LE JOUR DES LONGS COUTEAUX
Marie Elbe
(Historia Magazine N° 206 – 1971)

            ZIGHOUT YOUSSEF, commandant rebelle de la wilaya 2, celle du Nord Constantinois, entre, le 20 août 1955, dans la mythologie du F.L.N. par un coup d'éclat sans précédent dans la rébellion: l'insurrection généralisée de toute une région placée sous ses ordres.

            Un triangle que les routes de Constantine à Philippeville et de Constantine à El-Milia dessinent avec la mer. Au-delà, c'est encore la wilaya 2 mais, dans ce triangle, Zighout décide de porter son action. Là vivent 100 000 personnes environ dont une minorité européenne. La consigne est stricte : tuer tous les Français. Pour la première fois depuis 1954, on ne fait plus de différence entre ce qui porte un képi et la petite population rurale pied-noir. Dans la liste des villages condamnés à mort (trente-neuf exactement), deux vont illustrer d'emblée, par le poids du sang, des atrocités, et par l'innocence des victimes, les massacres du 20 août, sinistre remake, dix ans après, de la tragédie de Sétif : Aïn-Abid et El-Halia. Nous y reviendrons.

            Pour l'heure, que cherche Zighout Youssef ?

            Pourquoi le 20 août ?

            Comment déclencher une insurrection généralisée avec seulement quelques centaines de rebelles et de fusils ?

            Zighout Youssef est un forgeron de Condé-Smendou. Un manipulateur du feu. Pour les Arabes, en Algérie, le for­geron est, par tradition, l'homme étrange.

            Lié à des puissances occultes, il vit généralement à l'écart du village, dans une aura aussi fascinante qu'inquiétante. Zighout gravit les échelons classiques de tout cadre rebelle : le P.P.A. (il est conseiller municipal de Condé-Smendou sous cette bannière), l'O.S., la prison à BÔne, l'évasion, puis la clandestinité avant l'heure, dès 1951. Malingre, apparemment chétif, il se révèle, bizarrement, un remarquable organisateur de massacres dans la wilaya 2.

            Pour cela, il met au point une technique qui va se révéler infaillible : rameuter des foules de civils, qu'on a au préalable gavés de slogans et de fausses nouvelles, les armer de tout ce qui se présente, pioches, pelles, serpes, escopettes et gourdins, et, au jour J, les lancer contre des objectifs précis. Foules encadrées discrètement et téléguidées par des hommes du F.L.N. en armes et en uniforme, qui observeront les meurtres et se retireront en tirant des coups de feu au moment où l'armée intervient, laissant ainsi les masses musulmanes livrées à la répression, et comptant les points. On devine le profit que le F.L.N. va tirer de cette répression. Finalement, elle va plus loin que la tuerie des Européens et la supplante dans l'horreur. Cette tactique, Zighout la met au point à partir de mai.

            Coupant les poteaux télégraphiques et barrant les routes qui mènent au petit centre d'El-Milia, il isole le village pendant quelques heures, pour noter la rapidité de la réaction du commandement français. Puis il se retire avec ses hommes, sans attaquer El-Milia. Cette manœuvre, il la répète, en la « peaufinant », quelque temps après, contre le P.C. du colonel Ducournau, à El-Arrouch. Cette fois, il pousse en avant la population civile et se retire avec son commando quand les paras interviennent. Ducournau comprend à temps, interdit à ses paras de tirer sur cette foule en furie et déjoue de justesse les plans de Zighout. Mais ce dernier, hanté par l'idée d'attaquer en force un centre européen, décide enfin de porter son grand coup le 20 août.

            « Oradour » algériens

            Le 20 août 1955, c'est l'anniversaire de la déposition du sultan du Maroc, Mohammed ben Youssef. Un thème de propagande qui doit faire fortune. A cela, on ajoute une série de fausses nouvelles : les Egyptiens vont débarquer sur le rivage algérien, près de la presqu'île de Collo, pour prêter main-forte aux rebelles et sauver les populations de la répression. Cette répression, qui pèse de plus en plus sur les musulmans.

            Au point que, début août, Ferhat Abbas est à Paris pour tenter d'obtenir du gouvernement français que l'état d'urgence ne soit pas appliqué à tout le territoire.

