés sur notre territoire par les Oulad Ali, récalcitrants à toute autorité.

       La frontière fut peu après alarmée par les manœuvres d'un certain Ben Selama de Tunisie, auquel on avait promis un Commandement s'il parvenait à nous arracher les Nehed. Ben Selama, le 2 Juin 1850, aidé des Khoumir, attaqua nos tribus, mais il fut repoussé avec pertes par notre Kaïd Labrek. Cependant, il régnait dans cette région une agitation sourde, parce qu'on avait insinué que nous allions être chassés. En effet, au printemps 1851, le Kahïa du Kef, avec quelques milliers de gens mal équipés et mal montés, vint jusqu'à la frontière, sous le prétexte de réduire des tribus Tunisiennes désobéissantes qui refusaient l'impôt, mais au fond, il voulait faire croire qu'il n'avait pas renoncé à ses prétendus droits sur les Nehed. Cette manœuvre insidieuse fut arrêtée à temps. Néanmoins l'agitation avait gagné dans tout le pays montagneux. Les Oulad Dhan et les Beni Oudjana, donnèrent les premiers l'exemple de la révolte ; bientôt les Beni Salah, les Hanencha et les tribus d'Aïn Beïda et de Tébessa se lèvent. Le Bordj de Souk-Ahras, défendu par une section d'infanterie du 10e de ligne et quelques ouvriers, est assiégé pendant quatre jours. A la nouvelle de l'Insurrection, les montagnards de l'Edough prennent les armes et attaquent le camp des déportés politiques à Fedj Trad. Le Cheïkh de cette tribu et sa famille se joignent à notre petite troupe qui pût battre en retraite, vers Bône. Le Marabout Bou Maïza réussit à faire rentrer dans le devoir toutes les populations de l'Edough, sans qu'il fût nécessaire d'y envoyer des troupes. Cette agitation était la conséquence des affaires de la frontière.
       Pendant que le Général de Mac-Mahon châtiait les rebelles à Galaât Senan, il avait envoyé le Colonel de Tourville le long de la frontière ; cet Officier supérieur faisait ouvrir une route de Roum-el Souk à La Calle, quand il apprend qu'un prétendu Chérif a rassemblé autour de lui les Oulad Moumen Tunisiens, et appelle les Croyants à la guerre sainte. De Tourville part soudain, tombe sur les Oulad Moumen et anéantit le foyer de l'Insurrection.
       1854 se passa sans évènements. L'année suivante, le Colonel Perigot rassembla une colonne et continua les travaux de route ouverts par de Tourville. Pendant ce temps, les Oulad Moumen assassinaient leur Cheïkh, et, aidés de leurs amis Tunisiens, attaquaient le camp Perigot à Sidi El-Hamissi. Ils furent rudement châtiés de tant d'audace et jamais plus, depuis, ils n'ont osé se mesurer avec nos troupes.



1) La poudre et les armes ne leur manquent pas aujourd'hui, grâce aux contrebandiers qui les en approvisionnent et c'est ainsi qu'ils se maintiennent indépendants.
2) Dans les tribus algériennes, à Alger même, la superstition attribue au chacal la vertu de protéger la vie des enfants surtout à l'époque de la dentition. Aussi voyons-nous la peau, la queue, le crâne même d'un chacal recherché par les jeunes mères pour le placer dans le berceau de leurs poupons, en guise d'amulettes garantissant de tous maux qui atteignent les enfants en bas âge.
3) Encore actuellement, dans la province de Constantine les terrains dit azel ou mazoul, sont des propriétés tombées en déshérence et entrées dans le domaine de l'État
4) Les officiers qui se distinguèrent le plus dans cette expédition et que le Général cita à l'ordre de l'armée étaient :
Le Lieutenant-colonel Herbillon, Commandant supérieur de Guelma. Le Chef d'Escadron de Mirbeck, Commandant supérieur de La Calle. Les Capitaines Vercly et Jarras. Le Lieutenant d'État-major Vaubert de Genlis, stagiaire au 26e de ligne.

A SUIVRE

ALGER, TYP. DE L'ASSOCIATION OUVRIÈRE V. AILLAUD ET Cie
Rue des Trois-Couleurs, 1877
Livre numérisé en mode texte par M. Alain Spenatto.

NOS ARTISTES
Envoyé par M. Gilles Primout

Photo Primout

        Bonjour Monsieur Bartolini,
      Grâce à vous je viens d'apprendre sur la Seybouse N°103 de Février 2011 Chronique locale : le Palace, la tournée Béal, le Pays du sourireque mon grand-père faisait partie des "meilleurs éléments de la ville de Bône" sous la direction d'Yvonne Perrot.
      Je n'ai hélas pas de photo du Palace à vous proposer mais en revanche la photo de Louis Primout jouant du violon aux côtés de sa fille au piano dans une brasserie de Bône. Selon mon père tous les deux se produisaient régulièrement dans des soirées d'animation musicale.
     Je ne connais pas le nom du jeune homme assis à la batterie. Ma tante Gilberte (1911-1941) est au piano, mon grand-père Louis Primout (1886-1939) est debout au violon.
     Il était dessinateur aux chemins de fer algériens et a vécu au hasard des mutations à Batna, Aïn-Beida et Bône.
     Pour la petite histoire également, son épouse, ma grand-mère Anna, née en 1890 à Azazga, est décédée le 26 mars 2005 à Perpignan à l'âge de 114 ans. Doyenne des Françaises et vice-doyenne européenne, rien que ça...
     Le bon air algérien et un veuvage précoce doivent expliquer cette longévité exceptionnelle !!
     M. Gilles Primout


LE SIROP DE BENI MERED
Envoyé Par M. Jacques Cathaldo


       Savez-vous que tout près de BOUFARIK, plus exactement à Béni Méred, un abbé, l'Abbé BLANC avait fabriqué un sirop contre la bronchite.
       Ce sirop par un hasard surprenant se retrouve actuellement fabriqué à Bagdad en IRAK, cliquez sur le lien ci-dessous, et vous aurez l'histoire de ce sirop. Bonne lecture.
       http://esmma.free.fr/mde4/bronchocure.htm




L'arche de Noé
Envoyé Par Jean Louis

          Dans l'année 2005, Dieu visita Noé qui n'habitait pas très loin de la mer et lui dit :
          " Une fois encore la terre est devenue invivable et surpeuplée et je dois agir. Construis une arche et rassemble un couple de chaque être vivant ainsi que quelques bons humains. Tu as six mois pour cela avant que je n'envoie la pluie pendant 40 jours et 40 nuits."
          6 mois plus tard, Dieu regarda en bas et vit Noé balayant sa cour, mais aucune arche.

          " Noé " gronda t-il " Je vais bientôt envoyer la pluie, où est l'arche ? "
          " Pardonne moi mon Dieu ", implora Noé "mais les temps ont changé. J'avais besoin d'un permis de construire pour commencer l'arche. J'ai dû me battre plusieurs mois avec l'inspecteur au sujet du système d'alarme pour l'incendie.
          Pendant ce temps, mes voisins se sont réunis en association parce que je violais les règles du lotissement en construisant une arche dans ma cour et que j'allais obstruer la vue.
          On a dû aller devant le conciliateur pour avoir un accord. Ensuite l'Urbanisme a déposé un mémoire sur les coûts des travaux nécessaires pour permettre à l'arche d'arriver jusqu'à la mer. J'ai eu beau leur dire que c'est la mer qui viendrait à l'arche, ils n'ont pas voulu me croire.
          Obtenir du bois en quantité suffisante fut un autre problème. Les associations pour la protection de l'environnement se sont liguées pour empêcher la coupe des arbres, sous prétexte qu'on allait détruire l'habitat de plusieurs espèces animales et ainsi les mettre en danger. J'ai tenté d'expliquer qu'au contraire tout ce bois servirait à sauver ces espèces, rien n'y a fait.
          Quand j'ai commencé à rassembler les couples de différentes espèces animales, la SPA, le WWF et Brigitte Bardot me sont tombés sur le dos sous prétexte que j'enfermais des animaux sauvages contre leur gré dans des pièces trop petites pour eux ; qu'en agissant ainsi, je faisais acte de cruauté envers les animaux.

          Ensuite, l'agence gouvernementale pour le développement durable a voulu lancer une étude sur l'impact pour l'environnement de ce fameux déluge. Dans le même temps je me débattais avec l'Administration sur l'emploi de travailleurs bénévoles dans la construction de l'arche. Je les avais embauchés car les syndicats m'avaient interdit d'employer mes propres fils, disant que je ne devais faire appel qu'à des travailleurs hautement qualifiés dans la construction d'arche et si possible syndiqués.
          Pour arranger les choses, le fisc a saisi tous mes avoirs, prétendant que je tentais de fuir le pays illégalement, suivi en cela par les douanes qui ont ajouté que je voulais faire passer les frontières à des espèces reconnues comme dangereuses.
          Aussi pardonne moi, mon Dieu, mais je ne sais même pas si 10 ans auraient suffi à la construction de cette arche."
          Aussitôt les nuages se dissipèrent et un magnifique arc en ciel apparut.
          Noé leva la tête et dit " Tu ne vas pas détruire le monde ?"
          " Pas la peine ", répondit Dieu, " l'administration s'en charge"



La guerre de religion a-t-elle commencé ?
par M. Thierry Desjardins
envoyé par : Gilles

          Enfin un journaliste franc et juste sur l'histoire.
          Cet article mérite, à mon avis, les trois minutes qu'il nous faut pour les lire, eu égard à son auteur.
          Il serait grand temps que nous nous apercevions - enfin - qu'une nouvelle guerre de religion a éclaté et, cette fois, …. à l'échelle planétaire.

          Les Islamistes massacrent les chrétiens en Égypte, en Irak, aux Philippines, en Indonésie, au Pakistan, au Nigéria, un peu partout.

          Malraux avait dit : " Le XXIème siècle sera religieux ou il ne sera pas ".

          On a bien l'impression que ce siècle qui commence va voir le déchaînement sans pitié d'un Islam renaissant, voulant dominer le monde et faire payer à la civilisation chrétienne les quelques siècles pendant lesquels elle a régné sur la planète.

          Cette haine du chrétien dépasse de beaucoup tous les problèmes de la foi. En s'attaquant aux églises, aux prêtres, aux religieuses, aux fidèles, les islamistes veulent abattre la civilisation occidentale, la démocratie, le capitalisme, ce qu'ils appellent le " néo-colonialisme ", la parité hommes/femmes, les Droits de l'Homme, le progrès tel que nous le concevons.

          Le XXème siècle a été marqué par l'affrontement est-ouest, le bloc communiste contre les pays " libres ". Marx, Lénine et Staline se sont effondrés d'eux mêmes sous les incohérences, bien souvent monstrueuses, de leur idéologie.
          Mais ils ont aussitôt été remplacés par Allah et son Prophète. Le Coran a pris la place du Communisme, le drapeau vert de l'Islam celle du drapeau rouge, les imams prédicateurs des mosquées celle des commissaires politiques.
          Le XXIème siècle sera une guerre sans merci car les foules immenses du Tiers-monde islamisé (et des banlieues de nos grandes métropoles) sont autrement plus dangereuses que ne l'ont jamais été les chars du Pacte de Varsovie.
          Nous pleurons, avec nos larmes de crocodiles habituelles, les coptes massacrés à Alexandrie et les chrétiens assassinés à Bagdad. Mais nous restons les bras ballants.

          Il faut bien dire qu'on voit mal ce que nous pourrions faire. Ce n'est plus guère le temps des croisades et nos dernières expériences en Afghanistan ou en Irak (où nous commençons à regretter la belle époque de Saddam Hussein qui savait, lui, au moins, faire respecter la laïcité baasiste) n'ont pas été très concluantes, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est bien loin le temps où Napoléon III pouvait envoyer un corps expéditionnaire protéger les maronites du Liban que massacraient les Druzes. Mais au moins restons lucides et surtout arrêtons de ressortir une fois de plus la fameuse " repentance " qui nous sert désormais pour maquiller toutes nos lâchetés (où nous commençons à regretter la belle époque de Saddam Hussein qui savait, lui, au moins, faire respecter la laïcité baasiste) n'ont pas été très concluantes, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est bien loin le temps où Napoléon III pouvait envoyer un corps expéditionnaire protéger les maronites du Liban que massacraient les Druzes. Mais au moins restons lucides et surtout arrêtons de ressortir une fois de plus la fameuse " repentance " qui nous sert désormais pour maquiller toutes nos lâchetés.
          Hier, un imbécile de service nous a longuement expliqué à la télévision que si les islamistes égyptiens massacraient les coptes c'était parce que ces chrétiens de la vallée du Nil étaient " les représentants de l'Occident ", les ambassadeurs de la " culture européenne ", les symboles vivants du capitalisme, du néocolonialisme, du dollar et du coca-cola. En un mot, les ultimes survivants de l'époque coloniale. Autant dire, à l'en croire, que les Islamistes avaient parfaitement raison de vouloir éliminer ces survivances d'un passé détesté.

          L'imbécile était, en plus, un inculte. Les coptes sont les descendants du peuple des pharaons. " Copte " veut dire " égyptien ". Ils étaient sur les bords du Nil bien avant la conquête arabe et musulmane. S'ils sont plus nombreux au sud, entre Assiout et Assouan, c'est précisément parce qu'ils ont fui les cavaliers conquérants venus d'Arabie. Ils avaient leurs églises bien avant que nous ne construisions nos cathédrales.

          On peut d'ailleurs dire exactement la même chose de tous les chrétiens d'Orient qu'ils soient catholiques (de rite d'Antioche, de rite syriaque comme les maronites libanais, de rite byzantin, de rite arménien, de rite d'Alexandrie) ou " non chalcédoniens " comme les coptes, ou orthodoxes (ayant leur patriarcat soit à Istanbul, soit à Alexandrie, soit à Jérusalem, soit à Damas).Tous sont " chez eux " dans ces pays-là depuis des millénaires, certains parlant encore l'araméen, la langue du Christ. En faire des ambassadeurs de l'Occident, des représentants du capitalisme colonial, est évidemment une absurdité. Même si, en effet, ils sont " de culture chrétienne ". Mais ils l'étaient avant nous.

          Nous ne pouvons rien faire pour les protéger, mais au moins ne les trahissons pas en reprenant à notre compte les accusations odieuses de leurs assassins.
          Nous pouvons les accueillir, comme nous nous devons d'accueillir tous ceux qui sont persécutés. Beaucoup ont déjà fui leur pays. Mais, en tous les cas, ne continuons pas à nous boucher les yeux, à parler de "l'amitié islamo-chrétienne", d'un " Islam à l'occidentale", de " la cohabitation harmonieuse des trois monothéismes ".

          Soyons intransigeants avec les règles de notre laïcité, mais ne nous laissons entraîner ni vers la stigmatisation ni vers la discrimination (surtout si elle devait être " positive ", comme le souhaite certains), car ce serait, évidemment, faire le jeu des fanatiques.

          Aujourd'hui, la grande mode est d'évoquer, d'invoquer à tout bout de champ " les années les plus sombres de notre histoire ". C'est souvent absurde et parfois odieux. Mais s'il y a une leçon qu'il ne faut jamais oublier c'est bien celle de Munich. Churchill avait dit : " Ils ont préféré le déshonneur à la guerre et ils auront les deux ". Il ne faut jamais tenter de pactiser avec ceux qui vous ont déclaré la guerre.

Thierry Desjardins
Journaliste et Reporter, né en 1941,
Directeur général adjoint du Figaro.
Auteur d'un nombre considérable d'ouvrages politiques.
Lauréat de l'Académie française.
Prix Albert Londres 1975.
Prix Louis Pauwels, 2000.



Moïse, Jésus et le vieux golfeur
Envoyé Par Jean Louis


          Moise, Jésus et un petit vieux barbu jouent au golf.
          Moise prend son club et d'un swing élégant envoie sa balle.
          Elle monte en l'air d'un superbe mouvement parabolique et tombe directement...
          ...dans le lac ! Moise ne se perturbe pas, lève son club et a ce moment les eaux s'ouvrent, lui laissant le passage pour faire un nouveau coup.

          C'est maintenant au tour de Jésus. Il prend son club et, également d'une parabole parfaite, (rappelez-vous : la parabole c'est sa spécialité !), il envoie la balle dans...
          ...le lac, ou elle tombe sur une feuille de nénuphar. Sans s'énerver, Jésus se met à marcher sur l'eau jusqu'a la balle, et donne le coup suivant.

          Le petit vieux prend son club et, d'un geste affreux de qui n'a jamais joué au golf de sa vie, envoie sa balle sur un arbre. La balle rebondit sur un camion puis à nouveau sur un arbre. De la, elle tombe sur le toit d'une maison, roule dans la gouttière, descend le tuyau, tombe dans l'égout d'où elle se trouve lancée dans un canal qui l'envoie...
          ...dans le lac mentionné ci-dessus.
          Mais, en arrivant dans le lac, elle rebondit sur une pierre et tombe finalement sur la berge ou elle s'arrête. Un gros crapaud qui se trouve juste a coté l'avale. Et soudain, dans le ciel, un épervier fond sur le crapaud et l'attrape ainsi bien sur que la balle. Il vole au-dessus du terrain de golf, et le crapaud, pris de vertige, finit par vomir la balle...
          ...juste dans le trou !

          Moise se tourne alors vers Jésus et lui dit : 'J'ai horreur de jouer avec ton père !'


LES ANNALES ALGERIENNES
De E. Pellissier de Reynaud (octobre 1854)
Envoyé par Robert
LIVRE DEUX
Incidents de la traversée.
Débarquement à Sidi-Féruch et combat du 15 juin.
- Dispositions défensives des Turcs. - Bataille de Staouéli.
- Combat de Sidi-Kalef.- Combat de Sidi-Abderrahman-Bou-Nega.
-Investissement d'Alger. - Siége du fort l'Empereur -
Prise du fort l'Empereur. - Reddition d'Alger.

          Lorsque la flotte fut au large, elle se forma en trois corps, éloignés de quatre milles l'un de l'autre. Celui du centre se composait de l'escadre de bataille et de celle de débarquement, formant chacune une colonne. Le corps de droite était formé par l'escadre de réserve marchant sur deux colonnes. Le convoi formait le corps de gauche ; il n'était point tout réuni ; une partie considérable ne quitta Toulon que le 26 et le 27.

          Le 26, l'armée rencontra une frégate turque revenant d'Alger, escortée par une frégate française du blocus. Elle portait un agent diplomatique d'un rang élevé que la Porte Ottomane envoyait à Hussein pacha, pour l'engager à faire des soumissions à la France ; les règles du blocus n'ayant pas permis à cet agent de pénétrer à Alger, il se rendait en France. Il eut une entrevue assez longue avec nos généraux, et il poursuivit ensuite sa route sur Toulon.

          Le 28, à quatre heures du soir, on aperçut l'île Minorque; dans la nuit, le vent devint très faible, et le lendemain on fut, jusqu'au soir, en vue de l'île Majorque et le la ville de Palma, capitale des îles Baléares.
          Le 50, dans la soirée, l'armée n'était plus qu'à 15 lieues des côtes de Barbarie ; les ordres furent donnés pour le débarquement, que l'on présumait pouvoir opérer le lendemain ; mais, dans la nuit, la brise fraîchit assez fortement pour que M. Duperré crût que la prudence lui faisait un devoir de virer de bord, et de se tenir au large.

          Le 1er juin, le vent étant très fort et la mer assez grosse, l'ordre fut donné de mettre le cap sur Palma. Dans la soirée du même jour, une partie de la flotte alla mouiller dans la rade de cette ville; les deux premières escadres continuèrent à tenir la mer, mais toujours en vue de Palma.
          La partie du convoi qui n'avait pris la mer que le 27, avait été dispersée par un coup de vent. Les navires qui la composaient se rendirent isolément à Palma, et, s'y étant ralliés, ils en sortirent le jour même où l'armée y arriva. La flottille des bateaux de débarquement que l'on désignait sous la dénomination vulgaire des bateaux boeufs, s'était aussi réunie à Palma et en était sortie pour rejoindre l'armée; elle en passa à peu de distance dans la nuit du 31 mai au 1er juin, mais elle ne l'aperçut pas. Ainsi, tandis que l'armée se dirigeait sur Palma, la flottille en sortait pour se porter sur les côtes d'Afrique, trouvant sans doute que le temps n'était pas assez mauvais pour l'en empêcher: en effet, le vent n'était point contraire, mais il était assez fort pour que l'on pût craindre qu'il ne gênât le débarquement.
          La flotte resta mouillée à Palma jusqu'au 10 juin, les deux premières escadres croisant toujours devant la rade. Pendant ce temps, les navires du convoi rallièrent l'armée. La frégate la Pallas, envoyée à la recherche des bateaux boeufs, en rencontra la plus grande partie à peu de distance de Sidi-Féruch, qui avait été désigné comme point de débarquement; plusieurs de ces bateaux s'étaient même approchés fort près des côtes, ce qui fit penser que ces parages n'étaient point aussi dangereux qu'on le croyait généralement parmi nos marins.
          La flotte quitta Palma le 10 juin au matin, et se mit en marche dans le même ordre qu'au départ de Toulon. Le 12, à quatre heures du matin, elle fut en vue des côtes d'Afrique ; mais bientôt la force du vent obligea de mettre le cap au nord. M. Duperré, sur qui pesait une immense responsabilité, ne voulait rien donner au hasard; le même vent, qui était favorable pour arriver en vue des côtes, était dangereux pour le débarquement, pour peu qu'il soufflât avec violence. On venait d'apprendre que deux bricks du blocus avaient échoué dans les environs d'Alger, dans la journée du 4 mai; les équipages de ces bâtiments avaient été massacrés en partie par les Arabes; le reste était dans les bagnes d'Alger. Ce funeste événement semblait justifier l'hésitation de la marine à aborder franchement les côtes d'Afrique ; néanmoins l'armée de terre, fatiguée d'une longue navigation, l'accusait de lenteur.

          Le 12, dans la matinée, le vent s'apaisant par intervalles, on mit, à une heure et demie, le cap au sud ; à quatre heures, on revint vers le nord ; enfin, à neuf heures du soir, on mit définitivement le cap sur Alger.
          Le 15, on aperçut la terre à quatre heures du matin ; le vent soufflait avec violence, mais on sentait qu'il diminuait à mesure qu'on approchait des côtes. Le temps, du reste, était fort beau ; on ne tarda pas à distinguer les maisons blanches d'Alger, et les collines verdoyantes qui entourent cette ville. L'armée semblait vouloir fondre sur elle comme un oiseau de proie; mais, tournant brusquement à droite, elle doubla le cap Caxine, et se dirigea vers Sidi-Féruch.
          Sidi-Féruch est un promontoire situé à cinq lieues à. l'ouest d'Alger, à la pointe duquel se trouvent une petite tour, une zaouïa ou chapelle, et quelques autres constructions; c'est cette petite tour qui fait souvent désigner ce point sous la dénomination espagnole de Torre-Chica ; le nom de Sidi-Féruch lui vient d'un marabout qui y est enterré, et dont la mémoire est en vénération dans le pays. Tout le monde sait que le mot Sid, en arabe, équivaut à notre qualification de seigneur ou sieur; en y ajoutant le pronom possessif affixe de la première personne, on a Sidi, c'est à dire monsieur ou monseigneur : Féruch est le nom propre du marabout. On rencontre dans tout le nord de l'Afrique un grand nombre de points désignés par les noms des marabouts qui y sont ensevelis.

          C'est ainsi qu'en Europe beaucoup de villages et même de villes portent des noms de saints et de saintes.
          Le promontoire de Sidi-Féruch et les sinuosités de la côte forment, à l'est et à l'ouest, deux rades peu profondes et peu abritées; celle de l'ouest fut choisie pour y effectuer le débarquement. La plage en est unie et fort propre à une opération de ce genre. Le pays, jusqu'à deux lieues plus loin, n'offre que des ondulations de terrain qui méritent à peine le nom de collines; il est couvert d'épaisses bruyères, et traversé par quelques cours d'eau dont les bords sont ombragés par des lentisques et des lauriers-roses.
          La flotte commença à arriver au mouillage vers le milieu de la journée. Avant le départ de Toulon, des instructions fort détaillées avaient indiqué la place que devait occuper chaque navire, et l'ordre dans lequel le débarquement devait s'opérer. On comptait alors sur une fort grande résistance de la part de l'ennemi; mais on ne vit sur le rivage que quelques centaines d'Arabes qui paraissaient observer nos mouvements avec inquiétude. Une batterie en pierre, construite au bord de la mer, à peu de distance de Torre-Chica, était entièrement désarmée. L'existence d'une autre batterie, située un peu plus loin, et masquée par les broussailles, nous fut signalée par quatre bombes qu'on nous lança; un de ces projectiles, en éclatant, blessa un matelot à bord du Breslaw. Ce fut tout le mal que nous fit l'ennemi, dans cette journée qui tirait vers sa fin, et qui fut consacrée à l'embossage des navires. Cette opération se fit avec quelque désordre, les instructions données à Toulon ayant été révoquées ; sur la droite, les bâtiments de guerre furent masqués par les transports, et n'auraient pu combattre, s'ils avaient été appelés à faire usage de leur feu.

          Heureusement, tout annonçait que le débarquement, renvoyé au lendemain, s'effectuerait presque sans obstacle. I1 n'y eut de notre côté, dans cette journée, que quelques coups de canon tirés par le bateau à vapeur le Nageur.
          La nuit se passa fort tranquillement. Le 14, au point du jour, le débarquement, commença par les troupes de la première division. L'ennemi, qui s'était retiré à une certaine distance, les laissa arriver à terre sans les inquiéter; il s'était posté à une demi lieue au sud de Torre-Chica, sur le sommet d'une de ces ondulations dont noua avons parlé. Le sol entre ce point et celui du débarquement était très uni; on voyait çà et là quelques trucs de culture qui disparaissaient à mesure qu'on s'éloignai de Sidi-Féruch.

          La première division, aussitôt qu'elle fut à terre, forma ses colonnes et marcha à l'ennemi; la première brigade à droite, la seconde à gauche et ensuite au centre, lorsque la troisième, qui était débarquée la dernière, fut venue prendre son rang. L'ennemi avait couvert sa position par trois batteries, d'où il commença à tirer dès qu'il vit nos colonnes s'ébranler pour marcher à lui. Deux bateaux à vapeur, qui s'approchèrent des côtes, firent bientôt taire la batterie de gauche, que les Barbares abandonnèrent un instant; mais, ces bateaux s'étant retirés, ils y rentrèrent et recommencèrent leur feu. Dans ce moment, M. de Bourmont s'étant porté en avant pour diriger le mouvement, manqua être tué : deux boulets vinrent tomber à ses pieds et le couvrirent de sable.
          L'ennemi, voyant que son feu n'arrêtait pas la marche de nos colonnes, abandonna ses batteries qu'il n'espérait pas pouvoir défendre contre nos baïonnettes; il se retira en tiraillant à quelque distance de sa première position, que la première division vint alors occuper ; un ravin peu profond nous sépara des Barbares qui perdirent toute leur artillerie.
          Pendant que la première division se portait en avant, la seconde opérait son débarquement, et chaque brigade allait successivement se placer en seconde ligne pour soutenir la division engagée. Le feu des tirailleurs dura toute !a journée, devant le front de la première division; avant la nuit, les troupes de cette division et celles de la seconde furent définitivement en position sur deux lignes, et établirent leurs bivouacs. Nos ennemis durent contempler, avec admiration, ces longues lignes semblables à des murs hérissés de pointes de fer. De leur côté, rien de pareil : chacun y paraissait abandonné à son impulsion individuelle. Pendant que tout ceci se passait, la troisième division débarquait avec la plus grande tranquillité, et comme si elle fût arrivée sur une terre amie; elle établit ses bivouacs sur le promontoire même, et fut destinée à construire un camp retranché, dont les travaux furent commencés sur le champ, et continués pendant huit jours avec une admirable activité. Une coupure bastionnée, qui séparait le promontoire du continent, formait le camp, dont l'enceinte offrait une vaste place d'armes, où nos magasins et nos hôpitaux devaient être parfaitement à couvert. La première brigade de la troisième division s'établit en dehors des retranchements que l'on construisait, et les deux autres restèrent en dedans.

          Dès que les troupes furent à terre, on s'occupa du débarquement du matériel. Chaque soldat avait emporté avec lui pour cinq jours de vivres; mais ce n'était là que de faibles ressources; il fallait se hâter d'en mettre de plus considérables à la disposition de l'armée, de crainte que quelque coup de vent n'obligeât subitement la flotte de prendre le large. Aussi ne perdit-on pas de temps : la marine déploya, dans cette circonstance, une activité et un zèle au-dessus de tout éloge; malheureusement, tous les transports n'étaient point encore arrivés. Ceux qui portaient l'artillerie de siège se firent longtemps attendre, et nous verrons plus loin que ce retard eut des suites assez fâcheuses.
          La journée du 14 juin nous coûta peu de monde. L'ardeur que nos jeunes soldats y déployèrent fut une garantie de ce qu'ils sauraient faire dans des combats plus meurtriers ; dès cet instant, le succès de l'entreprise parut assuré.

          Dans la nuit du 14 au 15, il y eut quelques fausses alertes dans les deux premières divisions. Nos soldats tirèrent les uns sur les autres, et l'on eut quelques accidents fâcheux à déplorer. Ces sortes de méprises se renouvelèrent plusieurs fois dans le cours de la campagne; elles ne doivent point étonner de la part de jeunes soldats qui se trouvaient pour la première fois en présence de l'ennemi.
          Mais il est temps de dire quels étaient les moyens de défense qu'avait réunis le Dey contre une attaque qui menaçait son existence politique. Il avait alors pour agha son gendre Ibrahim, homme tout à fait incapable. Depuis deux mois il pouvait être instruit, par les journaux qui arrivaient jusqu'à lui, que Sidi-Féruch avait été choisi pour point de débarquement ; mais, ne comprenant pas bien que le droit de tout dire pût aller en France jusqu'à découvrir aux ennemis les projets du Gouvernement, il était peut-être moins inquiet pour ce point que pour tout autre : il ne voyait qu'une ruse de guerre dans cette publicité. Aussi ce fut à l'est d'Alger, à Bordj-el-krach (la Maison-Carrée), que l'agha établit son quartier général; aucune disposition ne fut prise pour la défense de Sidi-Féruch. Il parait, au reste, que le projet du Dey était, en quelque endroit que dû s'opérer le débarquement, de ne pas s'y opposer. Il pensait qu'il aurait meilleur marché de l'armée française dans l'intérieur des terres que sous le feu de notre marine.

          Le 15 juin, l'agha n'avait encore réuni que peu de monde; le contingent de la province de Constantine, que nous croyions devoir être très considérable, n'était que de 500 cavaliers et de 400 fantassins. Le bey de Titteri, guerrier intrépide, mais chef sans habileté, ne conduisit que 1,000 cavaliers, au lieu de 20.000 qu'il avait promis.
          Celui d'Oran n'envoya aussi que fort peu de monde, sous la conduite de son lieutenant: le gros de l'armée de l'agha ne fut donc formé que des Arabes de la Mitidja, et de quelques hordes de Kbaïles de !a province d'Alger. Ibrahim n'ayant préparé ni vivres ni fourrages pour ses troupes, les tribus se voyaient dans la nécessité de retourner chez elles lorsqu'elles avaient consommé les leurs. Lorsque les uns arrivaient, les autres partaient; de sorte que cette cohue se renouvelait sans cesse, sans devenir plus nombreuse.
          L'espoir de faire du butin et la crainte qu'inspiraient les Turcs firent seuls prendre les armes aux Arabes; car du reste ils s'embarrassaient fort peu de l'issue de la lutte à laquelle ils étaient appelés à prendre part. Ils étaient armés d'un long fusil sans baïonnette et d'un yatagan ou coutelas; ils étaient presque tous à cheval; mais on ne peut dire cependant qu'ils formassent un véritable corps de cavalerie, car ils ne tentèrent jamais une charge, et ils ne se servaient de l'arme blanche que pour égorger les prisonniers qui tombaient entre leurs mains. C'étaient des tirailleurs faisant, à cheval, la guerre que notre infanterie légère fait à pied. Il parait que M. de Bourmont n'avait que de bien faux renseignements sur la manière de combattre de ces peuples; car il s'attendait à avoir sur les bras une cavalerie semblable à celle des Mameluks. Il en prévint l'armée par un ordre du jour, en quittant la rade de Palma; il lui annonça aussi que l'ennemi, comptant nous intimider par l'aspect d'un grand nombre de dromadaires, couvrirait son front par des milliers de ces animaux. Je ne sais qui avait pu faire connaître à M. de Bourmont ces prétendus préparatifs d'Hussein-Pacha; mais le fait est que nous ne vîmes d'autres dromadaires que ceux qui servaient à porter les bagages, et que la cavalerie arabe ne nous approcha jamais à plus de cinquante pas. Chaque cavalier s'avançait au galop devant les tirailleurs qui couvraient nos lignes, bichait son coup de fusil, faisait un demi-tour, et rejoignait précipitamment les siens ; aussitôt que nous nous ébranlions pour nous porter en avant, tout disparaissait.

          Les deux premières divisions conservèrent jusqu'au 19, les positions qu'elles avaient prises le 14. La première était en avant ayant la brigade de gauche formée en carré. La seconde division avait ses deux premières brigades à droite, et un peu en arrière de la première division, bordant un ruisseau qui se jette dans la mer à une demi lieue de Sidi-Féruch ; la troisième brigade était en seconde ligne derrière la gauche de la division Berthezène. Un bataillon du de ligne était sur la plage à l'extrême gauche. Pendant les quatre jours que les deux premières divisions occupèrent ces positions, elles eurent à soutenir des combats continuels de tirailleurs. Les ennemis, dont les armes avaient plus de portée que les nôtres, avaient, par cela mène, de l'avantage sur nous dans ce genre de combat; mais ils craignaient beaucoup le feu de notre artillerie, nos obus surtout; on se servit aussi, avec succès, des fusils de rempart, qui, dans des mains exercées, leur firent beaucoup de mal. Les fusées à la Congreve ne produisirent aucun effet.
          Les combats de tirailleurs avaient principalement lieu sur les bords des ruisseaux, dont les deux partis avaient un égal intérêt à rester maîtres. De notre côté, tout homme qui allait isolément à l'eau, trouvait une mort certaine : entouré d'une foule d'Arabes, il avait la tête tranchée avant qu'on eût le temps de venir à son secours. Le dey d'Alger avait établi, dans le faubourg Bab-Azoun, un bureau où les têtes des Français étaient payées comptant.

          Cependant le débarquement du matériel se continuait avec activité. Il fut interrompu, le 16, par un orage qui, pendant quelques instants, inspira les plus vives craintes; la mer était affreuse; plusieurs navires furent en danger d'être jetés à la côte; quelques embarcations périrent. Si le mauvais temps eût continué, le succès de l'expédition pouvait être gravement compromis ; heureusement il ne fut point de longue durée : au bout de quelques lieues, le ciel reprit sa sérénité, et les inquiétudes s'évanouirent.
          Le camp de Sidi-Féruch prenait l'aspect d'une ville. Chaque corps, chaque service administratif avait son quartier distinct. Des tentes et des cabanes de feuillages étaient les édifices de cette cité improvisée, coupée en tous sens par de larges rues, où l'on voyait circuler l'artillerie et les nombreuses voitures de l'administration. Des magasins immenses s'élevaient de tous côtés pour les besoins de l'armée; et les marchands qui l'avaient suivie lui offraient même le superflu. Des fours furent promptement établis; l'armée commença à recevoir du pain frais, trois jours après le débarquement. On avait craint de manquer d'eau, mais on fut bientôt rassuré à cet égard : outre la ressource des ruisseaux et des puits qui étaient en assez grand nombre, il suffisait, presque partout, de s'enfoncer de quelques pieds pour trouver une eau abondante et salubre. L'état sanitaire de l'armée était satisfaisant, et la chaleur supportable. Les nuits étaient même trop froides : on y éprouvait le besoin de se chauffer. Le bois ne manquait Pas pour les feux de bivouac, la terre jusqu'à plusieurs lieues de Sidi-Féruch étant couverte de broussailles et de taillis.

          L'intention du général en chef était de ne se porter en avant que lorsque le camp retranché et le débarquement du matériel seraient terminés. Il fallait aussi construire une route : elle avait déjà été poussée jusqu'à la position occupée par les généraux Berthezène et Loverdo, et l'on devait la continuer à mesure que l'armée s'avancerait vers Alger.
          L'ennemi, ne pouvant s'expliquer les motifs de notre inaction apparente, l'attribua la crainte qu'il croyait nous inspirer. Il avait reçu quelques renforts, surtout en infanterie, et, l'on s'aperçut qu'il construisait des batteries au centre de sa position ; une partie de la milice turque était arrivée d'Alger conduite par l'agha, généralissime de l'armée musulmane, dont il était assez difficile d'évaluer la force, même approximativement, à cause du désordre qui régnait dans cette masse. Cependant, s'il fallait absolument fixer un chiffre, je n'élèverais pas à plus de 20,000 hommes le nombre des ennemis que nous eûmes à combattre dans la bataille que je vais décrire.

          L'agha était d'une ignorance si puérile, qu'après avoir fait distribuer dix cartouches à chaque soldat, il dit à quelqu'un qui lui faisait observer que c'était bien peu, qu'il y en avait assez pour anéantir l'armée française, en comptant un homme tué ou blessé par coup de fusil.
          Le 18, dans la soirée, quelques Arabes se rendirent secrètement auprès du général Berthezène, et l'avertirent qu'il serait attaqué le lendemain; l'un d'eux était Ahmed-ben-Chanaan, de la tribu des Beni-Djéad. Il dit que sa tribu était fort bien disposée pour les Français; il ajouta qu'il allait aviser au moyen de mettre ses femmes et ses enfants en sûreté, et qu'il passerait ensuite de notre côté avec tout son monde. Cette promesse fut sans effet; mais l'avis de l'attaque fut justifié par l'événement.

          Le 19, au point du jour, toute notre ligne fut attaquée. Les efforts de l'ennemi se dirigèrent principalement sur la gauche, au point occupé par le 37ème de ligne. Ce fut là que combattirent les Turcs : s'avançant avec audace et impétuosité, ils pénétrèrent jusque dans les petits retranchements que les troupes avaient élevés à la hâte pour se mettre un peu à l'abri du feu de l'ennemi ; mais ils en furent chassés presque aussitôt, et ils perdirent beaucoup de monde. Un d'eux, rue son intrépidité avait fait remarquer de nos soldats, se trouvant blessé et hors d'état de suivre ses compagnons dans leur mouvement rétrograde, se poignarda pour ne pas tomber vivant entre nos mains.
          Le combat fut également très vif à la position que défendait la brigade Clouet. Le 28e de ligne fut un instant compromis ; le colonel Mounier, qui le commandait, fut blessé. La brigade Colomb d'Arcine vint au secours de la brigade Clouet, et les deux brigades réunies repoussèrent les Africains un peu au delà de leurs anciennes positions, qu'elles occupèrent; deux bricks, qui vinrent s'embosser à peu de distance de la côte, firent beaucoup de mal à l'ennemi.
          Au centre, l'attaque fut moins impétueuse ; il en fut de même à l'aile droite : la brigade Munck d'Uzer et la brigade Damrémont repoussèrent facilement l'ennemi dans le ruisseau qui coulait devant leur front, et qu'il avait franchi pour venir à elles. Cette dernière s'établit même sur la rive gauche du ruisseau.

          L'ennemi, repoussé sur tous les points, se porta un peu en arrière de sa première position, et un feu de tirailleurs, soutenu par celui de quelques pièces de campagne, commença sur toute la ligne; il dura sans interruption pendant plusieurs heures. Nos généraux n'avaient point d'ordre pour se porter en avant. M. de Bourmont, ainsi que nous l'avons dit, aurait désiré ne point faire de mouvement avant d'être en mesure de se présenter à Alger avec tout son matériel de siége, qui n'était point entièrement débarqué; les chevaux du train n'étaient pas même encore arrivés. On était sans nouvelle du convoi qui les portait, lequel n'avait dû quitter Talma. qu'après I'armée; il était donc inutile de faire en avant une pointe qui ne devait avoir d'autre résultat que de nous éloigner de nos magasins, l'investissement de la place ne pouvant être tenté dans les circonstances où nous nous trouvions. Mais tous ces calculs de la prudence durent céder à un besoin plus pressant : le feu de l'ennemi bien dirigé, incommodait beaucoup nos troupes ; les Africains, voyant qu'après avoir repoussé leur attaque, nous étions rentrés dans notre inertie apparente, avaient repris courage et ne cessaient de nous harceler, en faisant relever par des troupes fraîches celles qui étaient fatiguées du combat; nos soldats commençaient à murmurer de l'inaction à laquelle on condamnait leur valeur ; comme les positions sur lesquelles on les tenait enchaînés devenaient à chaque instant plus meurtrières, il était à craindre que le découragement ne vint enfin succéder à ce sentiment d'indignation du courage retenu par la discipline. C'est ce que comprirent nos généraux ; en conséquence, ils envoyèrent prier le général en chef de se rendre sur le champ de bataille, afin de juger par lui-même du véritable état des choses.