            Quand on connaît la crédulité des foules, et de celles du Maghreb en particulier, on comprend que, faisant flèche de tout bois, Zighout soit parvenu à mobiliser son monde pour le 20 août. Jusqu'à laisser croire aux fellahs (paysans) que, dans les camions qui pouvaient les transporter, Allah les changerait en moutons au moment de passer devant les militaires...

            Le 20 août à midi. Pourquoi midi ?

            Parce que c'est l'heure brûlante, où le soleil donne tous les vertiges. C'est elle aussi qui va permettre, dans les coins perdus, de trouver les Européens chez eux. A table, ou faisant la sieste. Il faut profiter de la surprise.

            Sur le carnet de route de Zighout, les noms des villes et des villages où le sang va couler : Philippeville, Djidjelli, Collo, El-Milia, Le Kroub, Guelma, Bône, Jemmapes, El-Arrouch, Oued-Zenati, Saint-Charles, Robertville, Aïn-Abid, El-Halia, Catinat, Kellermann, Gallieni, Condé-Smendou, Aïn-Kercha, la liste n'en finit plus...

            Revenons à Aïn-Abid et à El-Halia.

            Ils restent dans les mémoires comme les « Oradour », de la guerre d'Algérie.

            La formule n'est pas outrée. Elle recouvre des scènes dont l'horreur laisse pantelant et dont les photos ne sont décemment pas publiables. Qu'il suffise de savoir qu'à Aïn-Abid, une petite fille de cinq jours, Bernadette Mello, fut tronçonnée sur le rebord de la baignoire, devant sa mère, dont on ouvrit ensuite le ventre pour replacer la nouveau-née. Que, sous le même toit, Faustin Mello, le père, est assassiné dans son lit amputé à la hache, des bras et des jambes, que la tuerie n'épargne ni Marie-José Mello, une fillette de onze ans, ni la grand-mère de soixante-seize ans. Qu'à El-Halia, sur 130 Européens; 32 sont abattus à coups de hache, de serpe, de gourdin, de couteau, les femmes violées, les tout petits enfants fracassés contre les murs.

Des enfants d’El-Halia après le passage des massacreurs du 20 août 1955. «Pas de pitié, pas de quartier », avait dit Zighout Youssef.

El-Halia, l’entrée de la mine de fer

La confiance piégée

            Ces exemples ne sont pas cités par complaisance morbide. Ils peuvent aider, non pas à justifier, mais à comprendre la réaction de ces Européens du Nord Constantinois dont le frère, ou le fils, ou la femme eurent à subir pareil sort.

            Et d'éviter de tirer des massacres du 20 aoÛt, une leçon unilatérale et la morale d'une histoire dont la répression seule ferait les frais.

            A El-Halia et à Aïn-Abid, la stupéfaction se mêle à l'horreur. Ceux qui levaient brusquement le couteau sur les Européens étaient des familiers, des villageois musulmans paisibles. Au point qu'à Aïn-Abid le maire avait refusé toute protection militaire, craignant que des uniformes ne vinssent troubler la paix des rapports entre les deux communautés.

            El-Halia est attaqué entre 11 h 30 et midi. C'est un petit village proche de Philippeville, sur le flanc du djebel El-Halia, à trois kilomètres environ de la mer. Là vivent 130 Européens et 2000 musulmans. Les hommes travaillent à la mine de pyrite, les musulmans sont payés au même taux que les Européens, ils jouissent des mêmes avantages sociaux. Ils poussent la bonne intelligence jusqu'à assurer leurs camarades Degand, Palou, Gonzalez et Hundsbilcher qu'ils n'ont rien à craindre, que si des rebelles attaquaient El-Halia, « on se défendrait » au coude à coude.

Aïn-Abid et El-Halia: les you–you des femmes couvrent le massacre

            A 11 h 30, le village est attaqué, à ses deux extrémités par quatre bandes d'émeutiers, parfaitement encadrés, et qui opèrent avec un synchronisme remarquable. Ce sont, en majorité, des ouvriers ou d'anciens ouvriers de la mine et, la veille encore, certains sympathisaient avec leurs camarades européens...

            Devant cette foule hurlante, qui brandit des armes de fortune, selon le témoignage de certains « rescapés », les Français ont le sentiment qu'ils ne pourront échapper au carnage. Ceux qui les attaquent connaissent chaque maison, chaque famille, depuis des années et, sous chaque toit, le nombre d'habitants. A cette heure-là, ils le savent, les femmes sont chez elles à préparer le repas, les enfants dans leur chambre, car, dehors, c'est la fournaise et les hommes vont rentrer de leur travail.

            Les Européens qui traînent dans le village sont massacrés au passage.

            Un premier camion rentrant de la carrière tombe dans une embuscade et son chauffeur est égorgé.

            Dans un second camion, qui apporte le courrier, trois ouvriers sont arrachés à leur siège et subissent le même sort.

            Les Français dont les maisons se trouvent aux deux extrémités du village, surpris par les émeutiers, sont pratiquement tous exterminés. Au centre d'El-Halia, une dizaine d'Européens se retranchent, avec des armes, dans une seule maison et résistent à la horde. En tout, six familles sur cinquante survivront au massacre.

            Dans le village, quand la foule déferlera, excitée par les « you-you » hystériques des femmes et les cris des meneurs appelant à la djihad, la guerre sainte, certains ouvriers musulmans qui ne participaient pas au carnage regarderont d'abord sans mot dire et sans faire un geste. Puis les cris, l'odeur du sang, de la poudre, les plaintes, les appels des insurgés finiront par les pousser au crime à leur tour.

            Alors, la tuerie se généralise. On fait sauter les portes avec des pains de cheddite volés à la mine. Les rebelles pénètrent dans chaque maison, cherchent leur « gibier » parmi leurs anciens camarades de travail, dévalisent et saccagent, traînent les Français au milieu de la rue et les massacrent dans une ambiance d'épouvantable et sanglante kermesse.

            Des familles entières sont exterminées : les Atzei, les Brandy, les Hundsbilcher, les Rodriguez.

            Outre les 30 morts, il y aura 13 laissés pour morts et deux hommes, Armand Puscédu et Claude Serra, un adolescent de dix-neuf ans, qu’on ne retrouvera jamais. Quand-les premiers secours arrivent, El-Halia est une immense flaque de sang.

            Abattu par le F.L.N.: le neveu de Ferhat Abbas

            Aïn-Abid, dans le département de Constantine, est attaqué à la même heure. Un seul groupe d'émeutiers s'infiltre par différents points du petit village, prenant d'assaut, simultanément, la gendarmerie, la poste, les coopéra­tives de blé, l'immeuble des travaux publics et les maisons des Européens.

            Comme à El-Halia, jusqu'à 16 heures, c'est la tuerie, le pillage, la dévastation.

            Les centres sont isolés les uns des autres, les Français livrés aux couteaux.

            Mais, à Aïn-Abid, les civils sont mieux armés et ils se défendent avec un acharnement qui finit par tenir les rebelles en respect jusqu'à l'arrivée des renforts militaires, vers 16 heures. C'est à cette heure-là qu'on découvrira le massacre de la famille Mello.

            Ce nuage de sang dissipé, viendra l'heure des informations plus claires et des bilans. On se rendra compte que, dans cette journée du 20 août, la chasse à l'homme commença d'abord, sur les ordres de Zighout, par la chasse aux Européens.

            En tout, de Constantine à Philippeville, à Jemmapes, à Catinat, à Hammam-Meskoutine et dans toutes les localités du Nord Constantinois, 171 Français ont été massacrés. Dans la répression qui suivra, celle de l'armée et celle des civils, 1 273 musulmans seront exécutés. Un chiffre qui n'émut le F.L.N. que pour les besoins de sa propagande, car, en fait, c'est ce que cherchait Zighout Youssef pour relancer la révolution.