          M. de Bourmont était à Torre-Chica, où il avait établi son quartier général, et d'où il pouvait suivre des yeux tous les mouvements de l'armée. Le feu qu'il entendait depuis le matin, quoique beaucoup plus nourri qu'à l'ordinaire, ne l'étonna point; il l'attribua à ces combats de tirailleurs que l'on livrait journellement aux avant-postes. Dès qu'il eut reçu l'avis que lui faisaient passer les généraux des deux premières divisions, il monta à cheval et se rendit auprès d'eux ; il vit alors que la chose était bien plus sérieuse qu'il ne l'avait supposé, et, après un moment d'hésitation, il donna I'ordre de marcher à l'ennemi en échelons formés chacun d'un régiment en colonne serrée. Le mouvement devait commencer par la droite; mais M. de Loverdo ayant mis du retard dans l'exécution des ordres qui lui furent donnés, ce fut la brigade Poret de Morvan qui s'ébranla la première : elle occupait la droite de la première division. Ainsi les brigades Damrémont et Munck d'Uzer, de la division Loverdo, qui, comme nous l'avons dit, étaient à sa droite, restèrent un peu en arrière du rang qu'elles auraient dû occuper dans ce mouvement offensif ; il en résulta que les échelons, au lieu d'être formés par la droite, le furent par le centre.
          L'ennemi ne soutint pas un instant notre attaque : il fut enfoncé dans un clin d'oeil; ainsi que dans la journée du 14, il abandonna ses batteries où nous entrâmes sans éprouver de résistance. Comme on avait attaqué par le centre, contrairement aux intentions de M. de Bourmont, les Africains se dispersèrent dans tous les sens. Si M. de Loverdo eût exécuté avec plus de promptitude le mouvement qui lui avait été ordonné, la gauche de l'ennemi aurait été refoulée sur le centre qui, attaqué lui-même par les échelons suivants, aurait été rejeté sur la droite; cette manoeuvre aurait pu acculer l'armée musulmane à la mer, et, dans cette position, nous en aurions fait un très grand carnage.

          Nous poursuivîmes les fuyards jusqu'à Staouéli, où ils avaient établi leur camp que nous trouvâmes abandonné. Les tentes des chefs étaient d'une magnificence remarquable, surtout celle de l'agha : elle avait plus de soixante pieds de long, et elle était divisée en plusieurs appartements dont l'intérieur était orné de belles tentures et de superbes tapis. L'ennemi n'avait eu le temps de rien enlever; on trouva même une somme d'argent assez considérable dans la tente de l'officier chargé de payer la solde à milice turque.
          Les résultats de la bataille de Staouéli furent trois à quatre mille Africains tués ou blessés, cinq pièces de canon et quatre mortiers enlevés, plus beaucoup de bétail et soixante-dix ou quatre-vingts dromadaires qui furent partagés entre les régiments pour porter les bagages. On fit très peu de prisonniers, presque tous blessés. De notre côté, on n'eut que six cents hommes mis hors de combat, tant tués que blessés.
          Les deux divisions victorieuses s'établirent à Staouéli, dans le camp même d'où elles venaient de chasser l'ennemi, à une lieue de leur ancienne position ; les débris de l'armée de l'agha rentrèrent dans Alger, qu'ils remplirent de consternation. Des transfuges, qui nous arrivèrent le lendemain, nous assurèrent que si nous nous étions mis aux trousses des fuyards, l'effroi était tel, que nous serions entrés dans la ville sans éprouver de résistance. Il est possible que les choses se fassent passées ainsi; mais, dans le doute, il était plus raisonnable de ne point s'écarter de la marche que l'on avait adoptée dès le principe, et de ne pas livrer aux chances d'un heureux hasard un succès qui paraissait assuré.
          Ibrahim-Agha, après la défaite de son armée, perdit entièrement la tète, et ne fit rien pour lutter contre la mauvaise fortune. N'osant pas se présenter devant son beau-père, il courut se cacher dans une de ses maisons de campagne, comme un enfant timide qui craint une réprimande méritée; pendant plusieurs jours on ne sut pas ce qu'il était devenu. Le Dey, que personne n'osait instruire de l'état des choses, fit appeler Hamdan-ben-Othman-Khodja, en qui il avait toute confiance. Celui-ci lui fit connaître la vérité, et ne lui dissimula pas la conduite honteuse de son gendre. Hussein, qui dans son intérieur était doux et bienveillant, ne voulut pas accabler ce malheureux. II chargea Hamdan d'aller l'encourager à reprendre le commandement de l'armée; mais ce fut avec beaucoup de peine que ce Maure parvint à l'arracher à l'état de stupeur dans lequel il était plongé, et à lui faire réunir quelques soldats aussi démoralisés que lui.

          Le premier soin de M. de Bourmont, après la victoire de Staouéli, fut de faire continuer jusqu'au nouveau camp la route déjà commencée. Ce travail fut promptement terminé. Les retranchements du grand camp de Sidi-Féruch, le furent le juin. Nous avons dit qu'ils consistaient en une ligne bastionnée qui allait d'une rade à l'autre, séparant le promontoire du continent. Vingt-quatre pièces de canon montées sur des affûts marins composèrent l'armement de cette place d'armes, assez formidable pour braver au besoin toutes les forces de la Régence. Des redoutes armées avec les pièces enlevées à l'ennemi furent construites sur la route, de distance à distance, pour assurer les communications.

          La troisième division ne prit aucune part à l'affaire de Staouéli; seulement la première brigade de cette division, qui campait en dehors des retranchements, se porta en réserve derrière les ailes des divisions engagées, le 9ème régiment de marche à droite, et le 55e de ligne à gauche. Ces deux régiments occupèrent, après te combat, les positions que nos troupes venaient d'abandonner, par suite de leur mouvement offensif. Le 2e régiment de marche fut principalement chargé d'observer le débouché de la vallée du Mazafran; on craignait de voir arriver par là des troupes que l'on supposait être envoyées par le bey d'Oran, et que les vigies de la marine croyaient avoir aperçues au loin.
          Les deux premières divisions restèrent à Staouéli jusqu'au 24 juin. Ce point n'était ni une ville ni un village : c'était seulement un emplacement qui servait de campement aux Arabes. Il y avait de l'ombrage et quelques fontaines qui donnaient une eau assez médiocre ; le terrain dans les environs était uni et cultivé.
          Les Arabes, étourdis des événements de la journée du 19, semblèrent pendant quelques jours avoir abandonné la partie. Le sieur Ayas, un de nos interprètes, parvint même à entrer en pourparler avec eux. Il se rendit dans un de leurs douars, et en revint, non seulement sans avoir reçu de mal, mais encore avec des promesses de soumission qui furent loin, il est vrai, de se réaliser. Un commis du munitionnaire général accompagna le sieur Ayas dans ce voyage, qui n'était point sans danger. Ces deux agents achetèrent quelques boeufs aux Arabes, à lui ils s'adressèrent; il fut convenu qu'on prendrait des mesures pour des fournitures plus considérables. Les Crabes assuraient qu'ils étaient las de la guerre et très disposés à venir approvisionner nos marchés, pourvu qu'on leur promit justice et protection. On doit bien penser que le sieur Ayas et son compagnon ne négligèrent rien pour leur faire comprendre qu'ils trouveraient l'une et l'autre chez les Français.

          M. de Bourmont, satisfait de la tournure qu'avait prise cette petite négociation, se hâta d'annoncer à l'armée, par la voie de l'ordre du jour, que nous n'avions plus, sur le sol de la Régence, d'autres ennemis que les Turcs. Il prescrivit aux soldats d'user des plus grands égards, et surtout de la plus scrupuleuse probité, dans leurs relations avec les indigènes qui allaient accourir auprès de nous, comme auprès de leurs libérateurs. Une attaque générale vint donner, le 24 au matin, un démenti formel à l'ordre du jour de M. de Bourmont.
          Nos deux premières divisions étaient, comme nous l'avons dit, campées à Staouéli Quelques troupes furent échelonnées sur la route nouvellement construite, entre ce point et notre première position occupée par une brigade de la troisième division. Les deux autres brigades de la division d'Escars étaient restées à Sidi-Féruch.
          L'agha Ibrahim, après avoir repris le commandement de l'armée musulmane, était parvenu, plus par ses alentours que par lui-même, à réunir encore quelques Arabes, et, le 24 au matin, il attaqua nos lignes. Le général en chef de l'armée française, qui avait toujours son quartier général à Sidi-Féruch, se rendit de bonne heure à Staouéli et fit aussitôt prendre l'offensive. La première division et la brigade Damrémont, de la deuxième, s'ébranlèrent, ainsi que deux escadrons des chasseurs d'Afrique. L'ennemi ne tint pas un instant; il traversa en fuyant la partie de la plaine qui se trouve en avant de Staouéli, et ne s'arrêta que sur des hauteurs qui s'élèvent à une lieue de là, et qui se lient au mont Bouzaréa et aux collines d'Alger. Encore débusqué de cette position, que couronne un assez vaste plateau, il alla s'établir sur les pentes du Bouzaréa, à une lieue d'Alger. On cessa alors de le poursuivre. Nos troupes victorieuses s'arrêtèrent à l'extrémité du plateau ; un vallon peu large, au fond duquel coulait un faible ruisseau, séparait cette position de celle de l'ennemi, qui la dominait entièrement.

          Au moment où nos troupes se portèrent en avant, un gros d'Arabes qui était pesté au loin, sur quelques mamelons, à l'extrême gauche de la ligne ennemie, descendant dans la plaine se dirigea sur notre camp qu'il croyait abandonné. Il s'arrêta à la vue des brigades de la deuxième division qui y étaient restées; et, rebroussant chemin, il se jeta sur les derrières de la première division, où il massacra quelques hommes isolés.
          Le combat du 24 prit le nom de Sidi-Kalef, qui est celui d'un hameau situé sur le plateau dont nous venons de parler. Nous y perdîmes peu de monde; l'ennemi n'avait point d'artillerie, et nous n'eûmes nous-mêmes que quatre pièces en ligne. Un des fils de M. de Bourmont fut blessé dans cette affaire. Ce jeune homme se faisait remarquer par sa valeur et par ses excellentes qualités. Toute l'armée applaudit à la manière noble et touchante dont M. de Bourmont, dans le rapport officiel, rendit compte de cet événement et de la mort de son fils, qui succomba aux suites de sa blessure quelques jours après.

          La position dans laquelle s'arrêtèrent les troupes qui avaient combattu à Sidi-Kalef, était fort désavantageuse : elle était dominée par celle qu'avait prise l'ennemi. Les mêmes raisons qui nous avaient arrêtés après nos succès du 19 existant toujours, il fallut cependant se résoudre à l'occuper encore quelques jours, car, en nous avançant plus loin, nous nous serions trouvés sans grosse artillerie sous le canon d'Alger, ou du moins, sous celui des ouvrages que les Turcs pouvaient avoir élevés en avant de cette ville. Heureusement que, le jour même du combat de Sidi-Kalef, on aperçut de Sidi-Féruch le convoi que l'on attendait depuis longtemps. Le lendemain 25, il mouilla dans la rade, et le débarquement commença sur-le-champ.
          La route que construisait le génie fut prolongée de Staouéli à la nouvelle position, que nous appelâmes Fontaine-Chapelle, à cause de la fontaine et du marabout de Sidi-Abderrhaman-Bou-Néga. La troisième division, qui n'avait point encore combattu, reçut ordre de se porter en première ligne. Il était juste de donner au duc d'Escars, qui la commandait et qui n'avait jamais fait la guerre (1), l'occasion de gagner ses éperons. Le 9-5, avant le jour, la brigade Berthier de Sauvigny se mit en mouvement et se trouva en position sur les huit heures du matin; la brigade Turel n'y arriva qu'à onze heures du soir; la brigade Montlivault s'échelonna sur la route entre Staouéli et la nouvelle position : elle fut remplacée à Sidi-Féruch par la brigade Munck d'Uzer, de la deuxième division. La brigade Damrémont retourna à Staouéli; elle fut attaquée, dans ce mouvement, par un parti de cavalerie arabe qu'elle repoussa facilement. On construisit de nouvelles redoutes sur notre ligne de communication ; il y en eut huit en tout, depuis Sidi-Féruch jusqu'à Alger. Un blockhaus fut établi entre la première et la seconde, un peu trop éloignées l'une de l'autre. Celle que l'on construisit à Staouéli se liait à un camp retranché auquel elle serrait de citadelle.
          Les mouvements que nous venons de mentionner se firent avec quelque désordre ; deux régiments qui se rencontrèrent dans l'obscurité tirèrent l'un sur l'autre et se tuèrent du monde.
          Par suite de tous ces mouvements, la troisième division se trouva à la gauche de la première, au sommet de la berge droite du vallon de Sidi-Abderrahman-bou-Néga. Les dispositions que l'on prit pour conserver cette position jusqu'à l'arrivée du matériel de siége, furent très vicieuses, surtout à gauche. Pour tenir les Barbares à distance, on envoya des tirailleurs qui traversèrent le vallon et s'établirent sur le versant opposé, et par conséquent au-dessous d'eux. Il aurait été plus convenable d'établir ces tirailleurs sur le sommet du versant que nous occupions, et de placer le gros des troupes vers le milieu du plateau, hors de portée du canon de l'ennemi; de cette manière, celui-ci aurait été obligé de découvrir ses tirailleurs, et les nôtres se seraient trouvés dans une position plus convenable.

          Après le mauvais succès du combat de Sidi-Kalef, le Dey, convaincu enfin de la nullité de son gendre, le destitua, et mit à sa place Mustapha-bou-Mezrag, bey le Titteri. Ce nouveau général était plus résolu qu'Ibrahim-Agha, mais il n'était guère plus habile. Le Dey chercha aussi à réveiller le fanatisme de son peuple ; il fit venir le cheikh-el-Islam, lui remit un sabre, et le chargea d'appeler tous les Croyants à la défense de la religion; mais ce vénérable mufti, très embarrassé de l'arme qu'on lui avait mise entre les mains, se contenta, pour la forme, d'inviter quelques notables à se rendre chez lui pour aviser aux moyens de défense, et presque personne ne répondit à sa voix.
          Les première et troisième divisions restèrent dans la position de Sidi-Abderrahman-bou-Néga, les 25, 26, 27 et 28 juin. Ces quatre journées ne furent qu'un combat continuel de tirailleurs, qui commençait au lever du soleil, et qui ne finissait qu'à son coucher; les compagnies que l'on dispersait en tirailleurs, étaient relevées toutes les trois ou quatre heures. Comme elles appartenaient aux divers régiments de la division, et dans le même régiment à divers bataillons, il n'y eut point toujours dans leurs mouvements l'unité d'action convenable, les officiers supérieurs se reposant trop les uns sur les autres d'un soin qui n'appartenait à aucun d'eux en particulier. Ce ne fut que le dernier jour, que l'on mit un peu d'ordre dans le service de ces officiers.

          Le bivouac de la brigade Berthier de Sauvigny était labouré par les boulets ennemis. Les Africains s'étant embusqués dans le petit bois de Sidi-Abderrahman-bou-Néga, situé devant son front, commençaient même à l'inquiéter par le feu de leur mousqueterie, lorsque le lieutenant-colonel Baraguay d'Halliers, du 2e de marche, les chassa de ce poste et fit couvrir le bois par un redan que nos troupes occupèrent.
          Les Africains, dans tous les combats de tirailleurs, étaient favorisés par une position dominante et par un terrain bien fourré; cependant on leur tua beaucoup de monde. Les Turcs avaient pour coutume de planter un drapeau devant le front de la ligne que leurs tirailleurs devaient occuper. Ce drapeau fut la cause de la mort de plusieurs braves qui tentèrent de l'enlever; de celle, entre autres, d'un jeune officier du 9e léger, nommé Léonide de Morogues, qui s'était déjà fait remarquer par son intrépidité.
          Le 27, M. Borne, chef d'escadrons, aide de camp du duc d'Escars, eut l'épaule emportée par un boulet et mourut peu d'heures après. Le 28, deux compagnies d'élite du 53e de ligne, emportées par leur ardeur, gravirent, presque jusqu'au sommet, des hauteurs occupées par l'ennemi, en tuant ou en dispersant tout ce qui se présentait devant elles ; mais elles perdirent beaucoup de monde en revenant, et ne purent enlever leurs blessés, qui furent aussitôt décollés par les Africains. Le même jour, une colonne ennemie tomba à l'improviste sur le bataillon du 4e léger, faisant partie du 1er de marche, et lui sabra 150 hommes. Ce bataillon, par la coupable imprudence de son chef, était occupé en entier à nettoyer ses armes, de sorte qu'ayant tous ses fusils démontés, il ne put opposer aucune résistance; les troupes qui étaient dans le voisinage vinrent à son secours et repoussèrent facilement l'ennemi.

          M. de Bourmont établit, le 24 juin, son quartier général à Staouéli Le 25, il alla visiter la première ligne et rencontra, chemin faisant, plusieurs cadavres sans tête qui attestaient et l'imprudence de nos soldats et la férocité de leurs ennemis. M. de Bourmont donna des ordres pour hâter la construction des redoutes, et régla le service des compagnies qui devaient en former la garnison, de manière à ce qu'elles fussent relevées tous les six jours. Il prit aussi des mesures pour assurer l'arrivage des convois de vivres et de munitions qui, chaque jour, devaient partir de Sidi-Féruch, pour Staouéli, et, de ce dernier point, pour la position que défendaient la 1ère et la 5e divisions. Il écrivit, le 21, au général commandant la 8e division militaire à Marseille, de faire embarquer le plus tôt possible 900 hommes appartenant aux divers régiments de l'armée d'Afrique, et qui se trouvaient réunis au dépôt général à Toulon. Il fut aussi question de faire embarquer la première brigade de la division de réserve qui s'était réunie dans le Midi ; mais cette disposition n'eut pas de suite. Le général en chef se concerta avec l'amiral Duperré pour le débarquement de 1400 marins qui, conjointement avec un bataillon du 48e de ligne, furent destinés à occuper Sidi-Féruch, dont le commandement fut confié à M. le colonel Léridan. Cette mesure rendit disponibles trois bataillons de la brigade Munck d'Uzer. Enfin, le débarquement du matériel étant terminé, et rien ne s'opposant plus à l'investissement de la place, dont nous n'étions plus qu'à cinq quarts de lieue, I'attaque des positions ennemies fut fixée, le 28 juin, au lendemain 29.

          Ces positions se rattachaient au mont Bouzaréa, situé au nord-ouest d'Alger, et dont l'élévation au-dessus de la mer est de 400 mètres. Les pentes du Bouzaréa sont raides, surtout au nord ; des ravins très profonds et très escarpés le séparent de la ville; à l'origine de ces ravins, il se lie aux collines d'Alger qui s'étendent à l'est jusqu'à mufti, petite rivière qui se jette dans la mer, à deux lieues de la ville. Ces collines sont séparées de la mer par une plaine de 600 mètres de largeur moyenne : elles sont coupées par de grands ravins. Sur le plateau qui les couronne et au partage des eaux, serpentait une ancienne voie romaine très praticable dans les environs d'Alger, et qui se perdait dans la plaine de Staouéli Ce chemin passait auprès du fort de l'Empereur, bâti au sud de la ville, sur les crêtes des hauteurs; ce fort domine Alger et a vue sur toute la baie ; mais il est lui-même dominé par le prolongement des pentes du mont Bouzaréa.
          Tout le terrain que nous venons de décrire est couvert de jardins, de vergers et d'une prodigieuse quantité de maisons de campagne, dont quelques-unes sont de fort beaux édifices; il est coupé par des haies épaisses, ce qui, joint aux difficultés naturelles du sol, en rend l'accès très difficile : il est, du reste d'une admirable beauté et d'une fertilité remarquable.