            A partir du 20 août 1955 cette révolution deviendra véritablement une guerre, Dès lors, le ver est dans le fruit, la peur dans chaque homme, quelle que soit sa communauté, et la méfiance s'installe. La sauvagerie avec laquelle ont été tués les Français d'Aïn-Abid et d'El-Halia impressionnera tellement les musulmans que les slogans sur la répression française porteront moins que ceux de mai 1945, après Sétif. Puis, parmi les victimes du F.L.N., il y eut des musulmans modérés, notamment le neveu de Ferhat Abbas, Allouah Abbas, tué dans sa pharmacie de la rue Clemenceau, à Constantine, et Hadj Saïd Chérif, un avocat blessé de plusieurs balles tirées par une jeune stagiaire du barreau de Constantine. On retrouva, sur le cadavre d'un homme de main des rebelles, une liste d'élus musulmans à abattre, dont Ferhat Abbas. Zighout Youssef ignorait probablement encore que Ferhat avait franchi le Rubicon et qu'Abane Ramdane l'y avait énergiquement poussé.

            D'une façon générale, la réaction de l'armée est vive, brutale. Partout, les attaques sont stoppées sous le feu des armes automatiques. Les paras sont engagés dans d'immenses opérations de ratissage et, dans le même temps, l'autorité militaire semble débordée par les groupes de civils européens qui battent le bled à la recherche des tueurs F.L.N.

            En effet, et c'est là une des conséquences les plus graves des massacres d'août 1955, la répression frappe dès lors tous les musulmans, jusque dans les douars les plus innocents, d'où de paisibles fellahs s'enfuiront pour échapper aux mitraillettes des commandos civils. Si l'armée attaque méthodique ment les P.C. du F.L.N. dissimulés dans les mechtas autour des centres européens désignés par Zighout Youssef, en revanche, les civils, emportés par le désespoir, la peur, et la haine aussi, ne font pas quartier.

            Au slogan F.L.N. : « Tuez tous les Français civil s », répond le slogan pied-noir : « Abattez-tous les Arabes.»

            L'« escalade du sang » commence. Elle va durer huit ans. Mais, d'abord, saper tragiquement le programme de réformes que Jacques Soustelle s'est efforcé de préparer, en homme de bonne volonté, dans l'espoir de sauver l'Algérie.

Soustelle : un autre homme

            Quand les premières dépêches parviennent au palais d'Eté, dans l'après-midi du 20 août, Soustelle prend immédiatement l'avion pour le Nord constantinois. Il débarque à Constantine, qui n'est plus qu'une ville en état de siège, sillonnée par des patrouilles militaires, jonchée de débris de meubles, de chaussures abandonnées dans des flaques de sang, de vitres brisées. Les façades sont mortes, les places désertes.

            La peur est partout. Militaires et civils le tiennent au courant des détails de ce samedi sanglant. Lourd bilan. Soustelle décide de se rendre sur place, comme il le fera toujours. Le dimanche matin, il parcourt Aïn-Abid et El-Halia, où les cadavres des victimes européennes sont alignés, sous le soleil, dans un silence sinistre, troublé parfois par des cris de douleur, de rage, des appels à la vengeance. Soustelle voit tout, écoute tout, boit cette coupe jusqu'à la nausée. Un autre Soustelle quittera les villages martyrs.

            Cet homme-là a compris que, désormais, il lui faudra se battre sur deux fronts. Contre le F.L.N., pour protéger les musulmans encore acquis à des réformes, et contre les meneurs pieds-noirs, qui exploitent le 20 août à des fins politiques personnelles. Ceux­ là aussi sont dangereux. Soustelle, à Philippeville, où se déroulaient les obsèques des victimes, a entendu des cris hostiles. Le maire de la ville, Dominique Benquet-Crevaux, appelle ses administrés à la ratonnade et piétine les couronnes déposées par le gouverneur général au monument aux morts.

            Jacques Soustelle rentre à Alger bouleversé. Il donne des ordres pour que la justice soit appliquée rigoureusement aux tueurs musulmans, mais aussi pour que l'armée désarme les Européens les plus déchaînés. En réalité, on désarme peu d'Européens, et presque tous les prisonniers musulmans du 20 août sont passés par les armes. Désormais, l'insécurité va s'installer et plus jamais Jacques Soustelle n'acceptera, comme il l'avait fait quelques mois auparavant, de rencontrer des envoyés de l'adversaire pour un dialogue entre hommes de bonne volonté.

            Le jugement des rebelles arrêtés à la suite du massacre terminait le premier grand procès du drame algérien. Soustelle, aussi bien que les chefs militaires et la population civile Européenne, devait être à jamais marqué par ce drame

            En ce mois d'août finissant, commence le temps des assassins.