          Le 28 au soir, toute l'armée française fut réunie à la position de Sidi-Adherrahman-bou-Néga, à l'exception des brigades Montlivault et Munck d'Uzer chargées de la garde des camps et de celle des postes intermédiaires; on laissa aussi à Sidi-Féruch et à Staouéli trois compagnies du génie : on avait transporté dans ce dernier camp une partie des parcs d'artillerie et de celui du génie.
          Le 29, à la pointe du jour, l'armée s'ébranla en colonnes serrées. Chaque colonne était formée d'un régiment; les divisions étaient à leur rang de bataille, c'est-à-dire la 2e au centre, la 1ère à droite, et la 3e à gauche; l'artillerie marchait dans les intervalles; une compagnie du génie fut attachée à chaque division, pour ouvrir le chemin là où il serait nécessaire.

          L'armée traversa en silence le vallon qui nous séparait de l'ennemi, gravit les hauteurs opposées et tomba sur les Barbares qui, surpris par cette brusque attaque, sans avoir le temps de se reconnaître, lâchèrent pied Bout aussitôt. Cependant, revenus de leur terreur, ils s'arrêtèrent un peu plus loin où ils commencèrent sur les masses de la 5e division une fusillade assez vive, que cependant le feu de notre artillerie fit bientôt taire. Les Turcs perdirent la leur, selon l'usage, et se retirèrent sous le canon de la place. La 3ème division occupa alors les pentes du mont Bouzaréa qui font face à la ville, après avoir traversé plusieurs ravins que les plus mauvaises troupes européennes auraient défendus avec avantage contre les meilleures. A droite, la division Berthezène n'eut à lutter que contre les difficultés naturelles du sol ; mais elles furent telles, que cette division appuyant toujours à gauche, passa par derrière la 2e, et arriva sur les pentes du Bouzaréa, à la suite de la 5e. M. de Bourmont s'était transporté de sa personne sur le sommet de cette montagne, au poste de la Vigie : il fit occuper ce point par le 14e de ligne de la division Berthezène, qui se trouva, par suite du mouvement qu'elle venait de faire, derrière la division d'Escars.
          La division Loverdo avait à parcourir le terrain le plus facile. Elle suivait la voie romaine, qui se trouve, comme nous l'avons dit, au partage des eaux de cette multitude de ravins dans lesquels les autres divisions étaient engagées; cependant, elle avança lentement. Les Turcs qu'elle avait en face débordèrent, par suite de cette lenteur, l'aile droite de la 3e division, qui était à la gauche de la 2e. M. d'Escars fut obligé d'envoyer contre eux des tirailleurs de sa propre division, et de couvrir ainsi celle de son collègue. Peu de temps après, ces tirailleurs furent rappelés, parce pue la brigade Berthier, à laquelle ils appartenaient, fit un mouvement sur la gauche pour se rapprocher de la brigade Hure, dont les accidents de terrain l'avaient séparée. Le général Loverdo fit alors un mouvement de retraite que personne ne put s'expliquer dans le moment, mais que l'on a dit depuis avoir été le résultat d'une méprise qui lui fit croire qu'il n'était pas dans la bonne direction. Le général en chef, ne concevant rien à ce mouvement rétrograde, envoya à M. de Loverdo l'ordre de reprendre l'offensive ; mais on eut beaucoup de peine à le retrouver dans les ravins où il avait enseveli en quelque sorte sa division, après avoir quitté la voie romaine.

          Cependant, le général en chef, jugeant qu'il était inutile d'avoir deux divisions sur le même point, ordonna à la 1ère de rester sur les pentes du Bouzaréa, et à la 5e d'aller s'établir à la droite de la voie romaine. La 5` division reprit donc le chemin que venait de suivre la brigade Berthier, et même, pour couper court, elle s'enfonça dans les ravins les plus profonds et les plus inextricables, et parvint, après de grandes fatigues, à la position qui lui avait été assignée; elle s'établit aux Consulats de Hollande et d'Espagne. Cette division fut complètement désorganisée pendant quelques instants; les compagnies, les bataillons, les régiments étaient confondus; il fallut plusieurs heures pour débrouiller ce chaos.

          La 2ème division, dans laquelle le désordre avait aussi pénétré, avait enfin été retrouvée; elle vint s'établir à gauche de la voie romaine, entre la 1ère et la 5e.
          Les Turcs, après avoir tiraillé une partie de la journée, rentrèrent dans la place ou sous son canon; les Arabes descendirent dans la plaine du bord de la mer. L'investissement d'Alger était loin d'être complet : nous occupions les hauteurs, mais les bords de la mer restaient libres, et les Turcs communiquaient facilement avec la plaine de Mitidja
          La confusion qui régna dans tous les mouvements de l'armée française, dans la journée du 29, aurait pu avoir des conséquences funestes, si nous nous étions trouvés en face d'un ennemi habile et entreprenant. M. de Bourmont fut hésitant et indécis dans ses opérations; on dit même qu'il montra beaucoup de faiblesse envers un de ses lieutenants généraux, coupable de désobéissance formelle à ses ordres.
          La brigade Poret de Morvan était restée à l'ancienne position pour garder le parc et l'ambulance; elle fut attaquée par les Arabes, mais sans succès de leur part. Dans cet engagement, un soldat du 5e de ligne, nommé Sovadot, arracha aux Arabes, après des prodiges de valeur, son capitaine, M. Gallois, grièvement blessé. Je n'ai pu savoir si ce brave avait obtenu la récompense de sa noble conduite. De toutes les actions de guerre, celle qui a pour résultat de sauver un des siens est certainement la plus méritoire, et c'est à juste titre que les Romains mettaient la couronne civique au-dessus de tours les autres.
          Nous ne perdîmes que fort peu de monde dans la journée du 29. Cinq pièces le canon tombèrent en notre pouvoir, ainsi que quelques prisonniers. Les maisons de campagne que nous trouvâmes abandonnées, furent en général pillées et dévastées; celles de quelques consuls européens, dont les soldats ne connurent pas les pavillons, souffrirent comme les autres. Quelques habitants, trouvés cachés dans les maisons et dans les haies, furent massacrés ; deux ou trois femmes furent même tuées par accident, d'autres furent violées; mais ce sont là les tristes accompagnements de toute guerre, même de la plus juste.

          Le jour même de notre arrivée devant Alger, le général en chef et le général Valazé reconnurent les approches du château de l'Empereur, qu'il fallait enlever avant de songer à attaquer le corps de la place. Ce château, dont nous avons fait connaître la position, doit son nom à l'empereur Charles-Quint., qui, lors de son expédition contre Alger, avait établi son quartier général sur le lieu où il a été bâti. Ce fut même le choix que fit Charles-Quint de cette position qui fit ouvrir les yeux aux Turcs sur son importance. Ce point était alors connu sous le nom de Sidi-Yacoub : les Turcs l'appellent maintenant S ltan-Calassi.

          Le fort de l'Empereur était éloigné de 800 mètres de la ville; c'était un carré un peu allongé, en maçonnerie, comme toutes les fortifications d'Alger. Les murs en étaient flanqués de petites saillies en forme de bastions. La face du sud avait une double enceinte; du reste, point de dehors : dans l'intérieur, une grosse tour ronde servant de réduit, voilà quel était le fort de l'Empereur.
          Alger, bâtie en amphithéâtre sur le penchant d'une colline assez élevée, forme un triangle dont un des côtés est appuyé à la mer. La ville était entourée d'un mur à l'antique, avec tours et créneaux, d'une construction assez irrégulière, haut de 25 pieds, terme moyen, et large de 7 à 8. Ce mur était précédé d'un fossé. Au sommet du triangle s'élevait la citadelle, ou casbah, qui formait aussi un triangle, dont deux côtés étaient les prolongements du mur d'enceinte; le troisième séparait la cash de la ville. Alger avait trois portes conduisant dans la campagne : au sud, la porte Neuve, dans le haut de la ville, et la porte Bab-Azoun, dans le bas ; au nord, la porte Bab-el-Oued, également dans le bas. De la porte Neuve à la porte Bab-Azoun, le rempart était précédé d'un petit mur ou causse braie; il en était de même aux environs de la porte Bab-el-Oued. Le côté de l'enceinte appuyé à la mer était percé de deux portes, dites de la Marine et de la Pêcherie.
          Au bord de la mer, à 900 mètres de la porte Bab-Azoun, s'élevait le fort du même nom. Le fort Neuf couvrait la porte Bab-el-Oued. A 2 et 500 mètres de celui-ci, était le fort des Vingt quatre heures, et, à 1500 mètres plus loin, le fort des Anglais. Tous ces forts étaient hérissés de canons : les Barbares croient une position inexpugnable, lorsqu'ils y ont entassé des bouches à feu sans choix et sans discernement (1).

          Le côté le plus fort d'Alger était celui de la mer. Les principaux ouvrages qui défendaient l'entrée et tes approches du port étaient construits sur ce rocher dont nous avons parlé dans le livre premier, et que Khaïr Eddin réunit au continent par une jetée qui est un fort bel ouvrage. Les fortifications de la marine se sont toujours perfectionnées depuis cette époque ; elles sont en pierre, d'une très grande solidité, et assez compliquées dans leurs détails; en certains endroits, il y a. jus qu'à quatre rangs de batteries les unes au-dessus des autres. Mais reprenons le fil de notre narration.
          Une batterie de siége de six canons de 16 avait suivi l'armée dans son attaque du 29, pour combattre les : batteries de position que l'ennemi pouvait avoir construites sur les bords des ravins; mais nous avons vu que sa prévoyance ne s'était pas étendue jusque-là. Le reste de notre artillerie de siége arriva successivement; l'emplacement du parc fut désigné en arrière du Consulat de Hollande.

          Le résultat de la reconnaissance faite, dès le 29, par le général Valazé, fut que l'on pouvait commencer immédiatement les travaux de tranchée devant le fort de l'Empereur, ce qui eut lieu le lendemain 30, à trois heures du matin. Le feu très vif de la place et l'extrême fatigue des troupes obligèrent bientôt de les interrompre; on ne put les reprendre que la nuit suivante. F. Chambaut, chef de bataillon du génie, fut blessé à mort dans ces premières opérations.
          Il avait été décidé qu'on ne construirait qu'une seule parallèle pour lier les batteries dont le général Lahitte avait déterminé l'emplacement, de telle sorte qu'elles fussent en même temps batteries d'enfilade et batteries de brèche ; le fort de l'Empereur ne méritait pas une attaque plus savante, et nous le dominions de tous côtés.
          On résolut d'attaquer à la fois la face du sud et celle de l'ouest, et surtout cette dernière qui paraissait d'un abord plus facile; en conséquence, une seule batterie fut établie contre la face du sud; elle était de six canons, et fut construite sur le prolongement de la face ouest. Celle-ci fut battue par deux batteries de canons et une d'obusiers ; la première, de quatre pièces de 24, fut établie gauche de la voie romaine ; la seconde, de six pièces de même calibre, à droite. La batterie d'obusiers, contenant deux pièces, fut construite entre cette dernière et la voie romaine. Une batterie de quatre mortiers de 40 pouces fut construite sur la capitale de l'angle sud-ouest du fort, entre les deux premières batteries dont nous venons de parler.
          Toutes ces batteries eurent les noms suivants : la 1ère fut appelée batterie de Saint-Louis; la 2e, batterie du Dauphin; la 5e, du Roi; la 4e, du Duc de Bordeaux; la 5e, enfin, batterie Duquesne. Elles étaient masquées par des haies qui en cachaient la construction à l'ennemi.

          Le 1er juillet dans la journée, les Turcs tentèrent une sortie; ils furent repoussés avec perte. Ils s'embusquèrent alors dans les jardins et dans les haies, en avant de nos ouvrages, et se mirent à tirailler avec quelque avantage. Nous leur opposâmes les meilleurs tireurs de tous les régiments, que l'on arma avec des fusils de rempart. Le travail de la tranchée fut réglé de manière à être relevé le soir à six heures, et le matin à quatre heures et demie. Le nombre des travailleurs fut fixé à 1600 ; mais il y eut beaucoup de désordre dans leur répartition, et quelquefois dans l'heure de leur arrivée, ce qui fit souvent perdre un temps précieux. On a de la peine à comprendre comment on peut pécher dans des détails aussi simples et d'une exécution aussi facile; c'est cependant ce qui n'est pas rare à la guerre.
          Le générai Lahitte fit commencer, le 1er juillet, la construction d'une nouvelle batterie de quatre obusiers, dans le jardin du Consulat de Suède, à droite de la tranchée. Le même jour la brigade Montlivault, qui était restée en arrière, entra en ligne, ainsi que trois bataillons de la brigade Munck D'Uzer; la brigade Poret de Morvan se porta sur les communications de Sidi-Féruch à Alger.

          Le 2 juillet, les travaux furent poussés avec activité, mais l'ouvrage n'avançait pas également partout, le sol n'étant pas sur tous les points également facile à remuer. Les tirailleurs soutinrent un feu très vif, ce jour-là et le suivant, sur toute la ligne. La batterie Saint-Louis fut attaquée par les Turcs, qui s'avancèrent jusque sur l'épaulement. Il y eut un moment d'hésitation de la part de nos soldats; mais, entraînés bientôt par l'exemple du capitaine d'artillerie Mocquart, ils fondirent sur l'ennemi et le repoussèrent.
          Sur la droite, quelques Arabes de l'extérieur vinrent nous inquiéter. Ils furent repoussés au loin par une compagnie du 9e léger. Il se passa là une action qui mérite d'être rapportée : un Arabe est blessé d'un coup de feu au moment où les Français s'ébranlaient pour se porter en avant ; un de ses camarades vient à son secours et se dispose à l'emporter ; mais, au même instant, ce dernier est aussi blessé et tombe avec son fardeau. Il se relève bientôt ; mais, au lieu de profiter du peu de force qui lui reste pour se sauver seul, il s'obstine généreusement à ne point abandonner son compagnon plus blessé que lui. Cependant les Français ne sont plus qu'à deux pas; n'importe, il mourra avec son ami; un officier, qui arriva près d'eux presque en même temps que les premiers tirailleurs, aurait voulu les sauver l'un et l'autre, mais il éleva la voix trop tard : nos soldats n'accordaient plus de quartier à un ennemi qui leur avait donné l'exemple de ne point en faire.

          Le 5, l'amiral Duperré parut devant Alger avec une partie de ses forces, et pendant plusieurs heures canonna la ville et les forts, mais à une telle distance, qu'à peine quelques boulets arrivèrent à terre ; la même chose avait eu lieu le 1er. L'état de la mer fut sans doute ce qui empêcha M. Duperré de raser de plus près les fortifications qu'il paraissait vouloir combattre, et le força de tenir notre brave marine fort éloignée de la position qu'avait prise lord Exmouth, en 1816. Cette démonstration eut cependant pour résultat de partager un peu l'attention de l'ennemi, et d'encourager nos soldats, qui durent croire que ce grand bruit était suivi de quelque effet.
          Dans la soirée, les batteries du Roi et du Dauphin furent armées. Les autres l'avaient été dès le malin ; les ouvrages étaient partout en bon état et bien défilés; on avait établi de fortes traverses là où elles étaient nécessaires; les magasins à poudre étaient construits et approvisionnés; enfin tout était prêt pour l'attaque, qui fut fixée au lendemain.
          Dans la nuit, les Turcs de la garnison du fort, ne se doutant pas de la terrible canonnade qu'ils allaient essuyer dans quelques heures, et satisfaits de nous avoir tué quelques hommes dans la journée, se livrèrent au transport d'une joie absurde et bruyante. Ils nous crièrent que, puisque nous ne lirions pas, c'était que nous n'avions pas de canon; que si nous en voulions, ils étaient près à nous en envoyer, accompagnant cette ironie de beaucoup d'injures contre les Chrétiens, selon l'usage. De notre côté, personne ne criait, mais chacun prenait sen poste. On attachait à chaque batterie une compagnie d'infanterie pour la soutenir; on établissait, à la queue de la tranchée, deux compagnies d'artillerie en réserve, pour le remplacement des canonniers tués ou blessés; le maître artificier s'assurait du chargement des bombes et des obis; enfin on ne négligeait rien de ce qui pouvait assurer un succès prompt et décisif.

          Le 4, à quatre heures moins un quart du matin, toutes nos batteries commencèrent leur feu à la fois. L'armée, qui attendait ce moment avec impatience, fut aussitôt sur pied, pleine d'espérance et de joie, et avide de suivre les progrès de l'attaque. Nos boulets, dès les premières salves, portèrent en plein dans tes embrasures du fort et dans les merlons intermédiaires, qui commencèrent bientôt à se dégrader. Le tir des bombes et des obus ne fut pas d'abord aussi juste, mais après quelques tâtonnements il se rectifia et aucun projectile ne manqua plus le but. Les Turcs ripostèrent avec vigueur, non seulement du fort de l'Empereur, mais encore du fort Bab-Azoun et de la Casbah. Pendant quatre heures, la défense fut aussi vive que l'attaque; mais à huit heures, elle commença à se ralentir. Une batterie de quatre bouches à feu de campagne, placée sous un mamelon en arrière de ta batterie Saint-Louis, fit beaucoup de mal à l'ennemi: elle portait dans l'intérieur du fort, et sur ses communications avec la Casbah.
          A dix heures, le feu du château était éteint; les merlons, entièrement détruits, n'offraient plus aucun abri aux canonniers turcs: les pièces étaient presque toutes démontées et l'intérieur du fort bouleversé par nos bombes et par nos obus. Le général Lahitte venait d'ordonner de battre en brèche ; de nombreux éboulements annonçaient déjà que la place serait bientôt ouverte, lorsqu'une épouvantable explosion, accompagnée d'un épais nuage de fumée et de poussière, et suivie d'une horrible pluie de cendres, de pierres, de débris, de membres humains, nous annonça qu'elle n'existait plus. Les Turcs, désespérant de la défendre plus longtemps, l'avaient abandonnée, s'étaient retirés dans la Casbah et avaient mis le feu aux poudres. La tour intérieure fut entièrement renversée, ainsi que la presque totalité de la face ouest: le reste, plus ou moins endommagé, n'offrait plus qu'un amas de mines. Des pièces de canon d'un fort calibre avaient été projetées au loin. L'air fut obscurci, pendant longtemps, par des flocons de laine, provenant de la dispersion des ballots dont les Turcs avaient couvert le sol de leur batterie et les voûtes de leurs magasins.

          Pendant l'obscurité produite par la poussière et par la fumée, nos batteries continuèrent à tirer; mais lorsqu'elle fut dissipée et que l'on s'aperçut que le fort ne pouvait plus contenir un seul être vivant, le feu cessa: quelques compagnies escaladèrent les ruines et en prirent possession. Le générai Lahitte s'y étant rendu aussi de sa personne, fit placer sur les débris deux pièces de campagne qui tirèrent aussitôt sur le fort Bab-Azoun. Il fil diriger sur le même point le feu de trois pièces turques, que l'explosion avait épargnées. Ces cinq bouches à feu suffirent pour faire taire le fort Bab-Azoun, dans l'intérieur duquel elles plongeaient entièrement. Le général Lahitte choisit, à gauche de la voie romaine, un emplacement pour y construire deux batteries, une de canons et l'autre de mortiers, destinées l'une et l'autre à l'attaque de la Casbah. Elles devaient être placées sur une crête qui domine la ville et qui n'en est éloignée que de 150 mètres. C'était là qu'était autrefois le fort de l'Etoile ou des Tagarins. Le génie se mit aussitôt à l'ouvrage, pour établir et abriter les communications entre ce point et le fort de l'Empereur ; pendant ce temps-là, les Arabes de l'intérieur, sans s'embarrasser de ce qui se passait au siège, voulurent attaquer nos lignes ; ils se présentèrent devant le camp de la brigade Berthier. Quelques compagnies de voltigeurs et deux pièces de canon suffirent pour les balayer.