Marie ELBE

El-Halia :pour le F.L.N. un tournant dans la guerre

            El-Halia : une exploitation minière, des ateliers, un gros village. Cinq cent soixante-dix ouvriers musulmans, originaires des mechtas voisines du djebel Filfila et de la région de Sétif, ainsi qu'une trentaine d'Européens y travaillent, Leurs familles, soit environ deux milliers d'âmes, vivent en bonne intelligence. Philippeville est à 22 kilomètres par une route de montagne, la mer à 3 kilomètres à vol d'oiseau,

            On sait que les rebelles ont implanté un petit maquis dans le Filfila et que leurs agents s'infiltrent à El-Halia. Le 20 juillet 1955, trois ouvriers suspects de francophilie ont été assassinés et une vingtaine d'autres se sont enfuis après le coup.

            Il semble évident que la population ravitaille une bande qui campe à l'oued Soudan, mais ses protestations de fidélité devant les Européens sont jugées sincères et contribuent à créer un sentiment de fausse sécurité. Néanmoins, toutes les familles françaises ont leurs armes individuelles, auxquelles s'ajoutent 25 grenades OF distribuées par l'entreprise.

            Le 20 août 1955, quatre bandes de quinze à vingt hommes attaquent le village à ses deux extrémités, montent une embuscade sur la piste de la mine et encerclent les ateliers. La surprise est totale. Tous les Européens, y compris les femmes et les enfants, isolés sur la route ou pris au piège à l'heure du repas sont égorgés. Aucune défense cohérente n'a le temps de s'organiser. Six familles, avec seulement deux fusils de chasse, deux revolvers, une carabine et quelques gre­nades, parviennent à se barricader et tiennent jusqu 1 à l'arrivée des secours. D'autres trouvent le salut dans la fuite.

            On compte 35 morts, 15 blessés et 2 disparus.

            Cette affaire d'El-Halia allait provoquer, selon la formule consacrée, une « grande émotion » dans toute l'Algérie. Or trois de ses aspects retiennent l'attention :

            L'attaque est préparée avec un soin inhabituel et le secret parfaitement gardé.

            En effet, le choix des points d'attaque et de l'heure, la simultanéité des opérations sont le fait d'un véritable spécialiste. Les renseignements font d'ailleurs état de la présence de deux Européens dans les rangs des fellaghas. On constate également que toute la population musulmane était au courant de l'attaque au moins vingt-quatre heures plus tôt. Une cinquantaine d'ouvriers ne se sont pas présentés au travail le matin du jour et, la veille, de nombreuses familles ont quitté leur maison.

            Aucun des Européens, y compris les plus liés à des familles musulmanes, n'a été informé de ce qui se tramait ; aucun ne semble avoir perçu de signe annonçant des perturbations dans la vie quotidienne. A la complicité du secret des uns correspond l'insouciance des autres ;

            Le rôle principal est joué par les ouvriers de la mine et par les femmes qui les encouragent. En fait, l'irruption des fellaghas fait simplement office de détonateur dans une population qui a subi un conditionnement mental. Délibérément, les rebelles ont provoqué la crise d'hystérie collective, la remontée d'instincts primitifs, la tuerie des « infidèles ». Le but visé est politique en ce qu'il consacre une rupture irrémédiable entre les deux communautés ;

            Les premiers coups de feu sont tirés à 11 h 55. El-Halia n'a aucun moyen d'appeler à l'aide. Le téléphone est coupé, le poste de radiotéléphonie ne fonctionne pas, le garde champêtre, qui dispose de deux fusées d'alarme, est absent.

            A 14 heures, le garde forestier, qui a échappé par miracle à une embuscade, donne l'alerte à Philippeville, puis le directeur de la mine parvient à rejoindre à pied le camp Péhau à 10 kilomètres d'El-Halia.

            Deux avions de chasse envoyés pour soulager les assiégés mitraillent et bombardent les assaillants. Une compagnie de parachutistes atteint enfin le village. Aux premières rafales les émeutiers prennent la fuite. Il est 15 h 30.



Mis en ligne le 20 août 2005