          Cependant la ville était pleine de trouble et de confusion; le peuple, craignant une prise d'assaut, demandait à grands cris une capitulation. Hussein pacha, croyant sortir par une humiliation passagère de la fâcheuse position où l'avaient mis son ignorance et son orgueil, envoya Mustapha, son Makatadji, vers M. de Bourmont, pour lui offrir le remboursement des frais de la guerre et des excuses qui n'étaient plus admissibles. Le général en chef répondit à l'envoyé du Dey que la base de toute négociation devait être l'occupation immédiate de la ville par les Français ; qu'ainsi il ne pouvait accéder aux propositions de son maître Le Makatadji partit avec cette réponse, qui annonçait à Hussein pacha que son règne était fini. Il était alors onze heures et demie. A une heure, arrivèrent deux Maures, les sieurs Ahmed-Bouderbah et Hassan-ben-Othman-Khodja, qui demandèrent à parler au général en chef. Tous deux s'exprimaient très bien en français. Ils furent bientôt suivis du Makatadji, qui revint accompagné du consul d'Angleterre. Mustapha, qui voulait élever au hune le Khazadji, dont il était la créature, offrit à M. de Bourmont de faire périr le Dey Hussein, disant qu'on pourrait ensuite traiter, avec le nouveau Dey, à des conditions très avantageuses; mais le général fronçais, qui avait mission de détruire la domination turque à Alger, repoussa des offres que d'ailleurs l'honneur ne permettait pas d'accepter.
          Après deux heures de discussion, une capitulation fut rédigée et portée au Dey par un de nos interprètes. Une suspension d'armes fut accordé jusqu'au lendemain sept heures, pour attendit la réponse de ce prince qui ne tarda pas à être connue. Il consentit à tout : voici cette capitulation :


Convention entre le Général en chef de l'armée française
et S. A. le Dey d'Alger.

     1° Le fort de la Casbah, tous les autres farts qui dépendent d'Alger, et les phares de la ville, seront remis aux troupes françaises, ce matin à dix heures.
     2° Le général de l'armée française s'engage, envers S. A. le Dey d'Alger, à lui laisser la libre possession de toutes ses richesses personnelles.
     3° Le Dey sera libre de se retirer, avec sa famille et ses richesses, dans le lieu qu'il fixera, et tant qu'il restera à Alger, il sera, lui et toute sa famille, sous la protection du général en chef da l'armée française ; une garde garantira la sûreté de sa personne et celle de sa famille.
     4° Le général en chef assure à tons les membres de la milice les mêmes avantages et la même protection.
     5° L'exercice de la religion mahométane restera libre; la liberté de toutes les classes d'habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie, ne recevront aucune atteinte; Durs femmes seront respectées; le général en chef en prend l'engagement sur l'honneur.
     6° L'échange de cette convention sera fait avant dix heures du matin, et les troupes françaises entreront aussitôt après dans la Casbah, et s'établiront dans les " forts de la ville et de la marine. "
     On a souvent répété que le général en chef de l'armée française aurait dit n'accorder aucune espèce de capitulation à un ennemi qui était à notre merci, et qu'il fallait seulement lui garantir la vie sauve. Je pense, pour mon compte, qu'avec cette seule condition, les portes de la ville nous auraient été également ouvertes, et que nous nous serions évité bien des embarras : car, dans ce cas, les Maures nous auraient su gré de tout le mal que nous ne leur aurions pas fait, au lieu de discuter avec nous, comme ils l'ont fait longtemps, sur les termes d'une capitulation qui, il faut bien le dire, n'a pas toujours été respectée.


(1) - C'était, du reste, un homme honorable, studieux et éclairé, qui cherchait à justifier, par des qualités personnelles ce que la naissance et la faveur avaient fait pour lui.
(2) Depuis qu'Alger est entre nos mains, il a été fortifié à la moderne et l'enceinte s'en est beaucoup accrue. Il ne s'agit ici que du vieil Alger.
A SUIVRE


PHOTOS Défilé
Du 14 juillet à BÔNE
Envoi de M. Savalli


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BULLETIN        N°13
DE L'ACADÉMIE D'HIPPONE

SOCIÉTÉ DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES
ET D'ACCLIMATATION


M0NOGRAMME DE L'OUED-CHAM
Village récemment créé près de Souk-Ahras
Par M. J. DOUBLET professeur au collège
Conservateur de la bibliothèque et du musée, secrétaire général.

          Le 28 octobre 1877, M. Papier soumettait à l'Académie d'Hippone le fac-simile d'un monogramme gravés sur pierre, assez récemment découvert, pendant les travaux d'installation du nouveau village de l'Oued-Cham, par M. le sous-lieutenant Abel Farges, adjoint au bureau arabe de Souk-Ahras.
          Ce monogramme, qui jusqu'à ce jour a donné lieu à cinq interprétations assez différentes les unes des autres, ne parait pas encore avoir reçut d'explication satisfaisante, et est de nature à provoquer peut-être pendant quelque temps encore des recherche et à exercer la sagacité ou la patience des épigraphistes émérites. D'après M. l'Abbé Mougel, notre correspondant à Duvivier, il y a tout dans ce rébus, et ce n'est pas à priori qu'on peut en fixer le sens.

          M. A., Cherbonneau, un autre de nos correspondants, passé maître en pareille matière, à qui M. Papier l'a communiqué, partage le même avis. Malgré l'habitude, dit-il à la date du 12 novembre, que j1ai acquise de déchiffrer certains sigles compliqués dont les pierres romaines sont ornées, il m'est impossible de déchiffrer celui-ci : les efforts .que j'ai faits pour tirer un sens des lettres qui entrent dans sa combinaison sont demeurés sans résultat jusqu'à. présent. Toutefois j'incline à y voir, comme vous, un souvenir du christianisme africain, peut-être un monument contemporain de saint Augustin, votre saint.
          " Cette manière de cacher sous un enchevêtrement des caractères un voeu, une pierre, un nom, avait une cause : Le besoin de soustraire aux insultes des païens tout ce qui émanait des chrétiens. Pendant longtemps ces derniers ont été obligés de recourir à toutes sortes d'artifices pour préserver même leurs sépultures contre la haine implacable d'un culte vaincu par les idées nouvelles (1).
          Tout en exposant les différentes interprétations que l'on a données jusqu'ici de ce monogramme, il n'est sans doute pas inutile de donner les dimensions de la pierre sur laquelle il est gravé, et d'expliquer les raisons qui ont motivé quelques-unes de ces interprétations.
          La pierre, sorte de calcaire, rompue à son extrémité droite, mesure encore 1m,30 de longueur sur 0m,38 de hauteur. Son épaisseur est de 0m,53. Le monogramme seul, d'après l'estampage que nous avons sous les yeux, a 0m,14 de haut. sur 0m,215 dans sa plus grande largeur.

          M. Papier, qui le premier a fait connaître ce monogramme à l'académie d'Hippone, a cru y voir l'Inscription d'une stèle funéraire et en a proposé la traduction suivante, d'après le dessin incomplet qui lui avait été communiqué : OSSA SUA QYIESCANT IN PACE.

          Nous ferons remarquer qu'il y a dans cette version une faute de langage, SUA pour EIUS, que notre Vice Président reconnaît lui-même, mais qu'il justifie en disant : " Si l'on se reporte aux quatrième et cinquième siècle de J.C. où ce monogramme a été composé, c'est-à-dire à une époque où les Romains du Bas-Empire ne se soumettaient guère, surtout en Afrique; aux règles absolues de la grammaire, on ne peut trop me reprocher ce barbarisme. J'ajouterai que si l'expression de OVIESCANT IN PACE n'était point usitée chez les Romains dans ce genre d'inscriptions, on peut néanmoins citer l'inscription découverte par M. Vincent dans les ruines de Sataffi (Aïn-Kébira) qui commencerait par ces mots : IN NOMINE, sous entendu PATRIS ET FILIT, et dénote qu'à cette époque l'église chrétienne d'Afrique employait des termes que l'église chrétienne de nos jours emploie encore dans ses prières et dans ses cérémonies funèbres. "
          Pour expliquer la présence de la préposition IN dans la traduction qu'il propose, notre honorable collègue ajoute encore qu'il n'a vu dans l'espèce de croix de Saint-André formant; pour ainsi dire, le squelette du monogramme, et dont les extrémités des croisillons sont réunies par des perpendiculaires, que l'enchevêtrement des lettres I et N.

          Le secrétaire général, voulant donner dans le compte rendu de la séance du 28 octobre, une description par à peu près du monogramme de l'Oued Cham tel qu'il le voyait, a cru reconnaître une sorte de sablier renversé. Cette opinion, dans l'hypothèse que nous n'avions sous les yeux que l'inscription d'une pierre tumulaire, n'avait, je crois ; rien de trop hasardé. Elle a valu à l'Académie, de la part d'un enfant de Bône, M. G, Bellon, géomètre, qui n'avait lu que notre description, une explication exempte de fautes de latinité tout à fait philosophique et exprimant en d'autres .termes la même idée que la version de M. Papier. " Je crois, dit-il à la date du 10 novembre, avoir trouvé. le sens caché de cette figure symbolique en I'interprétant par la phrase suivante : POST OPUS, SOMNI QUIES. En effet, la vie n'étant qu'une lutte ou un travail de chaque Heure, la mort est le repos : après la vie, la mort. Cette vérité l'auteur a voulu l'exprimer par : après le travail. le repos du sommeil. C'est même vrai pendant la vie : après le travail du jour, le repos du sommeil de la nuit ; c'est également vrai à la mort. Aussi le sablier n'a plus besoin de marquer le temps qui s'écoule. A quoi cela servirait-il ce long sommeil, l'ETERNITE !.... C'est ce qui explique pourquoi le sablier est couché horizontalement, représentant la position du cadavre dans la tombe. "

          M. l'abbé Mougel venait de lire dans le journal la Seybouse le compte rendu de notre séance, quand il reçu de Souk-Ahras l'interprétation que venait de donner de ce monogramme M. Héron de Villefosse, attaché au musée du Louvre, alors en tournée scientifique dans la Région.. D'après .cet habile épigraphiste, il faut lire : DEO LAUDES. " Sans prétention de vouloir, écrit le 11 novembre notre correspondant, me prononcer en faveur de M. de Villefosse ou de M. Papier, j'incline vers l'interprétation du premier. D'abord ce monogramme n'est pas une stèle funéraire, mais bien et dûment un linteau de porte. L'invocation DEO LAUDES était très usitée à l'époque de saint Augustin, Il en parle assez longuement dans ses écrits, et il nous fait connaître qu'elle devint entre catholiques et donatistes l'objet d'une controverse. Rien d'étonnant qu'on la retrouve affichée sur la porte, je ne dis pas d'une basilique, mais d'un oratoire privé auquel ce linteau vulgaire semble appartenir. "

          Et pour donner plus de poids à son opinion, M. Mougel envoie les dessins de plusieurs linteaux de porte (fig. 3, 4, 5 et 6) et écrit encore, 6 décembre : " Il était d'usage, à ce qu'il parait, de décorer de rosaces l'entrée des lieux saints. Le linteau de porte trouvé au Coudiat (fig.2 et 3) semble le révéler. Dans tous les cas, la croix n'y manque jamais. Elle se trouve deux fois reproduite sur un troisième linteau édité par M. Poulle et provenant de la ferme Cassaing, région de Batna (fig.4). Sur ce dernier l'inscription n'est pas monographique, mais exprimée en toutes lettres sous forme d'épitaphe. .
          L'usage des portes enrichies de monogrammes a été fort répandu, on pourrait dire universel, comme on le voit d'après ceux de deux maisons voisines à Docelles, département des Vosges.
          Il ne faut pas trop s'empresser d'admettre la rosace de nos monuments africains comme embellissement du linteau. A mon avis, ce décor vise plutôt le signum Christi, tropoeum Christi, dit saint Augustin, en propres termes, réveil-Christ.

          " en Afrique, ce symbole a emprunté dans bien des circonstances le nimbe circulaire du soleil pour réveiller en nous, outre l'amour de Jésus-Christ mourant pour les hommes, la vraie lumière qu'il a apportée sur la terre. Je me complais à lui voir suivre cette marche progressive et variée suivant les âges et les coutumes, et devenir rosace, pour ensuite perdre son titre d'origine et sa signification ".
          Mgr Robert, évêque de Constantine, ne regarde pas, d'après M. l'abbé Mougel, comme exactes les interprétations données par MM. Papier et Héron de Villefosse. " Ce monogramme, selon Monseigneur, était gravé sur l'imposte d'une porte d'église et doit se lire : CLEMENS IN DEO PAX ; et notre infatigable chercheur correspondant de Duvivier y lit, en suivant la méthode de l'évêque de Constantine : CLEMENS EPI SCOPUS IN XRO (Christo) DEO PAX. "
          Nous savons: aussi que ce monogramme vient d'être soumis à l'examen de M. de Rossi, le célèbre auteur de Rome souterraine. L'Académie d'Hippone s'estimerait heureuse de connaître l'explication du Monogramme de l'Oued-Cham par cet illustre graphiste.
          On vient de voir l'exposé aussi impartial que possible, avec les raisons à l'appui de toutes les interprétations du monogramme de l'Oued-Cham parvenues à notre connaissance. Nous nous garderons d'adopter plutôt l'une que l'autre, en laissant à chacun la liberté de choisir le sens qui lui conviendra.
          Nous n'avons eu d'autre but, dans ce rapport, que de répondre au voeu de l'Académie, voilà pourquoi nous nous sommes simplement contenté de grouper les données sur la question, avec le sentiment qu'elle est peut-être encore loin d'être vide.

Grammatici certant, et adhuc sub judice lis est.
          Bône, le 16 janvier1878.

(1) Ces sortes d'énigmes, écrit-il encore le 22 janvier à M. Papier, ne se devinent pas toujours du. premier coup ; Il y a même des personnes dont l'esprit se dirige difficilement vers ces jeux calligraphiques. Pour .ma. part, non seulement. je n'ai point deviné ce que contient cet enchevêtrement de lettres, mais je n'y ai pas vu ce que d'autres en ont tiré.

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M. Mougel

                    M. Mougel écrit, le 17 janvier, la lettre suivante qui vient jeter quelque jour sur la question.
          " Monsieur le conservateur,
          " Désormais renonçons à l'espoir de découvrir dans le monogramme de l'Oued-Cham une inscription funéraire. Tout récemment, au même endroit, un deuxième linteau, parfaitement identique au premier quant à la hauteur, la largeur, le style et le diamètre des ronds, ne permet plus aucun doute sur l'édifice auquel ces deux massifs ont appartenu. Évidemment nous sommes sur les traces d'une basilique chrétienne.
          Ce second linteau, mesurant 1m,64 de longueur (0m,34 de plus que le premier), couvrait la porte principale; celle du milieu du portail de cette basilique, et, en vertu des lois de la symétrie, laisse encore à découvrir une pierre de même dimension que celle sur laquelle est gravé le monogramme. Pour plus de clarté, nous établissons ci-après (voir la planche fig. 7) la façade telle qu'elle a dû exister, en indiquant par des points les .morceaux qui manquent et qu'on obtiendrait par des fouilles intelligemment conduites.
          Vous remarquerez, Monsieur le conservateur. La figure portant l'aronde; indice du titulus, la croix rectangulaire couronnée du cercle aux deux extrémités, et une espèce de niche fouillée à 0m,015 au milieu. Ce que renfermait cette niche a disparu.

          "Un fragment de piédestal, s'adaptant soit à l'un soit à l'autre de ces linteau se voit, aussi dans le fouillis de pierres de. taille, une profondeur de deux mètres sous la surface du sol, et où se rencontrent des pans de mur qui n'ont subi aucune retouche.
          La croix relativement récente, rectangulaire, byzantine par le fait, étant couronnée d'un cercle, éclairera certains prêtres et certains évêques de notre siècle qui doutent de l'admission de l'idole ou symbole du soleil autour de la croix chrétienne. "

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M. Cherbonneau

          M. Cherbonneau nous donne aussi du monogramme, mais bien postérieurement, une explication qui se rapproche beaucoup de celle M. H. de Villefosse.
          " Le monogramme de l'Oued-Cham., dit-il, dont je dois l'estampage à l'obligeance de notre confrère M. Papier, est gravé dans un encadrement sur une pierre de 2 mètres de long, en caractères hauts de 0m,16. De chaque côté, dans la partie supérieure, s'épanouissent en relief deux rosaces, ornement, emprunté aux monuments du paganisme par les premiers chrétiens de l'Afrique. La pierre devait servir de linteau à la porte d'une modeste chapelle ou d'un cimetière.
          En examinant attentivement le dessin ci-joint, où les caractères s'enchevêtrent et s'amalgament d'une façon si bizarre, je suis frappé d'un fait très évident : c'est que le X et le P du chrisme ont servi de première base à la combinaison graphique, et qu'ensuite le sculpteur a imaginé de produire en abrégé toute une invocation chrétienne, d'un côté à l'aide d'une lettre qui, posée en sens inverse, se prête mieux à la symétrie en formant le pendant du P, et de l'autre par l'éparpillement de trois lettres minuscules, peut-être destinées en même temps à symboliser la Trinité. Cette hypothèse étant admise, on retrouve un à un les éléments constitutifs de la phrase :

LAUS XP DEO
          Voici comment on peut procéder au déchiffrement de cette espèce de logogriphe lapidaire :
          1° La lettre L renversée et retournée forme un des jambages du X, auquel elle ajoute un appendice oblique dessinant un angle ;
          2° L'A, occupe l'angle inférieur du triangle décrit par le croisement du jambage du X et la hampe du P ;
          3° L'U est la partie ou l'ouverture supérieure du X ;
          4° L'S se tient dans la partie ou l'ouverture inférieure du X ;
          5° Le D et l'E, réunis en un sigle bien connu, se retournent de façon à ce que la barre verticale, un peu prolongée pour la symétrie, ferme le triangle de gauche ;
          6° L'O est compris entre les branches supérieures du X, lesquelles représentent l'U, ainsi qu'il est dit au n° 3 ;
          7° Le X dont un jambage sert de hampe à l'L retournée (U. le n°1), doit être considéré comme la partie médiane, ou plutôt comme le corps du monogramme. On voit qu'il s'appuie à gauche contre les deux extrémités du trait vertical du D gravé en sens inverse, et à droite contre les deux bouts de la hampe du P ;
          8° Le P se rattache par le haut à l'angle que dessinent l'extrémité du X et le bas de l'L retourné (U le n°1). Son point inférieur vient se souder avec le bout de celui des jambages du X que l'écartement fait tomber à droite.
          9° Si l'on veut obtenir une lecture plus complète, il faut prendre encore l'O et l'appliquer comme finale à la formule abréviative XP, qui se rencontre quelquefois sur les monuments disposés ainsi XP°. On aura alors :
LAUS XP° DE°.
          " Mais il existe des exemples du chrisme construit sans accord dans une phrase, c'est-à-dire sans marque apparente de raccord. C'est cette circonstance qui m'a autorisé à adopter la lecture où le X et le P demeurent accolés sans être accompagnés d'aucune autre lettre."


GRAVURES et PHOTOS Anciennes
De BÔNE
Envoi de M. Charlet Januzzi


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La Place des Gargoulettes
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La Gare
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Avenue de la Marne
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Les Scooters en revue chez Baldetti

SOIRÉES
                ALGERIENNES            N°4

CORSAIRES, ESCLAVES ET MARTYRS
DE BARBARIE   (1857)
PAR M. L'ABBE LÉON GODARD

ANCIEN CURE D'EL-AGHOUAT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE
AU GRAND SÉMINAIRE DE LANGRES

Dominare in medio inimicorum tuorum.
Régnez, Seigneur, au milieu de vos ennemis.


SOIREES ALGERIENNES
QUATRIÈME SOIRÉE
Les renégats. - La fuite.

        On lisait ce soir-là une impression de tristesse maladive sur les traits de Carlotta. Il y avait aussi de la fièvre dans ses mouvements ; et l'on devinait sans peine, à travers cette physionomie transparente et mobile, quelque préoccupation douloureuse.
        " Qu'avez-vous donc, chère enfant ? dit le bon vieillard, habitué à saisir toutes les nuances des sentiments que le visage de la jeune fille trahissait malgré elle.
        - Mon père, je ne puis voir cet homme sans éprouver une horreur qui me rend malade... Il me semble que j'ai vu un démon.
        - Mais qu'est-ce donc ?
        - Carlotta, dit Mme, Morelli, a rendu des visites avec moi aujourd'hui; et nous avons eu le malheur de rencontrer M. D***, le prétendu sidi Abd-er-Rhaman, qui a embrassé l'islamisme. Or Carlotta ressent une telle aversion pour ce renégat, que je tremble lorsqu'il se trouve avec nous chez certains hauts fonctionnaires où l'on croit devoir lui faire accueil. C'est l'image de cet homme qui l'obsède encore, et le dégoût qu'il lui inspire va presque à lui soulever le cœur.
        - Pour moi, je vous déclare hautement que je partage les sentiments de ma sœur. Je méprise un renégat, quel qu'il soit ; mais surtout celui qui abjure le christianisme par ambition, pour arriver à un grade élevé dans l'armée, à une charge administrative importante; ou bien pour se laisser aller aux mœurs faciles et honteuses que la loi musulmane favorise. Cependant les gouvernements du jour honorent ces gens-là.

        Je le répète, ni les décorations, ni les titres de colonel ou de pacha, ni la finesse du burnous, ni le cachemire du turban, ne diminuent mon souverain mépris pour les renégats de haut parage : au contraire. Ceux-là n'ont pas pour excuse, comme d'autres pauvres diables, la violence qu'on leur fait ou la misère qui les pousse. Et au fond leur apostasie est comme toute apostasie, une lâcheté. Oui, tout renégat est un lâche ; car il abandonne le Christ, la patrie, sa famille, la civilisation, pour satisfaire des appétits plus ou moins grossiers, une ambition impuissante là où elle rencontre la concurrence du mérite ; il outrage la mémoire de ses ancêtres, et il impose silence au cri de sa conscience d'homme et de chrétien. Car ici la conviction est impossible ; le Coran ne supporte pas une minute d'examen et ne se discute pas. Tout renégat est un lâche, et porte au front, quoi qu'il fasse, un indélébile stigmate d'infamie.

        - Je t'approuve complètement, mon fils, reprit Mme Morelli, et je suis bien aise de voir que tu résistes à l'esprit d'un monde qui me fait rougir. Seulement, suis les règles de la charité et de la vraie politesse, qui en est une fleur. Aie plutôt de la pitié que du mépris pour ce M. D***, comme pour ses semblables ; garde envers lui une froide réserve, mais ne cherche pas à le blesser.
        - Révérend père, demanda M. Morelli, est-ce que les musulmans considéraient comme un devoir d'amener leurs esclaves à l'apostasie, même par la force ?
        - On doit établir quelques distinctions, pour faire à votre question, Monsieur, une réponse exacte. Les jeunes esclaves sont les seuls que l'on ait habituellement cherché à entraîner au reniement de la foi par la violence et la séduction. Les musulmans croyaient agir en ce cas de la manière la plus méritoire. Souvent aussi des fanatiques se faisaient un point de religion ou d'amour-propre de vaincre la résistance d'un captif; ou bien encore, le bey offrait au chrétien condamné à mort le choix entre le supplice ou le mahométisme avec la liberté.

        Les enfants qui ne se prenaient point aux piéges des belles promesses, subissaient assez souvent les coups de bâton ou de l'étrope, corde épissée, longue d'environ trois pieds, et dont se servent les marins. On le tenait par terre, à plat ventre ou sur le dos, et on lui administrait de deux à trois cents coups vigoureux. D'autres fois, on repliait son corps en attachant les pieds aux épaules, on le suspendait à une pièce de bois, et on déchargeait les coups sur la plante des pieds. Faisait-il la profession de foi : " La Allah ila Allah, Mohammed reçoul Allah ; Point de Dieu hors Dieu, Mahomet prophète de Dieu; " on le détachait, on pansait les plaies avec du vinaigre salé, et l'on célébrait ce glorieux triomphe de l'islamisme.

        En 1633, Guillaume Sauveïr, mousse de Saint-Tropez, refusait énergiquement d'apostasier. Son maître le suspendit par les pieds, le bâtonna, lui arracha les ongles des gros orteils, lui fit couler sur la plante des pieds de la cire brûlante ; mais, voyant qu'il ne gagnait rien et qu'il risquait de perdre ce jeune esclave, il mit fin à la torture et ne revint pas à la charge.
        Voilà un héroïque confesseur. Il y eut des martyrs de son âge. Don Haedo, l'auteur du précieux livre Topografi a de Argel, nous a gardé le souvenir de deux jeunes Espagnols qui sont morts dans des circonstances admirables. Je veux me donner le plaisir de vous raconter leur histoire. Au commencement de 1561, les janissaires et les Turcs d'Alger se révoltèrent contre Hassan-Pacha, fils de Barberousse. Ils l'accusaient de vouloir s'emparer du royaume au détriment de la Porte, parce qu'il favorisait les Maures et les Arabes. Il avait épousé la fille du roi de Kouko, en Kabylie, qui avait récemment guerroyé contre les Turcs, et il lui permettait, ainsi qu'à ses sujets, d'acheter les armes qu'ils voulaient.

        Hassan fut mis aux fers avec son fils, et on les envoya sous bonne garde, au mois d'octobre, à Constantinople. La galiote emportait avec eux la relation des crimes qu'on leur reprochait. Le Grand Turc donna provisoirement le gouvernement d'Alger au Turc Ahmed, qui arriva dans cette ville au mois de février 1562. Lorsqu'ils s'emparent d'un coupable, les Turcs ont coutume de piller sa maison. Ils s'étaient donc rués sur la demeure d'Hassan à son départ d'Alger. Or, des nombreux esclaves qu'il avait laissés, son successeur Ahmed en garda plusieurs, entre autres, deux jeunes Espagnols âgés de moins de quinze ans, pages de deux chevaliers, et qui s'étaient perdus hors du camp de Mostaganem, assiégée par les Castillans. Hassan n'avait pas réussi à faire apostasier ces enfants, qu'il tourmenta deux ans et demi. Ahmed à son tour l'essaya sans plus de succès, et l'inutilité de ses efforts l'indisposa contre eux.

        Au mois d'avril 1562, ils prirent, sans y voir un crime, et sans penser qu'on le découvrirait, un peu de taffetas blanc et de mince valeur, dans le magasin de la maison du pacha. Quelques jours après, le gardien le sut, et comme il partageait les ressentiments du gouverneur, il alla lui rapporter la chose à sa manière. Hassan en colère dit d'abord qu'il fallait jeter les coupables dans la prison du palais et les tuer à coups de bâton ; puis, se ravisant à la pensée que l'occasion était peut-être bonne pour obtenir ce qui lui avait été jusque-là refusé comme à tant d'autres, il envoya des Turcs et des renégats dire aux enfants que s'ils se faisaient Turcs ou Maures, il leur pardonnerait et les comblerait de récompenses. Le démon, qui toujours veille comme un lion rugissant, se servait du pacha comme instrument en cette occasion, et il travaillait avec ses ruses ordinaires à tromper la simplicité de ces enfants et à perdre leur âme.

        Mais le Seigneur les prévenait par sa grâce, et les préparait à défendre vaillamment son honneur, sa gloire et son nom. A tous les envoyés du pacha ils répondirent avec un courage étonnant : " Quand le roi nous ferait souffrir mille tourments, notre devoir serait de tout endurer pour l'amour de Dieu. " Une réponse si franche et si chrétienne augmenta l'indignation du pacha ; il voulut les rendre Turcs par force, " comme on fait chaque jour, dit Haedo, envers beaucoup de chrétiens, et surtout envers les jeunes gens. "
        Avertis de ce dessein, ils furent saisis de crainte et accablés de chagrin. Ils appelaient de leur prison tous les chrétiens de la maison du roi qui venaient à passer au dehors, et ils disaient avec une vive douleur : " Le roi veut nous faire Turcs par force ; sapez-nous témoins en toute circonstance que si le roi l'exécute, c'est sans notre consentement. Si l'on nous inflige la marque de l'islamisme, pendant que nos pieds et nos mains sont enchaînés, comme on le fait à d'autres, nous protestons que nous sommes chrétiens et devons rester chrétiens. " Hassan, apprenant ces dispositions, résolut de ne plus attendre et de faire mourir les deux enfants dans de grands supplices. Enflammé de colère, il ordonna d'amener deux chevaux à sa porte, d'attacher les jeunes chrétiens à la queue de ces animaux, afin qu'ils fussent traînés vivants et mis en pièces par les rues d'Alger.

        Les deux héros, tirés de prison, dépouillés de leurs habits, sauf une culotte de toile, sont conduits à la porte du pacha, liés avec des cordes chacun à la queue d'un cheval. Alors l'un d'eux, saisi de la crainte de la mort, dit aux Turcs :
        " Détachez-moi, je me ferai Maure. "
        L'autre l'entend, et, brillant de l'amour de Dieu et du zèle de sa gloire, il tourne ses regards vers son compagnon :
        " Comment ! Mon frère, s'agit-il de cela maintenant ? Non, non, recommandons-nous à Dieu et à Notre-Dame, et mourons en chrétiens.
        - " Mon frère, que la Mère de Dieu m'assiste ! C'est le démon qui me trompait. O Jésus ! O Mère de Dieu ! "

        Et dès lors ils s'exhortèrent l'un l'autre avec tant de courage, que les Turcs eux-mêmes en étaient surpris. Alors les serviteurs du pacha piquèrent les chevaux à travers les principales rues et places d'Alger, qui, étant parées, demeurèrent teintes de ce sang innocent. Les membres des patients furent ainsi cruellement déchirés et leurs os fracassés.
        " Des personnes qui virent ces martyrs de Jésus-Christ, dit Haedo, m'affirmèrent que leur foi, leur patience et leur constance furent admirables, puisque, jusqu'à la mort, ils ne cessèrent d'avoir à la bouche les très saints noms de Jésus et de la Mère de Dieu, et qu'ils ne paraissaient pas des enfants, mais des hommes mûrs, pleins de courage et de constance en confessant notre sainte foi. "

        Fatigués de les traîner de tous côtés, les serviteurs du pacha ramenèrent les deux corps morts à la porte de la Casbah, où il y avait une petite place. Déjà deux potences y étaient dressées ; les saints corps y furent pendus. C'était un lundi, 30 du mois de mars 1562. Vers quatre à cinq heures du soir, un marchand de Grenade, Martin de Barca, homme très honorable et très chrétien, récemment arrivé avec de l'argent de l'archevêque de Grenade pour le rachat des esclaves, alla demander au pacha la permission d'enterrer ces corps : ce qui lui fut accordé. Martin et quelques chrétiens descendirent aussitôt les martyrs du gibet et les enterrèrent hors de la porte de Bab-El-Oued, au cimetière qui est là, à la manière des chrétiens.

        - Cela est digne des plus beaux temps de l'Église, dirent unanimement les auditeurs de dom Gervasio. Et lui, sans perdre de vue la question qu'on lui avait faite, reprit :
        " Je vous disais tout à l'heure qu'en général les musulmans n'avaient pas forcé les esclaves à l'apostasie. On devine pourquoi. C'est que le maître ne peut plus vendre le renégat, et, chez les Maures, l'avarice est ordinairement plus forte que le fanatisme lui-même. Aussi a-t-on vu des musulmans s'opposer à l'apostasie de leurs esclaves. Il faut observer pourtant que la politique a suivi souvent une conduite toute différente, dans l'intérêt de l'État. " Les pachas et les princes musulmans avaient assez appris par épreuve, ainsi que l'observe le père Dan, qu'en tous les chrétiens il y a je ne sais quelle dextérité, suivie d'une heureuse conduite, qui ne se rencontre point en ceux des nations musulmanes."

        Ils tenaient donc à s'entourer de renégats auxquels ils confiaient la garde de leur personne, la direction de leurs troupes, et qui prenaient part à tous les actes de leur gouvernement. Les plus célèbres pachas des régences barbaresques sont des renégats parvenus au pouvoir par la faveur de ceux qu'ils servaient ou par les révoltes des troupes. Sans le secours des renégats, il est presque certain que les Turcs n'auraient pas pu se maintenir dans les villes de Barbarie contre les Maures, les Kabyles et les Arabes, qu'ils écrasaient d'impôts et de vexations.
        Du reste, longtemps avant la domination des Turcs, les rois africains de race arabe ou de sang berbère, avaient coutume de former un corps spécial de renégats dans leurs armées. Ils appréciaient les avantages de la tactique européenne : nos soldats n'avancent et ne reculent qu'à la voix de leurs chefs ; ils exécutent des mouvements stratégiques dont dépend le sort des batailles, tandis que les Arabes et les Kabyles ont toujours combattu en désordre, et pour ainsi dire sans autre guide que le courage individuel.

        Les Turcs n'estimaient pas moins l'habileté des renégats dans les négociations que dans les coups de main, et ils leur durent en outre la majeure partie des progrès qui se manifestèrent dans les diverses branches de l'industrie.
        - Vous pouvez ajouter, mon père, que les renégats ont rendu les plus grands services à la marine des corsaires. Ils y ont introduit les perfectionnements qu'ils avaient appris sur nos chantiers de construction ou en naviguant sur nos vaisseaux. Ainsi, au commencement, du XVIIe siècle, un fameux corsaire flamand, Simon Manser, vint s'unir aux Algériens, et opéra des changements très avantageux à leur flotte. En deux ou trois ans il prit environ quarante navires, et en coula beaucoup d'autres. On l'appelait Deli-Capitan, et l'on s'efforçait de l'attirer à l'islamisme. Les remords retenaient ce forban sur le bord de l'apostasie. Il promettait d'abjurer sa religion, et arrêtait au dernier pas. Enfin la grâce l'emporta ; il attendit l'occasion de s'enfuir pour expier ailleurs sa vie passée. Il put arriver en vue de Marseille, et il aborda lorsqu'il eut l'assurance d'être pardonné, à la condition de ne plus aller en mer que pour combattre ceux qu'il venait d'abandonner.

        A la même époque, deux pirates anglais, Édouard et Wer, enseignèrent aux Barbaresques les évolutions navales dans la navigation à voiles avec des vaisseaux d'une forme arrondie, et dès lors les corsaires musulmans s'aventurèrent plus hardiment sur l'océan Atlantique.
        - Vous signalez, Messieurs, un fait bien remarquable, dit M. Morelli, et qui prouve la régénération de l'homme par le baptême. La supériorité intellectuelle et morale des renégats sur les Turcs, les Arabes et les Maures, est reconnue de ces nations elles-mêmes. Il suffit qu'un chrétien, même réputé infâme par ses compatriotes et ses coreligionnaires, se déclare musulman, sans savoir le moins du monde ce que c'est que le Coran ni Mahomet, pour qu'on l'accepte, sans épreuve, sans instruction, sans préparation, comme vrai musulman. Il sort des rangs infimes de la société européenne, et il se trouve la plupart du temps placé tout à coup et naturellement au-dessus de la masse des sectateurs du prophète.

        Au contraire, les convertis de l'islamisme au christianisme non seulement ne seraient pas à notre niveau, après même que l'eau du baptême les aurait purifiés, mais ils porteraient longtemps encore le sceau d'une infériorité de race et d'une décadence plus profonde de la nature humaine en leur personne. Il y a cependant de la sève dans cette race arabe, et des dons naturels précieux ; mais l'opium du Coran a endormi peu à peu ces facultés morales, et dégradé l'homme à tel point, que sa guérison doit être lente pour être générale et parfaite.

        - Mon révérend père, demanda Carlotta, les renégats ont donc été bien nombreux ?
        - Hélas! Mademoiselle, c'est un triste revers au tableau des confesseurs de la foi et des martyrs, dans les matamores et les bagnes. Du moins la multitude de ceux qui ont apostasié montré qu'il fallait une grande dose de courage pour ne pas le faire ; et, à ce point de vue, j'oserais dire que c'est une ombre à ce tableau. Mais je l'avoue, c'est d'ailleurs une page lamentable et que je voudrais arracher des annales de l'Église. Oui, les renégats ont été très nombreux.

        Vers 1630, le père Dan en comptait à peu près huit mille à Alger et aux environs. Beaucoup d'entre eux étaient dans les janissaires et dans la milice, qui se composait d'une vingtaine de mille hommes. A ces huit mille renégats, il faut ajouter de mille à douze cents femmes tombées dans l'apostasie. Parmi elles il y avait à peine trois ou quatre Françaises, mais beaucoup de Russes achetées à Constantinople. Tunis et la régence avaient à peu près quatre mille renégats et six à sept cents femmes ; Salé, trois cents hommes et peu de femmes ; et Tripoli, une centaine des deux sexes. La supputation du père Dan ne paraîtra pas exagérée, car il y avait de mon temps trente mille renégats à Alger. Ce chiffre, Mesdames, semble vous causer autant de surprise que de douleur.
        - Mais, mon père, quels étaient donc les motifs qui entraînaient communément ces tristes défections ?
        - Mon cher Alfred, tout à l'heure vous en touchiez du doigt quelques-uns, dans vôtre louable sortie contre les renégats volontaires de cette époque-ci. Plusieurs esclaves se laissaient gagner par l'appât des charges, de l'argent, de la vie licencieuse, de la liberté qu'on leur promettait en échange de l'apostasie. Les lois ne garantissaient pas l'affranchissement au renégat, mais le maître le lui accordait quelquefois comme récompense immédiate, ou peu d'années après.

        Du moins le renégat était sûr d'obtenir un adoucissement à ses maux ; il ne portait plus la chaîne, et n'était pas forcé d'aller liberté a aux galères. Le désespoir de ne recouvrer jamais la liberté a précipité la chute de plusieurs.
        D'autres avaient peu de foi ou peu de lumières ; c'étaient de pauvres gens qui, depuis la première enfance, passaient leur vie sur mer, presque sans instruction religieuse et sans éducation, et ils ne comprenaient pas toute l'énormité de leur faute. Ceux-ci reniaient la foi pour se venger d'un Turc ; en effet, un chrétien, libre ou esclave, ne pouvait ni attaquer un Turc, ni même se défendre, sans être puni de quatre à cinq cents coups de bâton. Ils frappaient donc leur ennemi, et s'assuraient l'impunité en apostasiant. D'autres se déclaraient musulmans après une rixe survenue entre eux, pour éviter un châtiment du même genre. Enfin un chrétien débiteur d'autres chrétiens ne devait plus rien â ses créanciers du moment qu'il se disait disciple de Mahomet.

        Autrefois c'était le sujet d'un superbe triomphe. Voyez d'abord le cérémonial de l'apostasie. On demande au renégat;
        " Veux-tu être musulman ?
        - Oui. "
        Il lève alors l'index vers le ciel et prononce la formule consacrée :
        " Allah ou Allah ! Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète. "
        Le doigt levé vers le ciel signifie l'unité de Dieu, et tout pieux musulman fait la même cérémonie, si cela lui est possible, à l'instant de la mort. Quelques-uns, j'en ai été le témoin, tâchent de placer le doigt au coin de la bouche, et toujours en le dirigeant vers le ciel, afin qu'au dernier soupir l'âme s'envole en prenant cette direction.

        Lorsque le renégat a fait la profession de foi, on lui rase la tête, excepté au sommet, où l'on ménage une touffe de cheveux qui deviennent souvent fort longs, et qui restent cachés sous la chéchia, calotte rouge, ou sous le fez, bonnet turc de la même couleur. Cette mèche de cheveux s'appelle vulgairement le mahomet ; les musulmans, dit-on, s'imaginent qu'un jour les anges les saisiront par cette queue et les transporteront en paradis.
        Quoi qu'il en soit, on coiffe d'un turban la tête rasée du renégat, et l'on jette par terre le chapeau européen qu'il portait auparavant. On substitue enfin aux autres pièces de son costume le sarouel, le bedaia, le kerzia, etc., c'est-à dire le pantalon, le gilet, la ceinture, le caftan. Vous concevez maintenant pourquoi des conciles ont autrefois proscrit, en Europe, l'usage du turban; prendre le turban était synonymie d'apostasier pour devenir musulman. De même, les Turcs n'accordaient pas aux chrétiens ni aux juifs le libre usage de cette coiffure.

        -Du reste la tolérance n'est pas grande en Barbarie, même aujourd'hui, dit Alfred. Là où nos armes n'ont pas fait la loi, il ne faudrait pas qu'un juif s'avisât de se coiffer d'un turban d'autre couleur que le noir ; il s'exposerait à n'avoir pas longtemps la tête sur les épaules.
        - Le renégat s'asseyait ensuite à la place d'honneur dans un festin plus ou moins somptueux, et mangeait le couscous avec ses nouveaux frères en religion. On procédait ensuite, aux yeux de tous, à l'accomplissement des derniers rites, et le malheureux quittait ses noms de baptême et de famille pour un nom musulman, Ali, Mohammed, Abd-Allah, ou tout autre. Il ne recevait aucune instruction, et l'on n'exigeait de lui aucune amélioration morale.

        Autrefois on célébrait après cela des réjouissances, tombées de mon temps en désuétude. Le renégat, en habit de parade, et tenant une flèche entre deux doigts, était promené sur un beau cheval, à travers les rues d'Alger : les flèches symbolisaient le défenseur du Coran. Il avait pour escorte des chaouchs et des janissaires, le cimeterre nu. Si, par malheur, il laissait tomber la flèche, on l'accablait d'injures, comme s'il eut voulu trahir l'islam. Était-ce un renégat pauvre, on tendait au public des bassins où pleuvaient les aumônes.
        Le juif renégat devait passer en quelque façon par le christianisme avant d'arriver au mahométisme, il devait, avant d'être admis à prononcer la formule : " Dieu est Dieu, Mahomet est son prophète, " confesser que Jésus Christ était le messie, et manger de la viande de porc, signe qui nous distingue aux yeux des musulmans ; car ils n'ont pas moins d'horreur que les juifs pour cet animal.
        Ces fêtes de l'apostasie étaient jours de deuil pour nos pauvres chrétiens. Quel chagrin encore lorsqu'un renégat mourait sans donner aucun signe de repentir !
        Parfois ils n'ont pu s'empêcher de reconnaître, d'après certaines apparences extraordinaires, des marques de la réprobation éternelle. C'était une persuasion chez eux que les cadavres des renégats étaient plus hideux que les autres.
        Don Diégo de Torrès rapporte que deux renégats, voulant passer de Maroc en terre chrétienne, s'enfuirent, mais furent repris. On les traîna dans la ville, et ils furent attachés aux crocs de fer que vous connaissez. L'un mourut chrétiennement, l'autre dans l'impénitence. Les corps restèrent accrochés aux harpons. Celui de l'impie devint noir, horrible, et fut aussitôt mangé des corbeaux. L'autre resta blanc, et fut respecté des animaux de proie. Les chrétiens obtinrent l'autorisation de l'enterrer dans leur cimetière au Maroc.

        - Révérend père, dit Mme Morelli, comment les renégats pouvaient-ils persévérer dans une religion où ils entraient avec si peu de sincérité, et le plus souvent malgré eux ?
        - Madame, la plupart des renégats sentaient à quelque degré le malheur de leur situation, et ils auraient voulu en sortir. Mais il eût fallu vaincre bien des obstacles. La peine de mort était inévitable pour qui rentrait au giron de l'Église.
        Quant aux renégats volontaires, ils descendaient au fond de l'abîme où l'impie trouve le repos, ce repos dans le crime qui ne s'éveillera plus qu'au fracas du tonnerre de la justice de Dieu. Ces hommes, ou mieux ces démons, étaient plus redoutables aux chrétiens que les Turcs et les Maures. Ils avaient des ruses infernales pour faire tomber les esclaves fidèles.

        Ils accusaient un chrétien d'avoir mal parlé de Mahomet. En conséquence on le condamnait à mort, selon la loi, s'il ne ceignait le turban.
        Ils l'invitaient à dîner, le jetaient par trahison dans l'ivresse, lui rasaient la tête, lui faisaient balbutier machinalement la profession de foi, et, s'il protestait qu'il ne savait pas ce qu'il avait fait, ils le traînaient au mufti, chef des gens de loi et des prêtres. Le mufti, dans sa sagesse accoutumée, prononçait la sentence. "Si c'est sérieux, tu es renégat ; sinon, tu t'es moqué, et je te condamne à la peine du feu, en vertu des lois. "
        Bref, ils ne manquaient aucune occasion de nuire à ceux dont le courage était un aiguillon qui ranimait longtemps dans leur âme le remords assoupi. Les renégats dont la faiblesse seule avait causé la chute souffraient horriblement des reproches de leur conscience.

        Ils n'allaient point aux mosquées, secouraient en secret les captifs, et guettaient les occasions de rentrer en pays chrétien. Les musulmans ne l'ignoraient pas, et ils disaient en proverbe : " Jamais bon chrétien ne fut bon Turc. " Nous avions la consolation d'absoudre quelquefois à la dernière heure ces renégats animés de repentir, et je sais de bonne source que le fait n'est pas rare hors de l'Algérie. Seulement, tout se passe dans le secret, pour ne pas exciter de trouble ni de persécution : le prêtre, le religieux catholique vient au chevet du moribond, prend l'âme et laisse le cadavre.

        La fuite était sans doute le meilleur parti à prendre pour le renégat qui se sentait défaillir à la pensée des supplices et de la mort, conséquences d'une rétractation publique. Comment fuir ? Par terre ? Mais l'Afrique entière était musulmane, à l'exception de quelques points occupés par les Européens et fort éloignés des villes de bagnes.

        Que de souffrances et de périls dans la route ! Voyages de nuit, à travers les solitudes infestées de brigands, de lions et d'autres bêtes féroces; tourments du froid et de la faim, mortelles angoisses, fatigues extrêmes, et pour tomber peut-être aux mains des Arabes, qui ramèneront le fugitif à son maître, dans l'espoir des huit réales que la loi leur accorde en récompense. Par mer ? J'aperçois, il est vrai, des vaisseaux chrétiens dans le port; mais ils n'ont ni voiles ni gouvernail. A leur arrivée ils en ont été dépouillés; au jour du départ seulement le magasin de la marine leur restituera ces pièces, indispensables pour prendre la mer.
        Voici un navire d'Europe en partance ; mais on le visite avec un soin minutieux, de peur qu'il ne cache un fugitif.

        Le renégat tourne son espoir vers les galères en course. Il monte sur un de ces bâtiments, et l'on fait voile vers les cotes de son pays. Son œil perçant découvre à l'horizon la ligne bleuâtre des rivages de sa patrie ; il retient les battements de son cœur. Le navire approche ; il va toucher à ce point de la côte qui promet aux forbans une si belle capture. S'élancer à terre, fuir avec les ailes de l'oiseau, notre chrétien a tout prévu ; il part... Une main de fer soudain l'a saisi, le raïs avait l'œil ouvert. Algériens, préparez le bûcher.
        D'ailleurs le raïs n'était pas absolument le maître à son bord. Il n'ordonnait une descente que sur l'avis des officiers du divan, qui commandaient les soldats de marine. Et on prenait toute précaution pour que les renégats suspects ne pussent s'évader. Ils y réussissaient quelquefois, quand on les faisait descendre pour l'aiguade, sur les côtes chrétiennes. Au moment le plus favorable ils disparaissaient, profitant des accidents du terrain, et se cachaient dans les bois ou les cavernes. Malheur à celui que l'on rattrapait !

        Enfin le corsaire, découragé par d'inutiles recherches, regagnait la haute mer, et le fugitif tombant à genoux rendait grâces à Dieu, qui sauve et qui pardonne.
        Les esclaves cherchaient, comme les renégats repentants, leur salut dans la fuite. Plus d'une fois ils nouèrent des relations avec des chrétiens libres, qui convenaient de les prendre en barque à telle heure, en tel endroit du rivage. Ceux qui le font par métier gagnent bien leur argent ; car, s'ils sont pris, on les brille à petit feu, ainsi que le père Dan nous le raconte. Un maître de frégate de Majorque, Didace, se déguisa un jour en pauvre maure, afin d'enlever des esclaves d'Alger. Il s'était bien entendu avec eux ; mais il fut reconnu par un musulman, qui avertit le pacha; et, le 13 juillet 1634, on le brûla vif à Bab-El-Oued. Peu de jours après le père Dan vit les restes des os, et les pierres que les Turcs avaient jetées au patient. Le feu de ces bûchers fait mourir lentement, et ne consume pas toutes les chairs, de sorte que les chiens mangent souvent le reste.

        Les chrétiens pris en fuite n'étaient pas toujours mis à mort. On leur infligeait la bastonnade ; on les marquait à la peau d'un signe qui les faisait reconnaître; on leur coupait le nez et les oreilles. En 1634, un pauvre Breton, Guillaume de Pornic, se sauva de Salé à la Mamoure, ville voisine occupée par les Espagnols. Quatre de ses compagnons tentèrent en même temps la fortune, et il fut seul repris. On le bâtonna, on lui coupa les oreilles ; son maître l'obligea à les porter cousues devant lui, et enfin il le força à les manger.
        D'autres fois les esclaves se sauvaient par des révoltes à bord. Vers la fin de 1629, Nicolas Ianché, Flamand, pilote d'un corsaire, s'entendit avec le timonier, qui était un esclave chrétien comme lui, pour assurer leur délivrance.
        La nuit est sombre ; on ne distingue rien dans la brume à l'avant du navire. Ianché souffle un mot à l'oreille de huit autres esclaves chrétiens engagés à bord. Un cri formidable retentit : Liberté ! Liberté ! Les Turcs s'éveillent. Il n'est plus temps, le navire est dans le port de Lisbonne. La ville est sur pied. Les rôles changent. Les esclaves sont libres, et les Turcs aux fers.

        Quatre ans plus tard, un vaisseau français fut pris par des algériens. Ils y mirent dix-sept Turcs, et y laissèrent quatre matelots du Morbihan. Les deux navires s'étant séparés, les Français s'emparèrent des sabres des Turcs, se jetèrent sur ces pirates, blessèrent les uns, tuèrent les autres, et, maîtres enfin du bâtiment, abordèrent triomphalement à Malaga.
        Je citerais une foule de traits du même genre.
        - Voulez-vous me permettre, dit Carlotta, de rapporter un exemple de la protection miraculeuse accordée à un captif par la sainte Vierge ? En 1616, un pauvre esclave de Tunis, dévot envers Marie, reçut l'inspiration de monter sur un petit esquif, et de s'abandonner sur les flots à la garde de sa céleste patronne. Il le fit en vue de tous. L'embarcation fila en pleine mer sans qu'on pût songer à l'atteindre.
        L'esclave, le regard tendu vers le ciel, adressait à la Vierge une prière ardente. Bientôt les côtes de Sicile se dessinent à l'horizon; il reconnaît les hauteurs du San-Giuliano ou du mont Eryx, d'où la vue s'étend, par un ciel clair, jusqu'aux montagnes de Bône ; et bientôt il entre au port de Trapani.

        Son premier devoir fut d'aller témoigner sa reconnaissance à Marie, l'Étoile de la mer, dans l'église de l'Annonciade, où le léger esquif est encore suspendu.
        - On raconte aussi qu'un père de notre ordre, fort dévot à la Vierge, fut pris par des Maures de Tétouan et conduit en esclavage. Mais, récitant un jour l'oraison qui suit le Salve Regina, et prononçant ces paroles : " Accordez nous, par l'intercession de Celle dont nous faisons mémoire avec joie, la délivrance des maux qui nous pressent..., "
        Il se trouva subitement transporté à l'endroit où les Maures l'avaient pris.
        Souvent, hélas ! Les esclaves et les renégats qui aspiraient à briser des chaînes plus lourdes encore, tentaient l'impossible, sans consulter assez la volonté du Ciel. Mais quelle audace n'inspire pas l'amour da la liberté !

        Subjugués par ce sentiment plus fort que la mort, on a vu des infortunés surprendre l'attention des Turcs, et s'élancer dans une frêle barque, à travers la tempête mugissante, pour atteindre la patrie au delà de l'espace sans bornes. Mais la vague implacable ensevelissait bientôt le pauvre rameur, et puis la barque surnageait vide.
        Les actes de courage dus à la foi religieuse et à l'attachement pour leur pays, que les renégats conservent souvent au fond du mur, sont innombrables, et je vous en citerais beaucoup d'autres encore...
        - Mon père, dit Carlotta, continuez, nous vous en prions; car nous vous prêtons le plus vif intérêt.
        - Ma fille, ajouta M. Morelli, se plait à vous entendre, parce que vos récits sont à la fois historiques et frappants pour l'imagination.
        - Il faut dire de plus, mon ami, reprit la pieuse avère de famille, que nous y trouvons en même temps de beaux sujets d'édification.
        - Et de grands exemples d'intrépidité, dit à son tour le jeune marin.
        L'heure était venue de servir le thé, selon l'habitude, et Fatma le faisait attendre. M. Morelli se pencha au-dessus des galeries de la cour intérieure, et appela la négresse. On entendit un instant après le bruit des khrolkhrals, ou bracelets de pieds, dans l'escalier, et la négresse parut un plateau sur la main.
        " Qu'as-tu donc, Fatma, mon amie ? Lui dit Carlotta; tu me sembles bien troublée.
        - Ia lella, ana mereda : O Mademoiselle, je suis souffrante.
        - Kif ach ? Et de quoi ?
        - Ma chi mlehr : Je ne vais pas bien; je ne sais pourquoi.
        - Et cependant tu es bien belle aujourd'hui. Pourquoi donc as-tu mis ton quelada le plus brillant, ton collier de sequin ? demanda M. Morelli.
        - Mi no sabir, ia Madama. Kan aïd kebira, el ioum:
        Je ne sais pas, Madame ; c'était la fête aujourd'hui. "
        Carlotta soupçonnait quelque secret. Aussi, une heure plus tard, elle fit venir Fatma dans sa chambre, et l'amena facilement à lui confier ce qu'elle n'osait dire à tous. Je traduis le sabir, pour la plus grande commodité du lecteur ;
        " O Mademoiselle, el Chitan, le démon me poursuit. Je l'ai vu la nuit dernière, et il m'a menacée de me tuer, si je ne sortais point de cette maison. Et moi, ce matin, profitant de ce que vous étiez avec tout le monde à la maison de campagne, de Mustapha, je suis allée consulter les djenouns, les esprits, et invoquer Sidi-Slîman aux fontaines, sur le chemin de Saint-Eugène, la sorcière, la Kahena Aïescha, y était, comme tous les mercredis. Je lui ai raconté ma peur; elle m'a dit que le Roul, cet ogre qui a tué Messaouda, m'étoufferait de même si je n'offrais un coq en sacrifice.
        Elle a coupé la tête au coq que j'ai acheté ; elle a fait couler le sang sur mes cheveux, et elle a jeté les plumes au vent, en imitant le chant du coq. Après cela elle m'a fait respirer de la fumée de benjoin sur son réchaud, et j'ai invoqué les marabouts :
        O sidi Sllman, qui avez pitié des serviteurs de Dieu,
        You ! you ! you !
        O sidi Iben-Abbases-Sebti, roi de la terre et de la mer,
        You ! you ! you !
        Sauvez-moi du Chitan et du Roul !


        Et je suis revenue sans trouver le repos, honteuse et inquiète d'avoir fait cela sans vous en rien dire. - Mais, Fatma, tu m'avais assuré que tu ne croyais plus à ces niaiseries, et que tu n'irais plus consulter, les djins ou porter ton argent à Aïescha la voleuse.
        - Par moments, ia lella, je n'ai pas de crainte, parce que je pense à vous, à sidi le marabot roumi ; et puis cela me reprend. J'ai peur des sorts. J'ai mis mon beau collier de sequin, parce qu'il porte cette petite main d'argent qui préserve du mauvais œil. Tenez.
        - Donne-le-moi pour cette nuit, ton collier, Fatma, et n'aie pas peur du jettatore. Souviens-toi de ce que je t'ai dit souvent.

        Moi, je vais prier pour toi des esprits plus puissants que les tiens, et je te promets que le Chitan n'empêchera pas ton sommeil. "
        Carlotta pressa dans ses mains blanches les mains lisses de la négresse, et Fatma se retira, tranquille à demi, mêlant dans sa prière les noms de sidi Slîman et de Lella Mariem, la Vierge de sa jeune maîtresse
A SUIVRE

PHOTOS Actuelles
De BÔNE
Envoi de M. Mateu

SAINT-CLOUD, le nouveau passage vers Chapuis
et l'ex Chateau des Anglais qui domine le tout.
C'est l’endroit où se trouvent des balustrades avec formes “flammes” blanches. C’est devenu le Palais de Monsieur le Président, lorsqu’il reçoit ses hôtes à Bône.

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Le mal du pays
par M. Gilbert Collard
Paru sur : http://www.nationspresse.info/?p=125182"

Libres propos de Gilbert Collard

Marine Le Pen donnée par un sondage en tête au premier tour de la présidentielle, je crains le pire pour le révérend père président de la République, Nicolas Sarkozy du Chardonnet. Va-t-on le filmer, errant sur les lieux de mémoire vêtu d’une soutane noire ? Va-t-il transformer le Fouquet’s en lieu de pèlerinage pour people repentis ? Va-t-il remplacer le marathon de New York par le marathon de Saint- Jacques de Compostelle ?  Ce petit jeu cache une vraie trouille qui est une peur politique des conséquences de la maltraitance identitaire française depuis des années. Depuis vingt ans, peut-être plus, une certaine honte de la France a été cultivée, reléguant à une forme de racisme simplificateur toute revendication de dignité nationale, d’expression d’une histoire millénaire, de souhait secret d’être un peu respecté.

        S’il n’y avait Marine Le Pen qui ose exprimer haut et fort le non-dit d’une France  exaspérée d’être ignorée, croyez-vous qu’on s’intéresserait tout à coup à un peuple qui cherche à retrouver enfin une adresse à la poste restante de l’histoire, du mondialisme et d’une Europe déracinée ?  Un peuple qui aime son pays, ses paysages, ses traditions, sa Patrie, même s’il n’ose encore le dire par peur du rire, qui, d’où qu’il vienne, s’est fondu par le temps qui passe dans la Nation.
        Un peuple qui cherche à faire respecter son héritage judéo-chrétien.  Oserait-on, aujourd’hui, évoquer « la France des racines », dont jusqu’alors on se foutait, s’il n’y avait en sourdine un besoin de ressourcement reconstructeur.
        La difficulté pour l’actuel pontife présidentiel, c’est qu’il ne suffit pas de visiter une cathédrale médiévale au Puy–en-Velay, de s’improviser le notaire d’un « magnifique héritage » chrétien, pour être crédible dans cette posture.

        Trop de crachats impunis ont depuis des années souillées d’humiliations notre histoire ; trop d’atteintes à notre identité de tous les jours comme de tous les temps historiques nous ont été infligées : l’hymne hué, sifflé, le drapeau transformé en torche-cul,  notre langue estropiée, abandonnée, notre passé toujours en procès, notre diplomatie démonétisée, notre culture judéo-chrétienne et notre amour des autres tournés en dérision, transformés en économie frauduleuse. Tout ce mal, sans qu’on lève le petit doigt politique, associatif, judiciaire pour essuyer l’affront.

        Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il faille que le président devienne potentiellement candidat pour découvrir qu’il existe en France des Français qui aiment la France et ses racines sans être racistes, xénophobes, ou même franchouiardement con !  Si l’identité, comme on dit, faute de mieux, avait été honorée comme il se doit, dans le respect réciproque des autres et par les autres, serait-il nécessaire d’en faire un débat, d’en parler, d’en discuter ? L’ouverture de cette discussion est révélatrice d’une souffrance française : le mal du pays !



11 mars 1963
Envoyé par Mme. Leonelli

Posté par Novopress dans General, International le 12 mars 2009

Le 11 mars 1963 tombait au Fort d’Ivry
le colonel Bastien-Thiry,
héros de l’Algérie française,
fusillé sur ordre de De Gaulle.


Bastien-ThiryMonsieur Pierre Sidos a, pour la première fois, autorisé la publication d’un document unique qu’il détient depuis trente ans.
        Je ne puis dire la fierté que m’inspire le choix du Libre Journal pour cette publication.

        Ce récit des ultimes instants du colonel Bastien-Thiry fut rédigé de la main même d’un témoin privilégié : un dirigeant de la police française qui, pour mieux servir la France dut cacher son admiration pour l’homme qui allait mourir et pour la cause à laquelle cet homme avait sacrifié sa vie. Nous reviendrons d’ailleurs prochainement, avec la permission de monsieur Pierre Sidos, sur cet épisode étonnant de l’histoire contemporaine.

        Pour l’heure, ce témoignage extraordinaire permet de mesurer à quels drames de conscience ont été confrontés certains fonctionnaires de l’état gaulliste, en ces temps de trahison.
        Il devrait rendre moins péremptoires les donneurs de leçons qui, sans risque, jugent et condamnent, un demi-siècle plus tard, des hommes qui n’ont fait que leur devoir « Pour que France continue. »


Samedi 9 mars 1963 – 17 heures.


P…, commissaire divisionnaire à l’état-major de la police municipale, me demande au téléphone de mon bureau du 5ème district, avenue d’Italie, et m’invite a venir d’urgence à son bureau. Je ne puis m’empêcher de m’exclamer : « Je crois, hélas, deviner pourquoi ».
        Je pars donc à la préfecture, et là, P… me confirme qu’en effet, si Prévost et Bougrenet de la Tocnaye sont graciés, l’exécution de Bastien-Thiry est ordonnée pour le lundi 11 mars au matin. Le moins qu’on puisse dire est que les choses n’ont pas traîné depuis le jugement qui doit remonter à quinzaine.
        Nous voici à mettre sur pied le futur service d’ordre…

        B…, commissaire de Choisy, assurera un isolement total des Prisons de Fresnes, avec des effectifs considérables.
        L…, commissaire de Charenton, qui sera de ronde de nuit du 10 au 11, consacrera tout son temps à la surveillance de l’itinéraire Prisons-Fort d’Ivry ; effectifs généreusement prévus : on ne lésine vraiment pas…
        B…, commissaire d’Ivry, assurera les fonctions judiciaires : accompagnement des autorités, présence sur le lieu de l’exécution et procès-verbal pour en rendre compte.
        Détail pénible : on le charge de commander le cercueil et on lui donne les mensurations du malheureux ; ces préparatifs hideux, concernant un homme bien vivant, espérant sans doute encore avec ses proches auxquels il est toujours relié par la pensée (comment oublier sa femme et ses trois petites filles ?) me mettent dans un trouble profond et me font abhorrer la peine de mort.

        Je reviens chez moi, sans dire un mot, en proie au désespoir et au dégoût, me demandant comment je vais vivre ces quarante-huit heures d’attente…
        Pour comble, je préside le soir même, le bal de la section de Gentilly de l’orphelinat mutualiste de la PP. Comment ai-je pu, avec mes pensées en désarroi, tenir devant les niaiseries de ces gens se contorsionnant, et faire le discours d’usage ?

        Le dimanche est une véritable veillée funèbre : je ne sais où aller pour fuir les pensées qui m’assaillent. La journée passe, morne. Sans avoir dormi, je me lève à une heure du matin. Il pleut à torrents. Par les rues désertes je vais à la préfecture prendre contact avec les équipes en civil de la Brigade de direction, mises à ma disposition pour chercher, véhiculer et protéger au besoin les juges, le procureur général, l’aumônier, le médecin.
        C’est un médecin de l’Armée de l’air qui doit assister, ô dérision, à cette mort. Les braves gars de la Brigade, des gens courageux toujours prêts à traquer les criminels, la nuit, sont ébranlés eux aussi. Ils ont à tour de rôle escorté le prisonnier tout au long des nombreux trajets Prisons-Fort de l’Est où siégeait le tribunal. Les rares contacts qu’ils ont eus avec Bastien-Thiry (entrevu quand il montait et descendait du fourgon cellulaire) leur ont laissé malgré tout une profonde impression que l’on éprouvait en le côtoyant, même sans lui parler… « Il semblait enveloppé d’une auréole… »

        Je repasse au district, encore plus ému par ce bref aveu d’un humble flic. Je prends dans ma voiture mon chauffeur de service et un secrétaire et nous partons pour Fresnes.
        Dès notre arrivée, je vois une dizaine de reporters de presse filmée ou de télé qui allument leurs projecteurs.
        Cette attente des badauds de profession en prévision d’une curée, recherchant avidement tout ce qui se présente de sensationnel, me semble quelque chose d’indécent. Usant des consignes draconiennes que j’ai reçues, c’est sans ménagements que je les fais refouler dans le bistrot voisin qu’ils ont déjà fait ouvrir et où ces importuns ont établi leur PC.
        Les effectifs arrivent, les commissaires mettent en oeuvre le plan qu’ils ont reçu, je reste rencogné dans le fond de ma voiture, après les avoir successivement revus.
        Je suis embossé dans l’allée menant au pavillon résidentiel du directeur de la prison, M. Marti. Le condamné est dans le bâtiment voisin : le CNO (Centre national d’orientation), où sont habituellement concentrés les prisonniers en attente d’une autre affectation. Cette masse sombre est silencieuse : les CRS de garde aux abords courbent le dos sous l’averse. Ma radio grésille doucement. Paris est encore en léthargie ; la police prend la place sur l’itinéraire, sans bruit la pluie fait rage… J’écoute le vide… et prie.

        Tout à coup, les abords de la prison s’animent : B…, qui attend près de la porte, pénètre dans le CNO en compagnie de M. Marti. L’aumônier suit. Survient Gerthoffer, le procureur général, silhouette falote, moulé dans un pardessus gris aux formes démodées ; il descend de voiture et saute pour éviter les flaques d’eau, faisant le gros dos sous les rafales. Ces vieillards allant faire tuer un être jeune, plein de vie encore, me semblent une énormité inhumaine.

        Pendant ce temps, De Gaulle doit reposer dans sa majestueuse sérénité…

        La gendarmerie, chargée de livrer le condamné au peloton d’exécution, a fait grandement les choses : une escorte de trente motos, celle d’un chef d’Etat, trois petits cars bourrés d’effectifs armés, pour s’intercaler entre les divers véhicules du cortège, prennent place sur l’avenue dite « de la Liberté ». Le car chargé de transporter le condamné, avec une garde de huit gendarmes, entre dans la prison. Nul n’ignore que la gendarmerie est le pilier de ce régime…

        B… m’informe par radio que, toutes les personnalités étant arrivées, on va réveiller le condamné.
        Il me relatera ensuite que c’est Gerthoffer qui est entré le premier et que Bastien-Thiry a aussitôt demandé quel était le sort de ses compagnons. Apprenant qu’ils étaient graciés, il sembla alors délivré de tout souci et entra dans une sorte d’état second, abandonnant toute contingence terrestre.
        Il revêt son uniforme et sa capote bleu marine de l’Armée de l’air sans prêter un instant d’attention aux paroles bien vaines que ses avocats croient devoir prononcer.
        Il entend la Messe à laquelle assiste également M. Marti. Il est, même aux yeux des moins perspicaces, en dialogue avec le Ciel. Au moment de communier, il brise en deux l’hostie que lui tend l’aumônier et lui demande d’en remettre la moitié à son épouse. Puis, après l’Ite Missa est, il dit « Allons »… et se dirige vers le couloir de sortie. A ce moment, les phares des voitures s’allument, les motos pétaradent, et j’annonce par radio la phrase que j’ai si souvent prononcée lorsque j’étais avec De Gaulle : « Départ imminent »…
        L’état-major la reprend pour alerte générale.
        Mais rien ne vient, et cette attente imprévue semble atroce. Pendant vingt affreuses minutes les avocats vont tenter une démarche désespérée : ils demandent au procureur général d’ordonner de surseoir à l’exécution en raison du fait nouveau qu’est l’arrestation récente d’Argoud.
        Bastien-Thiry, absent de tout, revient dans sa chambre, stoïque, silencieux, méprisant devant ces passes juridiques où chacun s’enlise. Il ne dira pas un mot, ni d’intérêt, ni d’impatience…

        B…, qui n’est pourtant pas un croyant, me dit : « Il est déjà parti en haut ».
        Enfin, les palabres des hommes de loi prennent fin : le procureur refuse tout sursis.
        Les phares s’allument de nouveau, les motos repartent à vrombir. Cette fois, c’est bien le départ. Je vois la voiture du condamné balayer de ses phares le seuil de la prison, puis se diriger vers le portail ; tout le cortège s’ébranle. C’est bien celui d’un chef d’Etat, dans son triomphe.

        Ce condamné qui, au procès, a traité De Gaulle d’égal à égal et l’a assigné au Tribunal de Dieu et de l’histoire, comme renégat à la parole donnée, aux serments les plus solennels et sacrés, ce condamné est bien un chef d’Etat.
        C’est bien le même cortège que j’ai si souvent commandé : voiture pilote avec phare tournant, motos devant, motos formant la haie d’honneur, motos derrière, et quinze voitures officielles suivant…

        La pluie redouble ; je reste loin derrière, suivant la progression par radio codée… comme pour l’Autre…
        Je décide d’aller directement au cimetière de Thiais, triste aboutissement… Je n’aurais pas pu assister à ce Crime, pas même rôder autour du Fort d’Ivry et entendre cette horrible salve.

        Au moment où j’entre parmi les tombes, j’entends cette petite phrase de B…, et elle me restera longtemps dans l’oreille : « Allô… Z1… » ; le processus s’accélère… « Je vois le condamné contre son poteau ». Et, à 6h42, cette information : « Exécution terminée ». Je sais gré à B… d’avoir évité la formule consacrée « Justice est faite », elle serait si malvenue ici. Justice… où es-tu ? J’attends encore : rien. Donc, il n’y a pas eu défaillance du peloton comme pour le malheureux Degueldre

        Je vais avec D…, dont je connais les sentiments proches des miens ; nous nous rendons au carré des condamnés. C’est une triste parcelle recouverte de hautes herbes jaunies par le gel, entourée d’arbustes dénudés, frêles et désolés. Un trou a été creusé dans la glaise qui colle aux chaussures.

        Enfin arrive un fourgon, escorté par le colonel de gendarmerie de Seine-et-Oise. On descend le cercueil en volige de bois blanc. L’aumônier arrive ; il est suivi du médecin, un grand maigre, tout gêné. Je viens saluer et me recueillir avec D… Les gendarmes se retirent ; les fossoyeurs, à l’abri dans le bâtiment de la Conservation tardent à venir. Nous restons là, tous les quatre, à prier devant cet humble cercueil, placé de travers sur le tas de glaise, courbant le dos sous les rafales de ce sale hiver qui n’en finit pas…

        Dehors, les premiers banlieusards se hâtent vers le travail, indifférents à tous ces policiers massés devant le cimetière. Chacun va à ses occupations, c’est le monstrueux égoïsme des grandes cités.

        Ainsi est mort pour son idéal, le Rosaire au poignet, Jean-Marie Bastien-Thiry, trente-quatre ans, ingénieur de 2ème classe de l’aviation militaire, père de trois petites filles, devenues subitement orphelines, demeurant de son vivant 17, rue Lakanal, à Bourg-la-Reine.

        Paris, le 11 mars 1963, 11 heures du matin.
        Texte publié dans Le Libre Journal n°120.


http://qc.novopress.info/4871/le-11-mars-1963-tombait-au-fort-d%e2%80%99ivry-le-colonel-bastien-thiry-heros-de-l%e2%80%99algerie-francaise-fusille-sur-ordre-de-de-gaulle/



SOUVENIRS
Pour nos chers Amis Disparus
Nos Sincères condoléances à leur Familles et Amis


Par M. Henri Lunardelli

Décès de Mme Suzanne Lunardelli, née Laumet

   Constantine 1917 – Gradignan 2011
   Elle nous a quittés dimanche 13 mars 2011, à sa maison de retraite de Gradignan (Gironde), à presque 94 ans.
   Elle représente bien ce qu’étaient les Français d’Algérie :
   Son père était né en Lorraine « allemande » en 1880 et avait quitté sa terre natale parce qu’il voulait être Français plutôt que Prussien ; il aurait dû être charcutier à Metz, il est devenu fermier à Aïn Abid.
                  Sa mère était née à Guelma, mi-Maltaise mi-Française d’un Galéa de Gozo et d’une Maire philippevilloise née en 1868 de Franc-Comtois fraîchement émigrés de Haute-Saône .
                  Ses frères Henri et Maurice ont défendu la France au cours de la Seconde Guerre Mondiale, l’un dans les blindés, sur la terre d’Afrique, pendant la campagne de Tunisie, l’autre de la Sicile à l’Allemagne en passant par Cassino.
                  Elle, Constantinoise, a épousé René, Bônois fils d’émigrés Toscans, dont sont issus les deux derniers « européens-africains » de la famille, Pierre et Henri, Bônois eux aussi.
                  Ses petits-enfants sont nés en France continentale, quant à ses arrière-petits-enfants qu’elle adorait : une suédoise, deux américains, et une parisienne, ils garderont le souvenir de leur mamie Suzanne et de son accent chaleureux.
                  Souvenez-vous d’elle.
Mon Adresse : hlunardelli@yahoo.com


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MESSAGES
S.V.P., Lorsqu'une réponse aux messages ci dessous peut, être susceptible de profiter à la Communauté, n'hésitez pas à informer le site. Merci d'avance, J.P. Bartolini

Notre Ami Jean Louis Ventura créateur d'un autre site de Bône a créé une rubrique d'ANNONCES et d'AVIS de RECHERCHE qui est liée avec les numéros de la seybouse.
Pour prendre connaissance de cette rubrique,
cliquez ICI pour d'autres messages.
sur le site de notre Ami Jean Louis Ventura

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De M. Michel Baptiste

PRESIDENT del’Association des Amis de JEANNE d’Arc de NIMES et du Gard, je recherche ce qu’est devenu la statue qui se trouvait face aux casernes YUSUF .
michel BAPTISTE .. merci d’avance !
Mon adresse : baptistemichel@sfr.fr

De M. Pierre Monier

Bonjour,
Travaillant à l'écriture d'un récit inspiré par la vie de mes ancêtres, je suis amené à m'intéresser à mon bisaïeul Charles TROUILLOT, né à Burey-en-Vaux (Lorraine) le 5 juin 1859.
Mon ancêtre fut un artiste renommé en son temps et plusieurs musées (Orsay, Versailles...) conservent certaines de ses ouvres (essentiellement des sculptures).
Les Conservateurs de ces musées ont vainement tenté, par le passé, de "boucler" la fiche biographique de cet artiste au parcours mouvementé et, en ce qui me concerne, j'avais perdu sa trace dans la région de Nantes, vers 1920. Or, un historien de mes amis (Jean-Bernard POULOT) vient de m'envoyer copie d'un annuaire de l'année 1949 de la ville de Bône, en Algérie, où un "C. TROUILLOT, photographe" est mentionné au 7 avenue Garibaldi. Il n'est pas impossible qu'il s'agisse de mon ancêtre, car plusieurs artistes qu'il a fréquentés avaient précédemment émigré en direction de l'Algérie.
N'étant pas un expert en généalogie, je me permets donc de me tourner vers vous : quels conseils me donneriez-vous pour tenter d'en savoir davantage sur ce C.Trouillot photographe ? D'autre part, où rechercher un acte de décès de Charles Trouillot, s'il s'agit bien de mon ancêtre, à Bône, entre disons 1940 et 1960 ? Se trouverait-il, par chance, dans vos bases de données ?
Je vous remercie infiniment pour votre aide espérée.
Bien cordialement, Pierre Monier
Mon adresse : pm.monier@wanadoo.fr

De M. Pierre Jarrige

Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
Diaporama 36                                           Diaporama 37
Diaporama 38                                           Diaporama 39
Diaporama 40                                           Diaporama 41
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : jarrige31@orange.fr

DIVERS LIENS VERS LES SITES

M. Gilles Martinez et son site de GUELMA vous annoncent la mise à jour du site au 1er Mars 2011.
Son adresse: http://www.piednoir.net/guelma
Nous vous invitons à visiter la mise à jour.
Le Guelmois
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Pour être en bonne santé
Envoyé par Thérèse-Marie

       Question: Docteur, j'ai entendu dire que les exercices cardiovasculaires pouvaient prolonger la vie, est-ce vrai ?
       Réponse: Votre cœur est bon pour un nombre donné de battements, c'est tout ... ne les gaspillez pas en exercices ! Tout s'arrête éventuellement. Faire battre votre cœur plus vite n'allongera pas votre vie; c'est comme dire que l'on pourrait allonger la vie d'une auto en la conduisant plus vite ! Vous voulez vivre plus longtemps ?Faites une sieste !
       Q: Doit-on restreindre la viande et manger plus de fruits et de légumes ?
       R: Vous devez vous en tenir à la logique ! Que mange une vache ?Du foin et du maïs ! Que sont-ils ? Des végétaux ! Donc, un steak n'est rien de plus qu'un mécanisme efficace de transfert de végétaux à votre organisme ! Vous voulez des grains de céréales ? Mangez du poulet ! Une côtelette de porc vous donnera l'équivalent de 100% de la dose quotidienne recommandée de légumes !
       Q: Devrais-je réduire ma consommation d'alcool ?
       R: Non, pas du tout. Les vins et la plupart des alcools sont faits à partir de fruits. Le brandy est du vin distillé, encore plus d'eau est enlevée des fruits, donc vous en retirerez encore plus de bienfait. La bière est également fabriquée à partie de grains. Ne vous en privez pas !
       Q: Comment calcule-t-on le ratio de graisse dans le corps ?
       R: Bien, vous avez un corps et de la graisse ;si vous avez l'équivalent de deux corps, le ratio est de deux pour un, etc.
       Q: Quels sont les avantages à participer à un programme régulier d'exercices physiques ?
       R: Je n'en vois aucun, désolé.. Ma philosophie est : Pas de douleur .... Quel bonheur !
       Q: Les fritures ne sont-elles pas mauvaises pour nous ?
       R: VOUS N'ÉCOUTEZ PAS !!! ... Aujourd'hui, les aliments sont frits dans l'huile végétale. Ils en sont donc imprégnés, alors comment voulez-vous qu'absorber plus de végétaux soit dommageable pour vous ?
       Q: Est-ce que les relèvements (sit-ups)(abdos) peuvent aider à prévenir contre un éventuel épaississement du tour de taille ?
       R: Définitivement pas ! Quand vous exercer un muscle, il devient plus gros. Vous ne devriez donc faire des relèvements que si vous voulez un plus gros tour de taille !
       Q: Est-ce que le chocolat est mauvais pour moi ?
       R: Êtes-vous fou ? Allo ! les fèves de cacao ! Un autre végétal !!! De plus, c'est l'aliment anti-déprime par excellence !
       Q: Est-ce que la natation est bonne pour la silhouette?
       R: Si la natation était bonne pour la silhouette, expliquez-moi la taille des baleines ?
       Q: Est-ce qu'être en forme est important pour ma santé ?
       R: Bien sûr ! Et 'Rond' est une forme comme une autre ! Pour tous ceux qui surveillent ce qu'ils mangent, voici le mot de la fin sur la nutrition et la santé ! Quel soulagement de connaître enfin la vérité après toutes ces études contradictoires :
              1. Les Japonais mangent peu de gras, boivent du saké et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !
              2. Les Mexicains mangent beaucoup de gras, boivent de la Téquila et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !
              3. Les Chinois boivent très peu de vin rouge (on ne sait pas ce qu'ils mangent) et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !
              4. Les Italiens boivent beaucoup de vin rouge, mangent des pâtes aux œufs et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !
              5. Les Allemands boivent beaucoup de bière, mangent beaucoup de saucisses et de gras et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !
              6. Les Hollandais mangent beaucoup de beurre et de fromage gras et souffrent moins d'attaque cardiaques que les Américains !
              7. Les Belges mangent plein de frites à la mayonnaise en buvant du Moselle-cassis et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !.
              8. Les Espagnols mangent beaucoup de mouton bien gras et des tapas à l'huile et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !.
              9. Les Polonais boivent beaucoup plus, mangent beaucoup moins et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !.
              10. Les Français mangent et boivent un cumul de tout ce qui précède et souffrent moins d'attaques cardiaques que les Américains !.
CONCLUSION_ :
       Mangez et buvez tout ce que vous avez envie.Apparemment, ce qui risque de vous tuer, c'est de parler anglais !
*/_ET SOUVENEZ-VOUS_ : /*
       "La vie ne devrait pas être un long voyage vers la tombe avec l'intention d'y arriver en toute sécurité dans un corps beau et préservé. La vie devrait plutôt constamment déraper - un Chardonnay dans une main - du chocolat dans l'autre - //
       On devrait toujours en profiter pleinement et finalement arriver au bout du voyage, le corps usé jusqu'à la corde, et pouvoir s'écrier dans un dernier souffle : 'WOO - HOO! C'était une belle aventure, un beau voyage !"////
              */Le vin d'ici est meilleur que l'eau-delà/*.



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